Chapitre XI – Le 6 juin 1944 : enfin le débarquement en Normandie
L’armée américaine, clouée sur les plages, subit de lourdes pertes en vies humaines. Les Allemands leur opposaient une très forte résistance grâce au « mur de l’Atlantique », véritable barrage de béton. Ce mur, hérissé de centaines de batteries de canons, tout au long des côtes, aurait dû leur permettre de repousser un éventuel débarquement.
Les forces blindées allemandes du sud-ouest, dans un mouvement tournant vers le centre de la France, firent une tentative pour prendre à revers les chars américains immobilisés par les haies infranchissables du bocage normand. Là, se situe l’intervention particulièrement efficace des maquis du centre de la France. L’action de harcèlement permanent sur la colonne blindée du Général allemand Lammerding retarda de 3 jours son mouvement d’encerclement.Cette intervention des partisans permit aux forces américaines d’ouvrir une brèche dans la défense allemande et de progresser vers l’intérieur du territoire français.
L’action coordonnée des maquis avait retardé de 3 jours l’arrivée des blindés allemands chargés de prendre à revers l’armée américaine, ce qui lui permit, de faire une percée dans le bocage normand et de culbuter les troupes allemandes.
L’action de la Résistance intérieure sauva la tête de pont alliée en Normandie. La route était ouverte pour la libération du sol de France ! Il semble que cet épisode ait été volontairement occulté par l’Histoire officielle …. Et le Général De Gaulle.
Par contre, Churchill a affirmé que l’action de la résistance avait remplacé de nombreuses divisions alliées…
Les parachutages d’armes s’intensifièrent. Nos maquis disposèrent de matériels plus sophistiqués pour se défendre.
Le 9 juin, les Allemands arrêtèrent 99 otages dans la ville de Tulle et les exécutèrent par pendaison.
La Milice se sentant traquée par la Résistance déploya au maximum ses dernières possibilités criminelles contre les réfractaires fuyant le S.T.O., les républicains espagnols ayant rejoint le maquis, ainsi que les Juifs qui avaient réussi à échapper aux déportations.Il y a ainsi lieu de citer une abominable tragédie, au moment de la libération de Bourges. Le 21 juillet 1944, la Milice arrêta 59 Juifs qui furent, les uns, assassinés d’une balle dans la nuque, les autres, basculés vivants dans les puits de Gerry (petit village de la région de Saint Amand Montrond). Ils moururent écrasés ou asphyxiés par des blocs de béton que leurs assassins jetèrent pour étouffer les cris de leurs victimes. Mr. Kremeysen, montbéliardais réfugié à Bourges ayant réussi à s’échapper, et seul survivant de cette tuerie, a témoigné de cette horreur après la guerre. Sa femme et sa fille étaient au nombre des victimes.
Une de nos amies travaillant au central téléphonique de la poste de Boussac intercepta une conversation entre la Kommandantur de Guéret et la gendarmerie de Boussac. Le correspondant allemand enjoignait aux gendarmes de Boussac de tenir à disposition la liste des réfractaires et des Juifs recensés par les gendarmes dans la région.
Immédiatement, sautant sur mon vélo, je me suis rendu au maquis pour les alerter du danger que nous courions tous. Dans le quart d’heure suivant, une « traction avant » dans laquelle prirent place des camarades armés partit en direction de la gendarmerie. Sous la menace de leurs mitraillettes, le gendarme de service leur remis le document. .A la lecture de cette liste tous ceux qui vivaient dans la clandestinité ainsi que tous ceux dont le nom figurait sur la liste, le nôtre par exemple, purent pousser un soupir de soulagement. Lorsque l’estafette allemande arriva, plus de liste ! et J’ai imaginé avec délectation ce qui avait pu se passer à la gendarmerie.
Le 10 juin, l’horreur du massacre d’Oradour-sur-Glane mit en alerte la petite ville de Boussac et ses environs.
La division « Das Reich », commandée par le Général SS Lammerding, l’assassin d’Oradour, faisait mouvement vers notre région. Tous les maquis des alentours étaient sur le qui-vive, ainsi que la population civile. Tous les ponts qui donnaient accès à la ville étaient couverts par les maquisards. Fort de la tragédie d’Oradour, ils avaient ordre de faire sauter à la moindre alerte les ponts, afin de protéger la population.
Les habitants de Boussac avaient clos les portes et les volets des maisons, et la ville avait l’aspect d’une cité abandonnée.
L’arrière du château de Boussac surplombait la vallée de la Creuse, coulant à ses pieds. Le château était parfaitement visible depuis la colline où se trouvait le maquis. Aussi avions-nous conçu un stratagème d’alerte avec les habitants du château de Boussac. Cela consistait à pendre aux fenêtres des taies d’oreiller si tout se passait bien, ou des grands draps si la situation devenait dangereuse. Après 2 jours passés dans l’angoisse, nous avons appris le changement de direction de cette colonne allemande, pourchassée et harcelée par l’ensemble des maquis de la région. Attaquée en permanence par l’arrière, elle fut poussée dans la vallée de l’Éguzon. L’aviation anglaise anéantit une grande partie de ses effectifs. Spectacle affreux. Les survivants, cachés dans les bois, furent faits prisonniers.
