« Je m’appelle André GAUTHEROT, je suis né le 16 janvier 1764 à Eringes, petit village situé en Bourgogne du nord, au nord-est du pays d’Auxois et à proximité de la montagne châtillonnaise.
A ma naissance, c’est le prince de Condé qui gouverne la Bourgogne sous l’autorité de notre bon roi Louis XV. Le village appartient à l’abbaye de Fontenay. Son seigneur est l’abbé commendataire de l’abbaye, monseigneur DE VOGUE, aussi évêque de Dijon.
Mon village natal
Eringes se situe à l’extrémité et en haut du versant Est d’un joli petit vallon relevant de l’arrière vallée de la Brenne. Il y court un charmant petit ruisseau, le ’ru d’Eringes’ qui se jette dans ladite Brenne. Le versant Ouest du vallon contrairement à celui du village est partiellement boisé.
Ce village s’est constitué au 16e siècle à partir d’une grange à dîme appartenant à l’abbaye de Fontenay, ce qui peut expliquer son mur d’enceinte en pierre garni de petites tourelles et de la disposition relativement confuse des différents bâtiments. Les maisons en pierre sont couvertes de laves (lauzes) et sont en assez bon état. La plupart sont entourées d’un espace plus ou moins grand qui comprend aisances, jardin et verger. L’ensemble est bordé d’une haie, voire d’un muret, c’est ce qu’on appelle en Bourgogne le ’meix’.
L’église de style roman primitif, est l’ouvrage des moines de l’abbaye de Fontenay. Elle fut d’abord une chapelle grangiale vouée à Saint Barthélémy. Autre bâtiment important, le four à pain, c’est un ’four banal’ situé un peu à l’écart des autres habitations à cause du risque d’incendie. Il appartient au seigneur, c’est à dire à l’abbé commendataire de Fontenay. Ce dernier, au nom du droit de ban [1], perçoit une redevance équivalente à la vingtième partie du pain cuit.
Notre communauté comprend 49 feux [2], 1 chirurgien, 14 laboureurs et cultivateurs, 2 tissiers, 16 vignerons, 22 manouvriers, 2 veuves et 3 mendiants. Elle s’administre elle même sous le contrôle seigneurial. Les habitants se réunissent régulièrement sous forme d’assemblée soit dans l’église soit dans le cimetière quand le temps le permet. Tous les trois ans cette assemblée désigne ses prud’hommes qui sont au nombre de trois. Ils sont chargés de répartir la Taille seigneuriale attribuée à la communauté, chaque foyer a donc sa ’cote’ [3] selon son niveau de vie. Ils participent à la reconnaissance du ’mésus’ [4], ils font après décès les estimations des biens, ils assurent la police du village et du ’finage’ [5] sous l’autorité du seigneur. En 1764, l’année de ma naissance, les prudhommes sont Denis SEBILLOTE, André SIROT et Philibert EPOY.
La maison de mes parents située intra-muros est semblable à toutes celles du village : en pierre et couverte de laves. C’est une construction à logis-grange-étable. La partie logis comporte une cheminée. L’âtre est l’endroit le plus important, avec sa crémaillère, ses chaudrons, ses poêles, etc.
C’est là que ma mère fait la cuisine et que le soir avec mon père et ma grand-mère maternelle qui vit avec eux, ils parlent de choses et d’autres, parfois des voisins les rejoignent.
L’aménagement de cette pièce de vie est succinct ; il se limite à deux coffres à linge, un coffre à vaisselle, une table, deux bancs et des paillasses-lits que l’on entasse, la journée, dans un coin de la pièce.
La grange contient du fourrage et tous les outils de mon père. L’étable abrite une vache et une gélinière [6] avec trois poules et un coq.
Ma famille
Mon père, Claude GAUTHEROT, manouvrier, petit propriétaire, est issu d’une vieille famille éringeoise. C’est une famille de laboureurs et de métayers. Il arrivait parfois, lors d’une veillée, qu’il évoque un de ses aïeux François GAUTHEROT. Ce dernier, au 17e siècle, petit propriétaire et métayer à ‘demie-charrue’ [7] du sieur JOLY, secrétaire du roi au parlement de Dijon, a marqué la mémoire familiale.
Ma mère, Marguerite DOIGNON, est issue d’une vielle famille bellenodienne [8]
8 de vignerons propriétaires. Son père Hubert DOIGNON est à la tête d’un patrimoine non négligeable. Sa mère, Anne DE LA MOTHE, est aussi issue d’une famille de vignerons. Elle est décédée alors que ma mère n’avait que 12 ans.
Mon enfance à Eringes
Lorsque je suis né, mes parents étaient mariés depuis un an, je suis leur premier enfant. Le curé REMILLON me baptise le lendemain de ma naissance. Mon parrain est André LECOMPTE, fils d’Antoine LECOMPTE, laboureur, maréchal-ferrant et deuxième plus gros propriétaire du village.
Ma marraine est Marie MARIGLIER, la fille du chirurgien.
Ma mère m’allaite me protégeant ainsi des maladies infectieuses. Je suis porté à bras, installé et chauffé dans la couche des parents. Un bonnet me protège la tête, sur le corps des langes, un maillot et des bandelettes serrées, censées le maintenir et l’embellir… C’est ce qu’on appelle l’emmaillotement. L’allaitement n’empêche pas ma mère de s’occuper des travaux domestiques.
Mon père loue parfois ses services comme journalier à un autre propriétaire pour augmenter ses revenus, ma mère l’aide alors à entretenir la vigne et les deux chènevières qui appartiennent à ma grand-mère.
En 1764 ma grand-mère paternelle, Marguerite BOUQUIN, décède. Mon père hérite donc de la maison de ses parents, celle que nous habitons actuellement, de la vigne et des deux chènevières.
1766 est une année terrible pour notre famille. L’hiver très rigoureux provoque, par la rareté des denrées, une forte disette. Mon père a du mal à nourrir sa famille et particulièrement sa femme qui est enceinte. A Eringes la mortalité est multipliée par six, la moitié des décès concerne des nourrissons ou des enfants en très bas âge et le tiers sont des jeunes femmes ayant accouché dans l’année. C’est le cas de ma mère qui rend l’âme le 6 décembre, deux mois après la naissance d’un petit Philibert.
Le décès de ma mère laisse mon père complètement désemparé. Le voilà seul avec un bébé de deux ans et un nourrisson. Malgré l’aide d’une nourrice du village, ce dernier n’a pas survécu plus de 12 jours, décédant le 18 décembre 1766.
En ce qui me concerne, c’est une voisine Antoinette SIROT qui s’occupe de moi. Célibataire, âgée de 36 ans, elle est également issue d’une famille de vignerons-propriétaires. Mon père la connaît bien, ils ont grandi ensemble dans le village, tous les deux ont été bercés dans le travail de la vigne. Aussi, le 23 février 1767 ils se marient, trois mois après le décès de ma mère.
Peu de temps avant mon grand-père maternel, Hubert DOIGNON, est décédé le 2 janvier 1767 à Bellenot. Mon père reçoit donc la part d’héritage de ma mère qui n’est pas négligeable.
Elle se compose de la moitié d’un corps de ferme, située rue Haute à Belllenot, avec sa cour, ses dépendances et son jardin ; de trois pièces de vignes d’une superficie totale d’un quart de journal et 18 cordes [9] ; de six pièces de terres d’ une surface totale de 2 journaux 5 cordes [10] et de deux vergers de huit cordes [11]. Toutes les terres se situent dans le finage de Bellenot. La seule contrepartie est la jouissance du demi-corps de ferme par la seconde femme de mon grand-père jusqu’à son décès.
