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« Nous sommes tombés sur un bec, mais pourquoi diantre était-il de taille XXL ? »

Illustrations : Claire Baumgarth

Le vendredi 21 novembre 2025, par Alain Bourdier, Michel Baumgarth

Cette question turlupine les deux compères chenus et fêlés de vieux outils et d’objets insolites que nous sommes depuis le récent chinage par Alain d’un drôle de bec aussi saugrenu que déconcertant.
Faute d’avoir le moindre embryon de réponse, nous sortons le joker « entraide de la Gazette » pour tenter de mettre un terme à notre désarroi : saurez-vous nous dire quel usage a pu motiver la démesure de ce bec ?

« Tomber sur un bec… »

Attardons-nous d’abord sur cette expression populaire : le bec dont il s’agit ici était le bec de gaz et plus précisément le bec de gaz de l’éclairage urbain.

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Note sur l’éclairage escompté [1].

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Elle tire donc son origine des premiers pas de l’éclairage urbain à la toute fin du 18e siècle.
Moins d’un siècle plus tard, l’arrivée de l’éclairage électrique changea la donne et supprima l’esprit du gag : avec lui, la source lumineuse pouvait désormais être placée horizontalement ; il n’y avait plus d’obstacle entre elle et le sol et donc plus de cône plongé dans l’obscurité ; cerise sur le gâteau, la mise en service se faisait désormais à distance…

L’allumeur de réverbère et son échelle disparurent du paysage urbain…
Les embrassades intempestives de lampadaire par les noctambules distraits étant devenues trop rares pour entretenir la pertinence de l’expression populaire, elle tomba donc en désuétude.

Où on fait enfin connaissance avec le bec déniché par Alain :

Cette digression sémantique terminée, revenons à nos moutons ou plutôt à notre énigmatique bec de gaz.

Lui, il n’appartient pas à la famille des becs d’éclairage, mais à celle des becs de chauffage comme le mythique bec Bunsen qui a égayé nos laborieuses heures de travaux pratiques de chimie au lycée ; il en est même le descendant direct le plus élaboré et porte le nom de bec Meker.

Pour faire la connaissance du bec Meker, nous partirons de son aïeul Bunsen déjà bien connu de tous.

Le bec Bunsen : deux petits trous pour un immense progrès !

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Pour y parvenir, il a suffi de percer deux trous de 6 mm, diamétralement opposés, à la base de la cheminée !

Mais comment la seule présence de ces deux petits orifices a-t-elle pu produire un si brillant résultat ?
Attardons-nous sur cette très étonnante initiative car elle est contre-intuitive :

• Si on pose ex abrupto la question de l’effet de ces ouvertures à tout esprit un tant soit peu logique, la réponse qui lui vient d’emblée en tête est l’évidence d’une fuite latérale du gaz par les trous puisque la pression à l’intérieur du conduit est supérieure à la pression atmosphérique…

• Et pourtant le résultat est inversé : non seulement le gaz ne sort pas, mais c’est l’air qui rentre ! L’explication de ce surprenant phénomène est simple : le gaz est en mouvement très rapide et circule tangentiellement à la surface des orifices ; de ce fait, il entraine dans son mouvement l’air adjacent qui, lui, était immobile.

• Ces deux trous d’allure si insignifiante sont donc devenus de facto une pompe aspirante d’une efficacité remarquable : grâce à eux, il n’y a pas besoin de comprimer l’air et pas besoin de l’injecter dans le gaz.

Cette innovation géniale date de 1855 et elle révolutionna l’histoire de la chimie et de la microbiologie (mais aussi de bien d’autres disciplines).

Très étonnamment, elle ne doit rien au génie de Robert Bunsen [2] puisque celui-ci n’en était pas l’auteur : le véritable inventeur était son assistant de laboratoire Peter Desaga [3].

Aucun brevet ne fut déposé et la postérité retint à tort le nom de Bunsen qui n’a jamais revendiqué la paternité.

Le bec Meker

Comme le bec Bunsen répondait à la quasi-totalité des besoins des chimistes, il s’imposa rapidement dans tous les laboratoires et ne connut pas d’autre amélioration pendant 45 ans.

