Chapitre X – La formation des maquis
Arriva le printemps 1943, où le maquis commença à s’organiser dans le village de Toulx Sainte-Croix, dans un endroit magnifique et sauvage situé à 7 Kilomètres de mon village.
C’était un point d’observation idéal, l’emplacement d’un ancien oppidum romain qui surplombait les départements de l’Allier, de la Vienne, du Cher, de l’Indre, du Puy-de-Dôme et de la Corrèze.
Mon frère Simon rejoignit le maquis de la 21O5e compagnie de marche francs tireurs et partisans où l’on m’attribua le rôle d’agent de liaison. J’étais dans ce maquis le seul élément féminin. Tous mes compagnons avaient un nom de guerre qui cachait leur véritable identité. C’est ainsi que mon chef de maquis m’appela Déborah.
La bicyclette était notre seul moyen de locomotion. La mienne était toute rouillée. Comme nous n’avions pas de pneus de rechange malgré la proximité des usines Dunlop, mon père cousait des pièces de caoutchouc pour consolider les pneus.
Je roulais la nuit et, au passage d’un cimetière, les feux follets me poursuivaient dans le déplacement de l’air que je provoquais. C’était très impressionnant. La traversée de la forêt n’était pas plus engageante avec le cri lugubre des hiboux qui m’accompagnait. J’étais sur le qui-vive en permanence.
Lorsque j’entendais un bruit de moteur, j’écoutais attentivement pour savoir s’il s’agissait d’un véhicule allemand fonctionnant à l’essence ou d’un moteur au « gazogène », fonctionnant au charbon de bois, donc plus sécurisant. J’arrivais la nuit dans une ferme où je rencontrais les personnes auxquelles je devais délivrer mon message, évidemment appris par cœur.
Dans cette ferme isolée se trouvait une table de chêne où des godets creusés dans l’épaisseur du bois faisaient office d’assiettes. Au fond des godets, un bouchon permettait l’écoulement des restes, pour la grande satisfaction des porcs qui évoluaient entre nos jambes. Une bonne soupe chaude m’était offerte. J’étais si affamée et si fatiguée que cela n’avait aucune importance, et j’étais heureuse d’avoir accompli ma mission.
Ma mission consistait également à convaincre les cheminots des petites gares jalonnant la voie de chemin de fer Montluçon-Guéret de nous prêter leur aide pour installer des relais téléphoniques clandestins sur les poteaux télégraphiques. Ces relais nous permettaient de capter les conversations téléphoniques entre les Kommandantur de Montluçon et de Guéret, et de nous tenir en permanence au courant du moindre déplacement d’estafettes militaires.
L’effectif de notre maquis commençait à s’étoffer : des gens réfugiés dans la région venaient spontanément nous rejoindre. Nombreux étaient les parisiens, juifs pour la plupart, échappés aux rafles de 1942, les républicains espagnols menacés d’arrestation par la milice de Vichy et les jeunes paysans de la région recrutés pour le S.T.O. ( Service du Travail Obligatoire) en Allemagne, préférant la clandestinité et le combat au départ pour l’Allemagne.
Pas d’armement. Quelques vieux fusils Lebel et des fusils de chasse.
Les embuscades contre les patrouilles allemandes sur les routes permettaient de récupérer des armes et des munitions, et donc de nous impliquer davantage dans les actes de sabotage des lignes de chemin de fer. Pas d’instructeurs. Nos camarades espagnols nous apprenaient à faire des « cocktails Molotov », confectionnés avec des bouteilles contenant de l’essence dans lesquelles on introduisait une longue mèche de coton que l’on enflammait et jetait rapidement sous les véhicules des convois allemands.
La stratégie et le maniement des fusils étaient laissés au soin d’un ami de Belfort, Adolphe Heller, engagé volontaire en 1940, étranger et juif, qui avait été versé dans les corps-francs de l’armée française et avait fait toute la campagne de Narvik, en Norvège.
Nous écoutions attentivement depuis des mois Radio Londres, « les Français parlent aux Français », qui nous envoyait les messages personnels codés nous prévenant d’un éventuel parachutage d’armes dans notre région. Le premier parachutage eut lieu à La Souterraine, dans le sud du département de la Creuse, en février 1944. Bien tardivement, hélas ! Les mitraillettes Sten et le « plastic » firent leur apparition dans les maquis de la région, ce qui permit d’intensifier les sabotages des lignes de chemin de fer pour désorganiser les troupes allemandes.
La tâche des maquis était le harcèlement permanent des troupes allemandes et de la Milice française, dont certains éléments s’infiltrèrent dans les maquis comme espions et provoquèrent l’anéantissement de plusieurs unités de combat clandestines.
Nous avons appris l’arrestation de camarades qui sont morts sous la torture ou qui ont été déportés en Allemagne, vers les camps de concentration dont beaucoup ne sont pas revenus. Cela nous mettait la rage au cœur et la peur au ventre, mais chacun remplissait sa tâche avec abnégation. Nous étions tous des Guy Moquet en puissance !
Les combattants de l’ombre firent sauter le centre de la Gestapo ainsi que la caserne de la Milice de Montluçon. Cela eut un grand retentissement dans la population plutôt pétainiste. Il se fit un retournement d’opinion en faveur des « terroristes » que nous étions, malgré les exhortations haineuses des speakers de Radio Paris.
Stalingrad et Leningrad avaient « tenu » et nous ne tarissions pas d’éloges et d’admiration pour l’Armée Rouge que nous considérions comme notre modèle. Elle avait résisté et nous devions suivre son exemple. Les Allemands reculaient sur tous les fronts. Les maquisards harcelaient et inquiétaient de plus en plus les troupes occupantes ainsi que les miliciens qui devenaient de plus en plus dangereux. Aussi les actes de représailles contre la population s’intensifièrent.
Les civils furent réquisitionnés par les autorités allemandes pour la garde des lignes de chemin de fer, de jour et de nuit, avec menace de représailles en cas de déraillement de train. Ce qui posait un cas de conscience à la Résistance…