Après le mariage, Antoinette s’installe chez nous et continue à bien s’occuper de moi. A l’apparition de la dentition et la possibilité de marcher, elle assure mon passage au ‘robage’. Elle m’enlève bandelettes et bonnet pour me passer une robe en toile. Je passe du stade quasiment végétatif à une vie indépendante physiquement. Je fais l’apprentissage de la marche et je communique avec mon entourage. Sous la surveillance attentive d’Antoinette, je me traîne à quatre pattes ou je gambade en titubant à travers l’unique pièce de la maison. Parfois il m’arrive de me faufiler dans l’écurie pour aller taquiner les poules qui apeurées, s’éparpillent en caquetant à mon arrivée.
Le 25 septembre 1768, Antoinette met au monde un petit Pierre. Malheureusement, l’accouchement est difficile, la pauvre femme ne s’en remet pas et décède 9 jours plus tard. Mon père se retrouve dans une situation semblable à celle d’il y a 3 ans, seul avec un garçonnet de 4 ans et un nourrisson. Pour ce dernier il fait encore appel à une nourrice, la veuve HALLEE.
Cette situation ne durera que 4 mois, car le 24 janvier 1769 il se marie avec une jeune femme demeurant à Fontaines-en-Duesmois, petit village situé à environ 3 lieues au nord-est d’ Eringes dans le bailliage du Châtillonnais. L’heureuse élue se nomme Edmée CHOUBLAN. Elle est âgée de 32 ans. Son père, Claude CHOUBLAN est décédé. De son vivant, il était laboureur. Sa mère, Clémence BROCOT est toujours vivante.
Après le mariage, Edmée vient s’installer chez nous. Elle transforme notre logis, car elle amène tout un mobilier qu’elle a eu en dot. Les vieux coffres à vêtements sont remplacés par deux armoires en chêne fermant à deux battants. Elle y range une demi douzaine de draps en toile d’étoupe, neuf nappes, une demi douzaine de serviettes, ainsi que ses habits, ses lingeries et écharpes et bien sûr, les affaires de mon père et les miennes. Les paillasses sont remplacées par un lit garni de droguet croisé teint en jaune. Moi je garde mon petit lit-paillasse et mon frère Pierre son berceau rudimentaire.
J’ai maintenant 4 ans. C’est l’âge où je peux commencer à me rendre utile en faisant des petits travaux comme le balayage du logis, donner à manger aux poules et chercher les oeufs, désherber la cour etc. C’est aussi le temps où je joue avec des jouets rudimentaires faits par mon père.
Edmée veille bien sur mon frère et moi. C’est un peu ma troisième maman. En tout cas je la considère comme telle. J’ai beaucoup d’affection pour elle et elle me le rend bien. C’est une femme courageuse qui ne rechigne pas au travail. Elle fait tous les travaux domestiques, mais en plus elle aide énormément mon père pour les travaux des champs.
Le 14 décembre 1769 Clémence BROCCOT, la mère d’Edmée, décède à Fontaines-en-Duesmois.
Après la disparition de sa mère, Angélique CHOUBLANC sa dernière fille qui vivait avec elle, vient s’installer chez nous. Mon père a maintenant une nouvelle aide.
En 1770, nous devons affronter un hiver très rigoureux. Le froid intense qui sévit tout l’hiver d’une façon régulière provoque une forte disette. Edmée a du mal à nous nourrir décemment. Les revenus de mon père diminuent. Le pain devient rare à la maison. Edmée est obligée de rationner la farine car sa réserve est peu importante mais aussi pour diminuer au maximum la dîme du four ‘banal’. Cette disette nous fragilise tous. Au village la mortalité est multipliée par quatre. Dans notre famille c’est Angélique, la soeur d’Edmée, qui en souffre le plus, étant déjà d’une nature chétive.
En 1771 André SIROT, père d’Antoinette, la deuxième femme de mon père décède. Ce dernier reçoit l’héritage d’Antoinette, un journal de terre situé au ‘mantelot’, dans le finage d’Eringes. C’est aussi l’année où Angélique qui n’a pu se remettre de l’hiver précédent succombe.
C’est à cette époque, aussi, que je quitte la robe pour des habits d’adulte. Ils sont composés d’une chemise de toile de chanvre, des hauts et bas de chausses, d’un pantalon en gros drap qui tombe jusqu’aux genoux, d’une sorte de manteau-houppelande pour le mauvais temps, de sabots et parfois d’un chapeau ou d’un bonnet pour le soleil. Le tout est le plus souvent de couleur sombre.
Ainsi équipé, je vais aider mon père en effectuant de petits travaux, entretenir et garder notre vache, glaner, etc. Je fais aussi d’autres tâches, comme aller chercher du bois mort en été, et préparer les coupes de bois l’hiver. Les bois de la Fortelle situés à quelques lieues d’Eringes, dans la forêt de l’abbaye de Fontenay, ont été cédés par cette dernière, au 16e siècle, aux habitants du village. Nous pouvons donc nous chauffer sans problème, ce qui est très appréciable car dans la plupart des fiefs le seigneur interdit le ramassage du bois.
J’ ai aussi des occupations plus distrayantes et moins contraignantes. Avec les gamins du village, je vais aux champignons, essentiellement des girolles et des ceps, dans les bois environnants. Je cueille aussi des fruits rouges, des asperges sauvages, de la mâche en automne dans les vignes, etc.
L’année 1772 est capitale pour notre famille, car c’est l’année où nous déménageons à Bellenotsous-Origny, le village de ma mère. Marie MICHON, la seconde femme de mon grand-père maternel, est en effet décédée en 1767. Le demi-corps de ferme qu’elle avait en jouissance étant maintenant libéré, nous pouvons y emménager.
Mon nouveau village
Bellenot-sous-Origny se situe à environ 6 à 7 lieues [12] au nord-est d’Eringes, dans le bailliage de Châtillon-sur-Seine. A 300 mètres d’altitude c’est un petit village, à flanc de coteau, qui domine la vallée de la Seine. Ses maisons couvertes de laves et pas toujours bien construites, bordent des rues tortueuses et en pente. Elles convergent vers une place où coule une fontaine abondante formant le ruisseau de la ’Noue’ qui se jette dans la Seine. Le sieur Charles DAMAS de CRUX, colonel du régiment d’Auxerre, en est le seigneur.
Le finage de cette paroisse a une superficie d’environ 7500 journaux [13]. Il est traversé par les sinuosités de la Seine sur à peu près 5 km. Le blé et le froment y poussent bien. Les prés qui bordent la Seine donnent une herbe de qualité favorisant l’élevage des bovins. Les ovins sont eux aussi bien représentés. Les vignes couronnent la colline située à l’est de la Seine. Cette exposition méridienne favorise la production d’un vin d’assez bonne qualité. Les cépages utilisés sont le pinot, le troyen et le gamay. Les bois se situent surtout sur la colline qui borde l’ouest de la vallée. On y trouve toutes les essences de la contrée, mais le chêne y est dominant.
Quand nous nous installons dans cette paroisse, elle compte 64 foyers fiscaux. La communauté active est ainsi répartie, 53% des ’taillables’ sont des travailleurs de la terre, 34% des artisans et 4% travaillent pour la communauté. Ces derniers sont le juge, le recteur d’école, le ’garde bois’ et les pâtres.
Parmi les laboureurs, on en compte 4 qui sont propriétaires, dont deux qui se détachent du lot avec de grandes superficies, Pierre HELIE et Germain GUIGNAIRE et 5 sont demi-charrue avec des exploitations plus modestes. Les 15 autres possèdent de petits lopins ou travaillent pour autrui.
Nous aménageons donc notre nouvelle maison, un demi-corps de ferme situé en haut du village. Notre logis est en fait une grande pièce à vivre avec un âtre et son four, le tout encastré dans le mur. On y installe la plupart du mobilier de la maison d’Eringes. Un panier pour le bois et tous les ustensiles de cuisine sont disposés autour de l’âtre. Edmée a ramené ses deux armoires à battants et le lit garni de droguet. Mon père a rapatrié la table avec ses six chaises et les deux lits paillasses qu’il tient de ses parents.
