Au musée Flaubert et d’Histoire de la Médecine de Rouen, s’est tenue, en 2008 une exposition sur les enfants du secret, c’est dans ce cadre que la figure de Joseph Sivel, enfant trouvé devenu artiste peintre a été tirée de l’oubli :
Voici sa vie telle qu’elle a pu être reconstituée grâce à un ensemble d’archives de l’Hospice Général de Rouen particulièrement bien conservées.
Du tour à l’école de dessin de Rouen
A l’ automne 1817, dans la laborieuse ville de Rouen, la religieuse de Notre Dame de la Charité qui recueille à l’Hospice Général les enfants abandonnés est malheureusement bien occupée : chaque jour de nouveaux petits sont déposés dans le tour construit en 1813 à l’entrée de l’hospice, en application du décret impérial de 1811 qui les a généralisés.
Depuis le début de l’année plusieurs centaines d’enfants lui sont passés entre les mains avant de s’en aller, quand ils ne meurent pas dès leur arrivée, vers quelque nourrice perdue dans la campagne normande. Aujourd’hui 10 décembre on a d’abord trouvé à 10 heures trois quarts une petite fille qu’on a nommée Gorgonie Séphore. Dans l’après midi, à cinq heures et demie du soir, c’est un petit garçon nouveau-né qui est déposé. Il porte le numéro 797 : c’est donc le 797e depuis le début de l’année.
- Archives Départementales de la Seine -Maritime. hdepot3/Q274
Registre des procès-verbaux des enfants trouvés de l’Hospice Général de Rouen en 1817.
Nous pouvons être étonnés de la précision avec laquelle les vêtements sont décrits. C’est aussi une disposition de ce même décret impérial qui organise l’accueil des enfants trouvés :
Des registres constateront, jour par jour, leur arrivée, leur sexe, leur âge apparent, et décriront les marques naturelles et les langes qui peuvent servir à les reconnaître.
Décret impérial du 19 Janvier 1811 Titre II
Voyons maintenant comment cet enfant est vêtu : comme tous les nouveaux-nés il porte un bonnet, le sien est plutôt raffiné puisqu’il a un bord en dentelle.Pour le reste il est fait d’ indienne, une toile imprimée qu’on fabrique dans les manufactures autour de Rouen où peut-être sa mère a travaillé [1].
On en trouve souvent sur les nourrissons déposés à l’Hospice Général de Rouen, avec des agencements de couleurs et motifs variés. Ce bonnet-ci est à fond blanc et fleurs brunes. Il est accompagné d’un bandeau qui le maintient en place. Viennent ensuite le mouchoir, la chemise et la brassière, brassières et mouchoirs également en indienne mais d’un autre motif à fond brun et petits pois blancs. Il est précisé que la brassière est doublée de toile brune. On est loin des layettes blanches qui n’apparaîtront qu’à la fin du XIX siècle. Si cette description est tellement précise (elle l’est pour chaque enfant inscrit sur le registre), c’est que l’administration souhaite favoriser la reconnaissance de l’enfant au cas où ses parents voudraient ou pourraient à nouveau s’en charger. Et cela se produit parfois, par exemple, la petite Gorgonie Séphore, entrée le même jour à l’hospice que notre petit garçon est reprise par sa mère l’année suivante.
Outre les vêtements d’autres signes de reconnaissance sont possibles : le billet et la "remarque". Ce peut être un bout de tissu, un morceau de laine, un ruban... Mais certains enfants n’ont aucune remarque.
Dans le cas présent, le billet est très simple
- "il a été aporté le 10 xbre 1817 a lospicse un enfant de sexe masculin nomé Dophin". Archives départementales de la Seine -Maritime Hdepot3/Q333 Collier 797.
Il est juste indiqué la date du dépôt de l’enfant, son sexe et un prénom qui ne lui sera pas même laissé. Pas de promesse comme dans certains billets de reprendre un jour l’enfant si les temps s’améliorent, pas de remerciements à ceux qui vont en prendre soin, pas d’indication non plus de baptême. Celui-ci sera administré sans tarder et le salut éternel de l’enfant assuré à défaut de sa survie ici-bas. Par contre la "remarque " est plus originale : un morceau de papier sur lequel est imprimée une figure coupée en deux par une ligne brisée. La remarque comme le billet a été conservée. La figure serait une représentation du peintre Raphaël [2].
- Archives Départementales de la Seine-Maritime Hdepot3/Q333 Collier 797.
