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Au Barrenkopf avec le 114e Bataillon de Chasseurs Alpins (juillet 1915) (2e épisode)

Le jeudi 12 novembre 2009, par Françoise et Pierre Férole, Michel Guironnet

Pour lire le précédent épisode

Le 114e Bataillon de Chasseurs Alpins est formé le 10 mars 1915 à Pérouges, dans l’Ain...Il fait partie de la 5e brigade de chasseurs...

En juillet, le bataillon occupe les tranchées du secteur du Wettstein,près du Lac Noir, dans les Vosges.

Le 21 juillet 1915, il reçoit l’ordre d’attaquer le Barrenkopf.

Le bataillon monte à l’assaut, il est littéralement décimé ; le bataillon doit se replier sur ses positions de départ...

Bilan : 13 officiers, 442 sous-officiers et chasseurs tués.

Le 114e Bataillon de Chasseurs Alpins, créé en avril 1915, était formé en majorité de jeunes ruraux de la classe 15, originaires de Savoie, du Dauphiné et de la région lyonnaise.

Dans le cadre de la nouvelle 129e Division d’Infanterie le 114e fut d’abord affecté à la 5e Brigade de Chasseurs avec le 115e BCA, le 106e , le 120e et le 121e BCP.

A peu près comme les autres bataillons de cette brigade il comptait alors 19 officiers et 1665 hommes répartis en 6 compagnies, dont deux compagnies de mitrailleuses. Un équipage de voitures suivait avec 162 chevaux et mulets.

Auguste Férole est encore alors au 44e Régiment d’Artillerie de Campagne. Il ne rejoint le 114e B.C.A qu’en septembre 1915

La division embarquait le 15 Juin par la route pour Gérardmer. A la mi-juillet, elle faisait mouvement vers les lacs Noir et Blanc.

Le 114e était au Lac Noir le 21 Juillet et allait subir le lendemain son baptême du feu : l’attaque désastreuse du Barrenkopf.

L’objectif à enlever était le massif connu sous le nom du Lingekopf - Schratzmännele - Barrenkopf. Ce massif, vu des positions françaises de l’Hornleskopf, barre complètement l’horizon.

La crête se profile du nord au sud, d’abord en pente régulière jusqu’au sommet du Linge, descend faiblement jusqu’au Collet, qui emprunte la route du Hohneck, et remonte ensuite par une pente rapide jusqu’au sommet du Schratzmännele.

Les pentes sont très boisées ; mais à travers certaines éclaircies, on se rend compte que vers le sommet les pentes sont abruptes, le terrain très rocheux et bouleversé. Des blocs de rochers entassés les uns sur les autres forment des éboulis, des chaos où la marche semble devoir être très pénible.

Vers l’ouest, ce massif est précédé par une vallée dénudée et marécageuse, parfaitement vue du Rain des Chênes qu’occupe l’ennemi ; le massif domine la vallée d’environ 200 mètres.

Cette disposition du terrain rendra particulièrement difficile l’établissement de nos communications, qui doivent passer par cette vallée. Après les premières opérations, quand le massif eut été en partie déboisé par les obus, les difficultés du terrain se révélèrent encore plus considérables ; le Linge dévoila des rochers à pic qui s’opposaient à toute progression.

Les défenses accumulées par l’ennemi : réseaux profonds de fils de fer, grillages tendus, réseaux plantés au ras du sol et enchevêtrés aux lianes et aux ronces naturelles, tranchées à fleur de terre qui battaient de leurs feux ces réseaux, blockhaus et abris bétonnés qui protégeaient les mitrailleuses, disposition des pentes ouest que nous attaquions, exposées au feu de l’artillerie ennemie qui prenait de flanc, et même de dos, les troupes montant à l’assaut, faisaient de ce massif Lingekopf - Schratzmännele - Barrenkopf une région qui paraissait défier les attaques des troupes les plus braves.

