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Lettre de Joseph Crouzeix aux parents d’un soldat mort pour la France : Marcel Madeuf (2 septembre 1914)

1er épisode

Le jeudi 8 février 2018, par Jacques Pageix

La majorité de la population, d’origine rurale, était naturellement endurcie par les travaux agricoles. Cela aussi nous explique la résistance physique et morale de ces hommes qui endurèrent avec un extrême courage cette guerre longue et meurtrière.
Elle n’épargna personne, dès le début des hostilités, comme en témoigne cette admirable lettre de condoléance à des parents endeuillés par la perte de leur jeune fils unique, tué à l’ennemi dans les premiers jours de la guerre ; elle exprime à la fois la douleur, la résignation et l’espérance.

Avant-propos

Les commémorations de la guerre de 1914-1918 doivent évoquer prioritairement les combats dont nos ancêtres soldats furent les acteurs ou les témoins. Toutefois, les archives familiales permettent de découvrir d’autres aspects qu’il convient à mon avis de prendre en compte et de présenter.
Dans un pays amputé de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine depuis la guerre franco-prussienne de 1870-71, la jeunesse était éduquée dans un esprit de patriotisme et de revanche sur l’Allemagne. Ceci est une évidence lorsqu’on consulte les manuels scolaires de cette époque ; je conserve un livre de musique de mon grand père où les chants militaires sont nombreux.
Au cours de la période qui précéda cette guerre, la longueur et la nature spartiate du service national, alors accompli pendant trois ans par les jeunes appelés, et leur participation à des manoeuvres militaires de grande ampleur, firent de ces hommes des soldats préparés à l’inconfort et aux privations. Ajoutons que la majorité de la population, d’origine rurale, était naturellement endurcie par les travaux agricoles.
Ceci nous explique la résistance physique et morale de ces hommes qui endurèrent avec un extrême courage cette guerre longue et meurtrière.
Elle n’épargna personne, dès le début des hostilités, comme en témoigne cette admirable lettre de condoléance à des parents endeuillés par la perte de leur jeune fils unique, tué à l’ennemi dans les premiers jours de la guerre ; elle exprime à la fois la douleur, la résignation et l’espérance.
Le rédacteur de la lettre, Joseph Crouzeix, qui atteignait ses 40 ans, se trouvait avec les troupes combattantes à Friesen, en Alsace, tandis que le jeune Marcel Madeuf, âgé de vingt ans, tombait non loin de là, en Lorraine, à Clézentaine.

Présentation

Cette lettre se trouvait parmi les papiers de mon grand oncle Joseph Pageix, dans sa maison de la Place d’Armes, à Beaumont (Puy-de-Dôme).

Joseph (Pierre) Pageix , né le 29 mars 1884, avait épousé Louisa (Marie-Michelle) Madeuf le 13 février 1909 à Olloix (où Louisa est née le 2 juillet 1888). Le père de Louisa, originaire de Saint-Nectaire, berceau de ses ancêtres, s’était établi à Olloix par son mariage avec une jeune fille de cette localité, Marie Maugue.
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En Toscane, vers 1910
Louisa Madeuf et Joseph Pageix peu après leur mariage.

L’auteur de la lettre, Joseph Crouzeix, également natif d’Olloix, écrivait aux parents de Louisa, endeuillés par la perte de leur fils mort au front dès le premier mois de la guerre. Il s’agissait du jeune frère de Louisa, Marcel (Pierre, Marie) Madeuf, Brigadier au 1er Régiment d’Artillerie de Campagne, 3e batterie. Sa fiche de soldat mort pour la France indique qu’il fut tué à l’ennemi le 2 Septembre 1914 à Clézentaine, en Lorraine (Vosges). Marcel est né le 27 janvier 1894 à Olloix.

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Photo sur plaque de verre prise vers 1906
Soit trois ans avant le mariage de Louisa (à gauche) et de Joseph.
À droite, le jeune Marcel avec ses parents.

