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Mes amis les Moron au Liban

Le vendredi 19 juin 2020, par Michel Carcenac

Voici déjà plusieurs articles [1] [2] que je consacre à mes amis le Commandant Léon Moron et son épouse Geneviève Moron. Les récits qu’ils m’ont faits de leurs vies et de leurs voyages remplissaient d’exotisme et d’aventures « le Souleillal », leur chartreuse dans une colline au-dessus de la vallée de la Dordogne.

Dans ces récits apparaissaient des personnages fascinants. La position importante occupée par le Commandant, la passion de Geneviève pour les arts et l’archéologie, les mettaient à même de rencontrer les gens de valeur des pays qu’ils habitaient.

En 1928, les Moron étaient installés au Liban.

Voici Les affectations au Liban et à Damas du Commandant Moron :

• 16.06.1932/13.07.1934 : Chef d’État-major de la Division Navale au Liban,
Directeur administratif des Œuvres Françaises au Liban, Délégation de la France à Beyrouth.
• Mai 1938 : Président de la Commission des Transports maritimes et des Ports au Levant. Délégué adjoint au général à Damas.
• Jusqu’au 31.08.1941 : Conseiller aux Affaires Maritimes au Liban.
• Du 31.08.1941 au 31.12.1946 Directeur du Séquestre Général des États du Levant à la Délégation Générale de la France au Liban.

Pendant que son mari était en mer, Geneviève découvrait les richesses archéologiques du Moyen Orient. Les officiers du Renseignement gardaient un œil sur elle, qui se risquait dans des endroits désertiques et dangereux. Geneviève Moron se moquait des avertissements, se déplaçait en voiture, avec seulement le chauffeur.

A Beyrouth, les Moron, dans leur agréable maison entourée de fleurs au flanc d’une colline, recevaient beaucoup, les revenus de Geneviève le permettaient.
Geneviève y rencontra André Gide. Après les discussions littéraires et philosophiques de la journée, les soirées étaient consacrées aux parties d’échec entre Geneviève et Gide.

Hermine de Saussure et Henri Seyrig

Geneviève avait retrouvé à Beyrouth le couple Seyrig, de grands amis. Henri Seyrig occupait le poste de Directeur Général des Antiquités de Syrie et du Liban. Il créa et dirigea jusqu’en 1967 l’Institut français d’Archéologie du Proche Orient. Ses grands chantiers furent les fouilles de Baalbek, de Palmyre, et du Krak des Chevaliers. A Palmyre il fit dégager le temple de Bêl, un des plus beaux temples du Moyen Orient, celui que l’Organisation islamiste a pulvérisé.

Geneviève, qui avait suivi les cours de l’École du Louvre, complétaient ses connaissances auprès d’Henri. Celui-ci était aussi un numismate de réputation internationale, il avait une importante collection de monnaies hellénistiques et romaines. A sa mort il légua une partie de sa collection au musée de Beyrouth et l’autre partie au cabinet des médailles à Paris [3]

Hermine de Saussure, (Miette Seyrig) habitait Neuchâtel. Avec son amie Ella Maillart, elle pratiquait le ski l’hiver et la voile l’été. En 1926 Miette entreprit, avec une étudiante en Lettres comme elle, une croisière en Mer Égée, histoire de retrouver la Grèce antique. Elle découvrit le meltem, le vent du Nord qui souffle tout l’été dans les Cyclades. Son livre, "La Croisière de Perlette" eut un grand succès.

Les Seyrig ont toujours eu des relations suivies avec les Moron. Leur fille Delphine, l’actrice de théâtre et de cinéma, s’y est rendue plusieurs fois, Geneviève l’aimait bien.

La SDN, Société Des Nations, avait confié à la France le Mandat de la Syrie et du Liban. Ces territoires avaient été annexés par l’Empire Ottoman, allié des Allemands. Après la guerre de 14-18 et la défaite de la Turquie, la France avait reçu pour mission d’aider ces pays à se doter d’une administration, d’un gouvernement et d’institutions démocratiques, puis de les amener à l’indépendance. (Au nom de la France Libre, le Général Catroux la leur accorda en 1941.)

