- Marius Deidier
Marius Deidier est né le 12 août 1897 à La Ciotat (Bouches du Rhône), fils unique, son père était serrurier aux Chantiers navals de La Ciotat.
Quand il est mobilisé, Marius Deidier vient de terminer l’Ecole Normale
d’Instituteurs d’Aix en Provence. Il est incorporé comme sergent au 14e Bataillon de Chasseurs Alpins (B.C.A)
- Voir l’historique de ce régiment sur le site Le Chtimiste
Sur ses derniers jours de guerre, Marius Deidier nous a laissé un « Récit de Guerre » transmis par sa fille Lucienne Cherrier. Evoquons en quelques lignes le contexte historique :
Le 28 octobre 1918, Ludendorf déclarait à l’Empereur d’Allemagne : « Il n’y a plus rien à espérer, l’Allemagne est perdue »
Depuis le 10 octobre, le mouvement convergeant des Alliés vers l’Est et vers le Nord acculait irrésistiblement l’Armée Allemande vers la Meuse. Le 17 octobre, les Anglais entraient à Lille, le 18 à Roubaix et Tourcoing.
Les Franco-Américains s’emparaient de tous les défilés de l’Argonne ; le 8 novembre les plénipotentiaires allemands se présentaient à Rethondes, au maréchal Foch et s’enquéraient des propositions relatives à un armistice.
La 47e Division d’Infanterie, dont fait partie le régiment de Marius Deidier, est alors composée des 11e, 12e, 14e, 30e, 51e, 52e, 54e, 70e, 115e Bataillons de Chasseurs Alpins et du 4e B.C.P. Nous pouvons les suivre pendant le dernier mois de guerre grâce au site « Parcours de Guerre des Régiments français » : - 27 Septembre au 10 Octobre 1918 : transport par voie ferrée dans la région de Nesle.
|
« Récit de Guerre » de Marius Deidier
« Le 20 octobre 1918 : Après le désastre de Caporetto, en Italie du Nord , la 47e division de Chasseurs Alpins dont nous faisions partie (14e et 54e B.C.A) était allée soutenir les Italiens en déroute et contenir l’avance des Autrichiens. Ce fut un long séjour fort intéressant.
Entre temps, j’avais eu une permission et, à mon retour, j’avais profité du calme qui régnait autour du Lac de Garde où le 54e B.C.A était en réserve ; Cela ne pouvait durer. On nous avertit que nous allions retourner sur le Front français. Consternation, on était si bien en Italie !
Au jour fixé, de nombreux camions bâchés étaient prêts à embarquer une grande partie du contingent de la 47e division... Dans notre secteur, on agissait avec ordre et discipline.
En un temps relativement court, tout le monde fût casé, et les sacs empilés au fond des camions. On pouvait encore s’asseoir, s’étendre et somnoler.
Nous roulâmes un jour et une nuit. Nous avions mangé les vivres qui nous avaient été distribuées au départ : fromage, sardines à l’huile, grosses boules de pain et quelques bidons de vin. Aux arrêts, nous étions descendus et avions refait le plein des bidons. A la lueur des bougies, certains jouaient aux cartes. Las de bailler, on s’endormait, tassés les uns contre les autres, bercés par le roulement des camions.
La lumière du jour nous réveilla. Une cuisine roulante nous attendait pour nous distribuer des boites de « singe » (viande de boeufs en conserve provenant d’Argentine), un bon rata et un peu de vin.
Il s’agissait maintenant de nous mettre en marche pour atteindre la faible crête où se trouvait le village abandonné de Chezy en Orxois dans l’Aisne bordé au sud par une petite forêt, situé à 1500 mètres des premières lignes allemandes.
C’était encore la nuit, nous avancions, le dos bossu, à la lueur parfois d’une fusée allemande.
Nous marchions en silence, les pouces passés sous les courroies, le pas traînant. De pause en pause, le sac paraissant plus lourd, certains jetaient leurs vivres de réserve pour l’alléger. Nous allions, en butant dans le sac de celui qui nous précédait, et à demi endormis, nous attendions que ça reparte.
Enfin, nous voilà arrivés. Beaucoup ne débouclèrent pas leur sac. Ils se couchèrent sur le dos au coin d’un mur, le « barda » sous la tête pour servir d’oreiller. le séjour dans ces maisons délabrées nous parut long et monotone.
Le 28 octobre, ce fut le grand jour, l’attaque commença.
- une des cartes préparées par Marius Deidier
Nous avions quitté le village en réserve du 14e B.C.A. Nous marchions en très petits groupes dans la plaine déjà semée de trous d’obus, presque sans arbres, où les cultures avaient été abandonnées. En fin d’après-midi, nous arrêtâmes notre progression et nous nous installâmes dans les plus gros trous d’obus, à deux ou trois pour avoir moins froid et ainsi passer la nuit.