Extrait de "La Grande Guerre vécue - racontée - illustrée par les combattants" Editions Aristide Quillet, 1922

Le Barrenkopf

A 8h30 le 114e quitte par escouades le Lac Noir pour le camp de Müllenwald, en colonne par un, à 15 pas de distance, sur l’unique chemin, sous des camouflages de verdure.

Une canonnade ennemie cause un mort dans la 6e compagnie et quelques blessés. Au Müllenwald les unités bivouaquent en arrière du 120e, déjà en place.

A 10h le Général emmène le Commandant Riet, chef du bataillon, au col de Wettstein avec le Commandant du 106e et leur communique les instructions de l’attaque depuis l’observatoire du Hurlin : le 114e attaquera un blockhaus sur une zone déboisée, dite le « cran de mire », du Barrenkopf, et le 106e le Schratzmännele.

L’objectif final du 114e, face au sud-est, est délimité par l’éperon 833 et le col entre Barrenkopf et Kleinkopf.

L’attaque, fixée d’abord à 14h est repoussée au lendemain.

Profitant de ce répit le Cdt Riet réunit à 16h les commandants de compagnies pour leur fixer les ordres de l’attaque, mais uniquement de manière verbale afin qu’aucun document écrit ne puisse tomber aux mains de l’ennemi :
Les 1re et 2e compagnies prendront place dans le parallèle de départ, puis, à droite et à gauche les 3e et 4e , et enfin, dans les boyaux 1 et 2 les 5e et 6e.

L’attaque se fera en 3 lignes de 2 compagnies se suivant le plus près possible . La 1re ligne devra « courir après nos obus » sans attendre la fin de notre préparation d’artillerie. Les tranchées ennemies seront considérées comme « obstacles » à dépasser et non comme « buts ».

La 1re ligne enlèvera le blockhaus du Cran de Mire, franchira la crête et s’arrêtera au dessus du chemin de Hohrod à Notre Dame des 3 Epis. Elle se retranchera de manière à battre les pentes vers le Sud Est, chaque unité couvrant son flanc jusqu’à l’arrivée de la 2e ligne.

La 2e ligne, quant à elle, suivra la 1re d’aussi près que possible, la 3e compagnie s’établissant face au sud entre Barrenkopf et Kleinkopf, la 4e face au Nord Est sur la pente N du Barrenkopf, tandis que deux sections effectueront le nettoyage des tranchées ennemies au revolver.

Enfin, la 3e ligne s’engagera dès l’attaque dans le boyau unique et débouchera dans les boyaux N°1 et N°2.

La 6e compagnie se dirigera ensuite sur la gauche et occupera l’éperon 833 en liaison, à gauche avec le 106e , qui devra tenir le Bärenstall. Le poste de commandement sera situé au sommet du Barrenkopf et devra être immédiatement relié par téléphone au parallèle de départ.

Le Cdt Riet se rend ensuite dans les tranchées avec ses chefs d’unités : c’est pour constater leur très mauvais état du fait des canonnades ennemies, en particulier surtout le boyau unique. Par suite du terrain sablonneux, elles n’offrent qu’un abri précaire et sont encombrées de cadavres horriblement mutilés et dégageant une odeur pestilentielle. Aucun étayage intérieur n’existe, aucune chicane n’a été pratiquée pour empêcher les tirs d’enfilade, en particulier sur le boyau unique, perpendiculaire à la ligne ennemie et dont la partie descendante est dangereusement exposée. De plus la section de ce boyau est insuffisante pour permettre le passage rapide des colonnes d’assaut : en un mot, constate le Cdt Riet, on est loin d’avoir réalisé les instructions de l’Etat-Major pour l’aménagement de ces tranchées.

A la suite de cette visite et malgré ses très mauvaises impressions, le Cdt Riet confirme toutefois ses ordres précédents.
Mais dès 17h il fait part au Général de Brigade des nombreuses observations négatives faites au cours de sa visite. L’assurance lui est alors donnée qu’une équipe de travailleurs procédera dans la nuit à l’enlèvement des cadavres et à la remise en état des parapets éboulés. L’attaque est fixée à 10h30 le lendemain.