Le procès-verbal se termine par le nom et le prénom donné à l’enfant sans tenir compte de celui porté sur le billet, selon les habitudes de l’époque. Joseph a au moins un prénom courant, qui ne prêtera pas aux risées de ses petits camarades. Pour le choix du nom, quelques précisions ont été données par la circulaire du 30 Juin 1812 : s’interdire les dénominations indécentes ou ridicules, ne pas donner des noms connus pour appartenir à des familles existantes. C’est sûr, Sivel n’est pas un patronyme répandu en Normandie mais on ignore comment ce nom a été trouvé. A l’identité de l’enfant est associé le numéro du collier qu’il devra porter tant qu’il sera en nourrice. Et que la nourrice ne s’avise pas de l’ôter, elle aurait les pires ennuis ! On craint toujours les fraudes et les substitutions d’enfant.
- Exemple de collier d’abandon Musée Flaubert et d’Histoire de la Médecine Rouen.
Maintenant que l’enfant est dûment identifié il va pouvoir suivre le parcours prévu par le décret impérial de 1811, Titre IV :
Les enfants seront mis en nourrice aussitôt que faire se pourra. Ils y resteront jusqu’à l’âge de six ans.
A cet âge tous les enfants autant que faire se pourra seront mis en pension chez des agriculteurs ou des artisans.
C’est ainsi que Joseph Sivel est envoyé dans le village de Réalcamp, dans le Nord du département, tout près de la forêt d’Eu, à 70 klm de Rouen. Ce village a l’habitude de recevoir des enfants de l’hospice, comme en témoigne le registre des décès de la commune en 1817 : cinq petits porteurs de collier y sont décédés. Plusieurs nourrices sont autorisées dans cette commune. C’est à Marie-Madeleine Blondeau, femme Boucher, que Joseph est confié. Ayant heureusement survécu aux aléas du voyage dans une mauvaise charrette et aux maladies qui frappent les jeunes enfants, il passe auprès d’elle ses premières années avant d’être envoyé auprès d’un agriculteur du village, Antoine Sellier, homme jouissant d’une bonne réputation et qui deviendra maire de la commune.
Là une histoire étonnante commence. Tout prédisposait Joseph à devenir comme beaucoup de ses petits camarades un valet de ferme, un simple ouvrier agricole. Mais son maître remarque qu’il a d’étonnantes capacités en dessin. Selon un historien local, Antoine Sellier aurait remis un placet à Louis-Philippe de passage à Blangy pour solliciter une bourse en faveur du jeune Sivel, placé chez lui depuis plusieurs années [3]. C’est possible : Louis-Philippe avait son château dans la ville d’Eu, non loin de là mais ce n’est pas démontré. Par contre, ce qui est sûr, c’est que Antoine Sellier est intervenu en faveur de son protégé. Dans le recueil des délibérations du conseil administratif de l’Hospice Général de Rouen, lors de la séance 20 Février 1833, est évoquée la pétition du Sieur Sellier [4].
"Pétition du sieur Sellier, cultivateur en la commune de Réalcamp, arrondissement de Neufchatel, par laquelle il recommande à la bienveillance de l’administration un jeune orphelin de l’hospice, nommé Joseph Sivel, maintenant âgé de quinze ans, confié à ses soins depuis environ huit ans et qui annonce les plus heureuses dispositions soit dans l’art du dessin et de la peinture soit par l’aptitude qu’il laisse entrevoir pour les arts mécaniques et sa bonne conduite." Archives départementales de la Seine-Maritime Hdepot3-L037, Séance du 20 Février 1833.
La réponse du Conseil ne se fait pas attendre. Il est demandé à Antoine Sellier de se présenter avec Joseph et ses dessins, devant l’administration assemblée pour qu’elle puisse prendre sa décision. En même temps, le Conseil s’empresse de remercier Monsieur Sellier des soins particuliers qu’il a apportés au jeune Sivel. Moins d’un mois plus tard, lors de la réunion du 6 Mars 1833 et après avoir examiné" les dessins au crayon copiés par ce jeune homme sans avoir jamais reçu aucune leçon", lu les certificats du maire et du prêtre desservant de la commune, il est arrêté que : "le dit Sivel restera à l’hospice général où il aura un traitement particulier et distinct des autres enfants et qu’il sera envoyé à l’école de dessin."
Archives départementales de la Seine-Maritime Hdepot3-L037.
L’école de dessin de Rouen, fondée au XVIII siècle, est une école qui a une vocation pratique :elle prépare au dessin sur tissu ou porcelaine pour servir aux manufactures de la région. De plus elle a le grand avantage d’être gratuite.