Au dessus de ce logis il y a une pièce servant de grenier dans laquelle on trouve deux vieux coffres, des vieilles ferrailles et de vieux outils.
Sous le logement, une belle et grande cave avec un cuvier en pierre sert de fouloir. On y trouve aussi le reste du matériel de vigneron de mon grand-père. Il s’agit d’une vrillette, d’une pompe en fer blanc et de quelques morceaux de bois servant de chantier [14] ainsi que des tonneaux vides.
En continuité de notre logis, un second logement exactement identique au nôtre, appartient au sieur MAITREHENRY d’Essarois, petit village situé à environ 3 à 4 lieues au nord-est de Bellenot.
A l’extérieur, sur la rue, il y a une assez grande cour bordée par des dépendances, une écurie, une grange et d’autres annexes qui appartiennent également au sieur MAITREHENRY. Derrière la maison il y a un jardin, un verger, les aisances et un tas de bois près de la grange.
Notre famille n’arrive pas en terrain inconnu. Edmée rejoint sa soeur, Pierrette CHOUBLAN, mariée à un vigneron de Bellenot, Germain VIOT. Mon père retrouve sa cousine germaine, Claudine GOUGET, la fille de sa tante Charlotte GAUTHEROT, mariée à Thibault GUILLER, ’pastre’ du village.
En déménageant à Bellenot, mon père vend la maison d’Eringes et met sa vigne et sa chènevière en amodiation. Le petit revenu obtenu permet de nous installer dans ce nouveau village.
Mon enfance à Bellenot
J’ai 8 ans à mon arrivée à Bellenot, je m’ouvre donc à la ’ vraye foy’. C’est le curé BERTHEAU qui me prodigue, avec les autres enfants de la paroisse, l’enseignement religieux. Ce dernier favorise une pratique religieuse plus intériorisée en insistant sur la prière personnelle. Il n’est plus question, comme autrefois, d’insister sur la peur de l’enfer et de la mort. L’enseignement se fait à l’intérieur de la vieille église du XIIe et XVIe siècle, au vocable de Saint Pierre et Saint Paul.
Le curé se sert des vieilles statues en pierre ou en bois de la Vierge, de Sainte Catherine, de Saint Pierre et Saint Paul, de Saint Éloi, etc. pour nous apprendre l’histoire sainte. La majorité d’entre nous, ne sait pas lire. Il nous enseigne aussi le ‘plain chant’.
La confession devient obligatoire au moins une fois par an, le jour de Pâques. Après ma communion, je devrais aller à la messe et aux vêpres tous les dimanches, me confesser et communier plus souvent.
Contrairement à certains enfants qui vont au catéchisme avec moi, je ne suis pas les cours de la petite école ; peut-être par manque de moyens de mes parents, le recteur de l’école monsieur MIAN étant payé par les parents de ses élèves ; peut-être aussi que mon père n’en voit pas l’utilité.
L’été 1773 est caniculaire à Bellenot. De fait, les récoltes sont mauvaises et les réserves pour l’hiver sont presque inexistantes. Le prix du blé, donc de la farine, augmente énormément. Edmée est obligée l’hiver suivant de nous rationner en pain, elle a du mal à nous faire manger à notre faim.
Heureusement nous avons un four et nous ne payons plus la taxe du four ‘banal’. Mon père peste contre le père HUGUENIN, le meunier du moulin de Vaux, qui nous approvisionne. Il l’accuse de s’enrichir sur le dos des moins aisés. Il n’est pas le seul au village à avoir cette opinion, il faut dire que les meuniers, en général, n’ont pas bonne réputation.
L’hiver 1773-1774 [15]. rigoureux et la disette assez accentuée fragilisent tout le monde. La paroisse est alors touchée par une terrible maladie. Notre famille est contaminée. Nous souffrons d’une fièvre intense, d’une grande lassitude, de douleurs dans tous les membres, de nausées et vomissements et de diarrhée. Pierre MARIGLIER, le père de ma marraine, toujours chirurgien à Eringes, nous dit qu’il s’agit de la fièvre putride pourprée [16]. Pour cela il nous conseille d’aérer la pièce le plus souvent possible et de faire une cure de tisane de camomille à raison de trois infusions par jour pendant 10 jours. Au bout de quelques jours, notre état, celui d’Edmée, celui de mon père et le mien, s’améliore. Seul celui de Pierre empire de jour en jour. Il succombe au bout d’une semaine étant le plus fragile de nous quatre, il n’a pas résisté. La mortalité dans la paroisse est multipliée par 3. Parmi les autres décédés, Nicole RENAUT, une fillette du hameau de ‘la maison’ qui allait au catéchisme avec moi et avec laquelle je m’entendais bien.
Edmée est très affectée par la perte de mon frère. Bien qu’elle ne soit pas sa mère, elle y était très attachée, comme à moi d’ailleurs. Mon père ne semble pas chagriné, ou du moins il le cache bien.
Pour lui cette disparition fait partie des aléas de la vie. D’avoir perdu ses deux premières épouses si vite l’a énormément endurci et il ne voit plus les choses de la même façon.
Au sortir de cet hiver 1774, notre communauté exsangue, demande, par l’intermédiaire de Maître DE BEAUMONE, à l’intendant de Bourgogne Monsieur AMELOT DE CHAILLOU, de vendre une partie de son ’quart de réserve’ (biens communs). Elle prétexte l’urgence de réparations de l’église, du presbytère et d’autres édifices publics. Les habitants étant déjà écrasés par les charges, ils ne peuvent financer ces travaux par l’emprunt ou l’impôt. L’intendant répond favorablement un mois après la demande. Le produit de la vente permet ainsi de financer les différents chantiers mais surtout de rétribuer les corvéables chargés des dits travaux, dont mon père, pour les aider à mieux supporter la misère.
A Bellenot, comme dans toute la région, s’installe un certain esprit de résistance provoqué par l’augmentation des charges et la dureté de la vie. En effet de 1773 à 1774, la taille de notre foyer augmente de 2 livres. Mon père, comme beaucoup d’habitants, pour montrer son mécontentement, entre dans une certaine résistance que l’on pourrait qualifier de passive et de symbolique. Par exemple, il se rend en retard à l’assemblée de la communauté, il promet de payer mais tarde à le faire. Des petits gestes qui présagent un début d’insoumission.
A 12 ans, ma communion passée, les choses deviennent plus sérieuses pour moi. Je travaille maintenant à plein temps avec mon père qui en plus de ses vignes et de ses terres, tient la place de ‘pastre’ de gros bétail. Souvent en Bourgogne du nord, dans les communautés où le bétail est assez conséquent, les villageois en assemblée de communauté désignent un ou plusieurs pâtres. Ils gardent les troupeaux des habitants qui possèdent du bétail. Le choix du pâtre est important, c’est un homme de confiance qui ne doit pas laisser les bêtes s’égarer, se battre ou pénétrer dans des zones interdites par le seigneur. En principe c’est un homme qui possède peu de biens et quelques bêtes.
En 1775, à Bellenot il y a deux pâtres, Thibaut GUILLER, le cousin par alliance de mon père, et ce dernier. Ils gardent les troupeaux en alternance, de ce fait il y en a toujours un qui peut assumer cette tâche au cas où l’autre est indisponible. Ce sont les propriétaires des bêtes qui les rémunèrent.
