La grande Révolution dans l’histoire de l’hommePassée, présente et futureEst la révolution de ceux qui sont résolus à être libres.John Fitzgerald Kennedy, extrait du discours à N. Khrouchtchev – 1961.
Le temps des ruptures / 2
Antoine Pras et Claudine Coudour 1779-1848 [1]
21 – Antoine en sa jeunesse, entre Révolution et Empire
Rappel : Danièle Treuil, fille de Georges Pras (1902-2004), fils de Stéphane
(1873-1955), fils de Claude Jeune (1826-1905) et neveu de Claude Aîné (1808-1882), tous deux fils d’Antoine (1779-1842) et de Claudine Coudour.
Enfance dans une famille de paysans aisés
Antoine est donc né dix années avant la Révolution française, dans une famille de paysans installés à Borgeas depuis quatre générations, qui avaient su au fil du temps agrandir leur domaine. Les parents d’Antoine, Claude Pras et Marie George, au moment de leurs décès survenus à quelques mois d’intervalle en 1818, laissent en effet une succession importante. Borgeas est un gros village à l’époque, situé au dessus de St Just-en-Chevalet dans la montagne, à une heure environ de marche du bourg.
Antoine et encore Antoine, onze mois après…
Après un été exceptionnellement chaud et un automne humide, Antoine fait son apparition le 21 décembre 1779, en plein hiver où les brouillards froids firent beaucoup de mal aux bled [2] ; il porte le prénom d’un petit frère, né exactement onze mois avant lui (le 21 janvier 1779) et mort quatre jours plus tard. Dans cette moitié du 18e, les nourrissons restent fortement exposés à la mort, du fait des conditions précaires dans lesquelles se déroulent toujours les naissances et du manque d’hygiène. Pourtant, un seul bébé mourra encore peu après sa naissance en 1798, Thomas. Reste le décès à déplorer d’un petit garçon de onze ans : né en 1781, il suivait Antoine de peu. Ainsi, trois enfants sur douze n’atteindront pas l’âge adulte. L’aîné venu au monde en 1777, deux ans après le mariage des parents, s’appelle Claude, comme son père et son grand-père, nous l’apprendrons plus tard.
Leur mère Marie n’a pas connu beaucoup de répit entre toutes ces naissances, surtout les premières années ! Les bébés arrivent régulièrement tous les deux ans, dès qu’elle a fini d’allaiter le précédent. Elle a vingt-trois ans pour le premier, quarante-six ans pour la petite dernière, Marie, qui porte son prénom, qui est aussi celui de la marraine. Le père a quelques mois de moins.
L’école par intermittence
Nous avons découvert qu’Antoine, adulte, sait signer son nom, lire, compter, mais écrire difficilement, au point que les lettres envoyées à son fils à Thionville sont rédigées par un tiers. Il doit aller à l’école du bourg par intermittence. Comme les autres garçons du village, il descend avec des sabots remplis de paille, entourés de vieux linges pendant la mauvaise saison, pour ne pas glisser sur la neige (coutume encore usitée voici cinquante ans). Mais, l’hiver 1788-1789, il reste à la maison ; après quinze jours de brouillard, le froid est devenu terrible, dès le 15 novembre, aggravé par un vent de bise des plus véhéments, s’introduisant jusque dans les bâtiments. Les burettes gèlent à l’église pendant la messe, et le vin dans les calices ! Les rivières sont prises dans les glaces, même le Rhône dit-on ; tous les moulins s’arrêtent et la farine manque de tous côtés ; les arbres se fendent, les oiseaux périssent. La neige protège heureusement le blé. Cette catastrophe climatique est considérée par certains comme un des événements déclencheurs de la Révolution.
De toute façon, dès le temps des travaux agricoles, Antoine reste pour aider le père. La scolarité n’est pas gratuite et constitue une charge non négligeable pour les familles, souvent chargées de progéniture. On fait un effort pour l’aîné, ici Claude, qui est envoyé au séminaire, mais Jean par exemple, qui arrive trois ans après Antoine, reste à la ferme : adulte, il ne sait même pas signer son nom. Quant aux filles, il n’est pas question de l’école pour elles. Dès la huitième année, les enfants sont considérés presque comme des adultes, du moins sur le plan du travail. La priorité, c’est la terre.
