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"Une mèche de cheveux, qu’elle m’avait donné..." (suite)

Les dernières semaines d’Antoine Barizon

Le jeudi 22 mars 2018, par Michel Guironnet

Avant même la parution du 1er épisode, mon ami Franck me signale l’acte de décès de 1803 et l’identité retrouvée de A.B. Une suite devient donc prévisible. Puis, très vite après sa publication, Corinne retrouve le long "procès verbal" dans les registres de Reventin.
Depuis, j’ai étudié attentivement ces deux riches documents et entrepris des recherches complémentaires tout azimut. Je vous livre aujourd’hui le récit des dernières semaines d’un coeur brisé.

Rappelons les faits :
« Un jeune homme bien vêtu, venant de Lyon, et voyageant à pied,arrive sur les quatres heures du soir, vis-à-vis le cabaret de Champalier, au bas des Crosses, dans la commune de Chonas. Il se détourne de la grande route, en portant ses pas dans un vallon isolé et éloigné d’environ 300 pas. C’est là que ce malheureux jeune homme a été trouvé, le 10 de ce mois (de nivôse l’An XI = 31 décembre 1802), étendu mort, la face tournée vers le ciel… »

Pour tout savoir sur les Champallier, aubergistes sur la grande route à Reventin :
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Le chemin du vieux pavé à Reventin
Merci à Elisabeth pour la photo.

« Dans la combe des Croses »

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Registre des décès de Reventin, collection communale

« Mairie de Reventin, arrondissement communal de Vienne. Du onzième jour de nivôse l’an onze de la République française (1er janvier 1803).
Acte de décès d’un individu trouvé mort dans la combe des Croses le jour d’hier, à deux heures du soir, natif de Lyon, âgé de trente neuf ans suivant le passeport trouvé sur lui délivré à Dijon sous le nom d’Antoine (le vrai nom déchiré), sous la date du vingt neuf germinal an 10 (19 avril 1802).
A raison de quoi il a été dressé verbal par nous Maire (X : comme officier de police) le jour d’hier, avec le juge de paix et un officier de santé de Vienne ; le dit verbal adressé au magistrat de sureté à Vienne. Le présent acte fait en présence du citoyen Joseph Louis Joubert, notaire public à Chonas, et du cit(oyen) Pierre Bonnefond, cultivateur à Reventin, le citoyen Joubert a signé, non Bonnefond pour ne savoir, ainsi déclaré. Constaté par moi Louis Chulliat, maire de la commune de Reventin faisant les fonctions d’officier public de l’état-civil, soussigné. Joubert Chulliat »
En marge de l’acte : « Suivant la lettre du maire de Dijon du 18 nivôse (8 janvier), le décédé s’appellait Antoine Barizon, natif de Lyon »
 [1]

Grâce à des recherches dans les registres, je pense avoir trouvé ce pauvre Antoine sur la paroisse Saint Nizier de Lyon : Claude Antoine Barizon né le 5 novembre 1768 à Lyon, fils de Vincent Barizon, teinturier en soie, et de Anne Marie Carrand.
Mais il n’aurait que 35 ans en 1803 ; et il y a plein de Barizon sur cette paroisse, et sur celle voisine de Saint Pierre-Saint Saturnin. Par acquit de conscience je vérifie si "notre" Claude Antoine Barizon ne serait pas mort en bas âge.
Patatras ! : dans les tables des "mortuaires de Saint Nizier" il y a bien en 1773 l’enterrement d’un Claude Barizon âgé de 5 ans, fils des mêmes parents. Ce doit être Claude Antoine. Je fais fausse route avec ce couple de Barizon. Je dois donc chercher la "vraie" naissance de "notre" Antoine Barizon sur d’autres paroisses de Lyon vers 1764.
Grâce à un dépouillement scrupuleux, et à de nombreux recoupements,des tables de baptêmes et de sépultures [2], j’arrive à identifier la "bonne famille" Barizon. Cette filiation m’est pleinement confirmée dès les premières lignes du procès verbal annexé à l’acte de décès d’Antoine Barizon.
Je vois rapidement que ce document ne concerne pas la levée de son cadavre le 10 nivôse. Celle-ci devait probablement être dans les papiers de la Justice de Paix du canton sud de Vienne mais doit être perdue [3]. Cependant, il nous dévoile beaucoup de faits sur la vie d’Antoine. Nous y reviendrons longuement. Intéressons nous pour l’instant à son "honnête famille" : les Barizon de Lyon.