22 juillet 1915 : l’assaut

La mise en place commence à 2h20. Sur les instructions du Général de Brigade le peloton de mitrailleuses suivra la 3e ligne et non la 2e comme prévu.

4h : la préparation d’artillerie commence et déclenche une riposte ennemie, très précise, guidée par l’aviation. Une vingtaine de blessés en résulte, dont le lieutenant Brun de la 4èmecompagnie.

Leur évacuation est arrêtée à 9h45, pour ne pas retarder l’attaque.

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le secteur du Barrenkopf (carte réalisée par Pierre Ferole)

10h30 : au départ de celle-ci, les 1re et 2e lignes progressent comme prévu. La 2e tranchée ennemie de mi-pente est évacuée par ses occupants et franchie ainsi que celle de crête. Durant l’ascension les unités de la 4e compagnie sont prises à partie sur leur gauche par un feu de mitrailleuses depuis le Schratzmännele.

11h30 : le capitaine Combes est tué. La crête est balayée par des feux croisés de mitrailleuses allemandes et battue par des obus. Aussi la progression des 2 lignes se rabat-elle sur les pentes face à l’est, qui offrent un relatif angle mort.

Progressant derrière la 2e ligne, le Cdt Riet bute dans le boyau unique sur le peloton de mitrailleuses, arrêté par un cratère d’obus. Il emmène avec lui le matériel léger et les hommes disponibles en ne laissant sur place que le personnel strictement nécessaire au dégagement des pièces ensablées.

Arrivé sur la crête il prend, avec déplaisir, la mesure de la situation : La 1re ligne, bien que décimée par les tirs croisés de mitrailleuses, a atteint ses objectifs, mais la 2e, qui l’a suivie, se confond avec elle et augmente dangereusement sa densité face aux tirs ennemis.

A droite et au sud du Barrenkopf l’ennemi esquisse une contre-attaque. A gauche, seules 2 ou 3 sections du 106e ont atteint le Cran de Mire et font face au Schratzmännele. Le reste est couché par grappes en avant du parallèle de départ.

Aucune troupe amie ne couronne le Lingekopf. En arrière, ni les mitrailleuses, ni la 3e ligne n’ont pu déboucher du parallèle de départ, retardées par les éboulements dus à l’intensité du bombardement.

Le Cdt Riet décide alors de laisser seulement la 2e compagnie face au chemin Hohrod-Bärenstall, de renforcer la 3e compagnie par la 1re face au sud pour contrer la contre-attaque ennemie en la replaçant face à cette contre-attaque, d’appuyer avec la 4e compagnie les unités du 106e parvenues sur la crête pour chercher à prendre à revers les mitrailleuses ennemies du Schratzmännele, et enfin d’appeler au plus vite la 3e ligne et les mitrailleuses.

Le désastre

Vers 11h45 aussitôt après ces instructions, le Cdt Riet se rend en catastrophe vers la droite, au Barrenkopf, où il trouve le capitaine Berger de la 3e compagnie s’efforçant de rallier et d’installer sa compagnie sous un feu croisé intense.

Le commandant, bientôt blessé à l’avant bras gauche, installe faute de mieux son PC dans une baraque de troncs d’arbres, sur un endroit très exposé, d’où il communique ses instructions de combat à son adjoint le lieutenant Jurain qui, à son tour, tombe, mortellement blessé vers 12h : en quelques minutes ses agents de liaison vont, un à un subir le même sort.

A cette heure, la 1re ligne, dépourvue d’officiers, se replie sur la crête du Barrenkopf ainsi que la 2e ligne. Toutes deux sont décimées.

La 3e ligne, qui a réussi à sortir du parallèle avec plus d’une demi-heure de retard, est prise dans le mouvement de repli vers 12h30, sous le feu des mitrailleuses du Linge et du Kleinkopf.

A 13h30 il ne reste plus sur la crête du Barrenkopf qu’une centaine d’hommes (dont une trentaine de blessés) de toutes les compagnies avec les capitaines Bosc et Berger qui se maintiendront dans la tranchée allemande jusqu’au soir.