Mon apprentissage consiste d’abord à l’initiation au travail de la vigne. Cette dernière pousse en tous sens, en ’foule’, conséquence des techniques de multiplication. En effet on marcotte les ceps pour combler les vides, ce qui rend impossible l’utilisation d’un cheval pour la travailler. Le sol est défoncé à l’aide d’une ‘maille’ [17], les ceps sont attachés à des ‘paisseaux’ [18]. Les deux cépages travaillés sont le gamay et le ‘chineau’. Nos pièces de vignes sont situées sur le haut du versant Est de la vallée la Seine, du côté du village, au lieu-dit ’La Seine’.
Mon père m’apprend des tâches qui restent à ma portée, comme marcotter, attacher les ceps aux ‘paisseaux’ et remplacer ces derniers s’il sont endommagés. Il se réserve pour l’instant, la taille de la vigne et le défonçage du sol. Ce travail est très pénible car le piochage doit atteindre 20 à 25 cm de profondeur sur une terre relativement caillouteuse. Bien sûr à l’automne je participe pleinement aux vendanges.
Je l’aide aussi pour les autres travaux sur les pièces de terre labourables situées sur la pente douce du bas du versant Est, au lieu-dit ’ la Bellevue’ . Ces terres de nature argilo-calcaire sont fertiles.
Mon père y cultive par alternance du froment, du seigle et de l’avoine. Dans ces champs je travaille surtout l’été pour les moissons. Je passe derrière les faucheurs à bras pour ramasser les épis et confectionner des gerbes à l’aide de ficelles de lin.
Parfois je garde avec lui le bétail dans les prairies qui bordent la Seine. Une herbe bien grasse y pousse contribuant à faire du bon lait.
En dehors de toutes ces occupations j’ai tout de même des moments de repos. D’abord le dimanche, jour du seigneur, nous mettons nos plus beaux habits pour aller à la messe. Nous n’avons pas beaucoup de chemin à faire car l’église se trouve au bout de notre rue, à la sortie du village. Mes parents s’installent à leur place numérotée et je rejoins les autres enfants près du choeur où nous chantons pendant tout l’office.
A la fin de l’office, je rentre à la maison avec Edmée. Elle réchauffe le plat du dimanche préparé à l’avance, souvent une potée bourguignonne, et je mets la table. Mon père se rend à l’estaminet du père GIGAN situé près de la fontaine. Il y boit sa ‘chopine’ de vin du pays en compagnie de son beau-frère, Germain VIOT, et de son cousin Thibaut GUILLER, tout en commentant avec eux les différents ragots de la région. A son retour à la maison nous nous mettons à table, parfois avec des invités.
Après le repas, nous allons aux vêpres. Au sortir de ces dernières, mon père retourne chez le père GIGAN pour jouer à la ‘coinche’. Edmée rejoint son logis, quant à moi je suis libre et je peux, avec les autres enfants de mon âge, aller gambader dans la campagne quand il fait beau. Parfois, avec mon cousin Blaise GUILLLER, après nous être assurés que le père CRUCHOT sergent garde de bois, joue à la ‘coinche’ chez le père GIGAN, nous allons furtivement au bord de la Seine. Avec mille précautions nous essayons de prendre des truites à la main afin d’améliorer l’ordinaire de la maison.
Les veillées à la maison autour de l’âtre du four sont un autre moment de relâche. Mon père et Edmée se racontent les ragots du village qu’ils ont entendu durant la journée. Souvent, ils parlent de leur famille respective, des gens qui ont marqué la mémoire familiale.
Comme autre distraction, il y a bien sûr la fête patronale de Saint Pierre et Saint Paul. Elle a lieu le 29 juin. L’après midi nous regardons les différents concours dans lesquels les jeunes gens et les plus vieux se mesurent, essentiellement le tir à l’arc et les différents jeux de force.
Mon adolescence et ma jeunesse
En 1778 j’ai 14 ans, maintenant mon père ne me considère plus comme son apprenti mais comme son ouvrier. Je fais les mêmes travaux que lui, même si au début j’ai eu beaucoup de mal à suivre son rythme. Mais avec le temps je m’améliore et finalement je l’égale.
Je défonce le sol des parcelles de vigne, la taille n’a plus de secrets pour moi. Aux vendanges j’assume toutes les tâches, je cueille, je porte les paniers de raisins dans le cuvier en pierre situé dans la cave. Quand ce dernier est plein, je foule le raisin avec mes pieds afin de faire éclater les baies pour obtenir le moût sans écraser les pépins.
Pour les plus grandes pièces de terre labourables mon père fait appel au père COQUET, laboureur à demi-charrue pour autrui. Nous piochons les petites parcelles à la houe. Dans ces terres argilocalcaires l’écroûtage est relativement aisé, moins pénible que le défonçage à la ‘maille’ dans les vignes.
Finie l’insouciance de l’enfance, je commence à réaliser la dure réalité du laboureur à bras. C’est un travail difficile pour un résultat pas toujours satisfaisant, les bonnes récoltes n’étant pas souvent au rendez-vous. Je comprend maintenant les baisses de moral et les petits gestes de révolte quasi chroniques de mon père depuis quelques années.
Depuis que nous sommes à Bellenot, notre ‘Taille’ n’a pas cessé d’augmenter. Elle est passée de 4 livres 26 sols en 1773, à 7 livres 12 sols en 1778. Le ‘Vingtième’ [19], instauré en 1776, a été divisé par deux. De 2 livres 18 sols, il est passé à 1 livre 9 sols cette année, ce qui signifie que les revenus de notre foyer ont diminué de moitié. C’est la conséquence en grande partie des fluctuations météorologiques et donc, à la succession de récoltes plus ou moins bonnes. Nous avons de la peine à vivre correctement.
1778 est aussi l’année où la communauté demande une nouvelle fois, à l’intendant de Bourgogne, l’autorisation de vendre une autre partie de son ’quart de réserve’. La réponse positive est tardive et n’arrive qu’en 1780. La communauté peut ainsi réparer le pont sur la Seine du hameau de Vaux et sa fontaine, mais surtout rembourser l’emprunt qu’elle avait souscrit pour la fonte de deux cloches.
L’été 1782 se caractérise par une sécheresse désastreuse suivie de pluies abondantes. Les récoltes sont mauvaises, les vendanges médiocres. La grande humidité et l’hygiène précaire provoquent l’infestation de notre paroisse par une épidémie de dysenterie bacillaire. Le taux de mortalité augmente dans les mêmes proportions qu’en 1774. 65% des décès concernent des enfants en bas âge, voire en très bas âge, et 30% d’adultes âgés de plus de 60 ans. Nous avons été malades, mais nous nous en sommes bien sortis ; heureusement la maladie n’a pas décimé notre famille.
Après cette épidémie, ma vie reprend son cours normal si l’on peut dire… Cette normalité se traduit par un travail dur et acharné, associé, tout de même, à quelques divertissements. J’ai maintenant 18 ans, mes distractions ne sont plus les mêmes que celles de mon adolescence. L’hiver ce sont les parties de coinche le dimanche après midi, avec mon cousin Blaise et d’autres jeunes du village, chez le père TIRAN qui est le nouveau cabaretier du village. Parfois, il engage un violoniste et la soirée se termine par des chants et des danses bourguignonnes avec quelques jeunes filles du village.
C’est avec un grand plaisir que je vais aux foires d’Aignay-le-Duc, gros bourg situé à environ 1 lieue et demie au sud-est de Bellenot. Il y en a 9 dans l’année. C’est un changement total de mes habitudes, un dépaysement de mon cadre de vie. Ces marchands ambulants qui viennent d’autres régions avec leurs étoffes, leurs fruits et légumes, leurs épices, etc. me font rêver. Surtout, il y a les saltimbanques avec leurs petits théâtres, les jongleurs, les acrobates et équilibristes. Les charlatans et arracheurs de dents sont également présents. Avec mon cousin Blaise, on aime bien cette ambiance.