Les Barizon, Maîtres Embaleurs à Lyon

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Acte de baptême d’Antoine Barizon

« Antoine, fils de Sieur Claude Barizon, négociant, et de Marie Vincens son épouse, né hier rue Bas Dargeant, a été baptisé ce jourd’huy vingt un d’avril mille sept cent soixante quatre par moy vicaire soussigné. Le parrain a été Sieur Antoine Catin, maitre patissier, et sa marreine Lucie Barizon, sœur dudit enfans ; qui ont signé. Barnon A. Catin Lucie Barison Favier, vicaire ».

Baptisé le 21 avril 1764 dans l’église de la paroisse Saint Pierre Saint Saturnin, il est né la veille rue du Bât d’Argent, certainement au domicile de ses parents [4]. Sa marraine est sa sœur Lucie, née le 5 janvier 1745.

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Porche de l’ancienne église Saint Pierre

Antoine Barizon naît dans une une famille de "Maîtres Embaleurs" (voir la généalogie simplifiée ci-dessous).

A Lyon, sur les quais et ports du Rhône, règne une intense activité commerciale. Les marchandises de toute sorte sont embarquées sur des bateaux desservant les villes le long du fleuve jusqu’à Marseille.

"L’emballeur est celui dont le métier ou la fonction est de ranger les marchandises dans les balles. Il y a des marchandises qu’on emballe simplement avec de la paille & de la grosse toile, d’autres qu’on enferme dans des bannes d’osier, d’autres dans des caisses de bois de sapin, qu’on couvre avec des toiles cirées toutes chaudes, d’autres enfin dans de gros cartons qu’on enveloppe de toile cirée sèche. Dans tous les emballages, on coud la toile avec de la ficelle & on la ferre par-dessus avec une forte corde, dont les deux bouts viennent se joindre : c’est à ces bouts que les plombeurs des Douanes mettent leurs plombs & dans ce cas, il faut avoir attention que la corde soit entière, car si elle était ajoutée, les commis refuseraient de plomber… Ce sont les emballeurs qui écrivent sur les toiles d’emballage les numéros des ballons appartenant au même marchand & envoyés au même correspondant ; les noms & qualités de ceux à qui ils font envoyés & lieux de leur demeure. Ils ont aussi soin de dessiner un verre, un miroir, ou une main sur les caisses des marchandises casuelles (qui peuvent se casser, fragiles), pour avertir ceux qui les remueront, d’user de précaution"  [5]

Ces marchandises sont assujetties à des droits de douane. Le contrôle est sévère et requiert des compétences. Régulièrement, le roi crée de nouveaux "Offices". Ainsi, par son arrêt du conseil d’état du roi du 12 août 1767 "…Sa Majesté avait ordonné qu’il serait accordé à ceux des compagnons aspirants de chacun des Arts & Métiers qu’il lui plairait de choisir, des brevets ou lettres de privilèges qui leur tiendront lieu de maîtrises."

Le nombre de maîtrises créées par le roi est bien sûr limité. Ce droit peut être acquis et le prix est variable selon le métier. En être titulaire donne certains avantages... et fait surtout rentrer de l’argent dans les caisses de l’État, toujours à court d’argent. C’est ce que l’on appelle "la vénalité des offices."

"… Sa Majesté avait, entre autres choses, ordonné que les pourvus desdits brevets jouiraient desdites maîtrises & après leur décès, leurs veuves & leurs enfants, avec tels & semblables droits , franchises, libertés & privilèges que les autres Maîtres des dits Arts & Métiers. » [6].

Ainsi, ces charges et offices d’Arts et Métiers, dont celle de Maître Emballeur, sont transmissibles par héritage. Elles deviennent donc héréditaires. Elles peuvent aussi se vendre et s’acheter. Dans les journaux de l’époque, on lit souvent des "petites annonces" proposant ces charges à l’achat !

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Un exemple de charges à vendre en date du 26 février 1766

Ces Maîtres Embaleurs se réunissent en confrérie, leur saint patron est Saint Fortunat. La confrérie de Lyon a un règlement précisant les conditions d’exercice du métier, la formation des apprentis... et destiné aussi à préserver leurs privilèges. A titre d’exemple, celui de la confrérie de Lyon.