Les Anglais, ayant reniflé des odeurs de pétrole en Irak, s’étaient débrouillés pour en obtenir le Mandat. Ils regrettaient de ne pas avoir reçu le Nord de la Syrie. Les officiers de l’Intelligence Service s’amusaient follement à fomenter des révoltes un peu partout, à distribuer des armes aux tribus, à mettre le désordre chez leurs alliés, les Français.

Marga d’Andurain

C’est à Palmyre que Geneviève Moron rencontre Marga d’Andurain, une belle et séduisante femme de quarante ans, mariée à quinze ans avec Pierre d’Andurain de Mauléon, représentant d’une vieille noblesse basco-béarnaise. Marga, Marguerite Clérisse, était née à Bayonne, troisième enfant de Maxime, un magistrat. Sa mère était présidente des femmes royalistes.

A l’âge de huit ans, Marga a le diable au corps, à tel point que l’évêque de Bayonne vient l’exorciser, à son domicile. Pour la mater, on l’enferme chez les Ursulines, puis dans deux autres établissements religieux. Chaque fois elle s’évade à sa manière, en se faisant renvoyer. Au Sacré Cœur de Bordeaux au motif "d’avoir fomenté la révolte dans le dortoir". Passons sur quelques années de France pour voir Marga arriver au Caire, avec le mari et les deux fils, et monter un institut de beauté. Gros succès mais elle se lasse et se retrouve seule à Damas en 1929. Elle y fait la connaissance d’un Anglais, le major Jeffrey Sinclair, le plus connu des agents de l’Intelligence Service. Une liaison au grand dam des Français et des agents du 2e bureau. C’est le grand amour, Jeffrey lui fait visiter Damas, ses ruelles et ses richesses, puis l’oasis de Palmyre. Marga est éblouie. Elle annonce à Jeffrey qu’elle part au Caire chercher son mari et ses fils qu’elle ne peut abandonner, et elle lui jure qu’elle reviendra bien vite à Damas. Après son départ, l’espion britannique aux nerfs à toute épreuve se tire une balle dans la bouche.

A son retour en Syrie, Marga fréquente les Seyrig et Geneviève Moron. Elle prend la gérance du caravansérail de Palmyre et le baptise "Hôtel de la Reine Zénobie". Elle en fait une demeure élégante, moitié hôtel, moitié maison d’hôte. Les bédouins de la palmeraie fournissent le personnel. Les touristes ne veulent pas manquer l’Hôtel de la Reine Zénobie, les archéologues non plus. La bonne société de Damas apprécie les séjours chez Marga, une femme qui sait recevoir et raconter.

Geneviève Moron m’a souvent parlé de Palmyre où l’on ne s’ennuyait pas avec Marga. Le commandant Moron n’était pas du même avis : « Le deuxième Bureau m’avait prévenu que Marga était une espionne de l’Angleterre, maîtresse d’un agent de l’Intelligence Service, et que Geneviève devait cesser de la fréquenter. Ce n’était pas raisonnable pour l’épouse d’un officier supérieur, Chef d’État-Major de la Division Navale du Levant, Conseiller Maritime du gouvernement du Liban, chargé de fonctions civiles très importantes. »
Mais Geneviève se trouvait si bien à l’Hôtel de la Reine Zénobie

Puis, Marga décida d’aller à la Mecque. Première européenne à faire le pèlerinage, elle deviendrait célèbre. Pour cela le 23 mars 1933, elle épouse Soliman Abdel Aziz, un Arabe de la palmeraie. Elle prend des cours d’arabe en n’oubliant pas les jurons, les injures, "ça peut servir". Un iman lui fait réciter quelques versets du Coran et lui délivre un certificat de bonne musulmane. Mais ce serait mieux de partir à deux femmes et elle propose à Geneviève de l’accompagner. Elle lui trouvera un mari prêt à faire le pèlerinage de la Mecque, avec un peu d’argent le mariage est facile. Ensuite le quatuor irait en Égypte prendre le bateau pour Djeddah, c’est simple, non ?

