Relève de la 129e DI : une incertitude entretenue !
Fin mai 1916, un nouvel ordre d’opérations entraîne le retrait du front de la 129e Division et son acheminement vers Verdun.. Toutefois la logistique compliquée des relèves sur Verdun impose un délai d’environ trois semaines durant lequel on laisse les troupes dans l’incertitude sur leur destination finale afin de ne pas entamer inutilement leur moral.
Le bruit d’une affectation à Verdun court bien sûr parmi la troupe mais il est mêlé à d’autres hypothèses moins alarmantes à l’époque, comme la Somme.
Dans cette expectative volontairement entretenue le moral reste bon au 114e.
« De Bratte à Frouard »
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- de Bratte à Frouard...Rires devant l’objectif
Le trajet suivi par la brigade pour rejoindre Verdun est le suivant :
- 24 et 25 mai Frouard.
- 26 mai Vandoeuvre.
- 1er juin Maizière,Viterne, Marthemont, Thelod.
- 2 juin Quevilloncourt, Ogneville, Forcelle-Saint Gorgon.
- 3 juin Gerbecourt, Haplemont, Ormes et Ville-sur-Madon.
"... Autour du vaste lavoir, c’est une ruée de chasseurs bleu sombre et de biffins bleu clair qui viennent de combattre ensemble, fraternellement, et qui semblent prêts à en venir aux mains pour gagner un rang et se rapprocher de la belle eau courante.../... La bataille, c’est, pour le moment, de l’histoire ancienne puisqu’ils en sont revenus. Après tant de nuits rigoureuses, la chemise ouverte les bras nus, ils se laissent réchauffer la peau par le soleil printanier. Sans doute le canon continue de gronder...mais personne n’y prend garde : il y a de l’eau pour boire et pour se débarbouiller.
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- Viterne 1er juin 1916 la fanfare du 114e
6 et 7 Juin : L’embarquement des 1200 hommes du bataillon par voie ferrée se fait à Vézelise et le débarquement à Nançois et Ligny-en-Barrois, villes qui, personne ne l’ignore au 114e, constituent les points de débarquement des troupes vers Verdun.
Le moral s’effondre
7/8/9 Juin : A Ligny-en-Barrois donc, plus aucun doute ne subsiste désormais dans l’esprit des chasseurs : Verdun est bien leur prochaine étape !
Aussi, après 3 jours d’exercice intensif où l’on n’a pas vraiment le temps de penser, les huit jours suivants vont-ils voir le moral des chasseurs s’altérer au fur et à mesure de leur lente et désormais certaine montée vers Verdun, ponctuée par des exercices.
10-06-1916 : Sous une pluie battante, on cantonne à Nançois le Petit.
11-06-1916 : On passe la nuit de la Pentecôte à Condé-Génicourt où le paysage campagnard a encore son aspect normal et paisible de temps de paix. Il pleut et il fait froid.
12-06-1916 : À Chaumont sur Aire où l’on découvre le village à moitié dévasté et les champs ravagés par le passage des véhicules et des troupes, le décor change brusquement : la guerre, par cette période de pluies, a transformé le pays en un vaste cloaque qui n’a plus rien de campagnard.
Les seules ressources de ce cantonnement sont des granges immenses, glaciales et sales, propices aux idées noires qu’on ressasse en espérant trouver un sommeil qui, de toute façon sera troublé par des va-et-vient continuels.
On passe le 13 à attendre sous la pluie et dans la boue les moyens de transport sur Verdun.
14-06-1916 : Le transport de Chaumont à Souhesmes à 12km au SO de Verdun se fait par camions sous des averses qui détrempent le sol et créent la pagaille à l’arrivée dans ce cantonnement déjà passablement surpeuplé.
15-06-1916 : Le matin du 15, le retour du beau temps après les orages a rendu la marche moins pénible jusqu’à Bois-la-Ville, près de Verdun, où l’on bivouaque près d’une gare de ravitaillement, dans un vallon boisé, défilé de l’artillerie ennemie.