Joseph avait conservé les cartes postales que le jeune Marcel envoya à sa famille, de Bourges où il faisait ses classes : il s’était engagé pour trois ans à la mairie de Clermont le 1er septembre 1913, et, le 9 septembre suivant, il avait rejoint son régiment, cantonné à Bourges.

L’une des deux cartes est adressée à ses grands parents :
« Bourges, le jeudi 20 novembre (1913) Chers Grands Parents,
C’est avec plaisir que j’ai appris que vous étiez en bonne santé. Pour le moment je me porte aussi très bien. J’ai assez de travail, mais ce n’est rien de très pénible, et puis le temps passe très vite, voilà déjà 2 mois et demi que je suis à Bourges et dans un mois nous serons à Noël et je viendrai en permission. Je termine en vous embrassant. Marcel Madeuf, 1er d’Art(illerie) 4e B(atterie) ».

L’autre s’adresse à sa sœur, ma grand tante Louisa et à son beau frère, mon grand oncle Joseph :
« Bourges mercredi soir (1913, probablement novembre) Ma chère sœur et cher beau frère,
J’ai été un peu fâché de ne pas pouvoir venir à la Toussaint mais vu le peu que je pouvais rester à Olloix, ça ne valait guère la peine. Je suis en très bonne santé (et) j’espère que vous êtes de même.
À Bourges le temps n’est pas mauvais il n’a pas encore gelé et je n’ai pas à me plaindre, pour faire mes classes, je fais du trot enlevé [1] ; tous les jours on monte en étriers ; aussi je n’ai pas eu... »
La suite figurait sur une autre carte que je n’ai malheureusement pas retrouvée.

Circonstances de la mort de Marcel Madeuf

La fiche de soldat mort pour la France de Marcel Madeuf [2] précise que le jeune Marcel appartenait à la 3e batterie du 1er RAC et qu’il a été « tué à l’ennemi » le 2 septembre 1914.
Le registre matricule de recrutement [3], fournit peu de renseignements sur Marcel (classe 1914, N° matricule au corps 4113 et N° matricule de recrutement à Clermont-Ferrand 101).
Je n’ai pas trouvé de photo de Marcel à cet âge ; son signalement est donc précieux : cheveux bruns, yeux marrons, front bombé, nez rectiligne sinueux, visage plein, menton à fossette , oreilles petites. Taille 1m70. Degré d’instruction : 3.
La plupart des jeunes appelés portaient la moustache : ce signe de virilité était si communément répandu que les fiches ne le signalaient pas.
Engagement pour trois ans à la mairie de Clermont-Ferrandd le 6 septembre 1913 ; arrivé au corps le 9, nommé brigadier le 22 juillet 1914.
Enfin, ce document précise qu’il fut tué à l’ennemi le 2 septembre 1914 et inhumé au cimetière de Clézentaine (Vosges). En fait, sa dépouille fut transférée peu après à Olloix.

Sur le site des archives de la Défense, on trouve le journal de marche de son régiment, ainsi que celui de son groupe (le 1er), susceptible de nous éclairer sur les circonstances de sa mort.
On trouve également sur internet l’historique du 1er Régiment d’Artillerie de Campagne, dont je cite ci-après quelques passages : on peut y suivre les actions auxquelles le Brigadier Marcel Madeuf participa et identifier l’épisode au cours de laquelle il trouva la mort ; il est naturellement cité dans la liste des soldats morts au combat fournie dans cet historique.

Ce Régiment, commandé par le Colonel Lequime, était composé de 3 groupes, 9 batteries de 75 (36 canons). La 3e batterie, commandée par le Capitaine Masson Bachasson de Montalivet, relevait du 1er groupe commandé par le Chef d’escadron Lefébure (Mort pour la France).