Mais, vers 1900, une intuition géniale de Georges Meker [4] lui permis de concevoir une variante beaucoup plus performante : il compartimenta la colonne de mélange air/gaz en une quarantaine d’étroits canaux en introduisant une longue grille métallique [5] en haut de la cheminée ; celle-ci assurait de facto un préchauffage du mélange gazeux et transformait la large flamme unique du bec Bunsen en de nombreuses tuyères améliorant considérablement la dynamique de la combustion.

La température au cœur de la flamme atteignit 1800° !!!

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Bien que les performances du bec Meker aient été très supérieures à celles du bec Bunsen, celui-ci ne fut pas détrôné et est resté l’inséparable compagnon du chimiste moderne ; cette étonnante pérennité s’explique aisément : sous son aspect spartiate, il répondait déjà à l’essentiel des besoins quotidiens des laboratoires ; le bec Meker fit quand même une belle carrière, mais seulement en complément de son aîné [6].

Le bec Bunsen n’ayant pas été protégé par un brevet, il fut abondamment copié, mais sans que les imitateurs se croient obligés d’en modifier l’aspect, la structure et les dimensions : tous les exemplaires ont donc un air de famille très marqué et ont une taille uniforme de 11 cm.

Quant au bec Meker, il fut protégé des contrefaçons par un brevet déposé en 1903 et, de ce fait, il resta immuable à quelques détails de design prés ; haut de 13 cm, il est à peine plus grand et plus joufflu que son père. 

Maintenant, il est grand temps d’en venir à la stupéfiante acquisition d’Alain :

Un extravagant bec Meker de taille XXL !!!

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Comme nous avons un passé professionnel de chimistes suffisamment conséquent, nous osons revendiquer, tous les deux, une vraie expertise ès bec Meker.

De plus, -nostalgie oblige- comme nous avons conservé quelques exemplaires de bec Meker dans nos collections respectives de vieux outils et appareils, nous avons pu comparer à satiété le géant incongru à nos nains.

Nous avons donc longuement examiné de pied en cap le singulier mastodonte ; nous l’avons scruté à la loupe, sur toutes ses surfaces et toutes ses courbes, nous avons passé au crible ses moindres recoins et aspérités ; nous pouvons donc l’affirmer péremptoirement : le maousse-costaud est copie-conforme,
- mais presque à l’échelle 4 - du rachitique !

De visu, il a tout du bec Meker : ses formes, ses éléments constitutifs, ses proportions, sa fière allure, son design même, tout jusqu’au moindre détail.

Pourtant ce constat indubitable nous laisse un arrière-goût de perplexité : quid de ses performances thermiques ? En d’autres termes, peut-il fonctionner comme un vrai bec Meker ?

Dura lex, sed lex [7] !

Nous vivons dans un monde à trois dimensions dont les règles fondamentales sont inéluctables : le simple fait de quadrupler la taille d’un objet rend inévitablement ses surfaces multipliées par 4x4 = 16 et tout aussi inexorablement ses volumes par 4x4x4 = 64

Il s’ensuit que, si les apparences externes de l’ensemble de l’objet et de celles de ses parties constitutives sont restées rigoureusement identiques, les contingences liées aux longueurs, aux surfaces et aux volumes ne sont pas affectées par le même coefficient multiplicateur : l’aspect est certes le même, mais le fonctionnement est, pour le moins, grandement perturbé.

Pour vous aider à prendre conscience des problèmes induits par la crise de croissance intempestive de notre énigmatique bec, nous allons revenir sur l’invention du bec Bunsen :

Notre titre de paragraphe « le bec Bunsen : deux petits trous pour un immense progrès » était bien trop laconique pour mettre en évidence la complexité de sa mise au point par Peter Desaga : à l’évidence, il ne suffisait pas de percer deux trous quelconques pour parvenir à ce brillantissime résultat...

En effet, l’objectif à atteindre était l’obtention - en sortie de bec - d’un mélange air/gaz permettant une combustion complète : la stœchiométrie [8] fut obtenue en jouant sur la surface des deux trous d’admission, tandis que l’homogénéisation dépendait de la longueur du tube.

Supposons qu’un esprit foutraque ait eu l’idée (saugrenue) de réaliser un bec Bunsen géant à l’échelle 4 à l’instar du bec Meker qui nous turlupine ; voyons quelles conséquences fâcheuses auraient inexorablement découlé de cette maltraitance :

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Une fausse-bonne idée…

À l’évidence, accroître les dimensions dans l’objectif d’augmenter les performances était vraiment une fausse bonne idée puisqu’elle conduisait inexorablement à une régression majeure de la performance thermique : en termes d’évolution, nous osons affirmer que cette mutation menait forcément à une impasse phylogénétique dans la lignée des becs de chauffage.