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Famille Barizon
Généalogie simplifiée

Jugement du Tribunal civil de Vienne

Ce long document, au texte quelque peu ardu, est un jugement postérieur de quelques semaines au suicide d’Antoine Barizon. Ses nombreux détails, signalés en gras, vont nous permettent de bien comprendre les épisodes précédant le "tragique évènement". Le résultat de mes recherches complémentaires est présenté en notes et dans des encarts en grisé.

Au tribunal civil de l’arrondissement communal de Vienne, département de l’Isère,
Expose le citoyen Claude Marie Pupier, fils de Jean Claude Pupier et d’Anne Barison, négociant résidant à Lyon, que ladite Anne Barison avait pour frère Antoine Barison, né comme elle à Lyon des citoyens Claude Barison et Marie Vincent, mariés amballeurs.

Anne Françoise Barizon, la sœur d’Antoine, née le 13 mai 1757, épouse le 28 janvier 1777 « Sieur Jean Claude Puppier, Maître emballeur à Lyon » fils des défunts Jean Claude Puppier et Clémence Verissel « de la paroisse de Bonnay en Lionnais ». Le mariage est célébré à l’église Saint Pierre. Sont présents : Benoît Vincent, oncle de l’épouse ; Claude Verissel, oncle de l’époux, Jean Barizon, frère de l’épouse. Au bas de l’acte, on remarque les signatures des demi-sœurs de la mariée : Lucie et Pierrette… et celle, un peu malhabile, d’Antoine, alors âgé de presque 13 ans.

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Signature d’Antoine Barizon au mariage de sa soeur



Au foyer du couple, leur fille Anne Marie, née le 9 novembre 1777, est baptisée le même jour. Son parrain est « Claude Verissel, frère de l’Hôtel Dieu » et sa marraine est « Dlle Marie Vincent, femme Barizon, ayeule de l’enfant  ». Au bas de l’acte, parmi plusieurs signatures, celle d’Antoine Barizon. Deux ans plus tard, c’est la naissance de Claude Marie, le 7 août 1779. Il nait, comme sa sœur, rue de l’Arbre Sec et est baptisé le lendemain à l’église Saint Pierre. Son parrain est Claude Barizon, son « ayeul » et sa marraine est « Marie Vincent, bourgeoise », son épouse. C’est lui « le citoyen Claude Marie Pupier » qui dépose une requête en l’An XI devant le tribunal civil de Vienne.

Que le dit Antoine Barison prit le parti des armes et servit dans le régiment de Bourgogne ; qu’à la Révolution il fut fait officier des Grenadiers dans un Bataillon de Paris. Il devint ensuite aide de camp du Général La Barollière.

Dans « Les volontaires nationaux pendant la Révolution. Historique militaire et états de services des huit premiers bataillons de Paris, levés en 1791 et 1792 » [7] pour le 3° Bataillon des Filles Saint-Thomas, il est indiqué "Barizon (Antoine), bourgeois, ex sous-lieutenant, au bataillon des Capucins Saint-Louis" Il y a aussi "Barizon (Jean), négociant". Une piste à explorer ?

S’étant retiré du service, il fixa d’abord son séjour à Paris où il se mêla de négoce et puis il est venu s’établir en résidence à Dijon, où il avait un ménage et un domestique femelle. Il prit à la mairie de Dijon un passeport le 29 germinal an dix sous le N° 565, sur l’attestation des citoyens Bernard, apothicaire & Tisserand épicier.

A Dijon, où Antoine habite t’il ? La lettre du maire de Dijon lève un coin du voile. J’ai aussi retrouvé ces deux citoyens dijonnais, voisins d’Antoine, et son ami "le citoyen Papillon". Voir plus bas.

Il passa à Lyon dans les premiers jours de nivôse dernier, il y vit sa famille et notamment ses parents, le père et mère de l’exposant, sa propre mère encore vivante, et Jean Barison, son frère négociant de Paris se trouvant pour lors à Lyon [8].

