Une rapide visite avec nos amis, en juin dernier, dans la maison vers Morestel qu’ils sont en train de restaurer ; m’a fait toucher du doigt la justesse de ce vers si connu du poète Lamartine.
Les héritiers de la précédente propriétaire, une dame décédée très âgée, ont laissé à l’abandon tous les souvenirs de sa vie ! Vie certainement bien remplie où la culture tenait une large place : meubles, bibelots, partitions de musique, livres, écrits, ...tout est encore là !
Un fanion tricolore [1], sale et froissé sous une pile de vieilles revues des années trente, attire mon attention.
D’objet inutile abandonné, il devient une fois nettoyé l’objet de nombreuses interrogations : de quand date t’il, pourquoi est il ici, quel a pu être son usage... ? Cet article n’est qu’une partie de la réponse.
« Coeur adorable de notre Dieu, la nation française vous implore »
Le 30 octobre 1918, Louis Joseph Guironnet, Chasseur Alpin au 62e B.C.A, est blessé au combat, à Etreux dans l’Aisne. Evacué, il meurt pour la France le jour même. Il n’avait que 23 ans, né le 30 avril 1895 à Lamastre (Ardèche), du premier mariage de Romain Victor Guironnet, mon grand père, et de Madeleine Julie Rey : voir l’article que je lui ai consacré.
- Louis avait « le Petit Paroissien du Soldat » dans son portefeuille.La balle l’a transpercé : on voit bien l’impact mortel
- Petit Paroissien du Soldat
A l’écart dans la tranchée, avant de monter à l’assaut des lignes adverses, le Poilu Guironnet a t’il invoqué Notre Dame du Bon Secours ou récité, une fois encore, la prière « Voeu national au Sacré Coeur de Jésus » ? :
« Nous venons à vous, Coeur Sacré de Jésus, dans nos angoisses ; ouvrez pour nous les trésors de votre charité infinie. Le sang qui a coulé de votre blessure a racheté le monde ; qu’une goutte de ce sang divin, par sa toute puissance expiatrice, rachète encore une fois cette France que vous avez aimée et qui ne veut pas renier sa vocation chrétienne...Que le temple élevé par nos mains en votre honneur devienne pour nous comme une citadelle inexpugnable qui protégera Paris et notre Patrie...Ainsi soit-il »
Avec la guerre qui dure et la brutalité des combats, « inlassablement, les évêques appellent à prier, à communier, car la décision dépend de Dieu seul, " allié plus puissant que la Russie et l’Amérique " ...C’est alors sans doute que la dévotion au Sacré-Coeur atteint son apogée ; des diocèses, comme Besançon, lui ont été consacrés dès 1914, puis c’est la France tout entière, le 11 juin 1915.
Du coup certains ultras veulent réactualiser la prophétie de Marie Alacoque à Paray-le-Monial, enjoignant à Louis XIV de faire graver le Sacré-Coeur sur ses étendards. Des images en ce sens sont saisies par la police à Lyon en 1915. De nombreux sermons exaltent les fidèles.... Si les autorités interdisent le drapeau surchargé sur la voie publique, elles sont relativement tolérantes à ce qui se passe dans les églises, et c’est plutôt de Rome, par Benoît XV et le cardinal Billot, que vient la suspicion pour une dévotion à la fois ultra-nationaliste et souvent superstitieuse ; le Sacré-Coeur, sur la poitrine d’un soldat ou sur un fanion, est une véritable amulette » [2]
- Drapeau avec l’image du Sacré-cœur et la devise
« Cœur Sacré de Jésus, Espoir et Salut de la France »
Le remarquable site Internet consacré à l’histoire de la dévotion au Sacré-Coeur nous renseigne de façon plus complète :
Dès 1915, L’Oeuvre des Insignes du Sacré-Coeur (19 quai de Tilsitt à Lyon) distribue pour la population et les soldats du front insignes et drapeaux. Pour la totalité du conflit, ces distributions représenteront douze millions d’insignes, plus d’un million cinq cent mille fanions, trois cent soixante quinze mille scapulaires et plus de trente deux mille drapeaux.
Le 16 janvier 1917, une lettre de Claire Ferchaud est remise à Raymond Poincaré, président de la République. Elle lui fait part d’un message qu’elle dit avoir reçu du Christ, qui contient une double demande : sa conversion, et l’apposition du Sacré-Coeur sur le drapeau national. Malgré leur rencontre du 21 mars, et un nouveau courrier envoyé le 1° mai, ses démarches resteront sans effet :
" ... Jésus veut sauver la France et les Alliés, et c’est par vous, Monsieur le Président, que le Ciel veut agir, si vous êtes docile à la voix divine.
Il y a des siècles déjà, le Sacré-Coeur avait dit à la B. Marguerite-Marie : "Je désire que mon Coeur soit peint sur le drapeau national, et je les rendrai victorieux de tous leurs ennemis". Dieu semble avoir dit ces paroles pour nos temps actuels...
Monsieur, voici les paroles sacrées que j’ai entendues de la bouche même de Notre Seigneur : "Va dire au chef qui gouverne la France de se rendre à la Basilique du Sacré-Coeur de Montmartre avec les rois des nations alliées. Là, solennellement, les drapeaux de chaque nation seront bénis, puis le Président devra épingler l’image de mon Coeur sur chacun des étendards présents. Ensuite, M. Poincaré et tous les rois alliés à la tête de leur pays, ordonneront officiellement que le Sacré-Coeur soit peint sur tous les drapeaux de chaque régiment français et allié. Tous les soldats devront être recouvert de cet insigne de salut."
Début mai 1917, Mlle de Béarn ouvre un Secrétariat du Sacré-Coeur à Paris, destiné à recueillir les signatures de la profession de foi intitulée "La France au Sacré-Coeur", diffusée dans une cinquantaine de diocèses et au plan national par l’intermédiaire du journal La Croix, appelant à l’apposition de l’emblème du Sacré-Coeur sur le drapeau national.
Mgr Amette (le 9 mai) puis Mgr Odelin, son vicaire général (le 24 mai) désapprouvent l’entreprise, qui disparaît rapidement.
Le 1er juin 1917, les préfets interdisent l’apposition de tout emblème sur le drapeau national...Les 18 et 29 juillet, au nom de la liberté de conscience et de la neutralité religieuse de l’Etat français, le gouvernement interdit la consécration des soldats au Sacré-Coeur et le port, aux armées, de fanions et étendards du Sacré-Coeur.
Le 6 août, pour couper court à la lettre envoyée par Claire Ferchaud aux généraux français, Philippe Pétain, alors Général en chef des armées, rédige une Note aux Armées et conclut :
« Les militaires (officiers et hommes de troupes) qui recevront d’oeuvres quelconques des fanions ou étendards revêtus d’emblèmes religieux les remettront immédiatement à leur chef de corps qui en assurera la réexpédition à l’oeuvre expéditrice.
Les généraux commandants les armées rappelleront aux officiers sous leurs ordres qu’ils doivent dans le service s’abstenir de tout acte à caractère confessionnel constituant une violation flagrante de la liberté de conscience de leurs hommes et de la neutralité de l’Etat français ».
Le livre de référence est « Le Sacré-Coeur et la Grande Guerre » de Alain Denizot aux Nouvelles Editions Latines (1994) |