Geneviève, fort amusée de la proposition, refuse gentiment.
Le couple embarque à Port-Saïd sur le Dandolo, paquebot italien, avec la masse des pèlerins. En route pour la Mecque, la Kaaba et le retour glorieux.
Privé de son active patronne, l’Hôtel de la Reine Zénobie redevient un caravansérail et Geneviève se hâte de retourner à Beyrouth.

En avril 1933, le Dandolo avec Marga à bord mouille en rade de Djeddah. Malgré son déguisement, Marga a été reconnue par les femmes. Le médecin saoudien qui monte à bord effectuer le contrôle sanitaire des passagers est prévenu. Il avertit le gouverneur de Djeddah et celui-ci accepte de prendre la Française dans son harem, un lieu convenable et protégé, en attendant le retour de la Mecque du mari.
Le médecin et le consul de France prévoyaient des difficultés, mais pas l’avalanche de problèmes que cette femme allait leur poser.

Tous deux pensaient que cette agitée allait se calmer cloîtrée dans son harem, faire comme les autres : dormir, se laver, s’habiller et se recoucher. Ce fut le contraire.
Aux femmes fascinées, elle apprenait des pas de fandango, de valse, de charleston. Soir après soir, très agitées, elles tapaient en rythme sur de vieux bidons et dansaient en faisant un vacarme effroyable. Le matin, Marga leur enseignait des jeux d’enfants : colin-maillard, le furet, des rondes. Elle leur faisait faire des exercices d’assouplissement, de la gymnastique suédoise, organisait des concours de corde à sauter, Enfin, un jour elle entraîna tout le harem ­— femmes, enfants, esclaves — dans une farandole si déchaînée sur la terrasse du palais que les soldats de la caserne proche furent obligés d’intervenir.
Toutes les femmes de Djeddah, de terrasse en terrasse… ne parlaient que de la « Francaoui. »
Dans le harem les intrigues fleurissaient. Marga ne tarda pas à semer la zizanie.
Mais le pire était à venir. Soliman revient de La Mecque et veut coucher avec sa femme. Marga refuse malgré la pression des femmes.
Les jours suivants, elle sort du harem, boit de l’alcool, nage dans la Mer Rouge, est invitée par tous les consuls.
C’est le scandale à Djeddah.
Et voici qu’arrive le fils du consul. L’irruption de Marga dans la vie calme du consulat l’a enchanté. Il en est très amoureux, organise des sorties. Un beau jour il a le culot d’entrer dans le harem chercher Marga.
C’en est trop, elle est expulsée par le gouverneur qui lui fait une scène devant tout le harem : Tu souilles ma maison avec ce chien de mécréant qui empuantit mes narines, tu n’es pas digne de rester ici, je te chasse etc…
Marga va loger à l’hôtel, son amoureux l’accompagne dans la ville en portant sa valise ! Puis, il reste avec elle.
C’est précisément ce soir-là que meurt Soliman, le mari. Le matin il avait eu une entrevue orageuse avec Marga. Dans la soirée, pris de douleurs violentes, il affirme à ses proches que sa femme l’a empoisonné.
Les cousins réclament justice contre l’empoisonneuse. Le directeur de la police, suivi par la famille, les gardes et les curieux, fait défoncer la porte de la chambre. Tout le monde voit Marga au lit avec le jeune homme, et il faut l’autorité des policiers pour qu’ils ne soient pas lynchés. Elle est jetée en prison au milieu des rats, des punaises et de toutes sortes d’insectes affamés.
Marga, risque d’être lapidée à mort pour adultère et assassinat. Tout Djeddah brûle d’y participer.
Au bout de huit jours, le consul obtient l’autorisation d’aller la voir dans son cul-de-basse-fosse et il en revient atterré. Amaigrie, brûlante de fièvre, boursouflée par les morsures de toutes les punaises, les bras et les jambes recouverts de croûtes de sang coagulé, la peau se détachant par lambeaux comme celle des lépreux, folle de peur, de misère, d’angoisse. Elle s’était accrochée à lui, le pressant de questions, elle avait très peur d’être torturée.
Le consul lui envoie tout d’abord un bidon de désinfectant ménager. Malgré la chaleur terrifiante qui incommode même les Saoudiens, Marga récure sa cellule et l’aménage ; elle reçoit un lit, une chaise, une table. Du consulat, on lui porte tous les jours ses repas.
Le consul se démène pour la tirer de ce mauvais pas. Il avait su gagner l’estime du roi et de personnages importants. Le ministre des affaires étrangères ne désirait qu’une chose, l’expulsion rapide de Marga et éviter les problèmes avec la France. Mais le scandale avait été si grand, si public, les lois du royaume si ouvertement bafouées par un meurtre probable et un adultère avéré, que Marga méritait la lapidation. Cependant, lapider une Française la première année du nouveau royaume … Les journaux de Beyrouth, la presse internationale se déchaînaient.
Après un procès pour la forme, Marga est conduite sur un bateau anglais, et en route pour Port Saïd.
Le cycle des aventures de Marga d’Andurain n’est pas terminé, mais elle quitte pour toujours, le Levant, Beyrouth, Damas, Palmyre et Geneviève Moron.
Je me suis grandement appuyé pour vous conter cette histoire sur le livre "La Comtesse de Palmyre" de Marie-Cécile de Taillac, chez Belfond.

