Dans les papiers personnels de Marie-Thérèse Heimbrock, on lit cette note :
" La citoyenne veuve Heimbrock, fabricante de chanvre, réclame une indemnité pour le vol qui lui a été fait dans la chambre qu’elle occupe d’une cassette en bois ébenne doublée en vellours cramoisi avec des petits clous en or fin, le dessous du couvercle en miroir, ou étoit renfermé six cantz louis en or en six roulaux, une montre en or a répétition garnie en brilliant, breloque et chaine en or, une autre montre en or avec une chaine aussi en or, un étuit en or ou étoit deux cures dent or, une tabatière carrée or et fifre , en brilliant, dessus une filoche de soye bleu en pailliette or et argent ou étoit douze ducat d’hollande, six rayés d’hollande et six doublons ; lesquels objets remis a lad. citoyenne Heimbrock en dépôt, elle avoit donné quittance de 30.000 livres sur ses pensions qui luy étoient dues à Munich en Bavière. Le dit vol lui fut fait du tems qu’elle étoit en prison à la section de Sautemouche au mois de pluviose de l’année 2e de la République, ayant été mise en liberté suivant le verbal du juge de paix du 2e ventose."
Marie-Thérèse fut donc arrêtée après la prise de Lyon. Dans quelles circonstances ? C’est ce que nous allons essayer d’éclaircir. Mais avant, voyons la question des objets volés.
En pluviôse l’an II, c’est-à-dire janvier 1794, Marie-Thérèse serait victime d’un vol alors qu’elle est en prison. Rien d’étonnant à cela.
Edouard Herriot dans " Lyon n’est plus" écrit : "Les arrestations et appositions de scellés donnent lieu à des injustices et à des prévarications scandaleuses. Le pauvre et l’innocent sont opprimés et volés ; le riche et le grand coupable sont ménagés et relaxés... Les propriétés des condamnés sont confisquées au profit de la République, mais la " Commission temporaire de surveillance Républicaine" se plaint aux Représentants de certains vols : " Nous ne pouvons empêcher la dilapidation des effets qui sont séquestrés ; sous le plus léger prétexte les comités lèvent les scellés et nous sommes informés que la presque totalité des effets ont été enlevés..."
Les biens de la prisonnière sont mis sous scellés Dans les papiers du Comité Révolutionnaire de la " Section de la Fraternité ", il est question de Marie-Thérèse : " Vve LIMBROCK : 24 Pluviose . Verbal de saisie de quatre sacs remplis d’effets, qu’elle a déclaré appartenir à Lacroix Laval.
Au nom de Millien, à la date du 27 Frimaire, on lit :
" Maison des Jacobins - Procès verbal d’inventaire et enlèvement de ses effets au dépôt de la Section, avec distraction des effets appartenant à Heimbrock." [1]
Le 12 février 1794, Marie-Thérèse est présente lors de la saisie de ses effets. Est elle déjà libérée ? Ou est elle temporairement extraite de sa prison pour constater la saisie ?
Voici ce que nous apprend un " Relevé des inventaires fait dans la section de Sautemouche d’après les originaux." [2] à la date du 24 pluviose an II (12 février 1794) :
" L’an deux de la République, une, indivisible et démocratique, nous membres soussignés étant dans nos fonctions ordinaires, et d’après avoir eû connaissance qu’il existait des effets chez la citoyenne INBROQUE, manufacturière en chambre, demeurant maison des ci-devant jacobins, nous nous y sommes transportés dans son domicile conjointement avec un membre de l’arrondissement de Sautemouche"
"Ayant interpellé les dits citoyens de nous dire ou était les effets appartenant à la citoyenne Lacroix, elle a fait réponse quel n’avoit rien, à la seconde interpellation, elle nous a fait voir trois sacs remplis de linge consistant savoir : un sac remplis de trois coupons cordal pour essuyes mains, un dit contenant trois coupons toile rousse, plus trois coupons cordal idem."
" Dans un troisième sac contenant quarente cinq chemises tant pour homme que pour rideaux de mousseline, plus une pièce brochée en soye ; deux robe de chambre, une en fond or et l’autre fond d’argent avec sa veste, quatre vestes basin ou manquin, plus une paire de draps, dix-huit paires de chaussons en toille, une toillette d’anfant en filoche brodé, six bonnet ou serre tête, huit paires bas tant soye qu’autre, trois robes de soye brochée defaite.
