Désaignes, 11 novembre 1919 : la sonnerie aux morts retentit. Une minute de silence s’écoule. Le souvenir des soldats tombés au combat au cours des quatre années de guerre rassemble une foule compacte dans ce village de la haute Ardèche, à quelques kilomètres de Lamastre. Un an déjà depuis l’Armistice : la fin des angoisses pour ceux du front, les retrouvailles avec ceux restés au pays, le début d’une longue absence pour les familles des hommes tués au combat.
Tous les Guironnet sont là : Victorine, veuve depuis le 16 janvier 1913, et ses six enfants : Henri, vingt ans depuis mars, Marie dix huit ans, Paul seize ans, Fernand quatorze ans, Marius Gaston dix ans et quelques mois, et le petit dernier, Léon six ans. Marie Berthe est morte l’an dernier à huit ans.
- Louis Guironnet en civil
Aujourd’hui, la commune de Désaignes honore un des leurs : Louis Joseph Guironnet, leur demi-frère. Ils ont tous été élevés avec lui. C’est leur aîné à tous, né le 30 avril 1895 à Lamastre, du premier mariage de leur père Romain Victor et de Madeleine Julie Rey. Mariés le 20 décembre 1889, Romain Victor a perdu son épouse le 1er février 1898, à peine âgée de trente ans, laissant deux jeunes enfants. Romain Victor se remarie rapidement. Le 6 mai 1898, il épouse Victorine Cottet, née le 4 décembre 1871 à Désaignes.
Louis Joseph Guironnet porte le n°1734 du recrutement pour le canton de Lamastre : "Cheveux châtains, yeux châtains, front vertical, nez rectiligne, visage large, taille de 1M65." Le jeune soldat appelé de la classe 1915 a été ajourné en 1914 pour maladie. Il part au combat début septembre 1915. Ce n’est plus alors, comme en août 1914, pour quelques jours, voire quelques semaines. Louis est alors soldat du 22e Bataillon de Chasseurs alpins (22e B.C.A). Il participe à la campagne d’Allemagne à partir du 10 septembre 1915. Il est évacué le 13 novembre 1915 pour des gelures aux pieds. Il sera sur le front d’Allemagne jusqu’à fin mai 1916.
Lorsque l’on parle alors de frontière allemande, il faut comprendre que depuis 1870 l’Alsace et la Lorraine sont en territoire étranger. Les chasseurs alpins se battent dans les Vosges : le 22e B.C.A tient la ligne de crête vers Wissembach et participe à la bataille de Metzral et du Linge.
L’attente a commencé au hameau de La Roche, chez les Cottet... Les nouvelles des batailles, gagnées ou perdues, ne font qu’ajouter à l’inquiétude. Parfois quelques lettres apportent un peu d’espoir.
Depuis le 22 mai 1916,le chasseur Louis Guironnet sert dans la 8e Compagnie du 62e B.C.A, régiment de réserve du 22e sous le matricule 6514. Il est évacué pour maladie le 13 novembre 1916 et retrouve le 62e B.C.A le 9 mars 1917. Louis est signalé à Albertville le 9 février 1918.
- Louis Guironnet en militaire
Le 62e B.C.A revient du front italien : L’Italie, qui n’était en guerre jusqu’ici qu’avec l’Autriche Hongrie, déclare la guerre à l’Allemagne le 27 août 1916. Les Italiens ont subi une terrible défaite à Caporetto (aujourd’hui Kobarid sur la frontière yougoslave) et refluent dans la vallée de la Piave, rivière coulant à l’est de Trévise et se jetant dans l’Adriatique non loin de Venise. Talonnés par les Autrichiens,deux divisions alpines sont envoyées à leur secours... Huit des douze bataillons d’active, avec leurs bataillons de réserve (dont le 22e B.C.A et le 62e B.C.A) participent à cette expédition (Bataille du Monte Tomba le 30 décembre 1917)... Les Diables Bleus quittent le front italien au printemps 1918.
