Chapitre VI
Nous sommes donc à la mi-mai 1944, et me voici de retour à Sartrouville. Là aussi, les perspectives d’un débarquement allié sur les côtes du pays hantent les esprits.
Prétextant la recherche d’un livre, je vais chez « Bébert » récupérer « Adolphe ».
Reprendre contact avec la Résistance locale sera très simple, le chantier de la charbonnière Angèle Breton est devenu une véritable plate-forme d’activités où s’entrecroisent la plupart des responsables du quartier.
Le milicien Jacques Eybord, notre voisin, a disparu depuis plusieurs semaines, sur le front de l’Est, dit-on .
Le chantier fait une centaine de mètres de longueur, au fond, se trouvent les communs, écurie du cheval et divers hangars abritant la sacherie, etc... Par un portillon, donnant sur la rue Jules Verne, on peut rejoindre la rue de Strasbourg par le jardin des Roinsard, difficile donc d’y surprendre quiconque. De plus les activités du chantier, manutentions et livraisons, les allées et venues de la clientèle, permettent de s’y camoufler sans grand danger.
Angèle Breton va, de ce fait, devenir une figure légendaire dans le quartier.
La Résistance, on s’en doute, fut très active à Sartrouville pendant ces quatre années d’occupation.
En septembre 1942 : attaque de la Mairie, par un commando de trois F.T.P. armés, en plein jour, et soustraction de 2 500 feuilles de tickets d’alimentation qui serviront à ravitailler les réfractaires et maquisards.
- L’un des moyens les plus efficaces pour venir en aide aux clandestins : leur procurer les titres de rationnement, qui leur seront indispensables pour survivre. L’attaque de la mairie de Sartrouville sera présentée comme ayant été l’oeuvre de gangsters. Le journal « Le Courrier de Seine et Oise », édition collaborationniste, paraîtra pendant les quatre années de l’occupation.On peut voir dans l’article, ci-dessus, comment fut rapporté l’événement qui fit sensation en septembre 1942. L’attaque du centre de distribution des cartes d’alimentation de Sartrouville, qui se trouvait dans les locaux de l’ancienne Mairie, rue de Saint- Germain, par un commando de Corps-Francs F.T.P.F., y est présentée comme un « audacieux cambriolage », les Résistants y sont affublés du nom de « malfaiteurs ». À qui fera-t-on croire que de véritables gangsters se soient déplacés en bicyclettes ?...
En décembre de la même année, une grenade est lancée dans la salle du café « Le Rocher », rue de Seine, où les chleuhs de la Kriegsmarine prennent leurs repas. Bourquart et le jeune Pierson, arrêtés les armes à la main, seront fusillés le 4 décembre.
- Rue de Seine et sur la gauche, le café du Rocher où se restauraient les chleuhs de la Kriegsmarine
Toutes les actions étaient canalisées par trois branches aux activités différentes, mais qui s’interpénétraient :
1) Sabotages industriels, mis au point par les ouvriers de la SNCAN, usine de fabrication d’hydravions, pour le compte des occupants.
L’un de ces appareils coula sur le plan d’eau, en 1942, face au champs de courses (une bonde de vidange avait été enlevée), et un second, le CAMS 161 quitta la Seine pour les Etangs de Hollande où il y coula également. Les ouvriers et cadres de la SNCAN, ayant infiltré le syndicat pétainiste, formeront d’ailleurs l’ossature des F.F.I. de Sartrouville sous la direction de l’ex-C.G.T. interdite et de ses responsables : Marcel Moret, Lèon Pierson, Adrien Friboulet, etc...
- ... Sabotages industriels mis au point par les ouvriers de la S.N.C.A.N. L’un de ces hydravions, coula sur ce plan d’eau en 1942, face au champs de courses (une bonde de vidange avait été enlevée)...
- Les bâtiments de l’usine S.N.C.A.N., où étaient montés et assemblés les hydravions pour le compte des troupes d’occupation. Le syndicat pétainiste « Front Social du Travail » avait été noyauté par les militants clandestins de la C.G.T. et quelques militants chrétiens. Ils constitueront l’ossature des F.F.I. de la ville
2) Résistance-Fer, affiliée aux F.T.P.F., son réseau de renseignements et sabotages, entre autres, le déraillement du train de marchandises en gare, l’hiver 1941, (lorsque les Allemands en furent avertis, leur chargement de pailles et fourrages avait totalement disparu, distribué aux habitants.)