La période Révolutionnaire : une traversée difficile
La grande peur
La situation des paysans n’est pas florissante à la veille de la Révolution, particulièrement dans les régions où les exploitations sont de petite taille, les impôts sont lourds. Pourtant dans ces montagnes du Forez, il n’est pas question de remettre en cause l’ordre établi. On est très attaché à son église et à son roi.
Mais une série de circonstances surviennent, qui accélèrent la prise de conscience, chez un grand nombre en France, que le régime féodal est périmé et injuste. Tout commence avec les catastrophes climatiques qu’a connues le pays depuis quelque temps, source de cherté du grain et de disettes. L’insécurité s’installe, due aux brigandages, rapines et mendiants, qui errent à la recherche d’un quignon de pain. On cherche des boucs émissaires. La situation s’aggrave, dès les premières nouvelles des journées révolutionnaires à Paris et la prise de la Bastille le 14 juillet 1789. Les paysans s’arment de faux et de gourdins, on sonne le tocsin, on pille et on brûle les châteaux… Tout le monde a peur de tout le monde. C’est le chaos, la « grande peur » telle qu’elle est nommée plus tard. Les commentaires des curés dans les registres paroissiaux sont éloquents ; par exemple, le curé Tissier de St Priest-la-Prugne, situé dans le canton de St Just-en-Chevalet, écrit le 17 février 1790 : la crainte et la frayeur avaient tellement saisi les esprits et les cœurs qu’on en a vu certains sortir de leurs foyers pour se retirer dans les bois… enfin tout était dans le désordre et l’effroi. Nous en sommes encore là au commencement de l’année 1790. Nous dirons sincèrement l’année prochaine, si nous échappons au péril, ce qui se sera passé à l’occasion de la formation des municipalités.
La situation ne s’arrange pas, comme l’espérait le curé Tissier, avec le vote de la constitution civile du clergé, l’enrôlement pour répondre aux besoins des guerres, la mise en place un peu plus tard de la conscription et les réquisitions, qui s’abattent sur la population. Les paysans de ces montagnes sont très attachés à leurs prêtres, nous l’avons dit, résolument hostiles à tout ce qui peut toucher à leur bien, quand ils en ont ; ils vivent très mal ces bouleversements. Antoine, malgré son jeune âge - quand la Révolution se déclenche il a dix ans et commence à participer aux veillées - en perçoit les échos : situation de ses deux oncles maternels curés, qui se cachent dans la forêt et les hameaux alentour ; levée des jeunes hommes des fermes voisines, réquisitions, soldats à loger… tout cela, qui perturbe grandement la bonne marche des exploitations. Son père paraît souvent très préoccupé et commence à craindre pour son fils.
Je reviendrai sur cette période quand j’évoquerai la vie des parents d’Antoine, puisque je retourne à la Révolution avec eux, à la fin de mes pérégrinations… la Révolution, charnière de cette chronique. En attendant, je choisis d’insister sur ce qui touchait nos ancêtres, au plus près, dans leur vie quotidienne.
La messe du loup-garou
La constitution civile du clergé est votée le 12/7/1790 par l’Assemblée Nationale Constituante. Tous les ecclésiastiques du pays doivent prêter serment le jour de dimanche 9 janvier 1791 après la messe, en présence du conseil général de la commune et des fidèles présents : je jure de veiller avec soin sur les fidèles de la paroisse qui m’est confiée, d’être fidèle à la nation, à la loi, au roi et de maintenir de tout mon pouvoir la constitution décrétée par l’Assemblée Nationale. On appela ceux qui acceptèrent les constitutionnels, les assermentés ou les jureurs. Les autres, la presque totalité des Évêques et la moitié du clergé environ, refusent et sont destitués ; on les nomme les réfractaires… La condamnation du Pape Pie VI en avril 1791, qui déclare la constitution civile comme schismatique, jette le trouble parmi ceux qui ont signé et beaucoup se rétractent. Tous ceux-là sont mis hors la loi, poursuivis, passibles de déportation et même de peine de mort pendant la terreur. Il faut attendre le début du consulat en 1799, pour que cesse la répression.
