Bon pour le service ! [1]
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- Notice individuelle de Jules Revon
Le 15 janvier 1906, Jules se présente en mairie de Saint-Clair pour être recensé. Il n’est ni musicien, ni colombophile, ni aérostier. Par contre, il sait mener les voitures à chevaux, est "vélocipédiste" et sait nager ! (recrutement pour 1905 de l’arrondissement de Vienne 2 R 645 aux archives départementales de l’Isère) |
Jules Revon, recensé à 20 ans, passe le 30 mai 1906 devant le Conseil de Révision au chef-lieu de canton. "Inscrit sous le N° 5 de la liste cantonale de Roussillon" il est déclaré apte. "Classé dans la 1re partie de la liste" du contingent, il part au service militaire au 99e Régiment d’Infanterie [2].
Les 1er, 3e et 4e bataillons de ce régiment d’infanterie sont casernés au fort Lamothe à Lyon. Le 2e bataillon du 99e d’infanterie est, lui, basé à Vienne dans l’Isère. C’est à Vienne qu’il est incorporé le 7 octobre 1906, arrivé au corps et soldat de 2e classe le dit jour.
Pendant ses deux ans sous les drapeaux ont lieu « les graves événements du Midi » en Languedoc Roussillon. Le 99e, comme de nombreux autres régiments, est réquisitionné pour aller maintenir l’ordre.
« Les Mouvements de troupes. Lyon, 4 h. 5 soir : un train spécial, formé à Lyon-Perrache, a embarqué, ce matin, 400 hommes du 99e casernés au fort Lamothe. Le train s’est arrête à Vienne pour prendre le bataillon de ce régiment caserné dans cette ville. De la gare de la Part-Dieu (Lyon), sont également partis ce matin deux escadrons du 2e dragons. » Le Figaro 22 juin 1907. |
Envoyé en congé le 25 7bre (septembre) 1908, son certificat de bonne conduite accordé, Jules Revon rejoint le village de Saint-Clair.
Nous l’avons vu dans notre article précédent : il est installé à Lyon dès 1910 et travaille au Grand Bazar.
Au Grand Bazar de Lyon
- Grand Bazar de Lyon
http://numelyo.bm-lyon.fr/f_view/BML:BML_01ICO00101P0546_SA_14_04
Les Archives départementales du Rhône conservent le fonds du Grand Bazar de Lyon [3] Les dates des dossiers de personnel sont légèrement postérieures à l’époque qui m’intéresse. Cependant, Anne-Françoise Kowalewski, chargée d’études documentaires, a retrouvé le nom de Jules Revon dans un registre d’entrée et de sortie du personnel sous la cote 133 J 190.
- Registre du personnel, page 131 gauche
- "Registre d’entrée et de sortie du personnel" Archives départementales du Rhône, 133 J 190
- Registre du personnel, page 131 droite
Entré comme "garçon" le 8 août 1910, Jules habite 48 rue de l’Hôtel de Ville. Son salaire est de 1400 francs, un an après de 1500 francs. En 1912, il gagne 1600 francs et le 1er août 1914, 1700 francs.
Passé à l’expédition. Ramasseur de caisses le 1er janvier1914 aux mêmes conditions (de salaire) Dans la colonne "date de sortie", il est noté "tué à l’ennemi".
"Le service des garçons est dirigé par un premier garçon qui est aussi à la tête du service expédition-réception des marchandises.../... Hommes à tout faire – leur nom indique bien qu’il s’agit d’un service exclusivement masculin –, les garçons transportent au service expédition les colis à envoyer, effectuent les livraisons, aident ponctuellement les vendeurs au rangement des banquettes extérieures, sont chargés du nettoyage du magasin après la fermeture puis de sa surveillance pendant la nuit.../... Le terme "garçon" ne recouvre donc ni une fonction particulière, ni un lieu de travail particulier. L’organisation du travail des grands magasins les a repris directement du monde de la boutique" [4] |
A ma demande, Anne-Françoise Kowalewski fait la même recherche pour son épouse. Dans les recensements de Lyon, entre 1921 et 1931, il est en effet indiqué qu’elle travaille au Grand Bazar. Hélas, elle ne trouve aucune trace de Marie Favrot dans le registre des entrées.
Au camp de la Valbonne
Jules Revon fait deux périodes d’exercices au 99e Régiment d’Infanterie à Lyon au Fort Lamothe :
- du 29 août au 20 septembre 1911
- du 25 mai au 8 juin 1913
"Le Moniteur Viennois" du 27 mai 1913 dans un article intitulé "les réservistes" écrit : "Vendredi sont arrivés environ 2000 réservistes venant accomplir une période d’instruction au 299e d’infanterie [5] Ils sont partis samedi matin pour le camp de la Valbonne (dans l’Ain)".