Il y eut entre les deux frères, Antoine & Jean, des démêlés d’intérêts, au sujet de quelques prétentions de Jean Barison de Paris [9], Antoine se retira en manifestant à cet égard du chagrin ; il en avait d’ailleurs un autre dans le cœur dont vous serez de même tout à l’heure instruit.
Il s’embarqua sur le Rhône par les coches de Dervieux, le huit dudit mois de nivôse, il vint par cette voiture jusque à Condrieux.

Les coches sont des bateaux qui font le transport des voyageurs et des marchandises entre Lyon et Arles. François et Louis Dervieux, deux frères originaires de Condrieu, s’installent vers 1780 à Lyon comme entrepreneurs. Leur entreprise, "Diligences, Coches et Messageries du Dauphiné, de la Provence et du Languedoc", est établie sur le quai Saint Antoine. Faisant rapidement fortune, les frères Dervieux acquièrent de belles propriétés à Lyon et à Condrieu. Ayant fait faillite en 1810, leur entreprise est reprise par "Richard Galline et Compagnie".
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Annonce dans l’Almanach de Lyon
Le 8 nivôse de l’an XI (29 décembre 1802) est un mercredi.
Antoine a embarqué ce jour là pour Condrieu.

(A Condrieu, au sud de de Lyon) il logea à l’hôtel de (la) Veuve Breton, et de là il écrivit le lendemain neuf au dit Jean Barizon, chez le père de l’exposant, commissionnaire quai St Clair N°119 à Lyon que malgré tout ses efforts pour reconquérir tout ce qui lui aurait fallu pour se liquider (régler ses dettes), non seulement avec les étrangers mais encore avec lui Jean Barison ; tant la fortune lui avait été ingrate ; qu’il aurait cessé d’exister lorsque sa lettre lui parviendrait ; en annonçant que l’on trouverait ses restes dans les montagnes entre le dit Condrieux et Vienne où il allait remonter pour y demeurer inconnu s’il n’était pas réclamé. L’avis fut bientôt suivi de l’événement réalisé.

Il résulte d’un procès-verbal du maire de Reventin et du juge de paix de l’arrondissement du sud de Vienne, assisté d’un officier de santé à la datte du 10 dudit mois de nivôse [10], qu’un homme inconnu a été trouvé mort dans la colline des Crozes sur le territoire de Reventin entre Condrieux & Vienne, que cet homme s’était suicidé, que ce dit homme avait entre autres sur lui un passeport déchiré dans huit endroits de manière de ne pouvoir connaitre le nom de celui à qui il avait été délivré, qu’il parait cependant que ce passeport était de la municipalité de Dijon à la date du 29 germinal an dix et était sous le N°565, que celui qui avait obtenu le dit passeport portait prénom Antoine, profession de rentier, natif de Lyon, que le dit passeport avait été délivré sur l’attestation des citoyens Benoit Bernard & Louis Nicolas Tisserand. Le signalement est rapporté, la signature qui était au bas est déchirée mais le paraphe subsiste.

Benoît Bernard nait à Dijon le 15 octobre 1761, fils de François, "Maître apothicaire" et de Benoite Cassière. Le 15 juin 1790, "Maître apothicaire demeurant sur la paroisse Notre Dame" il épouse à Dijon "dans la chapelle des Dames Ste Marthe... Demoiselle Pierrette Regnault", fille "de Sieur Augustin Regnault, Maître chirurgien, et défunte Dame Sébastienne Naulon" Benoît Bernard, « ancien pharmacien », meurt à 72 ans, le 10 novembre 1833 à Dijon.

Il résulte qu’il fut également trouvé sur cet homme une espèce de testament politique écrit sur une page d’une feuille de papier à lettre sans date, (disant) qu’il était né de parents honnêtes, à Lyon, & qu’ayant perdu une femme qui lui était chère, il ne voit de bonheur qu’en allant la rejoindre ; il ajouta qu’il a instruit épistolairement ses parents de sa résolution, et que dans l’incertitude si on le réclamera, il garde l’anonyme en rapportant cependant les lettres d’initiales de ses noms A.B.

Le maire de Reventin prit dès lors la sage précaution d’écrire de suite au maire de Dijon pour obtenir les renseignements que le passeport trouvé sur le suicidé semblait faire espérer et, effectivement, le maire de Dijon a répondu le 18 du même mois qu’Antoine Barizon natif de Lyon avait résidé pendant quelques années à Dijon, qu’il y avait son ménage dans la rue St Etienne [11], et une salariée qui en avait soin.

