BEAUMARCHAIS termine "le Mariage de FIGARO" par ce couplet :
Le XVIIIè siècle est gai, les chansons dépeignent le bonheur du peuple de France qui jouit de la liberté, vit dans un pays opulent et riche.
Ses chansons sont "l’exact reflet d’une sensibilité... La Régence a célébré la boisson et les amours légères. Les couplets du milieu du siècle se sont voulus à la fois spirituels et sensuels. Au temps de Louis XVI, la chanson est toujours sentimentale" [1].
Entre 1750 et 1800, le monde change. Ce bouleversement se traduit également dans les habitudes quotidiennes des français et l’esprit du siècle.
Les papiers personnels de Marie Thérèse HEIMBROCK contiennent des textes de chansons.
Peu sont datés, et aucun n’est de la main de Marie Thérèse. Comment sont ils parvenus dans ce dossier ? Mystère... mais le fait est que, grâce à eux, nous pouvons sentir "vibrer" la France de l’Ancien Régime et celle de la Révolution. Laissons-leur la parole !
Nous les accompagnerons seulement, si nécessaire, de quelques commentaires.
L’ordre de présentation choisi est chronologique suivant les indications données par le texte.
"Couplets à l’occasion du voyage de M. BLANCHARD qui se propose de partir de La Haye dans son ballon, et d’aller à Paris sans s’arrêter, deux ou trois autres français doivent faire avec luy le voyage"." Sur l’air : avec les jeux dans le village"
Jean Pierre BLANCHARD, aéronaute français (Les Andelys 1753 Paris 1809) après avoir construit une machine volante, expérimente le parachute avec des animaux.
Le premier il traverse la Manche en ballon de Douvres à Calais le 7 janvier 1785.
Il est accompagné du Dr. GEFFERIES. La date du vol LA HAYE-PARIS nous est inconnue. Il semble bien que ce vol n’est resté qu’à l’état de projet vers 1788. BLANCHARD construit un aérostat qu’il manoeuvre grâce à des rames fixées à la nacelle.
Frappé d’apoplexie dans son ballon près de la Haye en 1808, il fait une chute mortelle l’année suivante. Sa femme, Sophie ARMANT (née près de la Rochelle en 1778) prend part à ses voyages, et meurt à Paris en 1819 dans l’explosion d’un ballon d’où elle tirait un feu d’artifice [2].
Rappelons que les premiers ballons sont l’oeuvre des frères Etienne et Joseph MONTGOLFIER papetiers à Annonay. Ils font leur première grande expérience à Annonay le 4 juin 1783, devant les députés de la province du Vivarais : leur "Montgolfière" s’élève alors à 500m d’altitude.
"L’académie des Sciences à Paris fit répéter l’expérience au Champ de Mars, le 27 août 1783. Le Pr. CHARLES fit gonfler le ballon à l’hydrogène... Devant 300 000 personnes qui pleuraient et s’embrassaient dans un délire d’enthousiasme, car un des plus vieux rêves de l’humanité se réalisait, le ballon atteignit 1000m de hauteur... Après une expérience que le Roi honora de sa présence, le 19 septembre 1783, Pilatre de ROZIER et le Marquis d’ARLANDES furent les premiers hommes à s’envoler, ils planèrent sur Paris le 21 novembre 1783..." [3].
A Lyon, aux Brotteaux le 19 janvier 1784, a lieu une ascension en ballon, le comte Jean Espérance Blandine de LAURENCIN est l’un des premiers passagers. Le ballon est baptisé "Le Flesselles". Une nouvelle ascension aura lieu le 4 juin, en présence du Roi de Suède. Cette fois, le ballon s’appelle "Le Gustave".