L’historique porte en épigraphe un extrait des « Chants du Crépuscule » de Victor Hugo :
« Ceux qui pieusement sont morts pour la Patrie
Ont droit qu’à leur cercueil la foule vienne et prie
Entre les plus beaux noms leur nom est le plus beau.
Toute leur gloire près d’eux passe et tombe éphémère,
Et comme ferait une mère,
La voix d’un peuple entier les berce en leur tombeau. »

Mobilisé à Bourges [4] du 1er au 6 août 1914, le 1er R.A.C. (Régiment d’Artillerie de Campagne équipé des fameux canons de 75), débarque à Charmes-sur-Moselle (Vosges) les 8 et 9 août.

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Chargement d’un canon de 75 par des artilleurs.
Photo prise par Joseph Pageix au cours de la guerre de 1914-1918.
Chaque artilleur est spécialisé : le chef de pièce (debout) ; le chargeur (l’obus en mains), le tireur (assis à droite) ; le pointeur (assis à gauche) ; un pourvoyeur et un déboucheur.
Les deux cylindres presque verticaux près du caisson à munitions sont les débouchoirs, servant au déboucheur à perforer les fusées des obus (le perçage de la fusée détermine le temps avant l’explosion, qui peut avoir lieu avant l’impact pour augmenter les effets meurtriers).
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Dans sa tranchée-abri, le même chef de pièce observe
l’objectif avec ses jumelles pour régler le tir.

« Pendant tout le parcours en chemin de fer et plus particulièrement dans les gares, l’accueil d’une population en délire est indescriptible. Il faut avoir vécu ces heures inoubliables, pour les comprendre et les apprécier. Partout des fleurs et des tonneaux de vin ; les quais sont noirs de femmes, de jeunes filles et d’enfants, venus pour acclamer les « Défenseurs du Droit et de la Justice ». On se serre la main, on s’embrasse, on s’étreint, et, sous l’avalanche parfumée, les figures martiales s’épanouissent et s’auréolent d’un sourire de gloire ».
Après quelques jours de marches forcées, de jour et de nuit, extrêmement fatigantes, avec la 16e division dont il fait partie, le 1er Régiment arrive au contact de l’ennemi qui occupe Blamont avec de fortes avant-gardes ; nos soldats le repoussent au-delà de Sarrebourg qu’ils réussissent à occuper.
« Devant Sarrebourg s’engage une véritable bataille, nos batteries sont obligée d’occuper des positions repérées à l’avance par un service d’espionnage admirablement organisé [5]
L’artillerie lourde (210 et 280) nous inflige des pertes sévères en hommes, en chevaux et en matériel ; ses effets ont été désastreux au point de vue moral (…) la résistance ennemie allait être vaincue, lorsque les événements de Belgique nous ont mis dans la pénible obligation de battre en retraite les 21,22 et 23 août.
Une retraite sur la rive gauche de la Mortagne est suivie d’une contre-attaque qui repousse les allemands au delà de la rivière (25 et 27 août).
Du 27 août au 12 septembre, c’est une période de transition entre la guerre de tranchées et la guerre de mouvement. Menacés par le nord, les allemands se fortifient sur la rive droite de la Mortagne. Nos batteries sont en position au nord de Clézentaine, face à Saint-Pierremont. Nous gênons considérablement les travaux de l’ennemi et les objectifs d’infanterie qui se dévoilent sont efficacement battus. L’aviation, les contre-batteries allemandes hors de portée de nos 75, gênent considérablement nos mouvements, qui s’effectuent seulement la nuit ; puis, finalement, nous couchons sur nos positions ».

Le décès de Marcel est survenu au cours de ces durs combats et l’on retrouve la cause évidente de sa mort dans les journaux de marche de son Régiment. Le journal de son groupe (le 1er) relate les faits suivants :
1er septembre : Nous reprenons les mêmes positions de batterie à la cote 298 ; même observatoire avec comme objectif Domptail. La 2e batterie reste sur les positions la nuit. La 3e (celle de Marcel) cantonne à la ferme de la Française.
2 septembre : On occupe les mêmes positions, mais ce matin là il n’y a pas eu de brouillard. La 3e batterie a été probablement vue et a reçu de gros obus qui lui démolissent une pièce (celle de Marcel) et mettent hors de combat pas mal de personnels ».