A Saint-Just-en-Chevalet, la constitution est proclamée le 16 octobre 1790 sur la place publique. et, presque en même temps, dans les villages voisins. Quelques jours plus tard, la commune prend la décision d’intervenir auprès de plusieurs habitants parce qu’ils insultent les gens qui vont à la messe des « loups-garous » (c’est ainsi qu’on appelle ceux qui ont prêté serment) et répandent des catéchismes qui détournent les autres des prêtres constitutionnels. Un an plus tard, en septembre 1791, on en est toujours là, puisque je trouve dans les registres qu’à Champoly, village proche, plusieurs personnes se sont retirées de l’office en faisant beaucoup de bruit et en criant qu’elles ne voulaient pas assister à la messe du loup-garou [3].
Proclamation de la République en danger
Le 18 août 1792, c’est la proclamation de la République en danger sur les différentes places des bourgs. Voici un extrait du discours prononcé par un notaire, secrétaire municipal de Champoly, une commune voisine
“Chers citoyens, les circonstances mémorables dans les fastes de notre histoire dont je viens vous faire part doivent retracer à chacun de nous combien il en a coûté de travail, de peine et de sang pour nous donner une constitution libre ; élevons donc les mains pures vers le ciel et que les vérités sacrées retentissent des sons mélodieux d’un cantique d’allégresse à l’humanité sainte d’un dieu protecteur invisible des lois qui nous ont retiré de l’esclavage, du despotisme sous lequel nous gémissions depuis plusieurs siècles.
Dignes affranchis de la loi, réunissons-nous autour d’elle dans ces jours qui paraissent menacer notre constitution, qu’un chacun de nous se rappelle ses devoirs, qu’il ayt présent à la mémoire que celui-là mérite d’être libre qui respecte la liberté et sait la défendre... Tant que nous ne perdrons pas de vue ces grandes vérités nous saurons respecter les personnes et les propriétés. Soyons unis, aimons-nous comme des frères, surveillons nos ennemis communs, pour que notre union et notre vigilance ferme apprennent à nos dissidents que les Français sont faits pour défendre une liberté qu’ils ont su conquérir. Les Grecs et les Romains furent invincibles tant qu’ils furent unis, mais aussitôt qu’un génie malfaisant eut allumé entre eux le feu de la discorde, le vaisseau de leur liberté faisant eau de toute part s’abîma et sur ses débris on vit s’affermir le plus cruel despotisme. Adressons des vœux à l’éternel qui veille sur les destinées de l’Empire… afin que, unis de force et d’esprit… nous parvenions à repousser efficacement les cohortes ennemies qu’on voudrait opposer à l’affermissement et à la stabilité de notre liberté et de notre bonheur ».
On est frappé par les accents très religieux du discours, seuls capables sans doute de toucher un peuple resté profondément imprégné de croyances chrétiennes.
Aux Armes Citoyens
Le décret du 24 février 1793 prévoit la levée de trois cent mille hommes tirés au sort parmi les célibataires du territoire : Dès ce moment jusqu’à celui où les ennemis auront été chassés du territoire de la République, lance Barrère [4] qui a l’art des formules, tous les Français sont en réquisition permanente pour le service des Armées. Les jeunes gens iront au combat ; les hommes mariés forgeront les armes et transporteront les subsistances ; les femmes feront des tentes, des habits et serviront dans les hôpitaux ; les enfants mettront le vieux linge en charpie, les vieillards se feront porter sur la place publique pour exciter le courage des guerriers, prêcher la haine des rois et l’unité de la République (Jacques Marseille, Nouvelle Histoire de France, 1999).