Pourtant, cette idée inepte quelqu’un l’a eue et a mené à terme son fantasme puisque ce bec hérétique est parvenu sous nos yeux et en nos mains.

Une fausse-bonne idée ?

Pour rester objectifs, il nous faut néanmoins envisager une autre occurrence : cette idée n’est inepte que si le dessein du concepteur était la recherche du progrès technique ; alors on peut se poser la question de l’éventualité d’une autre motivation de sa part.

Mais laquelle ? À quel usage spécifique l’auteur de cet improbable bec pouvait-il le destiner ?
Notre imagination est limitée, mais voici un inventaire à la Prévert de quelques suggestions :

• Un gadget publicitaire pour faire la promotion du vrai bec Meker ?
• Un cuiseur pour paëlla géante ?
• Un bec spécialisé dans le gonflage des montgolfières ?
• Le totem liturgique d’une secte d’adorateurs du feu ?
• Une « œuvre » d’un plasticien Art Nouveau en panne d’imagination ?
• Un prototype malheureux du concours de design de la flamme olympique ?
• Une moderne lampe d’Aladin avec génie inclus pour exaucer les vœux ?

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Addendum à propos des allumeurs de réverbères :

Au cours de nos divagations, nous avons ébauché l’histoire de l’éclairage public et, tout comme le Petit Prince de Saint-Exupéry, nous y avons rencontré l’allumeur de réverbère.

Le sien n’avait en charge qu’un seul lampadaire, mais sa planète tournait trop vite et il était épuisé par les trop rapides alternances jour /nuit qui ne lui laissaient pas le temps de se reposer.

Le nôtre devait prendre soin d’une pléthore de becs ; mais ses nuits étaient très longues et harassantes puisqu’il devait passer toutes les heures pour raccourcir les mèches des chandelles afin d’éviter qu’elles ne s’éteignent…

Ce travail n’était donc ni une sinécure, ni un vulgaire gagne-pain, mais bien un authentique métier considéré et respecté.

Sa lumineuse carrière ne dura que quelques décennies : l’arrivée du gaz le ravala au rang de simple tâcheron et celle de l’électricité le fit remplacer par un simple interrupteur.

Pourtant, en dépit de la brièveté de l’existence du métier d’allumeur de réverbère, son auréole est restée bien vivace dans notre inconscient collectif…

L’effectif global des allumeurs de réverbère fut donc très limité : de fait, il est donc beaucoup moins banal d’en afficher un parmi ses ancêtres que de prétendre sortir de la cuisse de Charlemagne …

Quant à nous, nous n’en avons même jamais rencontré dans la multitude d’arbres que nous avons consultés au cours de nos propres recherches.

Et vous, amis lecteurs de notre Gazette, avez-vous la chance de descendre de l’un d’entre eux ?


[1Ce problème était rédhibitoire pour l’éclairage urbain au gaz car l’allumage ne pouvant se faire que tout en haut sur le brûleur, il imposait à l’allumeur de grimper sur une échelle, laquelle ne pouvait s’appuyer que sur le mat du réverbère qui devait donc rester central, donc non éclairé.

[2Robert Bunsen - 1811-1899 : brillantissime chimiste allemand.

[3Peter Desaga - 1812-1879 : ingénieur allemand et fabriquant d’instruments scientifiques-collaborateur de Robert Bunsen.

[4Georges Meker - 1875-1976 : professeur à l’École supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris.

[5Cette grille a modifié de manière drastique les conditions d’exercice de la dynamique des fluides en son sein comme le prouve l’énorme gain de température de flamme obtenu (passage de 800° à 1800°C !). Mais nous sommes, l’un comme l’autre, trop réfractaires aux subtilités de la dynamique des fluides pour nous risquer à développer ce sujet.

[6Son usage se limita donc aux tâches non réalisables par le bec Bunsen, ce qui explique l’énorme disproportion entre les quantités respectives des deux becs qui ont été fabriqués (et qui continuent de l’être). Cela explique aussi qu’il ne soit connu que par les chimistes chevronnés.

[7Dura lex sed lex : la loi est dure, mais c’est la loi

[8Stœchiométrie : proportions exactes de gaz et d’oxygène pour que la combustion soit complète.

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