Mariage et lendemains de noces
En attendant l’accouchement prévu début juillet, c’est la célébration du mariage. Claudine est contente de trouver une seconde famille. Les beaux-parents ont une belle exploitation, Antoine a de nombreuses sœurs, presque du même âge qu’elle, un grand frère Claude de trente et un ans, déjà prêtre, ce qui n’a pas été pour déplaire à ses oncles Coudour et à son frère, tous curés. Elle est bien accueillie et sera entourée pour l’arrivée du bébé.
Le rite de la fiancée cachée
La cérémonie a lieu en 1808, fin février, dans la robe nuptiale prévue par le testament maternel et dont nous avons déjà donné la description. En principe, on ne convolait pas entre Noël et le mardi gras, mais la situation "intéressante" de la jeune fille exigeait peut-être une dérogation. Au matin des noces avait lieu, dans la région de Forez et notamment à St-Just, un rite particulier pour faire ouvrir les portes de la maison de la future épouse ; c’est le rite de la fiancée cachée, tel qu’il nous est rapporté par les enquêtes d’Alice Taverne [1]. Se déroulait-il déjà, une cinquantaine d’années avant les faits relatés, d’autant que Claudine est enceinte.
Au matin des noces a lieu un rite délicieux « pour faire ouvrir la porte ». Les garçons d’honneur se dirigent à travers champ vers la ferme de la fiancée, où tout est minutieusement clos. Ils en dressent le siège à l’aide de leurs échelles et de leurs chansons. Pas moins de 18 couplets pour faire fléchir la belle qui ouvre enfin sa porte. A moins qu’elle ne se cache encore et qu’il ne faille la chercher dans tous les recoins de la maison, avant de l’emmener triomphalement auprès du futur. Ce rite de la fiancée cachée et parfois déguisée a survécu jusqu’à la fin du XIXe siècle et même pendant le premier tiers du 20e dans certaines parties montagneuses du Forez.
Cependant, les filles de noces aident la mariée à s’habiller. A son tour, celle-ci attribue des décorations (rubans, cocardes, petits bouquets) aux garçons et aux filles de noces.
Le cortège est précédé, comme partout en France, de musiciens : vielleux et cornemuseur. Mais voici qu’en cours de route, un obstacle l’attend : une table d’honneur est dressée sur le parcours, soit par les jeunes du village, soit par les voisins. Certains auteurs affirment que les tables d’honneur se faisaient à la sortie de la cérémonie religieuse et non avant. Quoi qu’il en soit, l’obstacle se présente comme une épreuve pour la mariée. Parfois, il faut filer la quenouille de laine qui lui est présentée… (In musée Alice Taverne. Ambierle.)
Le repas de noces était donné en la demeure de la mariée, sur l’aire de la grange l’été ou bien l’hiver, comme c’est le cas ici, dans la salle commune. Les mariés s’installaient au centre, à leur droite et en face d’eux, les parents et les amis des deux familles ; toute l’aile gauche était occupée par la jeunesse. Les mets étaient abondants, les desserts, multiples, et comportaient souvent une brioche de taille gigantesque. Le repas était suivi d’un bal. La coutume qui consistait à cacher de nouveau la mariée au cours de ce bal était courante à St- Just-en-Chevalet. La jeune épousée n’hésitait donc pas à se dissimuler une nouvelle fois, et ceci dans les lieux les plus inattendus, aussi fallait-il parfois des heures pour la découvrir. Toute la noce participait aux recherches. Mais, on peut penser que dans la situation mal commode où se trouvait Claudine, ce divertissement n’a pas été organisé !
L’enfant, nous le savons, vient au monde sans histoire, quatre mois plus tard, celui qu’on appellera plus tard Claude aîné… un garçon ! Tout le monde se réjouit et les deux grands-pères viennent déclarer ensemble la naissance.
Le temps de l’indépendance
L’avenir s’annonce sous de bons auspices, mais c’est sans compter sur le fichu caractère d’Antoine… qui - à peine marié - décide de quitter la ferme familiale, située à Borgeas depuis cinq générations ; il est possible que la cohabitation de Claudine avec sa belle-mère ait pesé aussi, elle qui n’avait pas eu de mère… une raison de plus pour que le jeune couple prenne son envol !