Les jeunes gens préfèrent disparaître que de se trouver enrôlés. En ce début d’année, la commune demande la présence de gendarmes pour arrêter dix-huit à vingt-cinq jeunes qui se cachent chez leurs parents. En mars, quand elle fait appel à des volontaires pour défendre Paris (elle doit fournir douze hommes et les équiper), elle n’en trouve que cinq et ne peut leur procurer l’habillement nécessaire. Sur les cinq, deux désertent rapidement et reparaissent au pays le 5 avril, malgré l’ordre d’arrestation lancé contre eux. Regrettant leur acte, ils viennent chercher un laissez-passer pour ne pas être inquiétés en rejoignant leur régiment ! Le 31 août, la commune convoque les hommes pour tirer au sort trente-sept citoyens désignés d’office pour l’armée. On ne trouve que six fusils à leur donner !
Les réquisitions
Le 5 septembre, la convention décide de mettre la terreur à l’ordre du jour. Pour répondre aux demandes de l’armée, ll faut sans cesse réquisitionner subsistances et chevaux, aussi bien de selle que de trait. Beaucoup de paysans refusent de les livrer. Le district de Roanne envoie des émissaires. On réquisitionne, encore et encore… un peu de tout : des cendres neuves et des cendres lessivées que l’on envoie à l’atelier de Roanne ou à celui plus voisin de Montmarat pour la fabrication du salpêtre, nécessaire à la confection de la poudre ; les cordes des cloches, du linge d’église, des matelas et des couvertures, des chiffons, des rognures de parchemin, d’anciens objets de culte, des enclumes et des soufflets. Comment ces paysans, très attachés à leur église, pouvaient-ils vivre cette mise à sac ?
Les cloches s’envolent
A Champoly, bourg voisin de St-Just-en-Chevalet « toutes les cloches qui sont au clocher de l’église, à l’exception d’une, seront sans délai descendues, comme aussi toutes les matières en plomb et cuivre qui se trouveront dans ladite église seront sur le champ retirées et enfin tous les citoyens de cette commune seront invités et requis par avis public aujourd’hui, d’apporter à la maison commune toutes les casseroles, coquemards, chenets, tourtières et poissonniers en cuivre qui sont en leur pouvoir, dont leur sera donné récépissé… » (18 frimaire an II : déc 1794)
L’enlèvement des cloches devait en particulier être ressenti très durement : La cloche c’est l’âme du village, parfois même de toute une région, nous dit Jean Canard, car une belle cloche est toujours connue de loin. Elle ponctue le temps. Elle annonce les événements de la vie quotidienne, heureux ou malheureux, comme naissances, mariages, décès. Elle prévient des dangers : guerre, incendie, orage... Associée au bonheur et à la souffrance des hommes, elle est en quelque sorte personnifiée et fait l’objet d’une bénédiction solennelle lors de son installation, appelée “baptême”. C’est peu dire sur la façon dont les villageois devaient ressentir la disparition de leurs cloches !
Lendemains de Révolution
Des guerres ininterrompues
Les guerres se succèdent toutes ces années. Il avait d’abord fallu défendre la République en danger, face aux coalitions des pays voisins qui voulaient écraser la Révolution et menaçaient la France aux frontières (1792-1797). Mais, comme on le sait, l’arrivée de Napoléon au pouvoir en 1799 ne met pas fin aux hostilités. Après une pause avec les Anglais, lors du traité d’Amiens en mars 1802, la guerre reprend avec eux en 1803. Plusieurs historiens situent à ce moment le départ de ce qu’on appelle “les guerres napoléoniennes”, alors que d’autres pensent qu’il faut les situer dès 1799. Peu importe. la France a dû faire face pendant des années à de nouvelles coalitions (sept au total) dirigées contre elle, cherchant dans un premier temps à rétablir la royauté, puis à défendre les pays contre les désirs d’hégémonie de celui qui est devenu Empereur.
Le général Bonaparte est devenu premier consul après le coup d’état du 18 brumaire 1799, sous le nom de Napoléon Bonaparte, puis consul à vie à partir d’août 1802. Le 4 fructidor an X (le 22/8/1802) la proclamation en a lieu sur toutes les places de St-Just-en-Chevalet, ainsi que devant la porte de la mairie. Le 25 messidor an XII (le 4 juillet 1804), on fait savoir qu’il est Empereur.
Napoléon abdique une première fois le 6 avril 1814, après la campagne de France, laquelle - malgré les victoires emportées – se termine par l’entrée, le 31 mars 1814, des Alliés de la Coalition dans Paris ; une seconde et dernière fois le 22 juin 1815, après son retour des cent jours et la défaite de Waterloo.