"D’après une troisième (interpellation) si la citoyenne dit qu’elle n’avoit plus rien, elle nous a répondu que nous avions fait perquisition, nous avons reconnu une paire de draps qui étoient démarqué et dont la marque parroissoit encorre. Et quatre chemises de femmes, deux peignoirs garnis en mousselines, trois calsons, et huit mouchoirs de poche, quatre serre-tête, deux paires de chaussons, un habit de chirurgien ayant déchiré apartenir au citoyen Londel dentiste, le tout ranfermé dans quatre sacs ficellés et cachetés, et scellé du sceau de la section, et celui de la dite Pibraque ? avons signé Taizant agent, Jouve membre, Dulifand mambre, Heimbrock."
Les commissaires saisissent tous ces effets. Ces linges et vêtements appartiennent, en partie, à la nommée Lacroix ainsi qu’à un dentiste Londel.
De cassette, d’argent, de bijoux et de montres, il n’en est pas question. Il est évident que cette " taxation révolutionnaire" n’a pas fait l’objet d’un procès-verbal !
Voilà encore une fois notre héroïne ruinée. D’autant plus qu’apparemment ces objets précieux ne lui appartenaient pas. Ils servaient de caution, pour quelle cause ?
Fin 1794, Marie-Thérèse envoie une pétition pour obtenir la mainlevée des séquestres.
Nous lisons ce qui suit [3] : " Ce jourduit quinzième frimaire lan troisième de lere républiquaine (5 décembre 1794) nous agens du district et de la municipalité... nous nous sommes transporté au dépôt des ci-devant jacobins, canton des Sans Culottes, a l’efet de distraire et délivré à la citoyene veuve Heimbrock trois pièces de toilles rousse dont une de trieze et plusieurs linges et nipes a elle apartenante, le tous dans quatre sacs, ainsi qu’il est expliqué par sa demende ou elle a reconu sa marque et sont cachet, le tous intacte ; la citoyene veuve Heimbrock nous a déclaré ne rien devoir à ceux dont les biens son confisqués au profits de la République, ainsi que l’exige nos pouvoirs, ainsi que de payer tous les frais occationné par cette opération. Et la citoyenne Vve Heimbrock a signé avec nous pour servir de récipicé dont du tous nous avons dressé le présent procès-verbal. A Lyon le jour et ans que dessu. Heimbrock ; Rivat adm ; Tourrette agent du district."
Marie-Thérèse récupère au moins ses vêtements, un an après son arrestation !
Justement, revenons quelques mois en arrière : Marie-Thérèse a été emprisonnée, selon ses dires, " à la Section de Sautemouche." Le nom peut prêter à sourire. Pourtant Sautemouche a véritablement existé et cette section de comité révolutionnaire de Lyon prit son nom en hommage à sa mémoire.
A. Kleinclausz dans son "Histoire de Lyon" [4] nous raconte l’épisode :
" Ce jour-là (27 juin 1793) un ex-officier municipal du nom de Sautemouche, révolutionnaire exalté, de moralité équivoque, fut libéré sous caution, parce que l’information n’avait pas relevé contre lui des charges suffisantes. Des individus l’appréhendèrent sur la porte d’un café et il ne fut sauvé une première fois d’un sort fatal que grâce à l’intervention de membres de la section de Porte-Froc qui le conduisirent devant leur président Montviol. Renseignements pris au Palais de Justice, ce dernier le plaça sous la sauvegarde des lois et, l’intéressé préférant être réintégré à la prison où il se sentait mieux en sûreté, une escorte fut demandée pour opérer son transfert.
Mais un attroupement s’était formé devant le siège de la section, les fusils se braquaient sur le prisonnier, des cris de mort éclataient de toutes parts. Après trois heures de discussions violentes, Sautemouche, arraché de son asile, fut entraîné vers le quai voisin, lapidé, lardé de coups de sabre et jeté à la Saône, tandis que le président de Porte-Froc, qui s’était précipité à sa suite pour le sauver était assommé et ramassé sans connaissance par ses amis. Des détachements de gardes nationaux, de dragons et de gendarmes, accourus sur les lieux du drame précédés d’officiers municipaux, étaient arrivés trop tard pour une intervention efficace. On ne retira de la rivière qu’un cadavre sanglant et défiguré."
Dans chaque quartier de Lyon, il existe des comités révolutionnaires, dont la tâche est de surveiller les citoyens, de veiller au " patriotisme " de chacun. Ils peuvent intervenir et remettre à la justice les suspects. Leur organisation change en fonction des événements politiques.
Leur appellation aussi reflète l’air du temps :
Pour la section qui nous occupe, "Sautemouche" fait partie du canton des sans-culottes. Ce canton ; ainsi dénommé après le siège de Lyon regroupe les sections de :
- Port Affranchi
- du Plat d’Argent
- de l’Hôpital
- de Belle-Cordière
- de la Rue Thomassin
- de Bon Rencontre
Il s’agit de tout le quartier autour de l’ancien couvent des Jacobins. La "section de Sautemouche" s’appelle d’ailleurs "Fraternité" après le 29 mai en remplacement de son nom de " Place Confort " donné lors de sa création.
