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Sur un noyé, dis, qu’est-ce qu’on y trouve ?

Ustensiles, accessoires et décorations portés par des noyés retrouvés sur les bords de la Seine en aval de Rouen XVIII-XIXe siècles

Le jeudi 7 octobre 2010, par Jean-Pierre Derouard

Arlette Farge, dans le petit bijou qu’est son livre « Le bracelet de parchemin » démontre que chaque être humain doit, même illettré, avoir à cœur d’être reconnu par un témoignage écrit, aussi ténu soit-il, en cas de mort subite. Les 56 noyades décryptées ici montrent que c’est loin d’être le cas.

Il s’agit donc bien de noyés : de corps retrouvés flottant sur les eaux ou échoués sur le rivage. D’un noyé retrouvé à Berville (-sur-Seine) le 31 mars 1763, « on ne peut distinguer l’âge ni les traits pour ce que la consommation et pourriture ont occasionné la perte et mangure par les poissons ou autres animaux des parties de chair ». Un autre, à Aizier le 17 mars 1831, est « nu et en grande putréfaction et presque un squelette ». Les reliques que laissent ces corps n’en sont que plus précieuses.

Vous avez vos papiers ?

Une preuve d’identité d’un cadavre est d’abord recherchée dans d’éventuels papiers. Papiers qui brillent souvent par leur absence. « Pas de papier qui puissent nous indiquer qui il peut être » ; « aucuns papiers relative au décédé » ; « trouvé aucun papier sur lui qui puissent le faire connaître » ; « aucun papier qui puissent faire connaîre son identité ».

On accorde sinon une foi totale à l’écrit : « divers papiers » ; certificat de bonne vie et mœurs ; bulletin de mariage.

Renseignements parfois fragmentaires : un nommé Charles Calle est identifié par « les renseignements trouvés sur lui » mais ils sont insuffisant pour déterminer sa paroisse d’origine.

Et parfois trompeurs : Pierre de la Neuville porte dans sa poche un extrait de baptême au nom de Paul-Martin Bouvier et est naturellement inhumé sous ce nom, erreur heureusement rectifiée peu après.

Un insigne, un emblème, peut tout aussi bien permettre une identification. Son matricule, cousu dans son pantalon permet d’identifier un marin du Cinquième équipage. La médaille qu’il porte prouve qu’un noyé travaille au pont suspendu de Rouen. Mais la médaille suspendue sur sa poitrine par un cordon que porte un noyé à Vieux-Port ne suffit pas à son identification.

L’habit fait-il le moine ?

Eh oui : on reconnaît les gens à leur accoutrement.

Un petit garçon échoué sur le pré de Bardouville « n’est vêtu que de toille, ce qui fait connaître qu’il est de pauvre famille ».

À l’opposé, une femme retrouvée à Jumièges est « habillée à la mode de Rouen » : c’est d’un chic.

Les différents métiers se reconnaissent à leur habillement ou à leurs accessoires.

Les marins se rencontrent surtout dans les paroisses proches de l’estuaire : « reconnu à des vêtementds qu’il était marin de professions » ; « un inconnu que nous pensons être marin d’après son habillement » ; « homme portant le costume de marin ».

Plus en amont, les matelots sont reconnaissables à leurs « grandes culottes de matelot de toile grise ».

Un soldat est également reconnaissable : « un cadavre sous habit de soldat ».
C’est aussi le cas des employés des fermes du roi, les ancêtres de nos douaniers, qui portent « entre l’habit et la veste une bandoulière d’étoffe bleue marquée aux armes du roy ».

Et bien sûr des pêcheurs : un vieux filet leur sert de ceinture, ils portent des houseaux et en bandoulière une sangle de cuir à laquelle attacher la seine à tirer sur le rivage.

Des initiales brodées annoncent une classe supérieure : au col marqué BC ; une chemise de toile de coton marquée en fil de coton rouge JD ; une chemise en laine marquée des lettres DC ; une fille de 2 ans et demi porte une chemise en toile blanche marquée en coton rouge sur le corps droit des lettres LB et à gauche M.

Vous chaussez du combien ?

Les sabots se perdent bien sûr facilement, ils ont ceci en commun avec les couvre-chefs, et ne peuvent être retrouvés que sur des noyés de fraîche date. Un pêcheur de Saint-Martin de Boscherville a encore ses sabots bouchonnés de paille.