Ainsi la France s’est trouvée en guerre, pendant vingt-trois ans, entre le 20 avril 1792 (guerre avec l’Autriche) et le 20 novembre 1815 (signature du traité de Paris). Les guerres ont mobilisé environ 3 587 000 hommes [5], faisant de nombreux morts ou blessés. Les chiffres divergent quant à leur nombre dans de grandes proportions, faute pour les historiens de pouvoir s’appuyer sur des données suffisantes ; pour la France, entre un million et 1 700 000, morts, dont la moitié survenue sur le champ de bataille ; l’autre moitié, suite à des blessures, maladies, à la faim ou au froid (retraite de Russie). C’est moins toutefois que ce qui a été longtemps considéré (sources : plusieurs articles lus sur internet).
Antoine réfractaire
Entre-temps, un événement est venu bouleverser la vie des campagnes en 1798 : la conscription. Pour faire face à toutes ces guerres, on a institué en effet par décret, cette année-là, le service militaire obligatoire d’une durée de cinq ans pour tous les hommes de 25 ans. C’est une catastrophe. La commune, avec ses 1200 habitants, comme toutes celles d’alentour, se trouve privée de forces vives. Beaucoup de jeunes gens se portent réfractaires [6].
Antoine est de ceux-là et en 1804 - il a presque vingt-cinq ans – il se trouve condamné. Il ne va pas en prison, mais sa famille doit payer une forte amende, comme le montre le texte ci-après. Nous savons comment, vingt-cinq ans plus tard, il se dépense à son tour sans compter, en temps et en argent, pour empêcher son fils aîné Claude, né en 1808, d’accomplir ce qui est devenu un service militaire de sept années pour ceux qui, par tirage au sort, sont tombés hélas sur le mauvais numéro.
Une lourde amende
En attendant, le père d’Antoine doit payer, dans les quatre jours, une amende de 1 500 F, plus les frais d’acte, pour son fils considéré encore comme mineur, puisqu’il a moins de vingt-cinq ans. Mille cinq cents francs, c’est une somme très importante pour l’époque, qui correspond, dans le contrat de mariage signé quelque deux ans plus tard, en janvier 1808, entre Antoine et son épouse Claudine Coudour, à dix fois l’estimation de six mères vaches, deux génisses, un taureau, douze brebis et moutons, une fortune… mais la vie n’a pas de prix ! Il ne faut pas oublier que chaque grande bataille causait de nombreuses victimes, tuées ou grièvement blessés. Si l’amende n’est pas payée dans les délais, elle est doublée !
9 floréal – an XIII
Appert (signifie « il apparaît ») par jugement rendu au tribunal civil de première instance de l’arrondissement communal de Roanne, le trois vendémiaire an treize (25/9/1804) qu’Antoine Pras, conscrit réfractaire et, solidairement avec lui, ses père et mère, sont condamnés à l’amande de quinze cents francs.
l’an treize et le neuf floral (30/4/1805), à la requête des administrateurs de l’enregistrement et des domaines, pour lesquels domicile fut élu chez Monsieur Couturier, leur Directeur, demeurant à Montbrison et encore, en tant que de besoin, chez le sieur appotticaire leur receveur en son bureau, établi à St-Just-en-Chevalet
je, Pierre Marie Fonthieure, huissier public, reçu et immatriculé au greffe du tribunal civil de première instance de l’arrondissement communal de Roanne, patenté sous le n° 1er, résidant à St Just en Chevalet, soussigné
ay signifié à Antoine Pras, conscrit réfractaire, à Claude Pras neveu [7] et Marie George, ses père et mère, propriétaires demeurant au lieu de Borgeas, commune de St-Just-en-Chevalet, l’extrait du jugement rendu contre eux au tribunal civil de première instance de l’arrondissement communal de Roanne, le trois vendémiaire an treize, et qui les condamne solidairement à une amande de quinze cents francs
Afin qu’ils n’en ignorent, et en vertu de ce jugement, je leur ay fait commandement de payer dans quatre jours, pour tout délay, aux administrateurs, entre les mains dudit appotticaire, en son bureau audit St-Just-en-Chevalet, non en d’autres mains, à peine de payer deux fois la somme de quinze cents francs, pour les causes mentionnées audit jugement, ensemble celle de cent cinquante francs pour publication , ainsi que les frais de poursuite ; leur déclarant que faute de ce faire dans ledit délay, ils y seront contraints par les voies que la loi autorise pour le recouvrement des deniers nationaux et leur ay, parlant à la personne de ladite George, trouvée en son domicile audit lieu de Borgeas, où je me suis exprès transporté, laissé et donné la présente copie dudit acte. Signé : Fonthieure
signé : Fonthieure.