La fête patronale fait partie des autres distractions. Maintenant je participe aux différents jeux, aussi bien de force et que d’adresse. Avec les jeunes du village je vais au bal pour danser les traditionnelles danses bourguignonnes, bourrées, branles…
Une autre fête que les jeunes attendent avec impatience est celle du 1er mai. On y célèbre le renouveau de la nature et la saison des amours. Les garçons du village vont déposer leur "mai" devant la porte des jeunes filles, souvent une branche de charme, symbole du charme féminin.
L’amoureux transis placera son "mai" la nuit sur le toit de sa bien-aimée. S’il vient le reconnaître le lendemain, les parents le considèrent alors comme un prétendant et l’invitent à manger le dimanche suivant, s’il leur convient évidemment. Ensuite, tous les jeunes se rassemblent pour un grand repas des plus joyeux qui se termine par des chants et des danses.
Il y a aussi le ’tue-chien ’, festivité qui marque la fin des moissons et des vendanges, caractérisée par un repas pantagruélique suivi des inévitables danses bourguignonnes. C’est une fête que j’affectionne particulièrement. Lors de cette fête traditionnelle, on célèbre le labeur pénible des moissons et des vendanges. Notre labeur à nous, laboureurs et vignerons, a toujours été qualifié par nos anciens de ‘tue-chien’. Avec mon père nous invitons tous ceux qui nous ont aidés à ces agapes bien arrosées. Elles se terminent bien sûr par des chants et des danses accompagnés par le violon de François BRUNELLE, notre journalier attitré.
La période prérévolutionnaire
1785 est une année catastrophique à Bellenot. L’hiver est particulièrement rigoureux. D’après la veuve MAURICE, âgée de 84 ans, on peut le comparer au ‘grand hiver’ de 1709. La pauvre femme mourra à la fin de l’année. Les périodes de grand froid (-20°C à -10°C) et de neige se succèdent jusqu’au début d’avril. Durant toute cette période nous sortons peu. Faire les coupes de bois dans le quart de réserve devient compliqué à cause de la neige abondante. Quand nous y allons nous trouvons des oiseaux et du gibier morts de froid. Même dans certaines étables des animaux domestiques périssent à cause de la froidure. Nous avons pu sauver notre vache grâce à notre réserve de foin abondante. Cette provision étant située au dessus de l’étable, elle a atténué la baisse de température et a permis de bien la nourrir et donc de mieux résister.
Le printemps tardif est suivi d’une très forte sécheresse en mai et juin. L’herbe des prés qui bordent la Seine ne pousse pas. La récolte de foin est donc désastreuse, en plus n’y a pas de regain. Le problème de la nourriture du bétail n’a jamais été aussi crucial. Dans le village, en général, il reste un peu de foin de l’année précédente mais les réserves s’épuisent vite. Mon père est maintenant le seul pâtre du bourg. Il voit son troupeau s’amenuiser de jour en jour. Beaucoup de gros propriétaires, comme les frères LECOUR et le père GUENEAU, se débarrassent de leur bétail à très bas prix avant qu’il ne périsse. D’autres l’abattent avant qu’il ne meurt de faim. Le prix de la viande n’a jamais été aussi bas.
Mon père, qui a gardé des liens avec les habitants d’Eringes, nous raconte que certains laboureurs de ce village, où les prés sont peu nombreux, cueillent le lierre et le gui pour le donner aux bêtes, mais en vain…
Par contre ces conditions climatiques favorisent des vendanges abondantes, le raisin est beau et on suppose que la cuvée sera bonne. Avec mon père nous n’avons jamais vu une si belle récolte.
Malheureusement, à la vente les prix resteront très médiocres.
Après cette année catastrophique, tout devient très dur pour nous les petits paysans. La perte du bétail provoque des séquelles durables sur notre vie de tous les jours par la pénurie de laitage, le manque d’engrais pour améliorer la culture et par l’absence d’attelage pour les laboureurs à charrue. Denis COQUET, notre laboureur attitré, n’a plus de bêtes de trait. Mon père et moi devons maintenant faire l’écroûtage de toutes nos pièces de labour à la houe.
La situation du bétail s’améliore peu à peu au fil des ans, le troupeau que mon père garde augmente petit à petit. La communauté engage donc un autre pâtre à petit bétail, il s’agit de la veuve DELAMAISON.
Malgré l’amélioration sensible de leur situation, les habitants se plaignent toujours de leurs mauvaises conditions de vie lors de l’assemblée de la communauté. Ils ressentent un fort sentiment de mécontentement, exaspération contre l’état, car leurs charges sont toujours aussi lourdes, mais aussi contre le seigneur de Bellenot, le sieur DAMAS de CRUX, qui continue à percevoir la Tierce.
Cet impôt est le droit que le seigneur impose sur la terre commune cultivée. C’est un impôt injuste, car la communauté s’estime propriétaire des communs. En ces temps très difficiles, cette charge est tout à fait disproportionnée par rapport aux revenus de ces terres. Chez mon père l’état de mécontentement est toujours persistant.
La période révolutionnaire
Vient l’hiver 1788-1789, après un été très sec. Il est aussi terrible que celui de 1785. En décembre 1788 la neige tombe en abondance. A partir de janvier le grand-froid s’installe avec des vents du nord, nord-est et nord-ouest qui rugissent constamment pendant près de six semaines et sont parfois très violents. Les gelées sont fortes et tardives. La Seine gèle à plusieurs reprises. Au printemps, elle inonde toutes les prairies qui la bordent. L’été suivant sera très chaud, dans les deux sens du terme…
Le 28 mars 1789 [20] Toussaint SERIAU, laboureur à Origny, me cède une pièce de terre à labour située au secteur de Bellevue, dans le finage de Bellenot. C’est ma première acquisition, j’en suis fier, mon père aussi, d’ailleurs...
C’est à la fin des moissons que nous apprenons la prise de la Bastille à Paris. Dans tout le village règne alors comme un mélange de soulagement et d’espoir. Mon père qui est habituellement d’un tempérament assez renfermé n’arrive pas à cacher sa satisfaction. Je suis porté par l’enthousiasme de la jeunesse. Nous avons tous la conviction que cet évènement nous sortira de la situation difficile dont nous aspirons à nous défaire.
Fin Juillet une affreuse et mystérieuse rumeur [21] se propage jusqu’à notre village : d’importantes bandes de brigands se seraient répandues dans la région pour y piller toutes les denrées et mettre les villages à feu et à sang. A Bellenot, nous sommes tous dans l’expectative. Un vent de panique semble souffler dans la région. A Châtillon, la ville mobiliserait sa garde nationale et ferait venir des renforts des villages alentours. Des secours seraient même demandés à la ville de Dijon. Nous, nous gardons notre sang-froid mais restons sur nos gardes. Deux jours après, nous apprenons que ce n’est qu’une gigantesque et monstrueuse mystification. Il semblerait que cette fausse rumeur soit partie de Paris, mais nous n’en saurons pas davantage.
Le régime féodal est aboli le 11 août 1789.
Le 12 septembre l’Assemblée Nationale décrète l’établissement des municipalités. Dès le lendemain les deux échevins de la communauté, les sieurs NAGEOTE et PLANSON, convoquent les hommes actifs en la maison du sieur LECOURT afin de procéder à la nomination des officiers municipaux.
Bien sûr mon père et moi nous répondons à cette convocation. Nous nous y rendons accompagnés de nos cousins, Blaise GUILLER et son père Thibaut. Dans la salle c’est l’effervescence. Après un moment de silence c’est le père ALEXANDRE curé de la paroisse, qui nous explique les décrets et les lettres patentes du roi. Nous participons ensuite à un premier scrutin pour désigner le président de séance et son secrétaire. Le père ALEXANDRE est élu président et le sieur DELAMAISON, secrétaire.