Le journal du Régiment laisse supposer quant à lui que la dissipation du brouillard n’explique pas à elle seule le déchaînement soudain de l’artillerie allemande sur la pauvre 3e batterie, car il invoque aussi des mouvements au sein des positions, ordonnées par le chef de corps, mouvements qui à l’évidence ont pu être observés par l’ennemi :
2 Septembre : Le 1er groupe occupe ses positions de la veille.
Les canons de la 5e Batterie [6] sont rendus par le parc, mais dans un état tel que le Capitaine fait savoir qu’il ne peut faire tirer les batteries. Le Lieutenant-Colonel donne l’ordre au groupe de se mettre au repos à Fauconcourt à l’exception de la 6e Batterie qui attendra d’être remplacée par la 3e. Ces mouvements s’étant effectués en plein jour ont attiré un feu très nourri de pièces de gros calibre allemandes. Plusieurs tués et blessés.

Sa dépouille, inhumée dans un premier temps à Clézentaine, repose aujourd’hui dans le cimetière d’Olloix. A ce jour, je n’ai pu retrouver la date de son transfert.

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Mouvements du 1er R.A.C

Schéma des mouvements et combats auxquels participa le Régiment du Brigadier Marcel Madeuf depuis le débarquement à Charmes-sur-Moselle les 8 et 9 août 1914 jusqu’à sa mort survenue à Clézentaine le 2 septembre 1914.

J’ai établi cette carte à partir de l’ouvrage « La guerre racontée par les généraux », tome 1 ; elle montre les quatre phases de ces actions :
1-L’offensive qui repoussa les allemands au-delà de Sarrebourg (20 août) ;
2-La retraite (21/23 août) ;
3-La contre-attaque (25/27 août) ;
4-L’installation des batteries sur la rive gauche de la Mortagne (à partir du 27 août).

Le récit de l’attaque de Sarrebourg et du repli qui suivit peut être complété par celui de l’ouvrage « la guerre racontée par les généraux » :
« Dans la première phase de la guerre, les armées sont concentrées le long de la frontière. La 1re armée, commandée par le général Dubail, est massée entre Belfort et Lunéville. Elle compte 5 corps d’armée (7e, 8e, 13e, 14e et 21e). Le 8e corps d’armée, venu de la région d’Auvergne, comptait, au sein de sa 16e Division d’Infanterie (Général de Maud’huy), le 1er Régiment d’Artillerie. C’était l’ancien régiment des fusiliers du Roi, qui s’illustra à la défense de Huningue, et dont il est écrit :