Cette année là, de nombreuses voix s’élèvent contre le vote de la "Loi des trois ans" et l’antimilitarisme gagne même l’intérieur des casernes.Dans « Le Figaro » du 27 mai 1913, nous lisons :« A Lyon : Quelques meneurs avaient projeté de profiter de l’arrivée des réservistes pour organiser contre le service de trois ans une manifestation qui devait avoir lieu samedi soir au moment de la retraite et le dimanche au camp de La Valbonne. Bien que le secret fut gardé très rigoureusement, l’autorité militaire eut connaissance de la chose et dirigea immédiatement sur La Valbonne, sans les faire arrêter à Vienne ni à Lyon, les réservistes du 99e. Les meneurs ne se tinrent pas pour battus et recommencèrent leur propagande. Ils avaient fixé, hier, après-midi, la place Bellecour comme lieu de rendez-vous. Ce projet fut une seconde fois éventé et, samedi soir, une perquisition eut lieu au fort Lamothe. Quelques brochures antimilitaristes furent saisies dans certains paquetages. Une peine de quinze jours de prison, dont huit de cellule, fut infligée’ à deux soldats de la 4e compagnie. On perquisitionna également aux 6e et 8e compagnies, casernées à Vienne, et deux soldats se virent infliger une punition égale à celle qui avait été donnée à leurs camarades lyonnais. Effrayés sans doute par ces exécutions imprévues, les soldats s’abstinrent de se rendre hier au rendez-vous fixé. Quelques groupes de quatre ou cinq unités circulèrent seuls place Bellecour. Mais, devant leur petit nombre, ils s’abstinrent de toute attitude équivoque. |
Jules Revon, de retour de sa "période" début juin, se marie une semaine plus tard !
C’est la guerre !
Sur sa fiche matricule, on lit : « Rappelé à l’activité par suite de la Mobilisation Générale, Directive Présidentielle du 1er Août 1914, arrivé au corps le 4 août 1914. Passé au 22e d’Infanterie le 4 août 1915 » et un peu plus bas : Campagne : Allemagne du 4 août 1914 au 29 mai 1917.
Jules Revon est au 99e RI du 4 août 1914 au 3 août 1915
- Soldat de 1914
- Commémoration du 6 septembre 2014 au Parc Sergent Blandan, ancienne caserne du Fort Lamothe, d’où part le 6 août 1914 le 99e d’infanterie
Le 99e RI entre dans la Première Guerre Mondiale dès le mois d’août 1914 où il quitte Lyon pour cantonner dans la région d’Epinal, sa zone de concentration.
Du 7 août au 18 septembre 1914, il combat dans les Vosges et la région de St Dié. [6]
Dès les premiers jours de guerre, de nombreux soldats des 99e et 299 RI sont tués ou blessés. C’est fin août que meurt, entre autres, le Viennois Jean Baptiste Ducrot. Beaucoup sont originaires de Saint Clair du Rhône et des Roches de Condrieu, villages d’enfance de Jules Revon.
Sur les combats du 99e RI, voir sur Gallica l’historique du régiment et le très riche site sur le 99. Jean Claude Finand a consacré à la "garnison de Vienne dans la Grande Guerre" plusieurs articles très documentés dans le Bulletin des Amis de Vienne.
Au 22e ou au 222e régiment d’infanterie ?
Sur sa fiche matricule, il est indiqué que Jules Revon passe au 22e Régiment d’Infanterie le 4 août 1915. Ce régiment fait alors partie du 14e Corps d’Armée, de la 28e Division d’Infanterie et 55e Brigade d’Infanterie. C’est la même division dont fait partie le 99e RI où il est incorporé en août 1914.
Pourtant, nous le retrouvons au 222e RI en mai 1917 C’est le régiment de réserve du 22e RI.Ce régiment fait alors partie du 8e Corps d’Armée, de la 74e Division d’Infanterie, de la 147e Brigade d’Infanterie. C’est la même division que le 299e Régiment d’Infanterie.
Comment savoir quand il a changé d’affectation ? Si changement d’affectation il y eut ! En effet, si l’on se fie au numéro d’affectation "au corps" indiqué sur sa fiche matricule pour le 22e RI et à celui indiqué sur son acte de décès pour le 222e RI, on constate que c’est le même : 019129 ! Serait-il au 222e RI dès août 1915 ? Les informations sur les simples soldats sont souvent très lacunaires, voire contradictoires !