3) En liaison avec les éléments de « Défense de la France », des Sartrouvillois : Haranger, Segogne, Roinsard, Barbey et autres, avaient pour tâche d’aiguiller les victimes du STO vers des planques sûres.
Si des coupes sombres avaient été effectuées par les nazis dans l’encadrement (arrestation du commissaire de police Orsi ainsi que du pharmacien Gibergy et de l’imprimeur René Brulay), il n’en reste pas moins que l’activité ne se relâchait pas.
Les ponts, franchissant la Seine et l’Oise, sont l’un après l’autre bombardés par les alliés : Conflans, Poissy, Les Mureaux, etc...
Il ne reste plus qu’une seule voie d’accès vers l’ouest : la ligne Paris-Le-Havre et son pont de Sartrouville-Maisons-Laffitte, représentant une importance stratégique capitale, car venaient s’y aiguiller la ligne de « ceinture » d’Argenteuil, et la voie annexe, issue du dépôt de Carrière sur Seine, où les occupants stockaient à quinze mètres sous terre des V1 et V2, ainsi que des pièces de rampes de lancement.
Le pont étant en pleine ville, jouxtant les activités (marché, mairie, gare, commerces, etc...), il était aisé de penser que sa destruction, par bombardement aérien, provoquerait de sérieux dégâts et de nombreuses victimes.
C’est ainsi que Londres fut contacté, et qu’il fut offert au commandement allié de le faire sauter à l’explosif, les F.T.P. étant équipés pour cela et l’ouvrage n’étant gardé que par quelques « requis », aisément neutralisables.
La réponse fut négative. Londres exprimant la crainte d’éventuelles représailles parmi la population civile. Il n’en fut donc rien et c’est sans autre préavis que le pont fut bombardé ce samedi 27 mai 1944, on va voir dans quelles conditions.
Un cousin lointain de mon beau-frère, le maraîcher Gougerot, étant en retard sur ses travaux des champs, nous avait demandé de lui sarcler une pièce plantée d’oignons, située en descente douce vers la Seine, derrière sa maison de l’avenue de la concorde, à 100 mètres du pont du chemin de fer.
Il était quatorze heures.
En maillot de corps, étant donnée la chaleur de ce beau jour de Pentecôte, nous venions de reprendre l’ouvrage lorsqu’un ronronnement, caractéristique des lourds bombardiers, nous fit lever la tête.
Venant de la boucle Nord de la Seine, une vague d’appareils, en rangs serrés, amorçait un virage de façon à prendre la ligne de chemin de fer en travers, la Falk se déchaîna.
- « C’est pour notre gueule ! Hurla mon beau-frère, tirons-nous ! Tirons-nous !
À larges enjambées je remontais le terrain, traversais la cour du maraîcher, attrapant mon vélo au passage et l’enfourchant.
C’est à plein effort que je m’enfuyais, en direction opposée au pont, alors que les premiers sifflements des projectiles emplissaient le ciel.
Un souffle violent et chaud me fit comprendre que les points de chute n’étaient pas éloignés (une bombe de 1 000 kg tombera à l’angle de la rue de Soissons).
J’enfile l’avenue de Soissons sur ma gauche, puis l’avenue Rude sur ma droite, la rue de Dixmude sur ma gauche, cherchant le plus possible à m’éloigner du pont, alors que les bombes de la seconde vague sont larguées.
Je débouche sur l’avenue de la République, dans un bruit assourdissant, la vitrine du pharmacien, sur le trottoir de droite, et celle du marchand de couleurs, qui lui fait face à ma gauche, se rejoignent au milieu de l’avenue, soufflées.
Sans chuter de mon cycle, je me retrouve sur la gauche de l’avenue large de cinq à six mètres, littéralement soulevé, roulant sur un tapis de verres brisés.
Arrivé en limite de Montesson, au loin, devant moi, d’autres bombardiers arrosent le pont du Pecq, inutile d’aller plus loin. Je m’abrite donc, alors que les dernières vagues lâchent leurs torpilles et s’éloignent. Un immense nuage de fumées et de cendres recouvre la ville.
Je reprends mon vélo, et mon premier réflexe est d’aller voir si le quartier de mes Parents n’est pas atteint. Heureusement, non, je rassure ces derniers de ma présence et j’entreprends de descendre vers la gare afin de constater les dégâts.