« Les canonniers du 1er régiment ont fait des prodiges de valeur qui ont excité l’admiration même de l’ennemi ».
« Parmi les corps d’armée, le 13e (général Alix) représentait la région de Clermont-Ferrand ; il était composé d’Auvergnats qui comportèrent comme les dignes continuateurs de Vercingétorix : le 105e, de Riom, était un des plus solides régiments d’infanterie.
« L’offensive de la 1re armée s’étendait sur un front allant de Sarrebourg à Colmar.
« Le 12 août, les 8e et 13e corps franchissent la Meurthe. À gauche, le 8e Corps d’Armée (de Castelli) assure la liaison avec la 2e armée (de Castelnau).
« Le 16 août, Blâmont est dépassé et la frontière franchie. Le 8e Corps d’Armée continue son avance vers Sarrebourg et y parvient le 18. À 15h30, les premières compagnies pénètrent dans Sarrebourg, chassent les Allemands. La population de Sarrebourg fait un accueil chaleureux à nos soldats. Devant chaque maison sont disposés des seaux de vin, des bouteilles de bière et des provisions de toutes sortes. Les habitants bourrent les musettes des poilus de cigarettes et de paquets de tabac.
« Mais ils ne cachent pas leurs appréhensions : « La retraite des Allemands n’est qu’une feinte pour vous amener sur les emplacements de combat choisis par eux. Ils sont plus nombreux que vous ; ils ont dix fois plus de canons. Prenez garde !
« En effet, à quelques kilomètres au delà de Sarrebourg, le 8e Corps
d’Armée va se heurter à de nouvelles positions renforcées par les Allemands. L’artillerie lourde ennemie s’est installée sur les hauteurs qui dominent la Sarre, de Reding jusqu’à Fénestrange, et elle flanque toute la vallée que nos troupes doivent suivre dans leur progression vers le Nord.
« Du 19 au 20 août, la bataille fait rage autour de Sarrebourg qui, finalement, doit être évacuée. On cite l’acte héroïque suivant :
« À la sortie, le général de Maud’huy (commandant la 16e Division d’Infanterie), qui a quitté la ville le dernier, est là, avec son porte-fanion. Il avise la musique, qui accompagne le colonel : « Allons, les gars, dit-il, préparez-vous à jouer ! ». Les musiciens sortent leurs instruments. « Et maintenant, poursuit le général, la Marche Lorraine ! » Les musiciens jouent cet air bien connu et chantent les paroles à pleine voix. Le général de Maud’huy vient le dernier, son éternelle pipe à la bouche.
« Le 21 août, la 1re armée reçoit de son chef l’ordre de se replier sur Blâmont. »

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Les artilleurs ont confectionné une tonnelle. On reconnaît, au fond, le même chef de pièce.
Photo Joseph Pageix.

L’extrême courage des combattants de Sarrebourg fut d’ailleurs salué par le Maire de cette ville dans une lettre adressée le 28 juin 1918 au Colonel commandant le Régiment. Cinq ans après cette action d’éclat, le Maire exprimait sa reconnaissance et rappelait le souvenir de ces journées sanglantes :
« Sarrebourg, le 28 juin 1919.
« À Monsieur le Colonel du Régiment divisionnaire d’Artillerie de la 16e Division.
« La ville de Sarrebourg, ayant célébré la fête de la délivrance, n’a pas manqué d’évoquer le souvenir des journées pathétiques du mois d’août 1914 , quand l’éclatante bravoure et l’étonnante endurance des vaillants soldats français sont venues jeter une lueur d’espoir sur nos angoisses, sur nos peines. Si aujourd’hui nos cœurs débordent d’allégresse d’être redevenus Français, d’avoir enfin retrouvé la Mère -Patrie après la dure épreuve de cette longue séparation et de cette terrible lutte, c’est à eux que nous le devons en première ligne, à ces ardents Français, c’est à ces soldats intrépides qui, les premiers, sont venus disputer notre terre à l’ennemi cruel et barbare.
« Un service commémoratif, d’une solennité grave et poignante, vient d’être dédié dans notre église à ces glorieux morts tombés devant Sarrebourg et qui ont payé le tribut de leur vie à la Patrie.
« Dans l’enceinte de notre ville, la rue des Berrichons et la rue des Nivernais sont destinées à perpétuer la mémoire des enfants du Centre qui ont si vailliament contribué à rendre à la France les provinces arrachées en 1870.
« Des liens indissolubles nous unissent maintenant et pour toujours au régiment que vous avez l’honneur de commander. Au nom de la municipalité, je viens offrir l’hommage de notre reconnaissance aux survivants des combats du mois d’août 1914. « Veuillez, etc...« Le Maire de Sarrebourg ».

