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Retour à Djibouti

Le vendredi 28 mars 2025, par † Léon Moron, † Michel Carcenac

Dans ce quatorzième épisode du feuilleton de la croisière du commandant Moron en Mer Rouge en 1933, le retour en train vers Djibouti se poursuit. Le gouverneur Chapon Baissac demande des secours, suite à l’agitation ambiante. L’Amiral n’est guère disposé à lui en accorder facilement. Après ce court passage, très diplomatique, l’escadre reprendra enfin la mer et partira pour l’Erythrée italienne.

7 Mars :

Réveillé à 5h30. L’Amiral et moi partons en voiture dès après le déjeuner pour l’usine électrique. Nous voulons savoir si Monfreid n’a pas de nouveaux tuyaux sur la situation.

En route, le chauffeur qui conduit comme un fou renverse une bonne femme et donne un coup de volant tellement brutal que je manque être débarqué.

Monfreid n’est pas là. Lippman nous dit qu’il n’y a pas de nouvelles récentes. Nous prenons congé et filons à la gare. Nous quittons notre Ministre. Le gouvernement rentre à Ali Sabiet (km 86) et de là ira à Dikkil en voiture.
Entretien de l’Amiral avec Chapon Baissac dans le train. Rien à sortir de ce type, qui ne veut manifestement pas mettre l’Amiral au courant de la situation exacte. Il est cependant embêté, puisqu’il nous demande de lui laisser des armes autour. L’Amiral lui promet ces armes, mais avec nos marins pour les servir.

L’Amiral est décidé à faire revenir l’Antarès à Djibouti.

Le désert couvert d’herbes desséchées en touffes très blanches et lumineuses. Dans les lointains des lignes d’arbres. On dirait la Beauce moissonnée, mais les tas de blés sont remplacés par des termitières. Beau chacal.

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Le désert et les termitières. 7 Mars.

Chapon Baissac nous dit que cette vaste plaine désertique pourrait aisément produire des céréales. J’en doute.

Contraste frappant entre l’allure normale des indigènes que nous rencontrons aux stations avec l’aspect famélique qui m’avait frappé à mon premier voyage. La pluie a refait de la vie.

Toujours des termitières. Une petite caravane de quelques chameaux. Les moutons et les femmes suivent derrière. Les hommes ont tous la sagaie, les femmes un enfant dans le dos. « Neuf mois par devant, deux ans par derrière ».

Grand vent du plateau, colonnes de sable qui tourbillonnent. Mirage. Le désert devient noir et plus caillouteux. Sépultures indigènes le long de la voie en deux groupes. Résultat d’un combat sur la voie ferrée.

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Mirage. Colonnes de sable. Pas d’horizon. 7 Mars.

Au km 200, ravissante fillette drapée dans un chiffon sale, bandeau rouge autour du front. Collier bleu, bracelets d’argent, peau luisante, beaux bras, peau luisante. Je lui jette une petite pièce d’argent.

Il fait maintenant un vent terrible.

Déjeuner à Aïcha avec le gouverneur et sa femme.

Après le déjeuner, le gouverneur apporte un long papier qu’il a dicté à sa femme et où il expose la situation actuelle de la colonie et les moyens qui seraient nécessaires pour la défendre. Il y a de tout là-dedans et surtout beaucoup de choses qui le regardent lui, le gouverneur, plus que l’Amiral. A-t-il fait un plan de défense, de mobilisation ou d’évacuation ? Il nous demande des munitions. Qu’il en fasse venir d’urgence ou qu’il en achète sur le budget de la colonie.

Le désert est magnifique, fauve rosé. A bâbord, des cailloux noirs brûlés, à tribord le sable rose et dans le fond la ligne des montagnes qui étaient tout à l’heure dans le mirage.

Des groupes de grandes antilopes. Encore des tas de détritus volcaniques, des cailloux brûlés.

Le train descend rapidement, le vent souffle dur ; je me crois à Keller. Nous venons de quitter le désert plat et nous circulons entre des collines de cailloux. Quelques arbres à chameaux.

Paysage de détritus ; chaos de pierres et de collines. Belle couleur rose, arbres à épines desséchés et argentés. Feuillage très vert par touffes. Ravins sablonneux. C’est peut-être le coup d’œil le plus tragique du voyage.

La frontière à Daowele : Km 115.

Les mendiants doivent y faire fortune parce qu’ils pullulent ; ils ont d’ailleurs tout le temps de faire leurs opérations pendant celles de la Douane. Elle ne nous gêne pas, d’ailleurs, car personne ne nous demande quoi que ce soit.