Le spectacle est horrible.
Au bas de la rue Rouget de l’Isle, l’immeuble de la coiffeuse est effondré, la quincaillerie Zorio est détruite, le long du talus de la ligne, en contrebas, des corps, des bras, une tête de femme a roulé sur la route, un enchevêtrement de débris de toutes sortes, la nausée me prend, je n’ai pas tout vu.
Un train était en gare, presque exclusivement emprunté par les turfistes se rendant aux courses de Maisons Laffitte, ce train avait une dizaine de minutes de retard, ce qui sera fatal à beaucoup de ses occupants. En effet, en toute hâte, afin de s’abriter, les voyageurs se sont rués à l’extérieur, descendant le talus, se sont engouffrés dans les caves et abords de l’hôtel Veillet rue Turgot.
- L’hôtel-restaurant « chez Veillet », face à la gare, avant le bombardement du 27 mai 1944. Un train de courses était en gare, afin de s’abriter les voyageurs se ruèrent dans les caves et abords du bâtiment
Une torpille de 1 000 kg avait traversé les quatre étages et avait éclaté dans les sous-sols. On dénombrera plus de 200 morts. Nous apprendrons plus tard, que tout le quartier du flanc ouest du pont est en grande partie détruit.
Pour ma part, je suis sonné, comme commotionné. Je reviens à notre domicile, comme un automate. Tout le quartier est dans la rue, et rapidement, de bouche à oreille, se transmet cette certitude : « Ils ont loupé le pont ». Allait s’installer alors, dans Sartrouville, une véritable panique.
Les travaux de déblaiement et de recherches des blessés se poursuivaient lorsque, vers 19 heures, la sirène se mit à hurler et à nouveau : bombardement du pont, qui encore une fois n’était pas sérieusement atteint (je suis à ce point choqué que ce second assaut des bombardiers ne laissera aucune trace dans ma mémoire).
Dès le lendemain matin, une zone de danger délimitée était circonscrite sur 500 mètres de rayon autour de l’ouvrage.
Des dispositions étaient prises pour éloigner de la gare toutes les activités générales. Les services de mairie et de police sont transférées à l’école Jules Ferry, le marché au quartier Franklin.
Dix heures sonnaient quand la valse des bombes reprit de plus belle. Nous allions ainsi subir, neuf bombardements en trente heures, et de haute altitude. Affolée, la population déserta la ville, se dirigeant en hâte vers les champignonnières de Montesson, à 10 mètres sous terre.
L’attitude des forces aériennes alliées sera violemment critiquée par la majorité des Sartrouvillois.
Après cette Pentecôte meurtrière, le pont avait été sérieusement touché, et ses destructions y interdisaient toute circulation.
Dès le mardi, les occupants entreprirent les réparations nécessaires au passage des convois.
Amenant de Saint-Lazare les matériels et d’énormes grues, ils procédèrent aux premiers travaux, en même temps qu’ils en organisaient la protection par l’installation de trois batteries de D.C.A. L’une dans l’Ile de la Commune, l’autre sur rails dans « l’Ilôt », au bout du jardin de mes Parents, la troisième à la carrière Vallot.
Des ingénieurs S.N.C.F. requis, doublés de leurs homologues allemands supervisaient les assemblages d’énormes poutres de bois, manoeuvrées par des ouvriers requis et des prisonniers, militaires et civils Soviétiques, amenés sur place et ceci jour et nuit.
Afin de permettre l’acheminement des voyageurs, une halte est créée au passage à niveau du Val-Notre-Dame en limite d’Argenteuil, sur la ligne de grande ceinture.
Dans notre quartier, en limite de la « zone rouge », nombreux étaient les habitants qui se refusaient à quitter leur domicile.
C’est ainsi que, sous les directives de mon Père, je fus chargé d’aménager une tranchée-abri dans le chantier même d’Angèle Breton. Un ouvrage d’une vingtaine de mètres de long, en double Z et d’une profondeur de 2 mètres qui devait être recouvert de traverses de chemin de fer alignées l’une près de l’autre et recouvertes de terre et ensuite, d’une livraison de boulets de charbon en vrac. Un véritable ouvrage d’art, qui était même équipé d’une niche, comportant tous nécessaires de soins de première urgence.