Un déserteur devenu célèbre…
Pendant tout ce temps, comme pendant la période révolutionnaire, les jeunes gens cherchent donc à échapper à la guerre ; ils essayent de se faire réformer - comme le 18 vendémiaire an XI ( 1802-1803) - les nombreux conscrits qui se présentent à St Just devant le docteur Imbert ; certains n’hésitent pas à se mutiler, en se coupant la première phalange de l’index droit, celui qui sert à faire feu ; ou bien ils deviennent réfractaires comme Antoine. Mais il faut pouvoir payer l’amende. S’ils n’ont pu échapper à l’enrôlement, ils désertent ; beaucoup de cas sont rapportés dans les délibérations du conseil municipal : par exemple, le 30 novembre 1810 la désertion de Jean Germanent conscrit de l’année qui a quitté le 2e régiment d’infanterie légère, désertion affichée à la porte de l’Église de St Just ou bien la désertion devenue plus célèbre, trois ans plus tôt, d’un certain Jean Marie Vianey, devenu le Saint Curé d’Ars ! Jeune conscrit, il disparaît en allant rejoindre l’arrière-garde de son détachement en partance pour l’Espagne ; sa vocation religieuse passait avant un devoir civique, de toute façon mal accepté par tous ces jeunes gens. Né trois ans avant la Révolution, il n’avait pas plus qu’Antoine connu son pays en paix. En général, les déserteurs revenaient dans leur village, ne sortant que de nuit pour se ravitailler auprès des familles amies et les maires, malgré la pression des gouvernements successifs, ne montraient pas un trop grand zèle à les retrouver.
Le summum des enrôlements est atteint en 1813, avec un total d’un million quarante mille conscrits. Il faut reconstituer l’armée après les pertes terribles survenues lors de la campagne de Russie. A St Just, les mariages sont particulièrement nombreux, cette année-là, pour échapper à l’armée.
Mouvements de troupes et insécurité
Avec toutes ces guerres, le mouvement des troupes est continuel. Le Grand Chemin, qui traverse St Just-en-Chevalet et qui conduit de Roanne à Thiers, joue un rôle important pour le transfert des hommes et du matériel, à tel point que sur les ordres de l’Empereur la chaussée est considérablement élargie au début du XIXe. A la fin de 1807, une partie de l’armée, qui a combattu en Europe centrale, passe par là pour se rendre en Espagne.
Quatre cents hommes à nourrir
Il faut loger et nourrir les soldats, et que dire quand ce sont les vainqueurs de la coalition, qui saccagent les contrées qu’ils traversent ! Le 5 février 1816, le conseil municipal de St Just se plaint que les bois d’Ars et Vacques (aux confins du village Borgeas où habitent Antoine et son père) ont été dévastés par les armées alliées qui ont occupé le pays pendant vingt-huit jours ! Deux ans plus tôt, elles étaient déjà venues dans la région. Une colonne d’Autrichiens, que le maire de Roanne, François Pepulle, avait sérieusement indisposée en faisant sonner le tocsin, après leur avoir promis une heure illusoire de pillage, s’était hâtée de quitter la ville en direction de la montagne. Nous avons trouvé dans les délibérations du conseil municipal de Chérier, un bourg proche, le récit suivant qui donne une idée du désastre que leur passage avait provoqué chez les paysans.