On y apprend que la 258e brigade est affectée, au sud de Douaumont, dans le secteur du fort de Thiaumont, que l’état-major de la brigade doit reconnaître le lendemain et où elle relèvera le 65e RI.
Les dispositions prises par l’état-major sont les suivantes :
Au PC 119 sera établi le PC du 121e BCA qui occupera les 1res lignes avec le 297e RI.
Au réduit de Quatre-Cheminées il est prévu d’installer le PC de la 258e Brigade et le PC du 297e RI.
Au PC M4 du Bois des Vignes se trouvera le PC du 114e.
L’état-major de la 129e DI restera à Souhesmes à 15km à l’arrière.
Le Ravin des Vignes constituera la frontière entre les 129e et 130e divisions.
Les troupes qui descendent du front, bivouaquent autour de la gare en attendant leur embarquement, et offrent le pitoyable spectacle d’hommes sombres et silencieux, rompus de fatigue et couverts de boue.
Bien visibles depuis Bois-la-Ville, dans la clarté de cette belle soirée de printemps, les hauteurs dont ils descendent sont constellées par les minuscules gerbes de lumières des obus et les panaches blancs qui les suivent.
Quelque part là-haut, mais on ne sait pas trop où – aucune carte n’a été fournie - se battent et meurent ceux qu’on va relever dans quelques jours…
À 21 heures la 257e brigade, qui était arrivée à Verdun l’avant-veille, monte vers le ravin du Bras.
Dans la citadelle
16-06-1916 : Après une nuit de bivouac à Bois-la-Ville, au milieu du bruit lointain mais menaçant, et s’enflant parfois, des échanges d’artillerie, le 114e gagne Verdun par un temps superbe et stationne à l’intérieur de la citadelle.
Les troupes logent dans une casemate donnant sur une cour arrosée directement par une pièce ennemie lourde à grande vitesse dont les obus arrivent sans aucun sifflement annonciateur.
Aussi est-il sévèrement recommandé aux chasseurs de s’enfermer dans les casemates où, dès le 1er jour, le désœuvrement entame sérieusement le moral des hommes : à l’intérieur de la citadelle les bruits les plus alarmants et, malheureusement souvent les plus fondés, circulent et ne font que rendre plus suspects les soins extrêmes mis par le commandement à relever le moral des poilus.
D’autant plus que malgré les précautions prises, plusieurs chasseurs, dont le chasseur Aubry, sont tués ou blessés et que les nouvelles du 106e BCP, monté en ligne dès le 16 avec la 257e Brigade, sont mauvaises.
17-06-1916 : Le 17 au soir on voit redescendre les blessés du 106e , silencieux et abattus, parmi lesquels de bons copains…On apprend par bribes de conversations que 350 à 400 d’entre eux ont été mis hors de combat lors de l’attaque du matin : là-haut les tirs d’artillerie ne cessent pas, les dépôts de munitions sautent les uns après les autres : de quoi devenir fou au milieu de cadavres infestés d’énormes mouches.
Au 114e les esprits ne peuvent s’arracher à toutes ces nouvelles lugubres. Puis, dimanche 18, c’est au tour du capitaine Boutter de la 1re compagnie d’être mortellement blessé par un obus à la sortie des casemates : le moral tombe alors tellement bas que, le lendemain, près de la moitié de l’effectif se présente à la visite médicale !
Aussi, dès le 18, le commandant Desoffy n’hésite-t‘il pas, malgré les consignes, à profiter du beau temps pour faire manœuvrer le bataillon par roulement sur un terrain abrité dans les vallons entre Glorieux et le Fort du Regret.