Le commandant Moron était en rade de Djeddah le 1 Février 1933, deux mois avant l’arrivée de Marga. Il fit des croquis de la ville depuis son bateau au mouillage.




Les Moron à Beyrouth

Dans son rapport au Contre-Amiral Chef d’État-Major Général de la Marine, le capitaine de vaisseau FATOU écrit :
" Le commandant Moron occupe actuellement une situation considérable, les biens dont il a la gérance comprenant, outre les allemands et les italiens, tous ceux appartenant à des Français actuellement en France parmi lesquels il faut ranger des entreprises telles que la filiale de l’Irak Petroleum de Tripoli.
Ainsi, Moron a occupé des postes très importants au Liban et en Syrie de 1932 au 13 juillet 1934, Puis du 1er avril 1938 au 15 juin 1946. Il est le premier officier de marine de Haut grade en activité à avoir rejoint le général de Gaulle."

Bien sûr, cette situation entraînait beaucoup de jalousie, surtout de la part des officiers de la Marine Nationale. Ils avaient obéi à Pétain en quittant le Liban et la Syrie pour revenir en France en 1941, refusant de combattre avec la France Libre. La propagande de Vichy était très active, bien faite ; en 1941 seulement cinq pour cent des Français étaient contre Pétain. Le Maréchal était presque déifié, c’était le vainqueur de Verdun ; il avait "fait don de sa personne à la France". Mes oncles aussi avaient fait don de leur personne à la France, mais pour de bon, ils ne sont pas revenus de Forges-sur-Somme, ni de la boue de Notre-Dame-de-Lorette.
Les marins de Vichy se sont retrouvés au sec, des demi-soldes sans bateaux après les avoir sabordés au lieu de les amener à Alger.
Et pendant ce temps Léon Moron "paradait" au Levant. Par décision du général Catroux, il occupait de hautes fonctions dans la France Libre. De plus il s’était moqué de la Marine en faisant croire, jusqu’au dernier moment, qu’il rentrait en France avec son épouse, se renseignant sur le volume de meubles qu’il pouvait emporter. Il devait jouer serré car certains l’accusaient de fréquenter des gens de la « Dissidence », terme employé à Vichy pour désigner les Gaullistes.
Les pétainistes ne se seraient pas gênés pour l’appréhender et l’embarquer en douce. Le Tribunal Maritime Permanent de Toulon a instruit une enquête sur « Moron L. H. accusé de désertion en temps de guerre et de haute trahison, devant entraîner la peine : mort ».