La première ligne ennemie était enfoncée.
Le lendemain, un grand fracas de tôles nous mis sur pieds. Nous vîmes, sur notre gauche, une longue ligne de petits tanks, drôles de chars de combat que je ne connaissais pas. Ils allaient attaquer la deuxième ligne ennemie. Le bruit s’éloigna mais pas le pilonnage de nos lignes où l’ennemi cherchait à nous maintenir.
Le 30 (octobre), nous avions repris notre avance sous un tir de barrage. Les obus tombaient par ci par là. A un moment, une gerbe de pierraille soulevée par un obus, sembla nous tomber du ciel. Les hommes étaient sales, couverts de poussière.
Les Allemands étaient de nouveau en retraite ; Les tanks avaient dû crever leur ligne et briser leur résistance.
En fin d’après-midi, nous avions atteint les premiers boyaux abandonnés par les Allemands. En suivant ces sinueuses tranchées, nous étions arrivés au centre du dispositif : c’était une large tranchée, assez profonde où par endroits avaient été creusés des « gourbis » pourvus d’un certain confort. Nous nous trouvions à quelques kilomètres de de la route nationale de Marles en Guise.
On se reposa, on se compta, on respira ! le jour s’éteignait, c’était le soir, le ciel était couvert. Dans ces régions, en octobre, la nuit vient tôt.
Le Lieutenant décida d’envoyer une patrouille pour tâter le terrain devant nous. Elle ne revint pas. Il était 20 heures, le Lieutenant me demanda alors de partir avec 3 hommes pour essayer de savoir ce qu’étaient devenus nos camarades.
Nous n’allâmes pas loin car un coup de feu tiré par un retardataire m’avait touché. Mes camarades me ramassèrent délicatement car j’étais tombé comme une masse et me ramenèrent courageusement dans la tranchée où l’on m’installa [1]
Je bus du café abondamment, puis un petit flacon de « Ricklès » que je portais dans une cartouchière ; Je ne m’étais pas évanoui, mais j’étais impatient de voir arriver les brancardiers. Ceux-ci, alertés, vinrent me prendre et me voilà parti vers l’arrière.
Quelques obus tombaient encore çà et là. Les brancardiers pressaient le pas et me balançaient au risque de me renverser. On arriva enfin au centre des voitures d’ambulance ; Avec trois autres blessés, on nous plaça dans des brancards suspendus (4 par voiture). On nous conduisit dans une grande tente où des chirurgiens militaires donnaient les premiers soins. Je fus gratifié d’un gros pansement, après avoir, sous anesthésie, subit une première opération.
Mon séjour dans ce « centre d’ambulances » fut bref. J’étais, parait-il paré pour prendre le train, et me voilà embarqué dans un wagon aménagé pour le transport des blessés.
Aux arrêts, des dames de la Croix-Rouge nous distribuaient des boissons et des friandises. Enfin, au terme du voyage, je fus transporté à l’Abbaye de Solesme dans la Sarthe transformée en hôpital. Il y était resté un vieux moine qui disait la messe le dimanche et une vieille soeur acariâtre et sectaire qui s’occupait des malades.
Sitôt arrivé, je passai sur la table d’opération ; On « tripatouilla » ma plaie et on me ligatura l’artère fémorale. Je me trouvais finalement dans un bon lit.
Dans une grande salle qui était, avant la guerre, le réfectoire des moines, étaient regroupés une vingtaine de sous-officiers, blessés de la guerre. Le chirurgien vient tâter mon pied pour voir s’il ne se refroidissait pas. J’avais perdu beaucoup de sang et j’étais très faible.
Le 11 novembre, l’armistice : dans le dortoir, on sablait le champagne mais il m’était défendu d’y goûter.
Quand le chirurgien fut assuré qu’une circulation secondaire s’était établie dans ma jambe, on me donna un long congé et je pus rentrer chez moi. Enfin, c’était fini !
Marius Deidier, Sergent au 14 ème Bataillon de Chasseurs Alpins »
Citations :
- 28 et 29 octobre : « A fait preuve, pendant l’attaque, de vaillance et d’entrain ».
- 30 octobre au soir : « A été grièvement blessé en fin de journée alors qu’il poussait une
reconnaissance hardie en avant des lignes ».
Marius Deidier a fait après la guerre une carrière dans l’enseignement. Il se marie en 1922 avec Marthe Darboux, également institutrice. Il a participé à de nombreuses oeuvres sociales et culturelles. Toute sa vie, il a souffert des séquelles de sa blessure.
Le 12 août 1958, il reçoit la Croix du Mérite Social. En 1980, il est décoré de la Légion d’Honneur à titre militaire. Il est décédé le 8 mars 1989 à La Ciotat.