« le 9 avril 1814, un détachement des armées alliées fort d’environ 400 hommes à cheval, poursuivant les dépôts des régiments français qui avaient évacué Roanne en raison d’une capitulation, parurent sur le territoire de la commune. Nous, maire soussigné, après nous être porté à leur encontre, tant pour connaître leurs desseins que pour stipuler les intérêts de la commune en cas de désordre ou de pillage, abordâmes le commandant de la troupe qui nous requit de lui fournir sur le champ les vivres nécessaires pour ses 400 hommes et leurs chevaux. Lui ayant fait part de la difficulté que nous allions éprouver à exécuter son ordre avec la promptitude demandée, il nous répondit qu’il allait envoyer dix hussards dans chaque hameau de la commune, qui sauraient bien trouver tout ce qu’ils ont besoin. Prévoyant les désordres et le pillage qui allaient s’ensuivre d’une pareille mesure, nous, maire soussigné, nous abouchâmes avec le sieur Michaud, aubergiste, très bien approvisionné au lieu-dit les Moulins et, après lui avoir promis le remboursement par la commune des objets nécessaires audit détachement, la fourniture en eut lieu devant nous.. »
Quelques jours plus tard, le conseil prend acte des dépenses faites par le sieur Michaud, dépenses évaluées à 750 F, et un rôle est établi où se trouvent tous les propriétaires fonciers de la commune, sur lesquels est effectuée la répartition de ladite somme. Tout le monde se félicite de l’efficacité et de la justesse de la mesure imaginée par le maire. A St-Just les choses se passent moins bien. Le maire a toutes les peines du monde à calmer ses compatriotes et à contenir leur révolte. Il survient des accrochages entre civils et militaires. Heureusement ces derniers ne s’attardent pas, avant de gagner l’Auvergne.
Les « garotteurs »
Cette période post-révolutionnaire est toujours celle de la guerre et de l’insécurité. Elle persiste encore longtemps, surtout dans ces pays de montagne, propices aux malfrats et brigands de tous horizons. Les déserteurs forment souvent le gros des bandes. La crise économique entraîne aussi la multiplication des mendiants.
Au moment du Consulat, il faut faire face à ceux qu’on a appelés les chauffeurs ou garotteurs. Il s’agit de bandes recrutées à Marseille ou en Vendée parmi les Chouans. Ils se présentent dans des fermes isolées, dont ils font ouvrir la porte en prétextant rechercher des immigrés, des prêtres réfractaires ou vouloir loger des soldats de la République. En un instant, ces brigands armés, souvent le visage noirci de suie ou couvert d’un masque de crêpe noir, ont raison de ceux qui veulent tenter une défense désespérée, n’hésitant pas à les suspendre au-dessus d’un feu de sarment allumé sous leurs pieds. Nous n’en avons pas trouvé trace à Saint-Just, mais il est noté qu’ils avaient, entre autres parcouru la Loire [9]. Une répression énergique s’organise, en créant notamment un corps spécial de gendarmerie et des commissions militaires qui prononcent nombre d’arrêts de mort.
Pendant ce temps, le passage des troupes ne ralentit pas. Le 25 avril 1831, le conseil demande une diminution des impôts pour les habitants, étant donné qu’en toutes saisons, ils sont obligés de loger dix à douze soldats par jour, qui vont de Lyon à Clermont ou inversement.
Que devient le jeune Antoine dans ce contexte troublé ?
A suivre : 22 – Mariage et départ de Borgeas.
Bibliographie :
- inventaire sommaire des archives départementales antérieures à 1790, tome deuxième arrondissement de Roanne (canton de St-Just-en-Chevalet), Jean Canard, revu et complété
par Roger Seve et André Perret, archivistes en chef de la Loire, publié sous la Direction du Ministre de l’Éducation Nationale, 1961 - Météorologie ancienne en Forez et Lyonnais, du XVIe au XIXe siècle,
Jean Canard, imprimé par l’auteur, 1858 - Nouvelle Histoire de la France, Jacques Marseille, éditions Perrin, 1999
- Histoire de la France rurale sous la direction de Georges Duby et Armand Wallon, Seuil, 1977
- Plusieurs articles sur internet sur les guerres de la Révolution et de l’Empire.