A Vichy les chacals glapissaient, à Beyrouth, Moron s’en moquait.
Sur place, à Beyrouth, de Gaulle intervient à plusieurs reprises pour "faire cesser les manigances et les calomnies des Anglais contre Moron."
Les Anglais avaient de nombreuses raisons de ne pas aimer Moron :

• Il connaissait parfaitement toutes les côtes et les îles de la Méditerranée orientale, ce dont ils étaient jaloux.
• Moron avait été nommé par de Gaulle, via le général Catroux, Séquestre Général des biens ennemis au Liban, fonction très importante pour Moron. En plus d’énormes sommes en banque, tous les biens allemands, italiens, de l’État de Vichy, de certaines personnes, étaient placés sous séquestre. On ne pouvait y toucher sans l’accord de Moron. Imaginez pour les pillards et les Anglais : un remorqueur, des bateaux, le matériel de navigation, ancres, cordages, pièces de moteurs, nourritures. L’armée de Vichy avait été obligée d’abandonner tout le matériel de guerre. Un énorme butin qui faisait bien des envieux et Moron n’avait que quelques secrétaires pour gérer et surveiller, pas de policiers ni de soldats. S’il en prenait l’envie aux Anglais de Beyrouth, ils pouvaient arriver en force et se servir. Moron n’aurait pu s’y opposer, il lui fallait trouver une astuce.

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Moron était bien placé auprès du gouvernement libanais, du fait des importantes fonctions qu’il exerçait depuis longtemps. Il connaissait du monde. Il fit une vente fictive au gouvernement libanais de tout le matériel dont il avait la garde. Sous sa discrète direction, il plaçait des sentinelles libanaises de la police, faisait installer des grillages et disposer des dizaines de panneaux portant la mention : "Propriété du Gouvernement du Liban. Défense absolue d’entrer". Les Anglais n’étaient pas contents, ils se doutaient bien que Moron les avaient bernés, mais ils n’en avaient pas la preuve et n’osaient transgresser les interdictions et provoquer des réactions diplomatiques du tout jeune État. Ainsi, en se faisant beaucoup d’ennemis, Moron a conservé un bien précieux pour la France Libre.

En plus des brigands et des Anglais, il y avait aussi les commerçants libanais qui rêvaient de faire leurs emplettes dans cette caverne d’Ali Baba. Tout était bon en cette période où l’on manquait de tout ; il y aurait un gros bénéfice à la revente. Dans l’heure de la nomination de Moron, tout Beyrouth connaissait le nom du Séquestre, un vieil ami du Liban avec qui on devrait pouvoir s’entendre …

Le lendemain, Moron prend possession de son bureau. Dès l’ouverture des portes, un Libanais entre et fait à Moron les grandes salutations réservées aux personnages importants, lui assure la paix et le bonheur et se réjouit d’avoir à traiter avec Monsieur le Séquestre Général lui-même. Pendant que le commerçant s’adresse à Moron impassible, ses domestiques envahissent le bureau, déroulent des tapis, installent des fleurs, des fruits. Moron ne laisse rien paraître devant la transformation de son bureau. "Geneviève s’amuserait bien si elle voyait cela", pensait-il.

Quand tout est installé, que le bureau a perdu son aspect austère, le commerçant attend en souriant, les bras croisés, le moment d’entrer dans le sujet. Mais Moron prend son air le plus sévère et s’écrie :

"Ce n’est pas le souk ici, emportez-moi tout çà, déblayez, et vite."

Le lendemain, rebelote. Le Commandant attend que tout soit bien installé, les salamalecs prononcés, pour se lever et piquer sa colère en interdisant à son visiteur de remettre les pieds chez lui.

Terminé ! Les deux éclaireurs et leurs domestiques ont fait savoir à tout Beyrouth que ce n’était pas la peine d’insister, Moron était incorruptible. Quel dommage !

Je l’ai entendue plus d’une fois cette histoire, le Commandant s’amusait à la raconter en prenant des airs terribles.

Gustave Meeroff

Pour l’aider dans cette tâche délicate, Moron trouva l’homme en qui il mit bien vite toute sa confiance, avant de devenir son ami : Gustave Meeroff. Celui-ci venait souvent au Souleilhal et je l’y ai rencontré plusieurs fois. J’ai même dégusté à la cuiller (pas à la louche) le caviar qu’il apportait dans un grand bocal. A cette époque il vendait du blé à la Russie, ce qui l’obligeait à s’y rendre.