Toujours est-il qu’il s’installe, quelques mois après la naissance de Claude, dans un hameau proche, Brunon, comme le père l’avait sagement envisagé. Les enfants se succèdent. La situation n’est pas faste financièrement. On a vu qu’Antoine en 1813 ne parvient pas à payer ses impôts. Dès les premières années du mariage, Claudine, pour soutenir son mari, va se tourner à plusieurs reprises vers sa famille d’origine. Claudine chez les Pras, c’est toujours une fille Coudour, qui va défendre sa part dans les successions.
Retour sur la succession de la mère, Catherine Oblette
Le testament de Catherine Oblette date du 11 avril 1784, mais la Révolution est passée, par là… et la donne est changée, nous le savons, en matière d’héritage. Peut-être sous l’influence d’Antoine, Claudine intervient.
Claudine réclame sa part de l’héritage maternel
Deux ans après les noces, en 1810, une consultation est demandée par les jeunes mariés. Claudine réclame sa part dans la succession de sa mère, suite aux nouvelles lois promulguées depuis la Révolution en la matière, tout à son avantage. Elle n’a reçu au moment du mariage en 1808, que le legs prévu dans le testament et le trousseau, comme sa sœur Geneviève et Philippa aînée ; les autres sœurs, Anne et Philippa la jeune, rien du tout, puisqu’elles sont mortes avant leur mariage. Il reste maintenant cinq enfants vivants, sur les treize qui sont nés : trois garçons, deux filles ! Quel est le droit de chacun ? Le conseiller reprend l’historique et fait le point de la situation dans un document établi le 20 avril 1810, que je résume ci-après.
État de la situation
Antoine Coudour, le père, est toujours en vie. Il est légataire universel des biens de son épouse, depuis avril 1784, selon les clauses du testament, en attendant de substituer son fils aîné Pierre dans ses droits, quand il advisera, selon les termes usités. La période étant troublée, il a laissé passer le temps ! Pierre maintenant a pourtant quarante-deux ans et il est trop tard ! Son père ne peut plus se raviser depuis une loi de 1794 : le fils aîné doit venir à la succession au même titre que ses frères et sœurs. Selon les nouvelles règles, Claudine est donc en droit de réclamer sa part de l’héritage de sa mère, comme sa sœur Geneviève et ses frères survivants et de savoir ce qu’il en est pour les parts de ses sœurs décédées. Nous ne connaissons pas quel était le montant de l’héritage et donc ce qu’elle pouvait toucher, au-delà des biens prévus par le testament, reçus au moment de son mariage. Nous savons simplement qu’elle avait bénéficié à ce moment, de la part de son père, d’une somme de trois mille francs en avancement d’hoirie, mais c’était par rapport à sa succession à lui. L’affaire va jusqu’en cassation, car la situation est complexe. Le texte est long et difficile.
Au départ, deux questions se posent
La première, l’héritage de la mère ; la seconde, l’héritage des trois sœurs décédées. L’homme de loi consulté répond sur le principe en distinguant plusieurs périodes : avant 1789 ; la période allant de 1789 à 1804, qui constitue une période de transition et qui correspond à ce qu’on a appelé « le droit intermédiaire » ; et après 1804, date de promulgation du Code Napoléon.
Démêler les périodes et l’évolution du droit
- En ce qui concerne l’héritage de la mère : certaines des lois promulguées dans la période intermédiaire relative aux successions, notamment en 1791 et 1793, sont rétroactives à partir du 14/7/1789 ; elles ont posé le principe du partage égal entre tous les héritiers. Le testament de la mère avait certes été établi avant, en 1784, mais aucun des enfants n’ayant atteint la majorité à cette date, ni avant 1791, les dispositions qui avaient été prises sont devenues caduques : Pierre, ne peut plus hériter de la totalité des biens, sous réserve - comme le voulait la tradition - des legs aux frères et sœurs, dont le montant d’ailleurs était laissé au libre arbitre de l’intéressé ou des parents. Maintenant, tous les enfants viennent à partage.
- En ce qui concerne l’héritage des sœurs. Trois sont donc décédées après 1800, avant d’avoir eu le temps d’hériter. Les parts qu’elles auraient dû recevoir à leur majorité ou à leurs noces, relèvent aussi des nouvelles dispositions et s’ajoutent aux parts dévolues aux autres.