Le Colonel lui répondit :
« Monsieur le Maire,
« J’ai l’honneur de vous accuser réception de la belle lettre remplie du plus pur patriotisme que vous avez bien voulu m’adresser à l’occasion du service commémoratif célébré à Sarrebourg. D’aussi nobles sentiments, si hautement exprimés, pénétreront jusqu’au fond du cœur de tous les artilleurs de mon régiment. En leur nom, je vous remercie de vos bonnes paroles, de la reconnaissance des habitants de Sarrebourg et de l’honneur qui nous est fait en perpétuant notre souvenir par les noms de Berrichons et de Nivernais donnés à deux rues de votre ville. Les survivants du mois d’août 1914 seront heureux de posséder ce glorieux document de la grande guerre et songeront à leurs camarades tombés au champ d’honneur ; ils auront la satisfaction de constater que leur sacrifice a été utile au droit, à la justice et au bonheur de nos frères retrouvés. Veuillez, etc... Signé Maury ».

Ce témoignage de reconnaissance du Maire envers le 1er R.C.A. nous prouve s’il en était besoin l’implication totale de ce valeureux régiment dans l’attaque et la prise de Sarrebourg. Ses pertes, au cours de la Grande Guerre s ’élevèrent à 22 officiers, 58 sous-officiers, 48 Brigadiers et 459 canonniers, morts pour la France.

Bien évidemment, tout comme ses parents endeuillés, Louisa ressentit douloureusement la perte de son jeune frère Marcel. Son époux, Joseph Pageix, avait été mobilisé tout comme ses deux frères, Antony et Pierre (mon grand père), dès le début de la guerre. Les trois frères ne furent libérés qu’après l’Armistice.

Joseph, Maréchal des Logis au 36e Régiment d’Artillerie de campagne, était chargé de l’approvisionnement en fourrage : il visitait, à cheval ou en vélo, toutes les fermes avoisinantes, prenant force photos qu’il développait et tirait sur place, dans son laboratoire improvisé : une enveloppe de ballon fixée sur une remorque lui servait de chambre noire ! De plus, il envoyait chaque jour à son épouse Louisa (et ceci jusqu’à la fin de la guerre !) une carte postale de la localité où il se trouvait.
J’en conserve une grande partie dans un album. Je n’ai pas retrouvé les réponses de Louisa, à l’exception d’une carte postale du Cirque de Gavarnie, datée de juillet 1917, qu’elle lui adressa au cours d’un pèlerinage fait à Lourdes avec sa famille d’Olloix.
La série dont je dispose commence le 3 novembre 1914 et la seule allusion au deuil familial est faite dans une carte du 5 novembre où il conseille à sa femme de quitter Olloix, où elle se trouvait auprès de ses parents, pour venir à Beaumont passer Noël avec la famille de Joseph Pageix.

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Joseph Pageix, au 36e Régiment d’Artillerie, pendant la Grande Guerre,
joue de l’harmonium pour animer la messe.
(noter son képi sur le haut de l’instrument)

Joseph, qui se trouve alors sur le front de la Somme, à Riquebourg, près de Ressons (Oise), lui écrit ceci :
« Ma bien chère Louisa,
« J’ai reçu hier ta lettre du 28. Nous sommes toujours au même endroit mais ne sais si nous allons y rester longtemps car les gros obus tombent tout près de nous. On parle de nous renvoyer dans l’Est, mais nous n’en sommes pas sûrs. Le jour de la Toussaint j’ai entendu messe et vêpres, et même le lendemain matin la messe des morts...Comme assistants dans ce pays d’au moins 800 habitants, nous étions en tout 4 militaires dont un servait la messe. Tu vois là la dévotion ! Je n’ai pas reçu de lettres entre celles du 22 et du 28. Je te conseille de ne pas tant rester à Olloix car je pense que ça ne doit pas y être bien gai. Je t’embrasse bien fort .Joseph »