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La rue Saint Etienne à Dijon
C’est aujourd’hui la rue Vaillant, l’ancienne église Saint Etienne abrite le Musée Rude.
Détail agrandi du "Nouveau Plan de la Ville et des Environs de Dijon… chez le Sieur Desnos (à Paris) " (1790) Bibliothèque nationale de France, département Cartes et plans, GE C-9571. Consultable sur Gallica

Le maire confirme "qu’il lui avait réellement délivré un passeport à la date du 29 germinal an dix sous le N° 565 d’après l’attestation des citoyens Bernard et Tysserand  ; que ces citoyens viennent de lui déclarer que le dit Barizon s’était comporté avec beaucoup d’honneur et de probité dans son séjour.

Louis Nicolas Tisserand nait vers 1751, fils de François Tisserand et de Nicole De Griselle. Veuf de Reine Boullemière, il décède le 28 août 1820 chez son fils Antoine François, 12 rue Rameau à Dijon.

Le maire ajoute qu’il a d’autre part apprit que le dit Barizon avait écrit le six du dit mois de nivôse au citoyen Papillon, receveur de l’enregistrement au dit Dijon, pour l’authoriser à vendre son mobilier, à renvoyer sa salariée en lui donnant 200 francs pour ses gages, et à acquitter ses dettes.
Et de son côté, le dit citoyen Papillon, qui avait eu nouvelles de ce malheureux événement, écrit le 21 du susdit mois de nivôse au maire de Reventin qu’il n’est que trop vrai que le cadavre qui a été trouvé sur le territoire du dit Reventin est celui du dit Antoine Barizon, négociant à Dijon, son ami et que par une lettre de lui (écrite) la veille de sa mort, il l’avait chargé de tout ce qui était relatif à sa succession.

François Xavier Désiré Papillon est né à Orgelet (Jura) le 13 juin 1753, fils d’Etienne Joseph Papillon et de Marie Anatoile Grifferat. Le 3 ventôse An X (22 février 1802), "receveur de l’enregistrement" et épouse Jeanne Derepas, née à Dijon le 29 septembre 1771, "fille de feu Jean Baptiste Derepas profession de procureur, demeurant à Dijon... et de Jeanne Montgilbert son épouse." Le 24 floréal An XI (14 mai 1803) naît Jeanne Françoise Papillon et le 10 messidor An XIII (29 juin 1805) nait Antoinette Alexandrine Papillon, toutes deux à Dijon. François Xavier Désiré Papillon décède le 23 mai 1815, « rue des Bons Enfans » à Dijon, âgé de 62 ans.

Le maire de Reventin avait encore ajoutté à sa précaution d’écrire au maire de Dijon celle de faire insérer dans Les Petites Affiches ou Bulletin de Lyon N° 32, à la datte du 22 du dit mois de nivôse [12], le funeste événement de ce suicide avec toutes les circonstances propres à en faire connaitre l’auteur.

L’avis inséré en cette affiche ou Bulletin parvint à l’exposant, joint à la lettre du 9 nivôse adressée à son oncle Jean Barizon, le mit aussitôt en recherche et il n’a vérifié que trop sûrement que le décédé était le dit Antoine Barizon son oncle ; il fit dès lors diverses démarches pour parvenir à faire revêtir l’acte de sépulture de son nom  ; mais peu au fait des procédés en pareil cas, il se contenta de la réponse qui lui fut faite qu’il fallait attendre que le maire de Dijon eut fourni les renseignements qui lui avaient été demandés.

Comme ces renseignements sont parvenus et donnent une preuve tellement lumineuse :