S’ensuivent alors différents scrutins afin de définir le maire et ses conseillers. Le sieur SULLEROT, le plus gros propriétaire de la paroisse est élu maire, à l’unanimité. Ce n’est pas étonnant, c’est un homme bien, respecté de tous. Les conseillers sont aussi des propriétaires importants, mais sont loin d’obtenir l’unanimité et l’atmosphère est parfois houleuse. Seul le procureur n’est pas un propriétaire terrien, il s’agit de Jean CRUCHOT, l’ ancien sergent-garde-de-bois.
La nouvelle municipalité prête serment à la constitution du royaume, à la loi et au Roi. A la sortie, les commentaires vont bon train, nous nous dirigeons tous vers le cabaret sur la place du village, près de la fontaine. Les différents groupes attablés devant leurs ‘chopines’, continuent leurs discussions, parfois agitées, sur la réunion.
Cette année là, les vendanges sont très productives. Avec mon père, dans l’enthousiasme du moment, nous interprétons cela comme un bon signe pour l’avenir. Nous avons l’impression de commencer une nouvelle vie.
La nouvelle municipalité s’acquitte consciencieusement de sa charge et s’occupe du bien-être général. Elle nomme des gardes champêtres pour surveiller les héritages et des commissaires pour rechercher les titres des propriétés communales et établir l’état des terrains usurpés. Nous commençons à ressentir les bienfaits de la révolution. Surtout, lorsque le maire put se soustraire, mais avec peine, aux prétentions de Dame Veuve PHILIPPON de LYON qui persistait à réclamer ses droits seigneuriaux sur une petite partie du finage, droits pourtant abolis.
En 1790, la municipalité met en place avec celle d’Origny (village voisin), une garde nationale forte de 60 hommes, dont quatre officiers et cinq sous-officiers. Les deux tiers des effectifs sont de Bellenot. Évidemment, avec mon cousin Blaise nous nous portons volontaires. On nous donne, en guise d’uniforme, un bonnet phrygien rouge avec sa cocarde bleu blanc rouge. L’armement est très hétéroclite. Je suis doté d’un vieux fusil à poudre noire, modèle ‘Charleville 1754’. Blaise a moins de chance, il n’a qu’ un vieux sabre d’abordage de la ‘Royale’. On prête serment, jurant de rester fidèle à la nation, à la loi et au roi et on s’engage à protéger, conformément aux lois, la sûreté des personnes et des biens.
Notre formation est des plus sommaires. Pour ceux qui ont un fusil, on leur montre comment le charger. Je ne tire qu’une seule fois sur un arbre. Par chance, je ne l’ai pas raté…
Cette même année 1790 j’accroche mon "Mai" à la maison du père NOIROT, le maçon- tailleur de pierres du village. C’est ma façon de lui demander la main de sa fille Marie-Françoise qui a un an de plus que moi. Nous nous sommes toujours connus, la maison de ses parents étant située aussi rue ‘haute’ mais à l’autre bout. Enfants nous jouions ensemble dans la rue avec les autre gamins de notre âge. Nous avons été au catéchisme puis fait notre communion en même temps. Au fil des ans nous nous sommes rapprochés. Lors des fêtes patronales ou lors des réunions, le dimanche soir au cabaret nous dansions souvent ensemble. Ma demande en mariage s’est faite tout naturellement.
C’est une jeune femme très gentille et avenante, agréable à regarder, ce qui ne gâche rien. Son sourire malicieux m’a toujours enchanté. Sa mère, Élisabeth ÉLIE est décédée il y a quelques années. Elle vit seule avec son père et ses deux frères, Nicolas et Edme. C’est elle qui tient la maison en assumant tous les travaux domestiques.
Mon mariage avec Marie-Françoise
Nos deux familles élaborent un contrat de mariage avec l’aide de Maître PINGAT, notaire à Baigneux-les-Juifs. La signature se fait le 7 février 1791 au domicile des NOIROT, rue Haute, avant midi. Ma famille est représentée par mon père, Edmée et mes cousins Pierre DOIGNON et Blaise GUILLER. Du côté de Marie-Françoise sont présents, son père, ses trois oncles du côté maternel, Nicolas HELIE, Louis SIROT, Edme MIAM et, du côté paternel, son oncle Nicolas NOIROT et ses deux frères Nicolas et Edme.
Par ce contrat, Noël NOIROT donne à sa fille, en bien propre, une somme de cinquante livres payable en deux ans. Cette somme correspond à l’héritage de sa mère et à une avance sur son propre héritage. Il lui donne en plus un trousseau d’une valeur de cent cinquante livres.
En ce qui me concerne je me marie pour mes droits maternels échus et paternels à échoir. Nous devons former, Marie-Françoise et moi, une seule et même communauté avec mon père et Edmée.
Le contrat le stipule en ces termes :« Ils ne feront qu’une seule et même habitation. Ils seront assurés et entretenus, eux et les enfants qui seront procréés du futur mariage. Ils ne pourront faire de profits particuliers ou contracter aucune dette qu’avec le consentement du dit GAUTHEROT père et Edmée CHOUBLAN, sa femme. Ces derniers seront membres de la dite communauté et, comme tels, respectés et honorés ».
Il est aussi précisé dans ce contrat que si mon père meurt avant Edmée, nous devons, Marie-Françoise et moi, verser à cette dernière une somme de 200 livres ainsi qu’une rente annuelle de huit livres durant son vivant. Bien sûr cette somme serait supprimée en cas de remariage.
Après la signature du contrat, notre petite assemblée rejoint le reste des invités qui attendait dans la cour et nous nous dirigeons en cortège vers l’église très proche. Dans cette même église mes parents s’y marièrent 28 ans plus tôt.
La bénédiction nuptiale est donnée par le curé ALEXANDRE qui a prêté serment à la république quinze jours auparavant, mais l’a renié deux mois plus tard...
Marie-Françoise, radieuse, est accompagnée devant l’autel par son père. J’arrive en dernier au bras d’Edmée toute émue. Nos témoins sont les mêmes que ceux du contrat de mariage.
Après la cérémonie le cortège, les mariés en tête, se dirige gaiement vers la maison des NOIROT où ont lieu les festivités. Dans la grange où des draps blancs sont tendus sur les murs, une immense table servira pour le banquet. Sur de grandes nappes blanches le service de table utilisé pour le mariage des parents NOIROT a été disposé.
Après un plantureux repas arrosé avec le vin provenant de nos vignes et accompagné de chansons à boire, nous ouvrons le bal au son du violon de François BRUNELLE, notre journalier attitré. Bien évidemment les traditionnelles danses bourguignonnes sont à l’honneur. Les festivités dureront trois jours.
Dés le lendemain de la noce Marie-Françoise s’installe chez nous. Elle aide Edmée pour tous les travaux domestiques. Cette dernière l’adopte tout de suite comme belle-fille car elle la connaît depuis notre arrivée à Bellenot et l’apprécie énormément. Nous vivons maintenant à quatre dans notre unique pièce à vivre.
Un mois jour pour jour après notre mariage, c’est mon cousin Blaise qui se marie. L’heureuse élue est la fille du pâtre d’Aisey-le-duc. Bien sûr je suis son témoin et là aussi la noce dure trois jours.
Avec mon père nous continuons de travailler dur, Marie-Françoise nous aidant lors des moissons et des vendanges. Ces dernières se font sous un temps pluvieux. Après un été caniculaire, la pluie n’arrête pas de tomber pendant tout l’automne. Comme en 1782, cette humidité persistante après une longue sécheresse fait le lit de la maladie.
Une épidémie de dysenterie s’abat sur le village. Le taux de mortalité augmente fortement. Il atteint celui de 1782. Comme cette année là, les 2/3 des décès concernent des enfants en très bas âge et 1/3 de personnes de plus de 60 ans. Mon père ne résiste pas à la maladie, comme son cousin Thibaut GUILLER, d’ailleurs.