Rien n’est simple
Depuis 1804, le conjoint a un avantage : il peut garder le quart de la succession de son époux décédé, les enfants se partageant les 3/4 restants. La mesure n’est pas rétroactive. Nous sommes en 1810. Seule la part revenant à Philippa jeune, décédée après 1804, revient pour le 1/4 au père. En conclusion, Claudine a donc droit à 1/6e de la succession de sa mère, plus les intérêts acquis depuis qu’elle a atteint sa majorité, sauf sur la part de Philippa la jeune, où elle se partage les 3/4 avec ses quatre autres frères et sœurs.
Si j’ai insisté sur cette affaire, c’est parce qu’elle a fort occupé le jeune couple, mais aussi parce qu’elle est exemplaire des complications qu’a rencontrées la population dans toute cette période de transition ; plus personne ne savait son droit, ce qui a fait le bonheur de juristes en tout genre, qui bien évidemment se faisaient payer en monnaie sonnante et trébuchante les consultations demandées. Nous avons déjà parlé de ce problème à propos d’Antoine au moment de la succession de ses parents, Claude Pras et Marie George. C’était en fait le lot de nombreuses familles, dès qu’elles avaient un peu de bien. Quand on évoque la « Révolution de 1789 » dans ces campagnes, on pense surtout à l’abolition des privilèges et aux libertés conquises - c’est heureusement ce qui restera - mais on oublie cette période intermédiaire, pleine de troubles et de tracasseries juridiques.
Un héritage espéré en question… ?
Il s’agit du vieil oncle Annet Coudour
Cette histoire très documentée, qui concerne l’héritage du vieil oncle, se déroule dans les années 1824-1826, peu de temps avant la naissance de Claude Jeune, mon arrière-grand-père, et de nombreux témoignages « directs » nous sont encore parvenus, puisqu’il s’agit pour une part de lettres. C’est l’une des dernières anecdotes familiales qui émaillent mon récit, laquelle se présente comme un épisode tragi-comique, pour nous tout au moins, mais non pour nos ancêtres, dont elle révèle ce que pouvaient être leur vie quotidienne et leur combat. Je vais de nouveau faire un détour pour vous la conter.
Annet Coudour, l’oncle de Claudine, est curé depuis plus de quinze ans de Saint-Just- en-Chevalet, après avoir tenu la cure de St-Romain-d’Urfé jusqu’en 1808 ; autrefois, comme nous l’avons évoqué, jeune homme brillant et déterminé, il parcourait la montagne, pendant la Révolution, avec son frère Pierre, pour apporter en secret les sacrements à leurs ouailles. Nous sommes maintenant en 1824, Annet a soixante et onze ans et exerce toujours son ministère, soutenu par son jeune vicaire François Mivière. Mais depuis quelque temps sa santé se dégrade, son esprit s’embrouille…
Va-t-il tester en faveur de ses neveux, héritiers légitimes ?
Neveux et nièces craignent que son trépas soit proche et s’inquiètent des dispositions testamentaires qu’il va prendre. Aura-t-il le temps et la lucidité ?
Claudine et Antoine ont déjà mis six enfants au monde, un septième sera bientôt en route, et ils veulent les élever dignement. Depuis la mort des parents Pras, Antoine bataille pour reconstituer la propriété de Borgeas et, malgré la succession du père de Claudine, mort en 1819, il faut trouver de l’argent. Tout ne va pas se passer pour l’héritage d’Annet comme le jeune couple le souhaite ; un procès va s’en suivre, qui fait l’objet d’un important dossier trouvé dans le lot familial : une quarantaine de documents ! Là aussi, il me semble plus vivant et plus propre à nous plonger dans l’atmosphère de ces temps d’en résumer l’histoire, en reprenant directement quelques-uns des textes.
Toute la fratrie est concernée, qui va mener bataille, soutenu par le frère curé, Etienne, l’Abbé de Belle Place, qui est devenu tuteur de ses neveux à la mort de son frère en 1822. Il veut défendre les droits des enfants et son oncle lui avait dit qu’il serait légataire universel ! En face, le vieil oncle qu’il faut ménager et convaincre et son vicaire, François Mivière, issu d’une vieille famille de Saint-Just, qui a donné de nombreux prêtres et des notables. Un des ancêtres de Claudine, Claude Founit, avait pour mère une certaine Claudine Mivière et nous trouvons ce patronyme à différentes reprises dans la parenté du côté des aïeules.