  • que le suicidé du 9 nivôse an 11 trouvé dans la colline ou Combe des Crozes sur Reventin entre Vienne et Condrieux le 10 du dit mois de nivôse est bien Antoine Barizon, natif de Lyon, âgé d’environ 39 ans,
  • qui sur l’attestation des citoyens Bernard et Tisserand de Dijon avait obtenu le 29 germinal an 10 N°565 un passeport,
  • qui quelques jours avant sa mort avait écrit à son ami le citoyen Papillon, receveur de l’enregistrement à Dijon, de vendre ses meubles, d’acquitter sa sallariée et ses autres créanciers ;
  • qui le jour de sa mort écrivit de Condrieux une lettre timbrée du même lieu à Jean Barizon son frère qu’il venait dans les montagnes entre le dit Condrieux et Vienne terminer sa triste existence, et qu’au moment où sa lettre lui parviendrait, il cesserait d’être, en ajoutant qu’il donnait cet avis si on voulait le retirer (réclamer son corps) gardant par devers lui l’anonyme par A.B qui sont les lettres initiales de ses prénoms et nom ;
  • que l’écriture en l’espèce de testament politique trouvé sur lui et l’écriture en sa lettre dattée de Condrieu du 9 nivôse sont absolument les mêmes,
  • et qu’enfin les paraphes des signatures au bas de la dite lettre et au (bas) dudit passeport sont absolument les mêmes, encore identité qui n’a été déjà si bien reconnue par le maire de Reventin que ce fonctionnaire a ajouté en marge de l’acte de sépulture que le suicidé s’appelait Antoine Barizon.

Décision qu’il importe à l’exposant de faire sanctionner par le tribunal cette addition de dénomination faite par le maire.
Il recourt à ce qu’il plaise au tribunal, citoyens juges, attendu qu’il est établi jusque à l’évidence que le suicidé du 9 nivôse trouvé le 10, enterré le 11 dans la commune de Reventin est Antoine Barizon, natif de Lyon, âgé de 39 ans, domicilié en dernier lieu à Dijon, approuver la dénomination qu’en a fait le maire en marge de l’acte de sépulture, ensuite de la lettre du maire de Dijon du 18 nivôse ;

Ordonnons que la présente et toutes les pièces analysées resteront jointes à la procédure déposée envers le greffe sous le N° 2131 pour être (fait) un état ? délivrée à l’exposant à l’effet de lui servir et à sa famille ce que de droit, et d’en remettre ou signifier une copie au maire de Reventin pour l’annexer au registre de l’état-civil à la suite du dit acte de sépulture et a, l’exposant, signé avec son associé le J.C. M Pupier. J.Rondet.

L’an onze de la République française & le sixième pluviôse après midy, je Jacques Paturel, huissier auprès du tribunal civil de Vienne, département de l’Isère, y résidant patente ; (ai) soussigné et requis au citoyen Claude Marie Pupier, négociant résidant à Lyon [13] faisant élection de domicile à Vienne en l’étude et personne du citoyen Jean Rondet, avoué rue de la Charité N°554 ; ait lu et tenu ? et signifié au citoyen Chulliat, maire de la commune de Reventin, la pétition adressée au tribunal civil de Vienne et l’ordonnance dont elle a été répondu ce jourd’huy duement enregistré, a l’effet d’être annexée au registre des actes de décès de la dite commune à l’article de l’acte de sépulture d’Antoine Barizon qui s’est suicidé le neuf du mois dernier et qui a été enterré le 11 ; ayant en conséquence au dit citoyen Chulliat pour qu’il ne l’ignore donné et laissé la présente copie au bureau de la dite mairie où je me suis exprès porté parlant (passage raturé) au citoyen Joubert, secrétaire de la maire de Reventin.

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Le notaire Joubert

[1Registre des décès de Reventin, collection communale 9NUM1/AC336A/2 (1793-1815 ) sur le site des archives de l’Isère. L’exemplaire de la collection départementale 9NUM/5E 337/4 (1793-1830), comporte quelques variantes minimes.

[2Très bien tenues par les curés d’alors et d’une belle écriture, elles sont consultables comme les registres sur le site des archives municipales de Lyon

[3L’inventaire des archives en série U pour ce canton ne conserve que quelques papiers pour l’An XII.

[4Le porche d’entrée de l’église Saint Pierre est visible au numéro 23 de la rue Paul Chenavard, près de la place des Terreaux. Bien national sous la Révolution, en 1802 l’église est récupérée par la Ville de Lyon et réaffectée au culte en 1803. L’église est désaffectée le 7 mai 1907. Elle est aujourd’hui intégrée au Musée des Beaux Arts.
La rue du Bât d’Argent n’a plus du tout de nos jours la même configuration qu’à l’époque. Elle est alignée et élargie dès 1814 et ses immeubles sont reconstruits au XIXe siècle.