C’est le curé MONGIN, successeur du curé ALEXANDRE dont les biens viennent d’être vendus comme biens nationaux, qui mène le convoi funéraire pour se rendre au cimetière qui entoure l’église. Nous sommes nombreux à l’accompagner. Toute notre famille, bien sûr, mais aussi celle de Marie-Françoise, des gens du village et même des gens d’Eringes qui l’ont connu.
La disparition de mon père m’attriste énormément. Malgré son tempérament ronchon, une réelle complicité nous unissait. Le fait de travailler énormément pour finalement ne pas pouvoir subvenir complètement à nos besoins le rendait malheureux. La révolution lui a donné un réel espoir de pouvoir améliorer notre condition. Malheureusement il n’a pas eu le temps de voir le changement.
Après son décès la situation économique progresse peu à peu grâce à la loi des Maximums qui fixe le prix maximum des denrées de première nécessité. Cette loi sera améliorée en fixant en plus un salaire minimum et maximum pour chaque tâche. Cela clarifie les choses et évite les abus dans les deux sens. Depuis 1789 les récoltes en tous genres sont abondantes et se négocient bien.
J’hérite des biens de mon père, ceux de Bellenot et ceux d’Eringes. Mais je dois donner la somme de 200 livres à Edmée et lui verser une somme annuelle de 8 livres. Je ne ferai ce versement que deux fois, car elle se remarie en octobre 1793 [22] avec Denis COQUET, notre laboureur à charrue... Nous sommes ravis pour elle car Denis COQUET est une bonne personne. Malgré tout son départ m’affecte car je l’aime bien et je l’ai toujours considéré comme une mère. Heureusement, elle et son mari habitent à peine à une demi-lieue de chez nous, au hameau de ‘La Maison’.
Notre patrimoine
Après le départ d’Edmée, nous nous retrouvons seuls dans la maison. En avril 1793, Marie-Françoise et moi achetons l’autre moitié du corps de ferme au couple MAITREHENRY, demeurant à Essaroy, village situé à environ 5 lieues de Bellenot.
C’est Jeanne MICHELOT, l’épouse, qui possède cette deuxième moitié. La transaction se fait pour la somme de 350 Livres. Une partie de cette somme provient de la vente des pièces de terre situées à Eringes.
L’acte est signé chez maître FROCHOT, notaire à Aignay le Duc, en présence Jean GELOT et Pierre TIRAM, témoins requis.
Je continue de m’occuper de mes terres, Marie-Françoise doit m’aider plus largement de manière à ne plus faire appel à un journalier qui nous coûterait 20 sous la journée. C’est elle qui s’occupe de l’entretien de nos vignes à l’exception du défonçage, bien sûr. Elle participe aussi aux moissons et aux vendanges, toujours pour la même raison.
C’est une femme courageuse car elle travaille dur et avec allant, même pendant sa grossesse.
Elle met au monde, le 20 janvier 1794, un petit garçon que l’on nomme Edme. Avec Laurent SULLEROT, l’ancien maire, et Claude BAUDOT, le recteur d’école, nous déclarons l’enfant à la maison communale.
Edmée ayant emmené avec elle une partie de ses meubles, notamment l’une de ses deux armoires et son lit à droguet, nous réaménageons petit à petit notre logement au goût du jour. Dans la pièce à vivre, en face de l’armoire à linge existante, nous installons un buffet à deux corps qui remplace le vieux coffre à vaisselle. Le corps du haut est un dressoir sur lequel nous disposons les six assiettes en faïence qui faisaient partie de la dot de Marie-Françoise. Sur le bas du buffet, devant le dressoir, nous mettons une lampe en étain et une bassinoire en cuivre. Le corps du bas sert à ranger la vaisselle et divers ustensiles.
Au fond de la pièce, nous remplaçons le lit à droguet d’Edmée par un lit complet
[23] à colonnes, tendu de trois grands rideaux de serge gris. Nous changeons les vielles paillasses par une couchette avec sa paillasse, et un autre lit complet, d’une place, avec ses bois. Trois paires de rideaux de serge rouge, entourent ce dernier lit.
A côté de l’armoire, nous installons une horloge en bois munie de ses poids et cordes. Tous ces aménagements se font petit à petit grâce à l’augmentation régulière de nos revenus.
Le 3 juillet 1796 [24], c’est la naissance d’un autre petit garçon Nicolas. Avec deux enfants en bas âge et tous les travaux domestiques, Marie-Françoise m’aide de moins en moins aux champs, mais je peux maintenant faire appel à un journalier pour les temps forts.
Le 3 mai 1799, nous achetons à Claude VIOT et sa femme, demeurant à Bellenot, un verger clos de murs et de haies, mesurant 1/3 de journal, situé au lieu dit ’Les Rochottes’. Nous acquérons aussi par le même acte, un journal de terre, situé également au finage de Bellenod, au lieu dit ’La Ronce’, à proximité du hameau de ’La Maison’. Cette pièce de terre est divisée en quatre parts, deux d’entre elles sont implantées en sainfoin, une troisième en vigne et la quatrième en terre de labour. Le tout est acquis pour 281 francs. Nous réglons la somme de 250 francs en espèces ’sonnantes métalliques’, le jour même chez maître SEROIN, notaire à Aignay-le- Duc. Nous réglons le reliquat de 31 francs le 30 décembre suivant, à la veuve VIOT, son mari étant décédé entre temps.
Deux ans plus tard, le 28 juin 1801, nous achetons, par l’intermédiaire de maître SEROIN, à Marguerite COQUET, de Mauvilly, village voisin de Bellenot, un demi journal de terre, au finage du dit Bellenot, pour 120 francs.
Nous voilà maintenant à la tête d’environ un hectare et demi de terres. Elles se répartissent en un tiers de vignes qui depuis quelques années ont un bon rendement, un tiers de terres labourables sur lesquelles je cultive en alternance, blé, orge, avoine ou froment et pour finir, un tiers de chènevières qui produisent le chènevis pour l’huile de chanvre. La culture et l’entretien de ces terres demandent beaucoup de travail. J’engage un garçon de ferme à l’année en la personne de François BEAUDIN.
Marie-Françoise a beaucoup d’occupations, en plus d’élever nos deux garçons encore en bas âge, elle doit assumer toutes les tâches domestiques, s’occuper de nos cinq poules, du cochon, des sept bêtes à laine, brebis et moutons, traire notre vache à poil rouge et enfin entretenir notre grand potager planté depuis quelques temps, en grande majorité de pommes de terre. L’apparition de ce nouveau légume nous permet, maintenant, de manger à notre faim et de ne plus connaître les ‘disettes’. Je ne dois pas oublier, non plus, son aide pendant les moissons et les vendanges.
Mais tout ce travail paie, nous pouvons faire des économies. Aussi, le 28 octobre 1804 [25], nous achetons à Jean NAGEOTE, toujours par l’intermédiaire de Maître SEROIN, une pièce de terre de 68 ares 57 centiares. Pièce partagée en chènevière et en pré. La transaction se fait pour 330 francs.
Nous sommes contents car les affaires marchent bien et nous pouvons encore agrandir notre patrimoine. »
Le récit d’André GAUTHEROT se termine brutalement en 1804. Que s’est-il passé, alors qu’il semble être dans une période faste où tout semble lui réussir ?
En fait, il décède Le 17 septembre 1805. Cette disparition est suivie, deux jours plus tard, par celle de Marie-Françoise. Ces deux décès, coup sur coup, nous interpellent. Notre couple était dans la force de l’âge. Ils avaient, respectivement, 41 et 42 ans.