Le frère Etienne, chapelain de Fourvière, entre en scène
Il est avéré depuis quelque temps que le vieil Annet ne peut plus assurer sa charge.
Le bruit court que son vicaire va le remplacer. Etienne qui a ses entrées à l’Archevêché, du fait de sa position à Fourvière, écrit par deux fois à son vieil oncle ; celui qui l’a orienté vers la prêtrise, l’a soutenu et qui a œuvré, quand il a été nommé à la cure de Saint-Just-en-Chevalet, pour qu’il prenne sa suite comme curé de St-Romain-d’Urfé, On remarquera combien Etienne le ménage et le passage de « mon cher oncle » à « mon très cher oncle » est significatif. Il s’agit de convaincre.
Lyon, le 3 avril 1824 - A Monsieur le curé Coudour et Monsieur Mivière vicaire à St Just-en Chevalet par Roanne - Loire.
Mon cher oncle
D’après la lettre que vous aviez déjà écrite à Monseigneur et les ouvertures que je lui avais déjà faites de votre part, le conseil s’est réuni en assemblée générale et a décidé sur les renseignements d’un de ses membres et que vous connaissez bien que Monsieur Mivière était trop jeune pour être curé de St Just et qu’il ne convenait nullement sous d’autres rapports que l’on ne m’a point fait connaître…
Pour ce qui vous concerne, le conseil agrée que vous restiez curé à St Just, sans rien faire. Au reste, vous recevrez incessament réponse à vos lettres et d’après ce qu’on m’a dit, il paraît que vous serez content de ce que l’on vous écrira. Ces messieurs savent respecter l’âge et le mérite. Je suis fâché de ce mauvais succès. Prenez patience et croyez-moi votre tout dévoué neveu. Signé : Coudour
Lyon, le 5 avril 1824 - à Annet Coudour, curé de St-Just-en-Chevalet
Mon très cher oncle
Dans la lettre que je vous ai écrite avant hier, à l’adresse de Monsieur Mivière et que vous deves avoir reçu, je vous ai marqué… que Monsieur Mivière ne pouvait remplir vos vues sur St Just en Chevalet, tant parce qu’il était trop jeune que pour d’autres raisons que l’on ne m’a point fait connaître.
En attendant, il m’a chargé de vous écrire de rester tranquille dans votre chambre, sans rien faire si vous le voulés ; comme je vous l’ai déjà marqué dans ma précédente lettre on vous déchargera de toute administration et on vous conservera néanmoins votre bénéfice, faculté qu’on n’accorde que très rarement et que vous devez bien savoir apprécier, peut-être que l’on vous présentera un troisième vicaire…
Comme j’espère d’avoir le plaisir de vous voir sous peu, je ne m’étend pas davantage. Je ferai la réponse à la lettre que vous recevres de ces messieurs, en attendant soyez tranquil et recevez l’assurance de profond respect et sincère attachement de votre tout dévoué neveu. Signé : Coudour, prêtre.
Stupeur : Annet a rédigé un testament
Quelque temps avant ces courriers, mais personne dans la famille n’en sait rien, Annet Coudour avait fait un testament olographe. On l’apprend, dix-huit mois après, quand le 21 août 1825, à soixante-douze ans passés, le vieux curé rend son âme à Dieu. Il est procédé alors à l’ouverture solennelle du document, en présence du Président du tribunal civil et d’un notaire de Roanne, qui en vérifient les cachets faits de « cire « ardente ( ?) noire, frappée d’une empreinte à nous inconnue et portant ces mots : testament d’Annet Coudour, curé de St Just-en-Chevalet ». Le document est daté du 3 février 1824. Stupeur dans la famille : certes Annet a testé en faveur de ses petits-neveux orphelins, avec jouissance à leur tuteur, le curé Etienne ; mais aussi en faveur de son vicaire pour tout ce qui est mobilier et argent. Rien pour les nièces, Claudine et Geneviève ! François Mivière, son vicaire, hérite d’une partie des biens et réclame son dû.