L’ouverture de cet abri augmentera naturellement les allées et venues du voisinage, ce qui n’était pas pour déplaire à beaucoup d’entre nous, et favorisait ainsi la relative sécurité concernant les activités répréhensibles aux yeux de l’ennemi.
Je me dois de relater ici une anecdote qui fera encore sourire bien des années plus tard.
Le percement de la tranchée-abri, on s’en doute était un ouvrage pénible et n’avançait pas vite.
C’est ainsi qu’un matin, Angèle Breton vint me trouver, accompagnée d’un garçon de 17 à 18 ans, blond comme les blés, trapu et solide.
- « Tiens, Bernard, voilà de l’aide. Ce garçon, Yvick, est un jeune Breton que j’héberge et qui va te seconder. Un petit inconvénient, ne t’étonne pas, il ne parle que le Breton, pas un mot de français, ou si peu !
Je mis donc le garçon à l’ouvrage, mais fus rapidement surpris de son attitude. On l’a vu, ma jeunesse vacancière s’était déroulée en Bretagne, et les contacts étroits avec les jeunes du pays m’avaient fait faire ample connaissance avec la langue. De plus mon père parlait assez bien, lui aussi, la langue Celte. En un mot, je comprenais bien le Breton et le parlais assez pour me faire comprendre. Quelle aubaine de pouvoir rafraîchir mes connaissances linguistiques !
- « Breiz atao gars ? (tu es Breton mon garçon ?)
- Da
- Tom eo ! dalc’h mad ! (il fait chaud ! tiens bon !)
- Da
Première surprise, un Breton qui s’exprime affirmativement par DA et non YA, cela méritait explications.
J’allais donc trouver la mère Breton, et lui faisais part de mon étonnement.
- « Votre neveu breton Yvick , il vient d’où ? »
Angèle parut interloquée et fut dans l’obligation de me mettre dans la confidence.( La logique imprimée par la Résistance sera appliquée jusqu’à la Libération : en dire le moins possible et ne savoir que le strict nécessaire).
- « Mon jeune « Breton » est un Russe évadé du pont.. Tâche de faire avec, et arrange-toi pour que personne ne le soupçonne.
Une organisation d’évasions avait été mise sur pied par les F.T.P.. À chaque alerte tout le monde fuyait vers les abris, y compris les gardes allemands de la Volksturm.
Deux frères Jacquet, André et Louis avaient pris contact avec des « requis », et c’est grâce à leurs actions combinées que cinq jeunes Soviétiques purent échapper à leurs geôliers (j’aurai l’occasion, quelques années plus tard, de constater avec quelle amertume, « la mère Breton » s’insurgeait contre le fait qu’elle n’avait jamais eu de nouvelles de notre jeune soviétique, depuis qu’il était retourné dans son pays. Plusieurs lettres, expédiées à l’adresse qu’il nous avait laissée, restèrent sans réponses. Aucune manifestation d’une quelconque autorité officielle ne nous parviendra jamais, ne serait-ce que de reconnaissance).
Puis ce fût la nouvelle tant attendue que vint nous claironner Angèle Breton ce matin du 6 juin vers sept heures :
- « ILS ont débarqué ! »
Je crois que, de toute ma vie, je n’ai eu un si bel anniversaire.
Je suis effectivement né le 6 juin 1924, j’avais donc tout juste 20 ans.
Fêter ses vingt ans, dans n’importe quelle situation, est déjà un événement, mais là, chapeau, quel cadeau !
Le Père déboucha, pour fêter l’événement, une des rares bouteilles que quatre années d’occupation n’avaient pas réussi à violer, une bouteille de « Bénédictine ».
- Françis Morinais, mon Père
Mais revenons à ce fameux pont.
Quatre semaines avaient été nécessaires aux occupants pour remettre en état l’ouvrage, provisoirement, et espérer y faire traverser à nouveau des convois, à vitesse limitée, qui devenaient nécessaires pour eux, face à l’avance Alliée en Normandie.
Ce dimanche 25 juin était prévu techniquement pour les premiers essais.
Une locomotive, tractant un train chargé, devait traverser la Seine à très faible allure afin d’éprouver la réparation.
Les nazis offrirent aux techniciens une confortable prime, démarche ayant pour objectif de gagner 24 heures. L’opération réussit, et c’est donc le samedi 24, à 19 heures, que devait se dérouler la tentative.
Résistance-Fer, naturellement informée par Lucien Aubé, communiqua cet important renseignement à Londres.