Pendant une courte période, elle prend le nom du révolutionnaire Sautemouche, pour enfin se baptiser " Jacobins" après octobre 1794.
Voici la liste de ses membres à l’époque de l’arrestation de Marie-Thérèse :
Membres :
- BELISSANT, 50, rue Mercière
- RIVAT, 9, rue Sautemouche
- LARCHER, 84, rue Sautemouche
- TOLLET, Place Sautemouche N°62
- COURBON, 34 rue Raisin
- MAYOUSSE, 64 rue Challier
- FABRE, 67, rue Challier
Adjoints :
- GIRARD, 37, Place Sautemouche
- MARTIN, 86, rue Sautemouche
- GENOUILLAT, 34, rue Raisin
- PONCHON, 49, rue Mercière
ainsi qu’un adjoint de l’armée révolutionnaire " [5]
Dans ce dossier existent de nombreux procès-verbaux d’inventaires et de scellés rue Chalier, aux numéros 76 et 78 notamment, où réside Marie-Thérèse Heimbrock. Mais rien ne la concerne. C’est d’ailleurs le silence total des documents au sujet de son arrestation début 1794.
Des recherches poussées dans les papiers de l’époque aux Archives Municipales de Lyon ainsi qu’aux Archives départementales n’ont rien donné. Notamment dans les dossiers des " Comités Révolutionnaires de Lyon-Canton des Sans-Culottes" entre fin 1793 et début 1794 [6].
Rien non plus dans la série L sur les dénonciations, perquisitions et arrestations, ainsi que dans les papiers des tribunaux et ceux des prisons lyonnaises !
Une seule indication utile : par décision de la municipalité, l’église des Jacobins doit être convertie en prison pour les détenus de la section de la Fraternité ou Sautemouche. Des travaux doivent être faits pour cette destination ; des ouvriers sont réquisitionnés le 10 frimaire an II (30 novembre 1793).
Dans la liste des détenus de l’arrondissement de Sautemouche (Vendémiaire à Germinal an II) [7] tous les prisonniers sont des hommes.
On trouve même un " Jean Baptiste STADLER, fils" (Stader ou Stadler est le nom de jeune fille de Mme Heimbrock) arrêté le 2 décembre 1793 :
" Né et domicilié de Ville Affranchie, section Saint Pierre N°5, place des Carmes, 18 ans (né vers 1775)... A dit qu’il a porté les armes par force contre la République pendant une quarantaine de jours, et s’est retiré chez lui sur la fin du Siège & a quitté les armes... Il était simple fusillier dans les Compagnies basses de la Section de Saint-Pierre. Il était musicien de profession occupé au théâtre de Lyon, et muni d’un certificat de la section de St Pierre en date du 4 frimaire..."
Arrêté à Chambéry avec plusieurs autres musiciens ; tous les dix sept de Ville Affranchie ; sur le zèle du citoyen Chevillon agent du pouvoir exécutif, il est interrogé le 12 frimaire : les officiers du 1e bataillon de Mayenne et Loire, dont fait partie Jean Baptiste, avaient formé une troupe de musique composée de 17 citoyens de Lyon. Ayant des doutes sur leur civisme, les autorités les arrêtent et les traduisent devant les membres du Comité de Surveillance du chef-lieu du département du Mont-Blanc, à Chambéry.
On ignore ce qu’il advint de ce Stadler, dont le nom et la profession de musicien rappellent étrangement ceux du père de Marie-Thérèse !
Au fil des archives, on découvre une souche lyonnaise des Stadler : un Tobias Stadler ; "31 ans, 1m 67, cheveux châtains" d’après son passeport pour Bourgoin du 21 floréal an 7, est natif de Berlin. Il habite 1, place du Plâtre et il est tailleur.
D’après Marie-Thérèse Heimbrock, elle serait « mise en liberté suivant le verbal du juge de paix du 2e ventose », donc le 20 février 1794. En fait, elle doit être libre depuis quelques jours déjà puisque présente lors de la saisie chez elle du 12 février (24 pluviôse an II).
Durant plus de six mois, nous ignorons tout de la vie à Lyon de Marie-Thérèse. Jusqu’à une lettre, datée " du 4e au 3e décadi du mois de Brumaire l’an 3e de la République française" (25 octobre 1794), adressée " à la citoyenne Heimbrock, fabricante de chanvre, restante dans la maison des ci-devant Jacobins, 2e corridor, lettre D. Rue Challier, à Commune Affranchie." Elle est donc toujours aux Jacobins et va de nouveau solliciter l’administration...Mais c’est une autre histoire !