Joseph suit les cours de cette école pendant plusieurs années et ses résultats sont tellement satisfaisants que le directeur de l’école, Hyacinthe Langlois écrit aux administrateurs de l’hospice en Août 1837 qu’"il croit utile dans l’intérêt du jeune homme de le mettre à même d’aller à Paris pour y suivre l’étude des grands modèles." Archives départementales de la Seine-Maritime Hdepot3/L041.
Le conseil administratif y est favorable mais sollicite de la Ville de Rouen un secours au profit du jeune Sivel, comme cela s’est déjà fait pour d’autres jeunes sans ressources. Ce secours est rapidement voté et le maire de Rouen, Henry Barbet, un filateur d’origine protestante, préoccupé par les questions sociales, en informe rapidement l’administration, tout en lui suggérant de se mettre en relation avec le peintre Delaroche à Paris qui pourrait accueillir le jeune homme. L’administration décide alors d’ajouter aux 900 francs votés par la mairie 600 francs prélevés sur ses fonds propres [5]. L’affaire est rondement menée : Paul Delaroche est un alors un peintre reconnu, membre de l’Institut. Ses scènes historiques et religieuses, dans le genre académique, sont très appréciées et il forme de nombreux élèves.
Paul Delaroche indique dans un courrier du 17 Décembre 1837 qu’il veut bien s’associer à « la bonne œuvre de l’administration de l’hospice et de l’administration municipale de Rouen » et accepte de recevoir dans son atelier l’élève Sivel gratuitement. Il se propose même de le surveiller. Pour ce qui est du gîte et du couvert, il sera accueilli,moyennant rétribution à l’Hospice des Ménages, situé à une faible distance de l’atelier du peintre. Il y disposera d’ une chambre particulière et sera nourri, blanchi, chauffé et éclairé [6]. En conséquence de quoi la tutelle du jeune Sivel est transférée de l’Hospice Général de Rouen à l’Hospice des Ménages de Paris, jusqu’à ce que Joseph atteigne sa majorité, c’est-à-dire ses vingt cinq ans. Mais les liens entre les deux hospices sont maintenus.
Une vie d’apprenti-peintre à Paris
Ainsi, à l’âge de 20 ans, Joseph Sivel quitte Rouen pour Paris, tout en continuant de partager la vie d’un hospice. A l’Hospice des Ménages qui accueille habituellement des couples âgés [7], il est accueilli en ce mois de Janvier par Monsieur Duplay, administrateur du dit hospice et par Paul Delaroche. Nous voyons que notre jeune homme est toujours bien entouré ! Un an plus tard, Paul Delaroche adresse à Monsieur Duplay un courrier, qui sera retransmis à l’Hospice Général, où il dit tout le bien qu’il pense de son élève, parfaitement méritant et qui entretient en plus de bonnes relations avec ses camarades : « étant d’un caractère doux et tranquille. » [8]. Découverte étonnante : un des camarades que Joseph fréquente dans l’atelier du peintre porte un nom bien connu : il s’appelle Eugène de Ségur. C’est le fils aîné de la fameuse comtesse née Rostopchine, ce qui vaudra à Joseph d’être invité avec Paul Delaroche, dans la propriété des Nouettes, où la comtesse passe la belle saison [9]. Dans ses ouvrages l’auteur des " Petites filles modèles " a souvent évoqué le sort des enfants trouvés. Peut-être a-t-elle eu alors une pensée pour celui qu’elle avait hébergé. En attendant tout n’est pas rose dans la vie de Joseph Sivel : une lettre du 12 Avril 1839 signée Duplay nous apprend que le jeune Sivel est atteint de la typhoïde : il est soigné par les sœurs et a été examiné par le médecin de l’établissement et deux médecins de l’Hôtel-Dieu. Mais il devrait se remettre. Effectivement, dès le 16 avril, le sieur Duplay se fait rassurant : la santé du jeune Sivel s’améliore [10]. Et un mois plus tard c’est le jeune homme lui même qui annonce à ses protecteurs rouennais son rétablissement et en même temps son admission à l’École des Beaux Arts [11].
Joseph Sivel travaille sérieusement et, en 1840, il est en mesure d’envoyer, pour marquer sa reconnaissance, deux premiers tableaux à Rouen, un pour l’hospice et l’autre pour la municipalité. L’hospice les transmet au maire de Rouen, tout en exprimant son désir de se voir attribuer le Saint Michel pour sa chapelle, ce qui ne lui est pas refusé. L’administration remercie également le jeune Sivel de son envoi, tout en lui conseillant se consacrer davantage au dessin qu’à la peinture [12].
- Chapelle de l’Hospice Général ,dédiée à Notre-Dame de la Charité
Dernier quart du XVIII siècle.