A 14h, malgré cet échec, une nouvelle attaque est décidée pour 18h avec pour objectifs la route du Hohnack et la carrière sud du Schratzmännele.

18h30 Par suite de l’encombrement des boyaux cette attaque part avec une ½ heure de retard. La 1re ligne dépasse la ferme Combes mais, balayée par les mitrailleuses des blockhaus de la route du Hohnack, elle doit se jeter dans le bois, tout en subissant des pertes sévères. Il apparaît très vite qu’aucune progression ne pourra se faire. Aussi l’ordre est-il annulé.

Ce n’est que vers 20h que, menacés d’enveloppement, Bosc et Berger réussiront à se replier du Barrenkopf avec tous leurs blessés.

Le Cdt Riet, fait prisonnier, envoie en octobre, par l’intermédiaire d’un grand blessé rapatrié, un rapport sur ces engagements qui, très critique à l’égard de l’inorganisation dans laquelle ont été engagées les opérations, montre à quel point l’ensemble de notre hiérarchie militaire était déphasée par rapport à la guerre qu’elle conduisait.

La conclusion de ce rapport est la suivante :

  • 1) Nécessité d’aménager les tranchées de manière à assurer le départ des échelons sans arrêt, ni interruption.
  • 2) Nécessité de profiter pour la marche du tir de notre artillerie et de sa protection : « courir après les obus ».
  • 3) Indiquer à l’avance à chaque unité,et à chaque homme, sa mission et, s’il y a lieu, sa place. Après avoir débouché en formation dense, se disloquer, éclater en formations minces pour la manœuvre.
  • 4) La ligne de combat proprement dite ne commence que sur la position conquise. Pour y organiser rapidement un obstacle, le fil de fer barbelé Brun semble bien préférable à tout autre.
  • 5) Nécessité d’avoir des réserves pour parer à toute éventualité et boucher les trous.
  • 6) Si tout n’est pas prévu et organisé ainsi à l’avance la troupe présente sur la position conquise dans un désordre analogue à celui qui suit l’assaut. La confusion des unités, sans parler des pertes en chefs, rend toute manœuvre difficile et offre à l’ennemi des objectifs dense et vulnérables qui fondent sous le feu adverse.

Ce 22 Juillet aura coûté :

  • 694 tués et disparus au 106e
  • 663 tués et disparus au 114e
  • 126 tués et disparus au 120e

soit 50% des effectifs engagés dans l’attaque.

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La dure tache de brancardier
Extrait du JMO du Groupe de Brancardiers Divisionnaires daté du 10 août 1915 ( 26 N 434 / 11)
"Depuis 3 semaines le groupe a du fournir, de jour et de nuit, un labeur intensif : relève de blessés, transport, inhumations, travaux de terrassement.

Les instants de répit ont été plutôt restreints.

Beaucoup de brancardiers présentent des signe de fatigue manifestes se traduisant par des yeux encavés, un teint facial terreux ; ou anémies, amaigrissement, défaut d’appétit, langueur générale, et surtout pour le médecin par un éréthysme cardiaque se traduisant par des palpitations à l’auscultation du cœur et par une augmentation des pulsations (1 pouls radical 120 pulsations pour certains ) ne pouvant s’expliquer par aucun état fébrile puisque la température prise au thermomètre n’indique que la température normale de 37 degrés."

Les 2 premières unités, décimées, sont placées en réserve pour se reconstituer, le 114e au Lac Noir et le 106e au camp Ste Barbe.

26 juillet : l’acharnement

A la suite de cet échec cinglant, on engage pourtant le 115e, le 120e et le 121e avec le 15e BCA à l’attaque du Schratzmännele.

C’est un nouvel échec qui fait 491 morts et disparus.
Le 29 juillet, on envoie alors les mêmes à l’attaque de la Hütte, un désastre qui va coûter 650 nouvelles pertes à ces unités.

Le 1er août, une nouvelle attaque des 12e, 15e, 27e et 115e bataillon fera 350 tués pour gagner une cinquantaine de mètres !

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