Dany, sa fille venait souvent au Souleilhal, les Moron l’adoraient. A ma demande, elle a fouillé sa maison et elle a trouvé des documents très intéressants, comme le contrat d’embauche de son père.

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L’histoire de Gustave Meeroff et de sa famille est un roman. Le père de Gustave, Salomon Meeroff est arrivé à Paris vers 1903 venant de Russie. Sioniste convaincu il a rejoint Théodor Hertz, le père du sionisme. Salomon Meeroff a milité activement toute sa vie pour sa cause. D’où son départ de Paris en 1936 pour s’installer à Tel-Aviv avec son épouse. En 1939, Salomon souffrant d’un cancer du poumon, sa femme fait venir leurs trois enfants pour qu’ils revoient leur père. Les enfants sont restés en Palestine et ont ainsi échappé aux nazis. A la déclaration de guerre, Gustav a été mobilisé sur place et plus tard il a rejoint la France Libre. C’est alors qu’il a rencontré les Moron … et aussi sa femme. Dany est née au Liban en 1946.

En 1947, la famille rentre en France et Gustave monte à Versailles une taillerie de diamants qu’il fait venir d’Israël. Ils voyaient souvent les Moron qui habitaient à Paris, rue Lamennais. Un soir, Meeroff oublia chez eux son étui de diamants et ce fut une bonne histoire à raconter par la suite.

Gabriel Bounoure

Le 3 février 1942, le capitaine de Frégate de réserve Jean Bucaille, 54 ans, témoigne à charge contre Moron devant le juge d’instruction du Tribunal Maritime de Toulon. Procès-verbal haineux puant la jalousie. Quand le juge lui demande s’il connaît Bonhoure, voici sa réponse :

"Monsieur Bonhoure, conseiller à l’instruction publique des états du Levant sous Mandat Français était depuis de nombreuses années haut fonctionnaire du Haut-Commissariat. Il faisait exprès de n’avoir que peu de relations avec l’Armée et la Marine et il était connu comme esprit universitaire (sic) et assez sectaire. Il était de plus intéressé et pro-anglo-saxon. Le ménage Bonhoure avait des relations privées suivies avec le ménage Moron ainsi qu’avec d’autres ménages vivant à l’écart du milieu militaire et dont la plupart sont passés au gaullisme."

Eh bien oui ! Les Moron préféraient la fréquentation de Gabriel Bounoure, de Jean Chauvel ambassadeur de France, des Dessus, de Seyrig et d’André Gide à celle de Bucaille.

" Gabriel Bounoure est l’un de ces esprits extraordinairement déliés, l’une de ces sensibilités à vif, faite de limpidité et de réserve obscure, à qui beaucoup doivent leur approche fascinée du poème."
C’est Salah Stétié, poète, écrivain et ambassadeur du Liban qui parle ainsi de son maître à l’École supérieure des lettres de Beyrouth.

Agrégé de Lettres, chargé de la poésie à la Nouvelle Revue Française, Gabriel Bonhoure fut un découvreur de poètes et d’écrivains. A l’arrivée des Moron au Liban il était Inspecteur général des œuvres françaises et Conseiller pour l’instruction publique dans les États sous mandat. Conseiller culturel auprès du Haut-Commissariat français. Au Liban depuis 1923, il faisait le lien entre les poésies orientales et françaises.

On pourrait citer bien d’autres titres à son honneur, y compris sa conduite héroïque à la guerre de 14-18 [4].

Les Moron eurent au Liban une vie culturelle et artistique féconde, œuvrant au rayonnement culturel de la France au Moyen Orient. Geneviève fut à l’origine d’importantes expositions conjointes entre Israël et le Liban, ce qui serait inenvisageable aujourd’hui. La genèse et la réalisation de ces expositions seront le sujet de mon prochain article.