Charles par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à tous ceux que ces présentes verront, salut, faisons savoir ce qui suit littéralement :
au nom de Dieu, le père, le fils et le St Esprit, moi, Annet Coudour, prêtre catholique, curé de St Just en Chevalet ai rédigé mes volontés ainsi qu’il suit, pour mon testament que je veux être exécuté après ma mort.
l° je donne aux enfans de Pierre Coudour [2] et de Jeanne Lugnier, tout ce qui me revient, soit du côté de mon père et ma mère, ainsi que des autres droits que je pourrois y avoir et dont néanmoins je donne la jouissance à M Etienne Coudour, chappelain de Fourvière.
2° cent messes pour être acquittées à St Just, indépendamment des services ordinaires.
3° cent francs à l’église, cent francs aux vicaires présents à ma mort, cent francs au domestique présent à ma mort.
4° cinq cents francs à la fabrique, si on me laisse enterrer dans l’église.
5° je donne mon mobilier et le reste de mon argent, je le donne à M. Mivière, mon vicaire.
Fait à St-Just en chevalet le 3 février 1824. Signé : Coudour, curé.
Mivière demande la levée des scellés
François Mivière, pressé semble-t-il, exige aussitôt la levée des scellés apposés au presbytère et l’établissement de l’inventaire. Face au refus de la famille, il demande leur assignation en justice, puisque comme il le fait déclarer, compte tenu des dispositions testamentaires, « il a raison de faire procéder à un inventaire dudit mobilier et, générallement, de tous les objets qui sont légalement compris dans le mot mobilier … attendu que sous les scellés, bien des choses peuvent dépérir, et que l’inventaire est une mesure conservatoire dans l’intérêt de tous les ayants et prétendants droit ». François Mivière n’est plus alors attaché à l’église de St Just-en-Chevalet, mais vicaire de la paroisse de Notre-Dame-de-Montbrison. Sans doute l’archevêché l’a-t-il déplacé dans cette ville pour éviter le scandale. Le permis d’assigner est obtenu par Mivière le 7 septembre 1825. Tous les Coudour concernés sont assignés : Pierre, le vieux curé frère d’Annet, encore en vie, mais aussi la sœur Geneviève de Claudine, le frère chapelain bien sûr et aussi l’autre frère dénommé Annet, comme l’oncle, marchand chandelier à St Rambert-sur-Loire.
La famille se mobilise
Le chapelain, depuis Lyon, suit toute l’affaire de près, organisant des réunions de famille, donnant conseil aux uns et aux autres, s’entremettant auprès des hommes de loi, faisant jouer ses relations pour prendre des avis. C’est ainsi qu’il écrit à son beau-frère Rivaux, l’époux de Geneviève.
1825 - le 10 septembre - Mon Cher Rivaux
Notre affaire a déjà été portée au conseil de Monseigneur, qui a la charité de croire que M Mivière n’est héritier de mon oncle que pour exécuter ses intentions secrètes en faveur des pauvres ou de quelques autres bonnes œuvres, qu’il est en conséquence obligé de faire vendre le mobilier, d’en distribuer le prix et de rapporter quittance de ceux à qui il aura été remis, ainsi que de l’argeant qui peut encore s’y trouver. Si l’affaire va ainsi, je crois que toute la famille se désistera avec plaisir en faveur des pauvres ou des établissements religieux.
Monseigneur doit assembler son conseil à ce sujet et je ne tarderai pas à connoître la délibération qui aura été prise à ce sujet.
En attendant, vous aves fort bien fait de vous opposer à la levée des scellés ; je ne pense même qu’ils dussent se lever si vite, rien de plus notoire que l’état d’enfance, où mon oncle a vécu pendant les dernières années de sa vie. Il s’agit simplement de trouver des témoins de probité reconnue et en nombre suffisant qui puissent le certifier. J’ai conservé plusieurs lettres de M Mivière, qui figureront dans le procès et qui appuyeront le témoignage des témoins.
… Il ne s’agit ici encore une fois, pour faire annuler le testament de mon oncle, que de prouver son état d’enfance, lorsqu’il a testé…
Je vous authorise par la présente de me joindre à vous et à pras pour faire tous les actes nécessaires pour la conservation de la succession de notre oncle, en attendant que l’affaire soit évoquée devant le tribunal. Mais avant de commencer, je pense qu’il serait bon de laisser agir le conseil de Monseigneur auprès de M. Mivière.