L’essai n’aura pas lieu.
À l’heure prévue, un bombardement en « piqué » ne permit même pas le démarrage du convoi, et le pont fut atteint pour le compte. Il ne permettra plus aux Allemands le ravitaillement de leurs armées.
Les recherches historiques ne permettent pas, à ce jour, d’affirmer qu’il s’agissait de bombardiers pilotés par des Français Libres, comme il a été dit (la R.A.F. comme l’U.S. Air Force avaient accepté de constituer des groupes de chasse et de bombardement uniquement composés de « français libres » : pilotes, mitrailleurs, bombardiers ayant rejoint Londres).
D’aucuns se demandèrent longtemps, pourquoi la batterie de canons rapides, basée dans l’îlot, ne réagit pas à l’attaque du premier « piqué » ?
Le groupe F.T.P.F. Résistance-Fer avait reçu pour mission de la neutraliser avant.
Un canonnier et un servant nazis se trouvaient en permanence en alerte, jour comme nuit.
Sous la responsabilité de Didier Diboine, avec deux de ses camarades cheminots, les trois hommes s’engagèrent sur la voie, à l’heure qui leur avait été dictée.
Qui se serait méfié de ces cheminots, en tenue de travail, pelle sur l’épaule et que, de plus, les Allemands avaient l’habitude de voir circuler dans les voies, munis de papiers en bonne et due forme ?
C’est à coups de pelles à charbon que les deux artilleurs furent neutralisés.
Toute attaque à l’arme à feu eut été lourde de conséquences en cas d’échec, quel soit-il.
Dix bombardiers légers, venant de Houilles, et prenant la ligne S.N.C.F. en enfilade, firent le reste, pulvérisant la batterie et « posant leurs projectiles sur l’objectif », comme on pourra le dire plus tard.
Les impacts furent très précis, la locomotive descendit les dix mètres de talus, jusqu’au quai de Seine, ainsi que les « pains de sucre », abris en béton individuels protégeant les boches, avec leurs occupants à l’intérieur.
Le pont fut donc rendu inutilisable jusqu’après la Libération.
Ce fût le dernier bombardement.
Les F.F.I. de Sartrouville étaient organisés en deux groupes, composés de plusieurs unités : les adultes (mon père Morinais Francis y était sergent),
et les F.F.I.-jeunes, de 16 à 20 ans environ, dont je faisais partie, sous les ordres de Lucien Perrin.
Du fait du manque d’armes, certaines actions n’en nécessitant pas où peu nous étaient confiées.
Nous-nous réunissions dans une grande maison abandonnée, à l’angle de la rue de l’Union (Gabriel Péri actuelle) et rue Gounod, où nous mettions au point, sous la responsabilité de Lucien, nos diverses opérations.
Nos jeunes Soviétiques assistaient à nos débats, qui étaient traduits en Russe par l’un d’entre nous, Nicolas G.....f, originaire du Caucase.
N. G.....f sera, quelques semaines plus tard, confondu par des témoins comme ayant porté l’uniforme nazi.
Exclu, emprisonné, il sera frappé d’indignité nationale
C’est lors d’une de ces réunions que j’adhérais aux F.U.J.P. (Forces Unie de la Jeunesse Patriotique), qui devaient, plus tard, devenir l’U.J.R.F. (Union des Jeunesses Républicaines de France) et U.J.F.F. (Union des Jeunes Filles de France), regroupant la jeunesse de divers horizons.
Nous apercevant que les troupes Allemandes, qui traversaient Sartrouville, n’en connaissaient pas la topographie, et qu’elles empruntaient les rues de la République, Jean Jaurès, de Saint-Germain et la côte de l’église, pour se diriger vers l’est, nous avons changé l’orientation des panneaux d’indication de la route d’Argenteuil, de La Frette et de Cormeilles (en application du plan « Tortue »). De ce fait, ils s’engageaient vers Cormeilles-Herblay, croyant se diriger vers Argenteuil.
Ces précisions sont importantes pour comprendre les événements du 26 août à Sartrouville.
Le Q.G. des F.F.I., qui se trouvait à l’école Jules Ferry, nous envoya ce matin là pour récupérer des armes automatiques, découvertes à la S.N.C.A.N. qui était occupée par les F.F.I. de l’usine.