Grand lit de torrent plat garni de buissons très verts. Chameaux au pâturage. Décroché le wagon du Gouverneur à Ali Sabiet. Une garde de douze ascaris commandés par un sergent éthiopien rend les honneurs. L’administrateur de Dikkil, un tout jeune homme est là aussi. J’interroge le sergent qui me dit qu’à Dikkil, il y a en tout trente hommes alors que Chapon Baissac nous a dit que le capitaine y était parti avec 40 hommes en complément du monde déjà sur place. A Ali Sabiet, il y a 7 somalis. Le poste d’Ali Sabiet est bâti sur le sommet d’une colline et a une position magnifique.

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Le poste d’Ali Sabiet. Km 88.

Chaos de collines de toutes les couleurs, soufre et rouge. Un peu de verdure. Eboulis gigantesques. Quelle dose de courage il a fallu aux hommes qui ont entrepris la construction de cette voie de chemin de fer (CHEFNEUX).

Le paysage s’élargit. Beaux bosquets, plusieurs lignes de collines dans le fond. On sent les approches de la mer car le ciel se charge de gros nuages blancs.

Beaucoup de plantes genre immortelle, ouatées, qui colorent les collines en jaune très pâle.

Vallée de l’Ambouli, puis la plaine vers la mer. Village et viaduc. Poste d’ascaris. Enfin le désert de cailloux noirs pour finir.

La mer. Djibouti toute blanche et au large les Iles Musha et Maskali. Honneurs à la gare.

8 Mars :

Je ne quitte pas ma chambre de toute la journée sauf pour le déjeuner. J’ai d’une part à faire partir du courrier et il faut que je travaille avec l’Amiral pour les décisions à prendre. Après réflexion, l’Amiral rédige un télégramme pour Paris, expliquant la situation et renonçant à faire venir l’Antarès qui est vraiment très loin – plus de 3000 miles avec l’escale de Mascate. Pendant que nous rédigeons, on nous apporte d’ailleurs un St Lys de Paris disant à l’Amiral que l’ordre est donné à l’Antarès de poursuivre sur Singapour.

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Mais l’Amiral est décidé de laisser à Djibouti le second du Vimy avec trois mitrailleuses et deux fusils mitrailleurs. Nous le rapatrierons par paquebot. Peut-être l’Amiral fera-t-il venir l’Ypres à la fin du mois, mais par politique il faut que nous poursuivions le programme de notre croisière.

Déjeuner avec les gens des Chemins de Fer. J’aurai dû aller chez Collombet, le second de Chapon Baissac, mais je n’ai pas eu le temps et je me suis fait excuser. J’apprends des choses intéressantes. Eux, Chemins de Fer, comme tout le monde ici, pensent que la politique actuelle de Chapon Baissac est désastreuse. Pour ramasser de l’argent pour la colonie et payer des fonctionnaires, il est intransigeant avec les Abyssins.

Comme récemment le Négus s’est entendu avec les Anglais pour avoir la franchise à Berbera, nous risquons par nos méthodes de tuer Djibouti dans les trois ans. Taxe à la sortie, taxe de séjour des bateaux sur rade, taxe d’accostage, etc. Tous ces impôts grèvent la marchandise.

Par ailleurs, le chemin de fer est bridé par son contrat qui l’oblige à transporter à demi-tarif tous les fonctionnaires abyssins de la ligne et leurs affaires. Ceux-ci transportent ainsi les marchandises commerciales et touchent le bakchich. Comme par ailleurs le thaler est tombé de 12 f à 5 f, les indigènes comme tous les voyageurs qui doivent payer en francs or ne prennent plus le train.

Vu La Rivière l’après-midi. Polytechnicien marié à une abyssine. A été le conseiller technique du gouvernement abyssin et a fait la frontière avec le Somaliland. A été remercié, je ne comprends pas très bien pourquoi. Fut officier d’artillerie pendant la guerre. Je le mets au courant du projet que nous avons de l’utiliser pendant la guerre comme agent naval.

L’Amiral écrit à toute vitesse une lettre à Paris pour donner des détails sur la situation et prévenir qu’il laisse des gens à Djibouti. Pendant ce temps j’arrange leur débarquement et fait des instructions pour le second du Vimy.

A 8 h l’Amiral porte une lettre à Chapon Baissac et le prévient que nos hommes coucheront ce soir au gouvernement. Chapon Baissac est assez empoisonné de voir la tournure que prenne les évènements.

A 10 h du soir nous appareillons.

Roulis très violent la nuit. Tout tombe par terre.

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