Deux ans plus tard, Joseph Sivel a encore des ennuis de santé : un rapport a été établi sur sa santé mentale par Monsieur Dupray de l’Hospice des Ménages qui le suit toujours, l’Hospice Général puis la mairie en sont informés. Mais le directeur de l’Hospice des Ménages annonce bientôt que ce n’était que" le résultat d’une cause accidentelle qu’il a parfaitement expliqué" [13].
Nous n’en saurons pas plus.
Joseph Sivel a maintenant atteint sa majorité mais il va rester encore plusieurs années logé à l’Hospice des Ménages, tout en maintenant une correspondance suivie avec l’Hospice Général de Rouen. Car il se trouve toujours en situation précaire. Alors il quémande. En 1845, il écrit à monsieur Gervais, directeur de l’Hospice Général plusieurs lettres. Il lui parle des difficultés qu’il rencontre pour peindre son Vincent de Paul,"meilleur emblème de la charité chrétienne". Il aurait besoin de fournitures mais aussi d’un atelier plus grand.12 L’année suivante, son travail, dit-il, est encourageant et peut lui servir de recommandations auprès de ses puissants protecteurs ( il ne donne pas leur nom ). Il espère ainsi obtenir du ministère des commandes comme exposant d’histoire. Mais il a besoin d’argent frais et remercie l’administration [14]. En 1847, il se trouve toujours dans un dénuement total et voudrait terminer son Vincent de Paul.
En 1848, il écrit encore deux lettres à l’Hospice Général au mois d’Avril. Non, il ne lui est rien arrivé de fâcheux pendant les journées de Février mais il a risqué sa vie comme beaucoup de curieux qui veulent tout voir. Maintenant il est occupé au concours de la figure symbolique de la République [15]. Bonne nouvelle, son tableau, le "Vincent de Paul" est admis au salon ( sans difficultés puisque la sélection a été supprimée : l’art est libre !). Par contre il devrait bientôt quitter l’Hospice des Ménages et la vie n’est toujours pas facile pour lui : il ne peut s’offrir de domestique et est obligé de faire sa vaisselle lui-même. Il demande de l’excuser de ses vulgaires détails. En 1849, il doit quitter l’Hospice des Ménages et trouve une chambre au centre de la capitale : géorama, 15 chaussée du Maine. Pour son travail il a obtenu des facilités : il a été autorisé par le directeur du musée (sans doute le Louvre) à utiliser ses ateliers pour son nouveau tableau, toujours de la même inspiration : la Communion dans un hospice.
- Archives départementales de la Seine Maritime Hdepot3/L229
Lettre du 10 Janvier 1849 et signature de Joseph Sivel.
- Archives départementales de la Seine Maritime Hdepot3/L229
Lettre du 10 Janvier 1849 et signature de Joseph Sivel.
Mais il a aussi des idées politiques qu’il confie au secrétaire des Hospices, monsieur Masse : "Les premiers temps de notre République démocratique seront pour nous catégorie artistique très durs à passer, les ouvrages d’art sont considérés comme travaux de luxe."
et encore :
"Je ne désespère pas que cette constitution nouvelle ne soit une mère protectrice des arts."
avant de conclure :
"Si cette belle devise ou trilogie de la République est bien observée nous devons tous espérer que l’union qui en résultera permettra les meilleures améliorations."
En attendant sa situation est toujours précaire. En 1851, il écrit de nouveau à monsieur Masse. Il habite désormais 29 Rue des fossés Saint-Germain-l’Auxerrois. Il lui annonce que sa "Communion dans les hospices" a figuré dans la dernière exposition à Paris et que le dessin du tableau a été envoyé par chemin de fer à Monsieur Legrip, marchand de tableaux à Rouen où on peut le voir. Un peu plus tard, le 22 Décembre 1851, il a une proposition à faire aux membres de la commission administrative : deux tableaux pour compléter la décoration de la salle des audiences de l’Hospice Général, le premier sur l’exposition au tour et le second sur la reconnaissance. Le peintre présente ainsi son projet :
- L’Exposition de Joseph Sivel. Direction générale du CHU-Hôpitaux de Rouen Hôpital Charles Nicolle.
" Voici comment j’ai cru pouvoir interpréter cette action d’une mère qui vient exposer son enfant à peine adolescent [16]. Je la fais figurer sous les traits d’une jeune personne qui se présente à la porte de l’établissement, pendant la nuit ou un effet de lune éclaire le sujet, le tour est entr’ouvert pour recevoir cet enfant que la mère se dispose à y introduire mais au moment de cet abandon l’expression de la douleur maternelle doit lui faire couler des larmes et réveiller toute sa sensibilité en y mêlant cependant celle de la résignation et de la confiance en la charité publique. La pauvreté de ses vêtements annonce la détresse et toutes les conséquences du dénuement et des privations. Traité de grandeur naturelle avec du style et une exécution sérieuse, ce sujet présentera alors beaucoup d’intérêt au spectateur en s’élevant vers l’idéal."