Le 15 août : débarquement des troupes françaises en Provence. Ma compagnie était fortement engagée dans les combats de libération de Montluçon, Guéret, La Châtre, Châteauroux et Limoges, auxquels mon frère Simon participait. Le 21 août, après encerclement de Limoges par 20 000 maquisards, le Colonel Guingouin, que l’on avait surnommé « le Préfet du maquis », avait obtenu la reddition de la ville, sans aucune perte de combattants.
Dans cette même semaine, les combats se poursuivaient dans Paris où la Résistance intérieure se rendait maîtresse des principaux bâtiments administratifs, secondée par la 2° D.B. du Général Leclerc.
Boussac fêtait la libération de notre région, et notre unité a défilé dans la petite ville dont les habitants se pressaient le long de la rue principale, ébahis, reconnaissant soit un parent, soit un voisin qu’ils ne soupçonnaient pas faire partie des F.F.I.
L’anonymat et les noms d’emprunt garantissaient nos familles d’éventuelles représailles en cas d’arrestation. Ainsi, plus d’un combattant de l’ombre, tué dans une embuscade, a été enterré sous fausse identité, et c’est avec un serrement de cœur qu’ils me reviennent en mémoire. Entre autres, une jeune fille juive, originaire de Nancy, universitaire, s’étant échappée avec son jeune frère au moment des arrestations de juillet 1942. Échouée à La Châtre, en Creuse, elle avait recruté son groupe formé de républicains espagnols, de réfractaires au S.T.O. et de français juifs. Au cours de l’action de libération de Châteauroux, son unité fut durement accrochée. Son frère fut tué, ainsi que plusieurs garçons.. Elle fut grièvement blessée et mourut quelques jours plus tard après son admission à l’hôpital de Châteauroux. Elle m’a laissé le souvenir d’une fille déterminée et pleine de sérénité et de maîtrise.
J’avais également perdu mon identité, j’étais Déborah, de la 21O5e. compagnie Francs Tireurs et Partisans.
Deux jeunes officiers français sanglés dans d’impeccables uniformes nous furent parachutés. Ce furent les seuls militaires français qui s’aventurèrent dans notre région. Motif : la signature d’un engagement pour la durée de la guerre. Nous avons tous signé comme un seul homme. Nous avions hâte d’aller à Berlin, croyons-nous !
L’armée du Général de Lattre de Tassigny remontait rapidement la vallée du Rhône et l’armée allemande du Sud-Ouest risquait d’être prise en tenaille par l’armée américaine qui, depuis sa percée en Normandie, avançait rapidement, pressée d’atteindre les rives du Rhin.
Le Général allemand Elster rassembla les unités de sous-mariniers de la base maritime de Bordeaux ainsi que tous les régiments du Sud-Ouest et, dans une énorme colonne évaluée entre 30 et 40.000 hommes, tenta la traversée en diagonale de la France. Ils espéraient gagner les bords du Rhin.
Cette gigantesque colonne se scinda en deux. Tous les combattants du maquis, pensant en avoir fini, furent mobilisés d’urgence pour harceler cette nouvelle marée. Cette déferlante sur les routes du centre de la France fit bien des victimes civiles. Poursuivie par tous les maquis du Sud-Ouest, commandés par le Colonel Ravanel, chef de la 4e région militaire, ainsi que par les maquis de la 5e région militaire du centre de la France, cette colonne était attaquée en permanence par l’arrière.
Inutile de préciser que les mitraillettes Sten paraissaient dérisoires par rapport à l’armement lourd de la Wehrmacht.
La tactique de protection des Allemands était très meurtrière. Elle consistait à mitrailler au fur et à mesure de leur avancée les bas-côtés de la route où les combattants se dissimulaient. Il y eût de lourdes pertes. Mon maquis participa pleinement à cet engagement.
Enfin, début septembre, le Général Elster comprit que la partie était perdue. Il se rendit au commandement des F.F.I. Les Allemands avaient une grande hantise d’être exécutés par les résistants au cas où ils seraient faits prisonniers. Les massacres de Tulle et d’Oradour étaient en effet tout récents.
Aussi conclurent-ils un accord de reddition avec le commandement F.F.I., les autorisant à garder leurs armes dans les camions. C’est ainsi que cette armée allemande se rendit au Général américain Macon au lieu-dit « le Bec d’Allier ».
Cette page de la guerre n’a, semble-t-il, jamais été relatée dans les livres d’histoire, à mon grand regret et indignation. C’était pourtant la première victoire de l’armée française de l’intérieur. Elle fut complètement occultée et mise au compte des américains.
Les membres de mon maquis persuadés d’être versés dans la 2° D.B. pour continuer la libération de la France pour laquelle ils avaient signé l’engagement « pour la durée de la guerre » furent surpris et atterrés d’apprendre leur départ pour la poche de Royan.
En effet, cette base de sous-mariniers allemands ne s’était pas rendue, bien qu’encerclée, et continuait à résister. Une grande partie des maquisards du Sud-Ouest et du centre de la France fut affectée à l’encerclement de Royan, soit 75.000 hommes issus de la Résistance intérieure, secondés par certaines unités de la 2e. D.B. Le siège de Royan, ainsi que des accrochages sporadiques, s’étalèrent sur une durée de 6 mois, de septembre 44 à fin avril 45. Je recevais du courrier de mes camarades, qui me donnaient des détails sur leurs vaines tentatives de prendre la ville, leur lassitude et le rude hiver que le froid annonçait.