[5« Dictionnaire portatif des arts et métiers. Contenant en abrégé l’histoire, la description & la police des arts et métiers, des fabriques et manufactures de France & des pays étrangers » par Philippe Macquer. Édité en 1767 chez Arkstée et Merkus (Amsterdam)

[6« Gazette du commerce » 1767

[7par Chassin & Hennet ; publié en 1906

[8Né le 17 mai 1759 à Lyon, c’est vraisemblablement lui qui est "volontaire" à Paris en 1791.

[9Cette entrevue "orageuse" a dû avoir lieu au 119 quai Saint-Clair.

[10Ce document, sauf découverte, doit être perdu. Voir la note 3

[11C’est l’actuelle rue Vaillant

[12C’est cet article découvert dans la presse ancienne qui est à l’origine de cette passionnante recherche. Voir le 1er épisode

[13Marchand commissionnaire demeurant quai Saint Clair », là où habitent ses parents, Claude Marie épouse le 4 janvier 1810 à Lyon « Demoiselle Antoinette Rougier » née à Lyon le 26 octobre 1790, « demeurant avec son père rue Vieille Monnaie » fille de « Sieur François Rougier, négociant …et de défunte Claudine Dupré » Quelques semaines plus tard, le 6 mars 1810, son père, Jean Claude Pupier, « commissionnaire demeurant quai Saint Clair N°119 » meurt à Lyon à 67 ans. Il ne connaitra pas sa petite fille Benoite Sabine née le 13 décembre 1810 au domicile de ses parents « rue Vieille Monnaie N° 50 »
Le 11 octobre 1832, le maire de Lyon transcrit « l’acte de décès du Sieur Pupier Claude Marie, extrait des registres des actes de l’état-civil de la ville de Besançon » : le 3 mai 1832, l’adjoint délégué à l’état civil à Besançon « constate le décès de Mr Claude Marie Pupier, homme d’affaires de Madame Veuve Caron de Fraisans, époux de Madame Antoinette Rougier ; celle-ci domiciliée à Lyon ; décédé ce jour à quatre heures du matin, âgé de cinquante deux ans, natif de Lyon…demeurant à Fraisans (Jura), étant à Besançon rue des Granges N° 44, 3e section, fils de feu Mr Jean Claude Pupier, négociant, décédé à Lyon, et de Madame Anne Barizon, épouse domicilié au dit lieu… »
Le 6 décembre 1841 Anne Françoise Barizon, sa mère âgée de 84 ans, décède au 15, rue des Deux Angles à Lyon (c’est aujourd’hui la rue d’Alsace Lorraine). Le 14 décembre 1847, sa fille, Anne Marie Pupier, meurt célibataire à la même adresse à 70 ans.
Le 2 mars 1874, à 83 ans, Antoinette Rougier, veuve de Claude Marie Pupier, décède au 33 rue Tupin à Lyon.

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3 Messages

  • "Une mèche de cheveux, qu’elle m’avait donné..." (suite) 24 mars 2018 18:58, par Corinne Decabane

    Bonjour Michel,
    vous avez écrit un article passionnant, très riche et fort bien documenté.
    J’ai découvert, par exemple, une profession que je ne connaissais pas : la charge de Maître-emballeur.
    Merci à vous.
    Bien cordialement,
    Corinne

    Répondre à ce message

  • "Une mèche de cheveux, qu’elle m’avait donné..." (suite) 23 mars 2018 11:49, par STERNBERG Michele

    Bonjour Michel, votre article est passionnant. J’admire en outre le travail de recherche. Bien à vous, Michèle Sternberg.

    Répondre à ce message

  • "Une mèche de cheveux, qu’elle m’avait donné..." (suite) 23 mars 2018 11:15, par martine hautot

    Bonjour ,Michel
    Enquête très complète qui restitue à partir de ce qu’on appelle maintenant un fait divers beaucoup de cette époque troublée, avec notamment l’existence de ces passeports intérieurs.L’article est si riche, avec ses diverses ramifications, qu’il demande une lecture attentive mais il en vaut l’effort.
    Sur le fond de l’histoire, une mésentente entre frères pour des questions d’argent doublée d’un chagrin d’ amour expliquent ce suicide .L’argent ,l’amour les motifs à travers les siècles ne changent pas beaucoup.Il nous reste à imaginer la jeune morte que notre malheureux Antoine a voulu rejoindre .
    Bien cordialement,
    Martine

    Répondre à ce message

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