- L’école Jules Ferry « garçons », quartier général des F.F.I de Sartrouville. Les armes étaient entreposées dans la salle No.11, à côté du bureau du Directeur, siège de l’Etat-Major. Au premier étage les classes où étaient emprisonnés les éléments douteux, collaborateurs
Sur place nous avons chargé une mitrailleuse et ses munitions, dans un très long camion à gazogène, le seul en état de rouler après réparations et aux ridelles très basses, qui servait au transport des ailes d’hydravions.
Nous avions pour tâche, d’amener cette arme dans la propriété de Monsieur Rouskoff, avenue de la République, près du charcutier Le Flem,(dont le fils, René, était au volant de l’énorme véhicule).
L’entrée de la cour était très étroite, et les arbres gênant, obligèrent le conducteur à plusieurs manœuvres.
Le véhicule tomba en panne en travers de l’avenue. Toute circulation était impossible.
C’est alors qu’un soldat allemand, seul sur son side-car, se présenta, venant du Pecq.
Nous étions en train de pousser le camion à la main, et il nous y aida en vociférant.
Inutile de dire qu’il avait dans son dos Lucien Perrin, dans la poche duquel un pistolet était pointé.
Ce side-car était l’estafette d’un convoi de canons légers antichars, de matériels, ainsi que de munitions.
Nous allions savoir, plus tard, ce qu’il en advint.
En effet, deux de nos jeunes, dont l’un seulement était armé d’un pistolet, guettaient, abrités derrière le large mur de l’église qui surplombe la côte à cet endroit.
Je précise qu’ils n’avaient aucun ordre de mission.
Le motard montait doucement, le side lourdement chargé, il fut ajusté et abattu par le jeune F.F.I.
- La côte de l’église, au haut de laquelle fut abatu le motard, estafette du convoi de canons anti-chars, le 26 août 1944. Les deux jeunes F.F.I. se tenaient derrière le mur, près des arbres
Les deux garçons traînèrent le corps dans le cimetière, mais quand ils revinrent pour débarrasser le side-car, c’était le convoi qui montait, découvrant la moto renversée et une mare de sang.
La fureur s’empara des occupants et ils mirent en batterie un canon léger sur la place du « Champs de Mars » et labourèrent la maison de Monsieur et Madame Boiteux, marbriers à l’époque, et dont les gérants ne durent la vie sauve qu’à leur descente à la cave.
Pendant ce temps, les deux jeunes prirent en enfilade la rue de l’Union, en alertant les riverains qui étaient sortis de chez eux, dont Mademoiselle Yvonne Mallard qui leur répondit :
- « Je n’ai pas peur, ils ne me feront rien à moi, je ne suis qu’une femme qui va en courses » (ou quelque chose d’approchant)
C’est le long du mur qu’elle fut abattue d’une rafale de mitraillette.
Mais, les Allemands n’avaient pas de temps devant eux et s’engagèrent, par erreur, route de La Frette (ce que nous avions prévu).
C’est ainsi qu’ils crurent avoir devant eux leurs agresseurs, qui n’étaient autres que les F.F.I., en poste de garde « chemin de la Pâture », le long de la S.N.C.A.N.
- Ci-dessous : Le chemin de la Pâture, en bordure de la S.N.C.A.N., c’est là que seront arrêtés les cinq F.F.I. de garde le 26 août 1944. Ils seront fusillés quelques centaines de mètres plus loin, sur le bord de la route de La Frette
Cinq d’entre eux furent arrêtés par les boches, alors que les F.F.I. de Maisons-Laffitte, alertés, les mitraillaient de l’autre côté de la Seine, dans le champ de courses.
Les cinq prisonniers furent fusillés, en bordure de la route de La Frette.
Pendant ce temps, la mitrailleuse était fixée et boulonnée sur la galerie renforcée d’une « traction-avant ».
À son volant, Eugène Jacquet, et en position de tir allongé, à l’arrière, son frère « Toto ».
Le véhicule, armé de la sorte, remonta sur Cormeilles et les combats de la « Patte d’Oie » d’Herblay, où il fit le coup de feu, contre un groupe allemand comportant trois chars « Tigre ».
La lutte fut rude, mais immobilisa les fuyards jusqu’à l’arrivée des Américains. Notre jeune camarade F.F.I., Vauzelles, évadé de la prison de Saint-Lo, devait trouver la mort dans ces combats.