Le 10 mars 1918 le commandement suprême des armées italiennes autorise le Chasseur Louis Guironnet "à porter la distinction crée par le décret royal de mai 1916 ", distinction destinée à honorer le courage des combattants "de la zone de guerre".
- attestation pour le port de la médaille italienne
- Ce papier était plié dans le portefeuille de Louis Joseph Guironnet. On voit bien l’impact fait par la balle mortelle qui l’a traversé fin octobre 1918.
Le 62e B.C.A est dirigé vers le nord à la suite d’une attaque allemande dans la région d’Ypres. A nouveau évacué pour maladie fin mai 1918, le 17 juillet 1918 Louis Guironnet revient de dix jours de convalescence au pays : les enfants présents ce jour anniversaire de l’Armistice se souviennent encore de la prestance du jeune homme dans son uniforme. Il va mieux, mais le récit qu’il fait de la vie au front ne lasse pas d’inquiéter sa famille : Victorine a même le sentiment de le voir pour la dernière fois....
Les régiments sont décimés. On reforme de nouvelles compagnies avec des soldats auxquels on accorde "généreusement " quelques jours "à l’arrière".
Louis Guironnet, en subsistance au 7e B.C.A durant une semaine en juillet, passe à la 10e Compagnie puis à la 7e début septembre 1918.
Déjà trois ans de guerre ! Le 17 octobre 1918, le chef de bataillon Dugaleix du 62e B.C.A cite Louis Guironnet à l’ordre du bataillon : "Pendant les combats du 1er au 6 octobre 1918, a fait preuve du plus grand courage et du plus parfait dévouement. Chasseur d’un grand mérite et qui a toujours donné satisfaction à ses chefs par sa bravoure et son esprit du devoir".
Cette citation comporte l’attribution de la Croix de Guerre 1914-1918 avec étoile de bronze.
Le 30 octobre 1918, Louis est blessé, à Etreux dans l’Aisne : "plaie pénétrante par balle, région hypocondre gauche (partie latérale supérieure de l’abdomen)" note le Major.
Evacué, il meurt pour la France le jour même.
D’abord inhumé dans la tombe n°32 du cimetière communal de Mennevret, vers Saint Quentin ; sa dépouille est transférée dans la même nécropole dans la tombe n°11. Il repose là bas, avec ses compagnons d’armes loin de son village ardéchois.
Inscrit sur le monument aux morts, à l’entrée de Désaignes, Louis Guironnet reçoit à titre posthume la Médaille militaire le 9 septembre 1920 : " Excellent Chasseur qui, en toutes circonstances, a donné le plus bel exemple à ses camarades. A fait preuve dans l’exercice de son service de guetteur, d’un absolu mépris du danger, continuant sa surveillance en dépit d’un violent tir de mitrailleuses. Blessé mortellement à son poste de combat, n’a pas proféré une seule plainte. A été cité "
- Extrait provisoire de la Médaille militaire
- Pieusement conservé au fil des générations, il est indiqué au bas : "Cet extrait sera remplacé par un brevet qui, aux termes du décret du 16 mars 1852, doit être ultérieurement délivré par les soins de la Grande Chancellerie de la Légion d’Honneur"
Le ministre de la guerre, André Lefevre, signe l’arrêté. Celui ci est publié au Journal Officiel le 26 janvier 1921.
Le 14 décembre 1927,Victorine Cottet écrit " à Messieurs les Juges composant le tribunal de première instance à Privas "pour les prier" de vouloir bien rendre un jugement lui accordant le bénéfice de l’allocation aux ascendants, pour avoir élevé depuis l’âge de huit ans jusqu’à sa majorité le nommé Guironnet Louis Joseph... Mort pour la France..." Le 1er décembre 1928, il lui est accordé une pension de huit cent francs, avec jouissance au 12 décembre 1927, en tant que "marâtre du soldat Guironnet Louis Joseph tué à l’ennemi ".
Voir aussi le texte sur la dévotion au Sacré-Coeur