J’ai l’honneur de vous saluer. signé : Coudour.
La situation évolue, fonction des nombreux conseils glanés de toutes parts par le chapelain. A leur tour, après le vicaire Mivière, les Coudour - qui s’étaient opposés jusque-là à la levée des scellés - demandent qu’elle ait lieu pour que l’inventaire des biens de leur parent défunt puisse être effectué et surtout, sous la pression du maire, pour que le presbytère puisse être rendu vacant pour installer le nouveau prêtre.
La levée des scellés
Deux jours plus tard, à leur requête et par décision du juge de paix, la date est fixée : le vingt du courant mois (1826), huit heures du matin.
Entre-temps, Mivière a fait "signiffier aux dits comparrants par exploit de Moulin, huissier, aussi en datte de ce jour, coppie du testament" dont les Coudour affirment "qu’il doit être nul à la forme, mais du moins qu’il doit être déclaré nul par la raison que le testateur, lors de ce testament et même longtemps auparavant étoit dans un état de démence complette ; que ceci est notoire dans toute la commune, qu’il est étonnant que M Mivière soit le seul qui fasse semblant de ne pas le savoir, lui qui étoit toujours avec le testateur, qui l’a guidé pendant plusieurs mois pour qu’il put célébrer les offices" ...
On attend avec impatience la levée des scellés pour connaître l’importance de ce mobilier tant convoité. Cache-t-il un trésor ? Malheureusement, nous n’avons pas l’inventaire et ne saurons jamais quel était l’enjeu de la bataille, âpre, menée par les parties pendant encore de longs mois.
L’accusation et la défense s’organisent
Mais sans attendre, pour parer à toute éventualité - on ne sait jamais, le mobilier peut être important - le chapelain se démène pour prouver l’état de démence de son oncle… et faire annuler le testament. Nous avons un texte non daté, rédigé par ses soins à l’évidence, avec des arguments repris dans une lettre du 16 septembre, écrite semble-t-il à un avocat ? Etienne, en fait, est embarrassé par les recommandations de ses supérieurs de « ne pas se mêler de cette affaire à cause du scandale qui en résultera ». Il doit agir sous le manteau. On comprend, compte tenu de son niveau d’instruction, que ce soit plutôt lui tout de même que sa parenté qui assure les différents courriers et les démarches. Il est amené à se rendre à plusieurs reprises à Saint-Just et à Roanne. Il en profite pour rencontrer les hommes de loi. Il donne tout élément qu’il juge utiles à l’avoué chargé de l’affaire, en particulier des informations qu’il tire des lettres qu’il a reçues en son temps du vicaire Mivière et qui tendent à prouver, selon lui, que son oncle était dans un état "bien extraordinaire".
C’est Mivière qui a dicté le testament
1825 - 16 septembre - (à un avocat ?)
J’ai l’honneur de vous adresser les lettres du premier janvier 1824, et du 16 avril même année que M Mivière m’écrivit pour l’aider pour venir à la cure de St Just. Vous verrés, en ouvrant celle de janvier 1824, que d’un côté Monsieur le curé brulait du désir d’aller à Lyon pour se démettre de sa cure, et de l’autre que la pensée de se retirer l’affligeoit au point que souvent on le trouvait à répandre des larmes : or vouloir se retirer sans y être contraint et verser des larmes à la pensée de sa retraite est un contraste qui ne peut se trouver que dans un enfant ou un vieillard en démence...
Depuis et même bien avant le courant de juin 1823, M le curé n’a pas écrit une ligne que sous dictée. Et je suis bien assuré que c’est M Mivière qui lui a dicté le testament dont il excipe [3] Heureux si la violence ne l’a pas arraché.
N’oubliés pas encore d’ajouter que M le curé s’étoit dessaisi de tout son argeant, sous prétexte de faire de bonnes œuvres et qu’il disoit ensuite à tout le monde qu’il avait été volé !
L’inventaire a donc eu lieu. Les biens mobiliers du vieux prêtre ont paru suffisamment importants au clan Coudour, pour que ceux-ci continuent à se battre. A moins qu’il s’agisse comme souvent d’une question d’honneur ? Etre spoliés par un étranger, fut-il prêtre, c’est intolérable… la procédure se poursuit.