L’après-midi du 26 août 1944, des groupes de F.F.I. sont chargés d’arrêter les personnes suspectées d’avoir collaboré avec l’ennemi, ou vendu des Résistants de Sartrouville.
C’est ainsi que mon groupe participa à l’arrestation de trois femmes, la mère et les deux filles B.....n, rue Pierre Belloc.
C’est après avoir reçu par les fenêtres toute la batterie de cuisine et ses accessoires vaisselles et autres, que nous pûmes nous rendre maîtres de la situation.
À notre retour, encadrant nos prisonnières, la foule était si dense et déchaînée que nous dûmes braquer nos armes sur les habitants qui, sans ce geste, auraient lynché les accusées, sans autre forme de procès.
D’aucuns entreprirent de procéder, publiquement, à la tonte des femmes arrêtées.
Une estrade fut installée, dans la cour de l’école Jules Ferry garçons, la foule grondait de vengeance.
Maurice Perronnet, alors responsable F.F.I. et Président du Comité Local de Libération, s’opposa violemment à une telle pratique, soutenu par ses hommes.
Il ne fut pas écouté, mais, débordé par la foule. L’une des filles B......n fut tondue, et le crâne orné d’une croix gammée, à la peinture noire.
Ce fut la seule car d’un seul coup, le bruit se propagea du retour des Allemands bloqués à Herblay.
La cour et les abords de l’école se vidèrent en un clin d’oeil, les drapeaux disparurent des fenêtres.
Une rapide enquête nous révéla que le maraîcher D.......r était à l’origine de cette fausse nouvelle, sa fille qui venait d’être arrêtée allait être tondue !
Seuls restèrent sur place les F.F.I., tous les véhicules disponibles furent préparés, et la troupe armée se dirigea vers Herblay, par Cormeilles en Parisis.
Nous fûmes surpris de voir arriver au Q.G. un camion allemand, poussé par ses deux occupants, désarmés, qu’encadraient cinq jeunes F.F.I. de 16 à 20 ans, qui les avaient fait prisonniers, par surprise, non armés eux-mêmes.
C’est à l’angle des rues de Tobrouck, à Montesson à l’époque, et de Montgolfier, que les cinq garçons avaient surpris les deux nazis en panne.
Utilisant le scénario classique de la menace d’une arme, fictive, plantée dans le dos (comme dans les films). Les gars avaient neutralisé les deux fuyards et, leur subtilisant leurs fusils, les avaient obligés à descendre la rue de Strasbourg, en poussant leur véhicule jusqu’au Q.G...
Les troupes Américaines se tenaient sur l’autre versant de la Seine, et préparaient le lancement d’un pont du génie pour traverser le fleuve au Pecq.
Cependant, le premier militaire allié qui entrera à Sartrouville sera un jeune Français de 22 ans, qui avait rejoint Londres en 1942.
Il franchira seul le pont du chemin de fer, pendu aux traverses des rails par les mains, et viendra embrasser sa famille, rue Rouget de l’Isle, près de chez mes parents (La petite histoire dit qu’il fut sanctionné par sa hiérarchie pour « abandon de poste »).
Sartrouville était totalement libéré, en même temps que Paris, le 26 août donc.
Les troupes alliées avaient franchi la Seine, le lendemain, et entreprenaient le nettoyage de la rive droite des derniers nids de résistance allemande, en particulier à Chatou où ces derniers assassinèrent 27 F.F.I. et F.T.P.F..
Deux d’entre eux purent s’échapper du carnage, et c’est chez Madame Breton qu’ils trouvèrent refuge, ayant fuit à travers la plaine de Montesson.
Ce n’est que quelques jours plus tard, le premier septembre, que la nouvelle traversa la ville : les Américains arrivent venant du Pecq !
J’entrepris donc d’aller à leur rencontre.
Vêtu de ma seule « cotte » de travail, et d’un maillot de corps, je descendis la rue Montgolfier, alors que les premiers blindés entraient dans la ville.
Une chaude, très chaude journée d’été, un ciel sans nuages, la totale liberté. J’arrivais au carrefour, la foule était dense, mais, cependant, pas assez pour me dissimuler une grande et belle fille blonde...
- une grande et belle fille blonde...
Mais, comme dira plus tard le petit lion : « Ceci est une autre histoire... »
« Si la bête immonde sort de sa tanière, nous reprendrons le chemin des bois... » Jean Ferrat.