Suit la description de la reconnaissance :
- La Reconnaissance de Joseph Sivel. Direction Générale CHU-Hôpitaux de Rouen Hôpital Charles Nicolle.
"Elle porte son enfant dans les bras et embrasse la main de la Sœur comme témoignage de ses remerciements envers les Saintes Filles qui ont coutume de rendre de bons offices auprès des orphelins et des abandonnés."
Quelques jours plus tard, la commission délibère. Elle accepte cette proposition car la décoration de la salle doit être complétée et en même temps elle fera une bonne action, en procurant de l’ouvrage à un de ses pupilles [17].
Joseph Sivel se met au travail et l’année suivante la commission administrative vote le versement de 400 francs par tableau auxquels s’ajoutent deux cents francs pour frais divers : emballage,expédition... [18]
Joseph Sivel, peintre copiste
La correspondance de Joseph Sivel avec l’Hospice Général s’arrête là, mais si nous visitons aujourd’hui, lors d’une ouverture exceptionnelle au public, la salle des audiences de l’Hospice Général, nous pouvons constater qu’elle est toujours ornée des quatre premières œuvres de ce peintre : Saint-Vincent de Paul, emblème de la charité, la Communion dans un hospice, l’Exposition et la Reconnaissance. Mais nous aurons bien des difficultés à voir ailleurs d’autres tableaux de ce peintre. Il s’est orienté vers une carrière de copiste : dans une lettre à Monsieur Masse non datée il déplorait d’ailleurs que la fermeture du Louvre pose problème à ceux qui doivent faire des copies pour vivre, ce qui est son cas. En 1851 il reçoit la commande d’une copie d’un tableau d’Ingres pour une somme de 900 francs : Jésus donnant les clefs à Saint-Pierre [19]. Ce tableau déposé dans l’église de l’Assomption de la Cavalerie dans l’Aveyron a disparu. En 1854 pour la grande chancellerie de la légion d’honneur, il fait un Napoléon premier, également disparu. Et des nombreux portraits de Napoléon III et d’Eugénie d’après Winterhalter qu’il a composés pour mairies et préfectures n’ont pu être localisés qu’un portrait de Napoléon III à la mairie de Rouen (1862) et un de l’impératrice Eugénie à la mairie de Versailles (1863).
Sa dernière copie connue a été exécutée pour la mairie de Moulins en 1869. La photographie n’avait pas encore remplacé dans les mairies les portraits peints : il fallait donc plus d’un copiste pour répondre à la demande. Le métier de copiste était alors tout à fait honorable. Le copiste ne faisait pas fortune mais c’était un travail et un revenu assurés quand on n’avait pas de fortune personnelle, ce qui était bien évidemment le cas de notre Joseph [20].
- Portrait de Napoléon III par Winterhalter (1855) qu’a copié à multiples reprises Joseph Sivel.
Désormais depuis 1861 au moins Joseph Sivel,est domicilié 9 Rue Mazarine et l’Annuaire-Almanach du Commerce et de l’Industrie le désigne comme artiste peintre. C’est cette même adresse qui est portée sur son acte de décès en 1870, pendant le siège de Paris,mais le lieu de son décès est la place du parvis Notre-Dame, où se situe l’Hôtel-Dieu : Acte de décès du 28 Octobre 1870 à neuf heures trois quart du matin
Le jour d’hier à quatre heures du soir est décédé place du parvis Notre-Dame Joseph Sivel artiste peintre âgé de cinquante trois ans, né à Rouen Seine inférieure, domicilié à Paris 9 rue Mazarine, célibataire, sans autres renseignements.
Archives de Paris V4E477.
« Sans autres renseignements », la vie de Joseph s’achève, comme elle a commencé, dans la solitude. Bien sûr, son don singulier pour le dessin l’a sauvé du sort commun réservé aux enfants trouvés qu’on place habituellement dans les campagnes. Mais il ne lui a pas épargné les difficultés inhérentes à la vie d’un artiste isolé, sans appui familial, ce qui n’est pas rien. S’il n’a pas atteint la gloire, sa vie difficile nous touche encore : est-il d’autres enfants trouvés qui aient connu semblable vie et laissé tant de traces dans les archives ?