Le 22e et le 222e RI ne sont pas, entre août 1915 et janvier 1917 sur les mêmes théâtres d’opérations. Choisir arbitrairement l’un ou l’autre peut fausser la réalité des faits. Admettons que nous resterons dans l’ignorance du parcours militaire de Jules durant ces 17 mois de guerre... et faisons l’hypothèse qu’il est déjà au 222e RI début janvier 1917 [7]
- Numéro "au corps" : 019129
- Détail agrandi de la fiche matricule N°709
En janvier 1917, la 74e DI stationne dans la région de Rouvrois et de Lacroix, villages sur la Meuse, à environ 35 kilomètres au sud de Verdun. Elle est relevée par la 59e DI à la fin du mois. Après quelques jours de repos dans la zone de Vaubecourt, elle rejoint son nouveau secteur à Verdun, au nord-est du fort de Douaumont, entre Louvemont et Bezonvaux.
Au Bois des Caurières
Les régiments de la 74e division d’infanterie, 222e, 230e, 299e et 330e RI, les 50e et 71e BCP, relèvent la 126e DI au nord de Verdun, dans le secteur Marguerite-Douaumont, entre le 2 et le 5 février 1917 [8].
Secteur du bois de Caurières.(du 1er février au 5 mars 1917) "Cette période a été une des plus pénibles de toute la Campagne, le régiment a eu à surmonter des difficultés de toutes natures ; au début un froid intense, -20 à -25°, ensuite survient le dégel qui transforme cette partie du champs de bataille en une véritable fondrière où à chaque instant les hommes s’enlisent ; de plus, dans ce secteur nouvellement conquis, absence d’organisations ; dans de telles conditions le ravitaillement était extrêmement difficile ; pendant tout le séjour du régiment dans ce secteur les hommes se sont exclusivement nourris avec des conserves : sardines, chocolat, saucisson, etc… quant au vin (cher au Poilu) il était transporté à l’état solide soit dans des sacs, soit dans des musettes. A côté de ces difficultés, le régiment repousse avec succès de nombreux coups de main ; cependant le 4 mars, alors que l’effectif du régiment avait diminué de moitié par suite des pertes journalières les allemands font une attaque de grandes envergure ; après une préparation intense par minenwerfers de tous calibres, l’ennemi attaque en force ; sous la violence de l’assaut, les quelques survivants du bombardement en première ligne cèdent un peu de terrain, mais grâce à une contre-attaque immédiate du Ve Bataillon, la situation est presque rétablie, les allemands ne conservent qu’une mince parcelle de terrain. Le lendemain de cette dure journée le régiment était relevé pour aller se reformer dans la région de Ligny en Barrois". Extrait de l’historique du 222e régiment d’infanterie |
- Secteur de la 74e DI au 1er février 1917
- Carte page 4 du JMO de la 74e Division d’Infanterie
26 N 402/5 du 1er février au 15 mars 1917
« 5 février (1917)… Le sous-secteur occupé par la (148e) Brigade est bouleversé de fond en comble par les bombardements antérieurs : les tranchées de 1re ligne n’existent pas ; ce sont des trous d’obus remplis d’eau reliés entre eux par des fossés peu profonds. Les défenses accessoires (réseau Brun) sont détruites chaque jour par le tir de l’artillerie ennemie. La ligne de résistance n’existe pas.
Les abris sont très précaires en 1re ligne. De nombreuses épaves, armes, effets d’équipements, encombrent le sol. Des dépôts de vivres provenant des combats de décembre existent dans des abris éboulés. Le nettoyage du champ de bataille est loin d’être activé. Il existe encore sur le sol, non inhumés, de nombreux cadavres des deux armées ennemies. La circulation est pénible et dangereuse, on peut s’enliser » [9]
- Au Ravin des Fontaines
- origine : SCPA-ECPAD référence de la photo : SPA-49L2398
« Au Ravin des Fontaines, dans le secteur du Bois des Caurières à Verdun, les hommes occupent les tranchées bouleversées par l’attaque allemande du 4 février 1917 » (février-mars 1917).
C’est pendant ces combats au Bois des Caurières qu’est "tué à l’ennemi" le 9 février 1917, dans le "secteur des Chambrettes", le Sergent Jean Louis Margeriat du 299e RI. Originaire de Saint-Prim, il est "inhumé dans le Bois des Caurières". Le 4 mars, le Caporal François Bourgeat, lui aussi du 299e, est porté disparu. Il était des Roches de Condrieu. Jules Revon les connaissait-il ?
- Le Miroir du 18 mars 1917
Pour lire la suite : En Champagne, les derniers mois (mars-mai 1917)