Il espère ainsi enrayer la grave grise morale que traversent ses hommes. Malgré les dangers encourus à chaque aller et retour, en colonne par un, d’abord dans le boyau du Fort du Regret, puis aux traversées de routes, malgré également les risques de repérage aérien, malgré les critiques des unités de territoriaux occupées à des travaux sur le parcours, l’idée se révèle bonne pour le moral des chasseurs.
Pendant les périodes de repos les officiers du 114e, qui se rendent par petits groupes dans la ville en ruines et évacuée par ses habitants, découvrent un paysage de désolation. Ces sorties s’effectuent avec précaution car il arrive que des obus s’abattent au hasard sur la ville.
Dans les photos d’Auguste Férole existe celle ci :
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- Auguste dans une rue de Verdun 21 juin 1916
Là-haut, pour le 106e et le 359e, le marmitage continue dans une ambiance indescriptible où la pagaille, les gaz, le manque de ravitaillement au milieu des impacts de 210, l’impossibilité de sortir de son trou, les difficultés de repérage, tout concourt à rendre la vie infernale.
Puis, à partir du 20 le temps tourne à la chaleur et les difficultés ne font que croître.
Dès le matin du 21 les préparatifs pour la montée en ligne de la 258e Brigade sont menés activement mais, pour des raisons de discrétion les opérations de relève devront être menées de nuit. Elles commencent par la 1re et la 2e compagnies du 114e qui quittent la citadelle à la suite du 121e BCP.
Une montée en ligne éprouvante vers Thiaumont
Nuit du 21 au 22 :
Après une marche lente et pénible, coupée fréquemment par les ravitaillements d’artillerie et par de violents bombardements toxiques, ces 2 compagnies du 114e prennent place sur la « ligne intermédiaire » de part et d’autre du réduit enterré de Quatre-Cheminées où doit s’établir le PC de la brigade et où se trouvent encore le général de Teyssieres et l’état-major du 65e RI, soit 20 officiers dont 4 commandants de brigade, qui attendent leur relève par la 129e Division.
Les chasseurs y trouvent les communications téléphoniques coupées par suite des bombardements de la journée.
De son côté, le 121e BCP monte en 1re ligne, en avant du fort de Thiaumont, par le Bois des Vignes et Quatre-Cheminées. Chaque homme a reçu 2 grenades et 4 jours de vivres.
Le bataillon arrive sur site entre 22h et 1h du matin après 5 heures d’une marche harassante, au milieu d’une épaisse nappe de gaz et d’incessants bombardements.
Les 2e et 3e compagnies du 121e occupent la droite du bataillon sur une 1re ligne qui, sans doute considérée comme provisoire dans l’espoir de la reprise de Douaumont, est mal définie, mal retranchée et constituée essentiellement de simples trous d’obus n’offrant qu’une maigre protection face aux opérations adverses.
De plus, l’éloignement relatif des premières tranchées allemandes, situées à plus de 500m des nôtres, expose cette ligne de défense à des tirs massifs de l’artillerie lourde allemande, qui peut ainsi arroser ces positions précaires sans crainte de toucher les siennes.
À gauche prennent place les 4e et 6e compagnies du 121e, avec de chaque côté, une compagnie de mitrailleuses. La 1re et la 5e compagnies sont restées plus bas en réserve.
À droite du 121e la liaison vers Fleury se fait avec les 39e et 239e RI (130e Division) qui, depuis le 12 Juin ont subi de grosses pertes quotidiennes en défendant la crête de Fleury et les ravins qui la bordent au nord.
À 21h30, après le violent pilonnage du début d’après-midi, une pluie de petits calibres s’était abattue dans la soirée sur toute la zone. On avait d’abord remarqué que les obus sifflaient mais n’éclataient pas : on allait vite découvrir qu’il s’agissait de gaz toxiques d’une nouvelle génération, particulièrement pénétrants, en particulier lors des mouvements.
À 23h15 à la suite de ces marmitages, une telle quantité de ce gaz s’est accumulée dans les ravins que tout mouvement de troupe y est devenu pratiquement impossible.