Sur leur inventaire après décès, il y est mentionné les honoraires, pour frais de maladie et remèdes, présentés par les sieurs VIOT, ROUHIER et BOSSU, tous trois officiers de santé. Il est logique de penser qu’ils auraient succombé à une maladie mais laquelle ?
Nous avons constaté, en parcourant les actes d’état civil de Bellenot des années 1804 et 1805, une augmentation de la mortalité de 40%. Il semble bien que cette augmentation soit due à une pandémie. Mais rien ne nous permet d’identifier cette dernière.
Après le décès de son mari, Marie-Françoise se sentant partir, confia, pour ses deux jeunes garçons, à Blaise GRAPIN, ami de la famille, six louis d’or de 24 livres, dont un de Louis XV, six écus d’argent de 6 livres et neuf pièces de 5 francs, en argent. Le tout, correspondant à environ 245 Francs. Ce pécule pour l’époque ne parait pas négligeable, il semble que ce soit les dernières économies du couple.
Après le décès de leurs parents, Edme et Nicolas, âgés de 11 et 9 ans, sont recueillis par leur oncle maternel, Edme NOIROT, tisserand à Bellenot. Les deux enfants vont vivre, jusqu’à leur majorité, avec leur oncle, leur tante Marie-Anne et leurs deux cousins, Jean et Marie.
Tous les biens mobiliers de leurs parents, meubles, ustensiles, vêtements, outils, matériel agricole, animaux, la récolte à faire, etc. sont vendus aux enchères. Le tout rapportera environ mille francs, aux deux mineurs.
Les biens immobiliers qui appartiennent maintenant aux deux enfants par moitié, sont mis en location, par adjudication, par le tuteur légal de ces derniers, leur oncle Edme NOIROT. Ces biens consistent en la maison de Bellenot avec ses dépendances et une dizaine de parcelles de terre labourable et trois parcelles de vigne, ayant une superficie comprise entre 1,5 et 2 ha.
Les clauses du bail sont formelles. L’amodiation (location) commence au lendemain de l’adjudication et doit se terminer à la majorité des deux mineurs GAUTHEROT. Les bâtiments et les terres doivent être entretenus en l’état.
C’est Blaise GRAPIN, l’ami de la famille à qui Marie-Françoise a confié ses économies pour ses enfants, qui emporte l’adjudication pour la somme de quatre-vingt dix francs, sans les charges.
Les enfants GAUTHEROT recevrons donc, par l’intermédiaire de leur tuteur, une rente de quatre vingt dix francs par an, jusqu’à leur majorité.
Le récit d’André est intéressant car il nous donne une bonne idée des conditions de vie très dures d’un laboureur, petit propriétaire, de la fin du 18e siècle, sous l’ancien régime.
Conditions de vie dures qui sont liées à plusieurs facteurs :
* Les disettes à répétition (quasiment tous les 3 ans, à part une accalmie de 8 ans entre 1774 et 1782) provoquées par des récoltes désastreuses dues à des conditions météorologiques calamiteuses.
* Les maladies qui trouvent, en la malnutrition et le manque d’hygiène, un terrain propice pour se développer. Maladies mal soignées car la médecine de l’époque n’a que des remèdes de bonne femme à proposer. Maladies qui , par la même, deviennent létales.
* Une mortalité importante qui touche les tout jeunes enfants et les femmes en post-partum. Mortalité qui est due, là aussi, à la malnutrition et au manque d’hygiène. Prenons pour exemple Claude, le père, qui a perdu ses deux premières femmes et deux de ses jeunes enfants.
* Autre facteur important, c’est la lourdeur des impôts qui s’ajoute aux autres points que nous venons d’énumérer. En 1789 la Taille reste élevée, et n’oublions pas les différentes taxes (dîme, gabelle, etc.) qui s’ajoutent à cette dernière.
Ce récit nous montre aussi, à partir de 1789, l’émergence d’un nouveau monde caractérisé par plusieurs points, entre autres :
* L’abolition du système féodal. Ce système paralysait ou entravait tout esprit d’entreprise chez les petites gens. Quand une communauté voulait des améliorations pour le bien de ses habitants, il fallait qu’elle en réfère au seigneur ou au système. Au bon gré de ces derniers. Prenons-en pour preuve les demandes de la communauté, à l’intendant de Bourgogne, pour pouvoir vendre une partie de son ‘Quart de réserve’.
* La création de communes dirigées par des municipalités élues par un grand nombre d’habitants. Municipalités entièrement responsables devant leurs électeurs.
* La promulgation de la loi du « Maximum » qui régularise la vie économique et sociale en fixant des prix maximums sur les denrées et en encadrant les salaires.
* L’apparition d’une bourgeoisie que nous pourrions dénommer ‘terrienne’. Nous avons vu que presque tous les propriétaires terriens de Bellenod se sont fait élire à la municipalité. Ils prennent ainsi les rênes de la gestion de la commune. Il y a eu aussi un autre facteur, n’ayant rien à voir avec la révolution, qui a amélioré la vie de la population, c’est la prolifération de la culture de la pomme de terre. Phénomène qui a éradiqué les disettes à répétition.
C’est grâce à tout cela, entre autres, que de nombreux laboureurs-petits-propriétaires, comme André, purent améliorer leurs conditions de vie en pouvant manger à leur faim, se meubler convenablement et développer leur patrimoine.
Mais les progrès de la médecine restent balbutiants. Les maladies ne sont pas encore contrôlées.
André et Marguerite en paient le prix lourd en pleine force de l’âge.
Sources :
Documents d’archives (AD de côte d’or) :
- Registres paroissiaux de Bellenod ( 1773-1792). 5 MI 1R9.
- État civil de Bellenod (1793-1805). 5MI 1R10.
- Matrice des rôles de contribution foncière de Bellenod (1791-an 3). E dépôt 65/19.
- État des portes et fenêtres. An VIII. (Bellenod). E dépôt 65/21.
- Déclarations des propriétaires (Bellenod).E dépôt 65/24.
- États de section 1791 (Bellenod). E dépôt 65/23.
- Table des acquéreurs et nouveaux possesseurs 1792-An 10.(Aignay le duc).
3 Q2/4 :
- Table des vendeurs 1792-An 10 (Aignay le duc).3 Q2/20.
- Vente MAITRHENRY-GAUTHEROT . 21 avril 1793. Maître FROCHOT. 4 E 92/153.
- Vente VIOT-GAUTHEROT 14 floréal An 7. Maître SEROIN.4 E 92/161.
- Vente COQUET-GAUTHEROT 9 messidor An 9. Maître SEROIN.4 E 92/165.
- Vente NAGEOTE-GAUTHEROT 5 brumaire An 13. Maître SEROIN.4 E 92/171.
- Contrat de mariage GAUTHEROT-NOIROT. Maître PINGAT. 4 E 94/140.
- Inventaire après décès GAUTHEROT-NOIROT. Maître SEROIN. 4 E 92/172.
- Plan cadastral napoléonien de Bellenod .3 Plan 65/2.
Documents bibliographiques :
- Bellenod sur Seine. François Alfred DAMBRUN. 1888.
- Les 2000 dates qui ont fait la France. J L CHARMET. 1988.
Iconographie :
- Bailliage de Châtillon-sur-Seyne. Robert de VAUGONDY. 1752.
- Eringes. Jean-Dominique CASSINI. 1756.
- Eringes. Photographie personnelle.
- Bailliage de Châtillon-sur-Seyne. Robert de VAUGONDY. 1752.
- Bellenod/ Seine. Photographie personnelle.
- Bellenot. Jean-Dominique CASSINI. 1756.
- Église de Bellenod/ Seine. Photographie personnelle.
- Tailles de Bellenod 1773, 1778. Archives départementales de Côte d’or. C6905.
Remerciement : Un grand merci à Odile JUBLOT pour son aide dans la rédaction de ce récit.