Le 5 avril 1878, Jean Girin, garde-champêtre, et Louis Prost, tailleur d’habits, déclarent en mairie des Roches-de-Condrieu « que ce jour, à dix heures du matin, ils avaient retiré des eaux du Rhône le cadavre d’un inconnu du sexe masculin, âgé d’environ vingt cinq ans, taille un mètre soixante centimètres, cheveux et sourcils noirs, yeux gris, nez fort, bouche petite, menton rond, figure ronde, vêtu d’un pantalon drap gris, gilet du même drap à manches noires, deux chemises, l’une en flanelle grise, l’autre chemise de soldat portant le timbre du 32e régiment d’infanterie, et portant le N° matricule 10703, caleçon de même, chaussé de bottines élastiques presque neuves sans clous, chaussette en laine blanche, mouchoir de poche coton à petits carreaux rayés rouge et blanc, marqué aux initiales J.L ».
- (collection personnelle de l’auteur)
Le 9 avril 1878 parait cet article dans « L’Impartial Dauphinois » :
« Le 5 du courant (avril) un cadavre a été retiré du Rhône, sur le territoire des Roches-de-Condrieu. Nous donnons son signalement : taille, 1 m. 60, cheveux et sourcils noirs, yeux gros, nez fort, bouche petite, menton rond, figure ronde. Il était vêtu d’un pantalon de drap gris, d’un gilet de même étoffe à manches noires, d’une chemise en flanelle grise, d’une chemise et d’un caleçon en toile-coton portant le timbre du 32e régiment d’infanterie et le numéro matricule 10703. Dans une poche, on a trouvé un mouchoir en coton, à petits carreaux blancs et rouges, portant les initiales J. L. Les pieds étaient chaussés de bottines à élastiques presque neuves.
L’identité de ce cadavre n’a pu être établie. Il parait avoir séjourné un mois dans l’eau. Après les délais réglementaires, il a été enterré dans le cimetière des Roches-de-Condrieu »
- Moniteur Viennois du 12 avril 1878
"Vendredi dernier" était le 5 septembre 1878 ; c’est bien le jour indiqué dans l’acte de décès...Mais pas de M. Argoud dans celui-ci. La description du cadavre change légèrement "environ 35 ans (au lieu de 25), vêtu d’un pantalon gris, gilet à manches, chemise à plis, marquée 22 (et non 32, le timbre du régiment ) Dans une de ses poches se trouvait un mouchoir aux initiales J.L" Ce doit être le même noyé. |
Un article quasiment identique à celui de « L’Impartial Dauphinois » paraît dans le « Journal de Vienne et de l’Isère » du dimanche 14 avril 1878. Les « journalistes » ont du simplement recopié l’acte de décès.
En marge de celui-ci, cette mention ajoutée quelques semaines plus tard : « acte rectifié par jugement du Tribunal civil de Vienne en date du 28 mai 1878, en ce sens que cet inconnu est le corps de Mr Liège Claude Louis, fils naturel de Marie, né à Lully le 14 Xbre (décembre) 1852 ».
Lully est une petite commune de Haute-Savoie, non loin de Thonon les Bains. Ni les actes de naissance de cette commune, entre 1849 et 1854, ni les registres matricules de la classe 1872 ; ne sont numérisés. Ce qui est bien dommage.
Cela nous aurait permis de comparer sa description physique avec celle du noyé ; et surtout de vérifier si Claude Louis a bien fait son armée au 32e d’infanterie sous le numéro 10703…Ce régiment est alors en garnison à Châtellerault, dans la Vienne ; ville bien éloignée ; reconnaissons-le ; des berges du Rhône !
A moins qu’en 1878 il n’ait déjà terminé son service militaire et soit arrivé, pour travailler peut-être, à Lyon, Givors ou Vienne….ayant emporté avec lui ses effets militaires !
- Effets de petit équipement
- Page extraite du livret militaire de mon grand-père Romain Victor Guironnet,
de la classe 1882.
La réponse nous est fournie quelques pages plus loin. Le jugement de rectification du « greffe du tribunal civil de première instance séant à Vienne » le 25 mai 1878 est retranscrit en juin dans le registre des décès : Claude Louis Liège était « employé chez Madame la Comtesse de Quinsonnaz en la commune de Chasselay, d’où il aurait disparu le onze février dernier… »
En fait, c’est du côté de Saint Germain au Mont d’Or, commune très proche de Chasselay et en bordure de la Saône, qu’il faut s’orienter. C’est là qu’est le château de la famille Pourroy de l’Auberivière de Quinsonas.
Dans le recensement de 1876, au hameau de La Combe, est noté « Emilien de Quinsonas, propriétaire rentier » âgé de 50 ans ; son épouse « Caroline de Gesse », 49 ans, et leurs deux enfants Stéphanie, 22 ans, et Henri, 20 ans.
Mais point de Claude Louis Liège parmi le nombreux « personnel de maison » employé au château ! Ce doit pourtant bien être chez « Caroline Elisabeth Pauline de Jessé-Levas » qu’il travaille.
Née le 2 mars 1829 à Lyon, « Madame la Comtesse de Quinsonnas » se marie le 4 août 1852 à Lyon avec le Comte Emilien Ennemond Gabriel Marie Pourroy de l’Auberivière de Quinsonas, né le 26 octobre 1827 à Creys-et-Pusignieu, en Isère dont elle a trois enfants. Elle décède le 30 avril 1913, à la Villa Prato, à Menton, à l’âge de 84 ans.Ces notes sont extraites de la généalogie de Christian Soyer sur Geneanet. |
Une autre noyade est restée mystérieuse : quelques jours auparavant, le cadavre d’un pontonnier est retiré du Rhône à Condrieu, de l’autre côté du fleuve.