Les souliers sont lacés : à cordon, avec élastique mais le plus souvent fermés par une boucle : de cuivre rouge, de métail ou de tombac. Les boucles sont le plus souvent carrées. En 1778, à Jumièges, certaines portent des « lacs d’amour ». Les chaussures montantes sont des brodequins.

Les bottes sont plus rares. Un militaire porte des « bottes anglaises », un inconnu retrouvé à la Bouille en 1859 porte des « bottes ferrées ». Un cadavre découvert à Aizier totalement décharné porte encore ses petites bottes, qui devaient être de bonne qualité.

Les boutons en métal peuvent être conservés mais ne sont sans doute décrits que lorsqu’ils sont assez remarquables pour permettre une identification : deux boutons de manche d’argent sur lesquels sont 2 fleurs et 1 soleil ; un bouton de manche de méteil.

Le mouchoir est très fréquent : toile de coton à carreaux fond bleu, rouge à carreaux ; bleu et blanc, de poche et rouge, de poche et de toile blanc et pour un pêcheur en toile peinte d’un fort brun, comme une voile.

Vous avez de la monnaie ?

L’argent en pièce de monnaie se conserve bien. Dans la poche, le plus souvent, mais le 16 juin 1776 dans une petite bourse en laine jaune et rouge. De quelques liards à 40 francs pour quelqu’un venant de toucher sa paie, les sommes sont très diverses mais le plus souvent minimes.

Vous fumez ?

On fume la pipe, en bois ou garnie de cuivre jaune et dans un étui. Le tabac est dans une tabatière ; en cuivre façonné, ou dans un sac. Le feu est procuré par un briquet, parfois à amadou, un abat feu, de l’amorce ou des allumettes chimiques protégées dans une boîte de fer blanc.

Un couteau, fort ou mauvais, parfois à ressort, est un accessoire souvent indispensable à la vie quotidienne, son manche plus que sa lame est remarquable : de corne blanc, de bois.

vous mangerez bien quelque chose ?

Profondément dégradable, la nourriture n’apparaît bien sûr que rarement : Deux petits chapelets de coco, de quoi composer une boisson rafraîchissante. On imagine l’état de la chair de pâté enveloppée dans du papier bleu retrouvé dans la poche d’un de nos noyés.

Les bagues, métalliques, sont bizarrement très rares : une bague en argent à la main gauche ; au petit doigt de la main gauche un anneau de métal jaune ; deux anneaux à la main gauche d’une femme.

Une boucle d’oreille est peut être pour un homme marqueur identitaire : un anneau octogone passé à l’oreille gauche ; des boucles d’oreille en or.

Il en est de même d’un tatouage de toute façon rare car périssable : Sur le bras un tatouage représentant un jeune homme ayant un bouquet à la main et à côté une jeune fille.

Vous avez-l’heure ?

La montre est un accessoire dénotant un certain standing, ses matériaux et ses dispositions le prouvent assez : il n’y a qu’à citer : dans un gousset une montre d’argent au nom Dajou à Duclair ; une montre boîte d’argent et chaîne d’acier ; dans les poches de la culotte un petit gousset, une montre de boîte d’argent et airain ; une montre d’argent.

Peu de clefs dans les poches mais par deux fois celle de l’armoire ou de la tire d’un bateau.

Et Dieu dans tout ça ?

Eh bien, pas grand chose ! Les curés doivent normalement avoir une preuve de sa catholicité avant d’inhumer quelqu’un dans le cimetière. Un chapelet à Caumont le 6 janvier 1742 et à Quillebeuf le 21 mai 1743 sont le seules traces d’une quelconque catholicité. Mais les inhumations se sont tout de même toujours dans le cimetière, sans ségrégation.

Bibliographie :

  • Bruneau, Marguerite, Histoire du costume populaire en Normandie, 1983.
  • Derouard, Jean-Pierre, « la noyade en Seine au XVIIIè siècle dans 27 paroisses riveraine de la Seine maritime », Annales de Normandie, 1987.
  • Farge, Arlette, Vivre dans la rue à Paris, 1979.
  • Farge, Arlette, Le bracelet de parchemin, 2003.
  • Lebrun, François, La mort en Anjou, 1975.
  • Lemière, Monique, « Morts violentes, morts subites dans le bailliage d’Orbec », Cahiers des Annales de Normandie, 1981.

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