Par suite, de nombreux combattants, gazés, devraient être évacués et les officiers, obligés de se déplacer sans cesse et rapidement, ont le plus grand mal à rallier leurs hommes sans courir le risque de graves intoxications.
La suite des opérations va révéler rapidement la terrible propension des gaz à s’insinuer à la jointure des masques lors de mouvements accélérés du corps.
Les combattants, obligés de courir ou d’effectuer des efforts soutenus, vont être particulièrement exposés durant les jours suivants car toute la zone va être constamment arrosée et la nappe toxique plus dense que l’air ambiant va empoisonner en particulier les ravins, justement très utilisés pour les ravitaillements et les liaisons.
Comble de malchance, pas un brin d’air durant ces quelques jours ne viendra faciliter la dispersion du nuage toxique !
Nuit du 22 au 23 :
Le 22, dans la vallée, à la fin d’une journée orageuse et très chaude, après avoir traversé la banlieue dévastée de Verdun, le reste du 114e franchit à son tour, au pas de course et section par section, le pont de Thierville sur la Meuse, cible habituelle de l’artillerie ennemie.
La nuit commence à tomber tandis qu’on longe la rive droite du canal de la Meuse. Des explosions violentes et à répétitions, qui font à chaque fois craindre le pire, obligent à s’arrêter souvent.
Enfin, à la hauteur du Pied Gravier, sous la butte de Froideterre, un chemin quitte le canal pour rejoindre la route de Bras (D 964). Là, on charge le matériel à dos d’homme dans une nuit désormais noire.
Très vite, après une 1re alerte, les nappes de gaz obligent à mettre les masques. Les tirs ennemis et les convois de ravitaillement coupent maintenant périodiquement la colonne qui, à chaque fois doit s’arrêter, au milieu des bousculades et des interjections pour se reconstituer ensuite péniblement dans l’obscurité.
Les arrêts se succèdent, souvent interminables, pour laisser passer les convois de ravitaillement, évidemment prioritaires.
Minuit : Dans le ravin du Bois Gravier, qu’ils viennent d’atteindre, les chasseurs entendent le bruit d’une violente canonnade qui arrose les hauteurs de Thiaumont et de Souville.
La chaleur, étouffante sous les masques, et les gaz qui piquent les yeux, s’ajoutent à la charge très lourde qu’ils portent depuis qu’ils ont quitté le canal et qui scie les épaules. De toute part on demande une pause, qu’il est impensable d’accorder dans cette obscurité, cette pagaille et cet environnement toxique.
Pour échapper à l’encombrement indescriptible du ravin, le Cdt Desoffy décide, un peu à l’aveuglette car son guide est totalement perdu, de diriger sa colonne vers la gauche, sur les hauteurs du Bois Gravier où, heureusement, l’intensité de la nappe toxique diminue au fur et à mesure de la montée.
Plus haut on peut enfin s’orienter, et ce sont des chasseurs épuisés qui vont rejoindre enfin l’emplacement de réserve qui leur est fixé, le Bois des Vignes, en contrebas de l’ouvrage de Froideterre.
Pendant ce temps, à gauche les autres unités du 297e RI, qui devaient relever le 65e RI dans la nuit, ont progressé plus à l’ouest à travers le secteur tenu par la 257e brigade.
Mais, de 22h30 à 23h la violence du bombardement toxique a interrompu la relève obligeant plusieurs compagnies du 65e à rester en place tandis que leurs remplaçantes du 297e sont contraintes de s’arrêter à gauche, dans les lignes du 359e RI (27e brigade).
Vers minuit, sur le secteur du 121e, un pilonnage allemand, intense frappant mais heureusement trop loin, s’est abattu légèrement en arrière du bataillon, sans faire de pertes notables.
Des patrouilles allemandes qui tâtent le terrain ont été repoussées à la grenade.