L’auteur de la lettre

L’auteur de la lettre de condoléance, Jean-Joseph Crouzeix, est né à Olloix le 28 Décembre 1874 à 5 heures du soir. L’acte de naissance a été rédigé par le Maire, Monsieur Marcilly de la Tourfondue.
Les Crouzeix sont installés à Olloix depuis longtemps ; à Olloix, un Guillaume Crouzeix fut Maire de 1830 à 1848. Les parents de Jean-Joseph sont Guillaume Crouzeix, 33 ans, cultivateur, et Marguerite Savignat, 26 ans. Étaient présents à l’acte Vincent Besson, 38 ans, cultivateur, et Jean Tacheix, 45 ans, aubergiste. Ses grands parents sont, du côté paternel, Michel Crouzeix, cultivateur, et Élisabeth Besson et, du côté maternel, Jean Savignat, meunier à Cournols et Françoise Maugue.|

Le 1er Mars 1905, Joseph Crouzeix épouse à Olloix Anne Morin ; il a 30 ans et elle en a 40. Elle est née au hameau de Pré-Pommier, commune de Picherande, canton de Latour d’Auvergne. Elle exerce le métier d’institutrice à Olloix, et c’est probablement là qu’ils se sont connus.
Les parents de l’épouse sont assez âgés : son père, Pierre Morin a 72 ans et sa mère Jeanne Barbat 67 ans. Ils sont cultivateurs à Noisy-le-Roi, en Seine-et-Oise.
Les témoins du mariage sont Crouzeix François-Félix, 28 ans, cultivateur à Olloix, frère du futur, Jean Morin, 31 ans, employé des chemins de fer P.L.M demeurant à Alfortville, Seine, et Antoinette Morin, 36 ans, et Louise Lambrecht, 35 ans, demeurant à Noisy-le-Roi.

Tout ceci n’explique pas pourquoi Joseph Crouzeix, qui avait alors 40 ans, se trouvait en Alsace (alors allemande) en novembre 1914, soit trois mois après la déclaration de guerre. La consultation des registres matricules permet d’apporter une réponse [7] :

  • Jean Joseph Crouzeix, qui portait le numéro matricule 525, était de la classe 1894. Incorporé le 14 novembre 1895 , arrivé au corps le même jour et immatriculé sous le numéro 6073, il est soldat de 2e classe le 14 novembre 1895. Passé au 13e escadron du train des équipages militaires le 21 avril 1896 (ordre de M. le Général commandant le 18e Corps d’Armée en date du 18 avril 1896), il passe ensuite au 16e Régiment d’Infanterie le 21 octobre 1897 (Décision de M. le Général commandant le 15e corps d’armée en date du 11 octobre 1897).
  • Il obtient un certificat de bonne conduite et passe dans la disponibilité le 21 octobre 1898 et dans la Réserve de l’armée active le 1er novembre 1898.
  • Il effectue des périodes d’exercice dans le 92e Régiment d’Infanterie du 26 août au 22 septembre 1901, puis une deuxième période du 22 août au 18 septembre 1904 et passe dans l’armée territoriale le 1er octobre 1908.
  • Il effectue une troisième période d’exercices dans le 99e Régiment Colonial d’Infanterie du 5 au 13 mai 1911.

À la mobilisation, il arrive au corps le 13 août 1914 et passe caporal des réserves le 1er octobre 1914, puis passe au 75e Régiment Colonial d’Infanterie le 23 avril 1918 et ensuite, le 10 septembre 1918 au 279e Régiment Colonial d’Infanterie. Il passe enfin au 34e Régiment Colonial d’Infanterie le 7 octobre 1918.
Il est démobilisé le 21 janvier 1919 par le 92e régiment d’Infanterie et se retire à Olloix.

Curieusement, sa profession indiquée lors de l’établissement de sa fiche matricule est « valet de chambre » !... Son degré d’instruction générale est du niveau 3 et son instruction militaire porte la mention « exercé ».
Son signalement le décrit avec des cheveux et des sourcils châtains, des yeux bleus, un front ordinaire, un nez droit, une bouche moyenne, un menton rond, un visage ovale et une taille de 1m,70.