L’oncle était dans en état bien extraordinaire
Une nouvelle fois, le chapelain ne ménage pas sa peine. Il multiplie les courriers aux avocats, homme de loi… pour prouver la démence de son oncle, citant souvent avec précision les mêmes exemples (avec dates, témoins…) : il a confondu un homme et une femme ; il a donné son « argeant et ensuite il a crié au voleur, ne sachant plus ce qu’il en avoit fait »… !
Il est question cependant un peu plus tard, et pour la première fois, de transaction avec l’abbé Mivière. On se demande s’il faut absolument plaider ? C’est qu’il a fallu débourser jusque-là beaucoup d’argent… Etienne écrit à son homme de loi : « Si vous croyés l’affaire douteuse, je vous prie d’en prévenir rivaux et pras, à qui j’écris par le même courrier et de les engager à me passer leurs procurations pour contester ou transiger avec M. mivière » ...
Finalement le clan Coudour se décide, sur les conseils reçus, à demander qu’il soit procédé à l’interrogatoire de François Mivière. Ils espèrent sans doute qu’il sera facile de le confondre et qu’on pourra éviter ainsi un procès !
L’interrogatoire de Monsieur Mivière
Les hommes de loi établissent un exposé des faits à l’adresse de « messieurs les juges du tribunal civil de Roanne » pour obtenir leur accord concernant l’interrogatoire. Pour résumer, ils déclarent :
• les exposants sont loin de consentir à la délivrance du legs de M Mivière, legs qui déshérite les consorts Coudour pour enrichir un étranger.
• à l’époque du trois février 1824, M Annet Coudour n’étoit pas sain d’esprit et, d’autre part, ils soutiennent que ce testament a été imposé et suggéré par le testateur.
• ils se feront représenter l’original de ce testament prétendu pour s’assurer s’il est valable en la forme ; ils offriront s’il en est besoin la preuve de la démence de M Annet Coudour, lors du 3 février 1824…
• mais avant ils veulent profiter du bénéfice de la loi qui leur donne la faculté de faire interroger M Mivière sur les faits et articles qui vont être exposés.
• Et les déclarants d’énumérer toute une série de questions à poser à M Mivière, les unes pour établir la démence du testateur (onze questions), les autres propres à prouver la captation et la suggestion (quinze questions).
Sur le même feuillet est notée la réponse : Vu, nous commettons M Alcock. signé : Bouquel. Suit l’assignation en date du 29 mars suivant (1826) adressée à chaque partie, portant que "l’interrogatoire sera subi au palais de justice du tribunal civil de Roanne, le jeudi après quasimodo ou six avril présent mois, sur les neuf heures du matin ; Coût : 16 francs, 53 centimes. Signé : Gouilloux.
C’est donc le 6 avril 1826, presque un an après l’ouverture du testament, que se déroule l’interrogatoire tant attendu, en présence de toutes les parties. Le dernier fils d’Antoine et de Claudine, le jeune Claude, vient de naître trois mois plus tôt. Le juge Alcock reprend point par point les questions suggérées par les Coudour, portées dans l’exposé précédent et remis au Président du tribunal civil, tant sur l’état de démence du testateur, que sur la suggestion et la captation de l’héritage par le sieur Mivière. Le texte, très aéré, fait vingt-deux feuillets manuscrits recto-verso (cinq pages de retranscription machine). L’abbé Mivière s’en tire bien, il semble même très intelligent, mais je ne trouve pas que les questions soient toujours habiles, même si elles sont formulées pour opérer des recoupements. M. Mivière prend soin, dès le début, d’anticiper, en répondant par avance à des questions qui pourraient lui être posées.
Cet interrogatoire constitue un parfait descriptif de ce qui caractérise aujourd’hui ce qu’on appelle « maladie d’Alzheimer » et je propose de le présenter lors de l’épisode suivant, avant de clore l’histoire de Claudine et de cette première longue partie que j’ai intitulée « le temps des ruptures ». A plusieurs reprises, j’ai été amenée à faire des digressions et à prendre des sentiers de traverse par rapport à la lignée Pras, axe central du récit, mais nous allons bientôt retrouver le grand chemin.
A suivre : Claudine, entre ses deux familles et la fin d’une époque…