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7 Messages

  • Mes amis les Morons au Liban 20 juin 2020 18:40, par lebreton loic

    je suis un jeune marin de la 5e république avec ses hauts et ses bas,j’ai vu le général sur le clémenceau quand il est allé remercier les sénans ;j’ai vu quelques" perchoirs"sortir,heureusement dans les carrés il y avait "les attibuts du président qui permettaient de mettre dans le"cercueil"celui qui n’était pas aimé,après le putch la sureté militaire était vigilente ,mais globalement la marine a vu son renouveau et est restée sage ! c’est pourquoi mon témoignage s’arrètera là. pourriez vous m’indiquer l’année de la "visite" des gendarmes maritimes en Dordogne ?

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  • Mes amis les Morons au Liban 19 juin 2020 20:12, par lebreton loic

    J’ai du louper les 2 articles précédents,cette période d’après grande guerre a été terrible au liban et nous en payant encore aujourd’hui les séquelles ;les américains et les anglais exercent à qui mieux mieux l"art de"foutre le bordel pour évincer la France au liban et en syrie",le commandant moron était l’empècheur de tourner en rond, je possede quelques contre tirage de plans ,cartes postales ,photos des grandes norias ramenés par un officier d’administratio armée de terre HUTPIN grd oncle de mon épouse.le dossier militaire du cv ou cf moron peut etre consulté au shd à vicennes

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    • Mes amis les Morons au Liban 19 juin 2020 22:10, par MICHEL CARCENAC

      A Vincennes il n’y a pas grand chose à part ses états de service. J’ai consulté les archives Toulon : tribunal milmitaire, Rochefort, Brest. un ami breton est allé me phographier les dossier, impossibles à scanner car les registres font environ 80 cm/40cm, les dossiers trés épais sont sur des tables, impossible à bouger et l’on ne peut se mettre au-dessus. L’ami tient son appareil de photo à bout de bras, sans viser, au pif. DE PLUS LES MORONS ÉTAIENT DE TRÈS GRANDS AMIS ET J’ÉTAIS LEUR MÉDECIN. IL NOUS RACONTAIT DE BONNES HISTOIRES. VOICI LE LIEN qui aborde sa condamnation à mort. J’AI PU PÉNÉTRER AUX Archives de la Justice militaire du Blanc, où personne ne peut pénétrer. Vous ne m’avez pas dit où vous habitiez. Cordialement
      https://www.histoire-genealogie.com/L-affaire-du-Sinaia-1939-1942

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  • Mes amis les Morons au Liban 19 juin 2020 10:41, par lebreton loic

    bonjour,est ce léon Hippolyte moron né le 27/11/1892 et entré au service en 1910 ? ;belle carrière civilo-militaire !

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    • Mes amis les Morons au Liban 19 juin 2020 18:37, par MICHEL CARCENAC

      Loïc Lebreton… vous êtes un Breton bien sûr. Commennt connaissez-vous Le comandant Moron, un marin condamné à mort pour haute trahison et désertion en temps de guerre ? Je lui ai consacré deux articles dans la Gazette, cherchez-les si vous ne les avez pas lus. C’est bien de Léon né en 1892. je suis curieux de voir comment vous le connaissez. je n’ai pas fini sa saga, j’ai attaqué ses deux années dans la Pacifique et j’attends des documents de Brest.
      Avous lire. Cordialement

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  • Mes amis les Morons au Liban 19 juin 2020 08:22, par colette Boulard

    Fichtre, fichtre ! quelles sagas ! elle est là, la caverne d’Ali-Baba. Et vous ne vous y perdez pas. Bravo.

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    • Mes amis les Morons au Liban 19 juin 2020 19:07, par MICHEL CARCENAC

      Oui ça n’en finit pas et je me dépêche de le terminer avant ma mort. (95 printemps.) J’ai attaqué les deux années de Pacifique, un gros boulot. Mais nous l’adorions tous, y compris les enfants. je lui dois de le réabiliter le condamné à mort pour haute trahison. Après le Pacifique il y aura la Mer Rouge. Mais attention, nous allons revenir au Liban et à Jérusalem bientôt. Cordialement

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