Enfin, la fiche porte ses adresses successives, peut-être liées aux affectations de son épouse :

  • Février 1899 : 35 rue Saint-Paul, Saint-Étienne ;
  • Janvier 1909 : 72 rue Coste, Caluire ;
  • 30 Novembre 1909 : Dallet ;
  • 9 Décembre 1910 : 92 rue de Vaugirard à Paris (6e) ;
  • 1er Novembre 1913 : Dallet ;
  • 18 Avril 1919 : rentré à son domicile (Olloix).

Friesen, où se trouvait Joseph Crouzeix avec son unité combattante, lorsqu’il rédigea cette lettre, est une petite bourgade du Haut-Rhin, en Alsace. Cette province était allemande -comme on le sait- depuis 1870. Au début de la guerre, l’armée française s’était avancée jusqu’en Alsace ; après cette première phase de mouvements aux frontières, ce fut un repli général, puis la ligne de front se stabilisa.

Pour lire la suite...


[1Dans l’artillerie, les chevaux étaient indispensables pour déplacer les canons et les fourgons de munitions ; la plupart des soldats savaient donc monter (voir les mémoires de Marcel Juillard, mon grand père, et les photos de mon grand père paternel Pierre Pageix et de ses frères, Antony et Joseph, tous les trois incorporés dans l’artillerie). On y retrouvait d’ailleurs les mêmes grades que dans la cavalerie ( ex : maréchal des logis, chef d’escadron, etc.

[2Dans la base numérisée du site « Mémoire des hommes »

[3Archives départementales du Puy de Dôme R 3544, à la page 101

[4À Bourges, le rassemblement des troupes s’effectuait sur la place de la halle au blé. Client fidèle de la petite brasserie qui lui fait face, je la contemple souvent, non sans nostalgie !...

[5Téléphones installés dans les fours et les caves, signaux optiques, etc.

[6qui avaient été endommagés et dirigés vers le parc pour être réparés

[7Archives départementales du Puy de Dôme R 3065

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2 Messages

  • Bravo et merci Jacques pour cet émouvant témoignage.

    Les photos sont superbes et illustrent magnifiquement cet article. Quelle chance d’avoir de tels documents dans vos archives familiales.

    Cordialement.

    André VESSOT

    Répondre à ce message

  • Bonjour,
    Article intéressant surtout que je suis bénévole sur le site memorialgenweb.org ; et que d’autre part je connais bien Noisy-le-Roi !
    Vous dites que Joseph Crouzeix épouse à Olloix Anne Morin dont les parents vivent à Noisy-le-Roi.

    J’ai regardé les recensements et les parents Pierre MORIN (né en 1832 à Egliseneuve d’Entraigues ) et Jeanne BARBAT (née en 1837 au même lieu) sont à Noisy en 1906 (mais plus en 1911) avec leur fils Gabriel ouvrier agricole(né en 1862 à Picherande).

    Dans la même rue vit leur fils Pierre MORIN chaudronnier(né en 1860 à Egliseneuve) avec sa femme Louise LAMBRECHT une des témoins. Et il y a aussi le couple Eugène LAMBRECHT et Antoinette MORIN (soeur de la mariée et témoin, née en 1867 à Picherande). Leur fils Marcel est aussi mort pour la France en 1918.
    Le dernier témoin jean MORIN est aussi frère de la mariée, il est né en 1874 à Picherande. D’ailleurs les parents vivent à Picherande au moins jusqu’en 1890.
    Sur le monument aux morts de Noisy il y a 2 MORIN mais ça ne semble pas être de la même famille.

    Sur le recensement on remarque d’autres "émigrés" venant du Puy-de-Dôme : BARBAT, LENEGRE, DUMERGUE...

    Voilà j’attends la suite !
    Cordialement
    Françoise HUGUET

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