Partout l’enthousiasme est à son comble : « les femmes portent des chapeaux en ballon, les enfants mangent des dragées au ballon, les poètes composent d’innombrables odes aux vols en ballon... A leur retour, les "aéronautes sont promenés en triomphe. Les garçons se battent pour tenir la bride de leur cheval, les ouvriers baisent leurs vêtements ; leurs portraits accompagnés de vers élogieux sont imprimés et vendus dans les rues. » [4]
Peut-être s’agit-il du "Docteur MESMER" si célèbre et adulé en France et à Lyon en 1784... "l’air de FIGARO" est lui de 1785. Ce texte de chanson est écrit sur un petit feuillet (18x11cm) comme d’ailleurs les deux textes qui suivent. Ils semblent tirés d’un carnet (ou bien rédigés sur les pages détachées de ce carnet). Ils ne sont pas tous de la même écriture... Certaines ressemblent à celle de CORSIVAL (secrétaire de l’intendant de Lyon TERRAY) ou à celle de FASSIER, ami de Marie Thérèse HEIMBROCK.
C’est peut-être là une piste : dans un des courriers de Marie Thérèse à CORSIVAL, elle lui adresse "huit vers". Celui-ci, dans sa réponse du 9 octobre 1788, la remercie car dit-il, "c’est une jolie manière de faire le cadeau de son portrait, et vous vous êtes servie d’un bon peintre car la ressemblance est parfaite... »
Ces vers, ces poèmes, ces chansons sont-ils l’oeuvre de la veuve HEIMBROCK ?
Ce texte existe, à quelques nuances près, sur un autre feuillet. Le titre est noté simplement "Chanson", il est dit "si Chimen vous engage" au lieu de "si l’himen" (mais il peut s’agir d’une copie fautive ou d’une mauvaise lecture).
Les vers sont découpés différemment pour la partie finale de chaque couplet :
Ex :
"Mais elle excuse (les larcins rayés) les larcins qu’amour lui fait
elle excuse les les (sic) larcins qu’amour lui fait par une ruse"
Indice important : le mot "Fin" est suivi de "1792 à Lyon".
Cela ne veut pas dire pour autant que la chanson date de la Révolution.
Les deux documents ont quelques ratures, comme si une main inconnue les recopiait pour ses ami(e)s, ou pour en garder le texte récité au cours d’une soirée de poésie. Le copiste aurait simplement alors indiqué la date et le lieu de ce jour là ?
Manifestement, en évoquant Coblence, refuge des émigrés aristocrates, le Lys, symbole de la monarchie absolue ("dont la tige en étoit abattue"), la disparition des "emblèmes", "des chiffres heureux" (détruits par la Révolution), cette poésie respire la nostalgie de la royauté perdue mais aussi l’espoir d’un retour, la fin des pleurs, des couleurs pour ce royaliste fervent.
Ce texte est donc d’après 1789, voire plutôt après 1791 et l’arrestation de Louis XVI. Le style "champêtre" (bosquets, lauriers, saule et bergère...) est dans l’air de la grande époque du Trianon.
Nostalgie quand tu nous tiens...
Ces vers n’évoquent-ils pas les dernières années de Marie Thérèse HEIMBROCK ?
Seule, fatiguée, déçue par la vie et ses déboires, elle confie ses peines à "Glicère" jeune fille au seuil de la vie adulte.
Glycère, dans la Mythologie grecque, était une courtisane athénienne célèbre qui épousa Pausias.
Peut-on penser qu’elle use de cet artifice pour conseiller sa protégée Clarice BOISSAT qui va (ou vient de) se marier (1802-1803) ?
Veuve, après trois ans de mariage seulement, Marie-Thérèse a en effet « si peu joui de ces doux instants. Plaisirs, amours, tout s’est évanoui ».
A "l’hiver de ses ans", ses cheveux blancs "effarouchent l’amour". Que Clarice "alias Glicère" profite bien de son bonheur, "fleur que le soir va flétrir" !
L’écriture (texte sur une page grand format et non sur un petit format) ressemble étrangement en effet à celle de Clarice BOISSAT... [5]. Dans les nombreux documents non datés du dossier HEIMBROCK existe cette bande de papier, de la même écriture :
On devine quelques mots sous une grande accolade ; certainement la réponse à cette charade. Malheureusement la page est déchirée !