Pere Canals Canals est né en 1908 à Marseille. Ses parents, Mateu Canals Enseynyat et son épouse Margalida tenaient un restaurant à Marseille.
Après son service militaire en Espagne, il retourne en France, à Saint Quentin et ouvre une boutique « Aux produits des jardins de Valence ». En 1935 il se marie avec Maria Castañer Marques à Issoudun.
Ses beaux parents tiennent commerce de fruits à Dôle et à Issoudun.
En 1938 le ménage s’installe à Saint Gaultier et ouvre une épicerie sur la place de l’église.
Cette belle ville est au bord de la Creuse, dans le parc naturel de la Brenne, dans le Berry, 30 km au Sud / Ouest de Chateauroux.
Après l’armistice du 22 juin 1940, les allemands occupent la France qu’ils divisent en deux zones, une occupée et une libre séparées par la ligne de démarcation, une véritable frontière intérieure. Le département de l’Indre, préfecture Chateauroux, est dans la zone sud libre.
Mais en novembre 1942, quand les alliés débarquent en Afrique du Nord, les allemands occupent tout le territoire afin de contrôler le sud de la France.
La Résistance s’organise progressivement. Dès fin 1940, dans le sillage du parti communiste français, des groupes de maquisards se constituent dans l’Indre et le Cher. Avec ses camarades français, Pierre Canals est un membre actif du maquis du Bas Berry. A l’écoute de Radio Londres ils reçoivent des ordres d’actions et communiquent des renseignements, pratiquent des sabotages.
Ils recueillent et cachent des aviateurs alliés ainsi que des parachutistes américains largués dans le Cher proche pour des actions commandos et de protection du barrage d’Eguzon. Les alliés parachutent armes, explosifs et matériel pour la Résistance. Le camion de Pierre Canals sert à leurs transferts en lieu sûr.
Début juin 1944, les actions de la résistance se multiplient et se font plus déterminantes.
Des allemands isolés sont maitrisés à Argenton : un détachement revient en force et fait un massacre dans la population.
A Saint Gaultier, des jeunes résistants fait prisonniers le 10 juin deviennent indicateurs sous la menace de torture, de mort et de représailles contre leur famille. Ils donnent des noms, révèlent l’existence et des emplacements des camps de maquisards.
Dans cette chasse aux résistants la Milice joue un rôle très actif avec des méthodes d’une brutalité extrême qui sont évidemment très appréciées de la Gestapo qui délègue ainsi cette tâche à des citoyens français. La Milice française est créée par le régime de Vichy le 20 janvier 1943. Constituée d’environ 30 000 membres, cette organisation paramilitaire a pour mission de lutter par tous les moyens contre les mouvements de résistance qualifiés de « terroristes ».
Parmi les dirigeants il y a des militaires fidèles au Maréchal Pétain qu’ils considèrent comme un grand soldat, héros de la première guerre mondiale. Dans les chefs et les actifs il y a des factieux d’extrême droite. Le gros de la troupe est composé de membres d’origine très diverses, chômeurs désœuvrés, marginaux en quête de travail. Ils appliquent les ordres au mépris de toutes les règles d’humanité, se livrant à des exactions mafieuses, menaces, pillages, rackets, vols…
Revenons à Saint Gaultier : Le 16 juin, sur les informations des résistants capturés devenus délateurs, six miliciens se rendent au domicile du résistant Julien Diligent et menacent les familles de représailles s’ils ne révèlent pas où se cache le groupe de résistants.
Nota : suit le compte rendu in extenso rédigé par le fils de Pierre Canals relatant la fin tragique des résistants arrêtés.
Le mardi 20 juin un détachement de soldats allemands se présente sur la place du champ de foire de Saint Gaultier accompagné par les miliciens E. Paul, F. Pierre, G. Paul, P. Frédéric et S. Pierre. Ils recherchent les gens du maquis en représailles de l’arrestation de P. Frédéric par des résistants. A l’intérieur d’une voiture il y a une personne vêtue d’une capote allemande, les yeux dissimulés par des lunettes noires (sans doute le milicien P. Frédéric). Les allemands lui montrent les papiers des personnes arrêtées et il répond « ya ou nein ». Julien Diligent est arrêté à son domicile, Valentin Gobert, Eugène Delaruelle, Roland Nienold, André Louis, Elie et Henri Salem, Jean Pirodeau sont pris dans la rafle.
Mon père n’est pas à Saint Gaultier. Les allemands pillent le magasin et la réserve. Ils se font conduire à la Brodière dans notre petite propriété à quelques kilomètres de là.
J’étais à la maison de La Brodière avec mon père, ma grand mère et mes frères et sœurs.
J’ai entendu un bruit de moteur, j’ai cru que c’était mon oncle qui venait me chercher. Mon père travaillait dans la mare, derrière chez nous. Ils l’ont arrêté, battu. Ma mère, au courant des évènements et voulant nous prévenir, est arrivée peu après. C’était malheureusement trop tard.
En début d’après midi, deux voitures légères et un camion à ridelles sont vus au village de la Mardelle en direction de Miran.
Un autre témoin entends plusieurs coups de feu dans cette direction mais ne sachant rien, ne s’en et pas préoccupé.
Sur neuf otages, huit sont dans ce convoi. Le neuvième est conduit à Châteauroux. Sept sont massacrés. Leurs portefeuilles sont brûlés. Un seul s’échappe : Jean Pirodeau réussit à franchie d’un bond l’épais buisson qui borde le chemin. Il rejoint le bois proche malgré une blessure au pied. Selon la position des corps il est probable que les prisonniers tentent de s’échapper. Mais les allemands s’acharnent sur eux avec une haine et une rage inouïe.
Plus de 500 douilles sont ramassées sur les lieux ? 56 balles sur une même victime.
Le lendemain, Messieurs Pin et Daubord, qui habitent à proximité sont prévenus par des gens qui se rendaient à leur travail. Sur les lieux, ils constatent que sept cadavres sont étendus sur le chemin, criblés de balles et baignant dans leur sang.
Les victimes sont transportées dans l’église de la Pérouille en attente de l’inhumation qui aura lieu à Saint Gaultier.
Dès le débarquement du 6 juin 1944, les allemands se sentent condamnés à une retraite défensive, malgré les exhortations des chefs nazis et la propagande. Ils sont aux abois, la Résistance devient plus active et la répression sauvage s’accentue. Les miliciens sont dans une situation encore plus désespérée, conscients de leur statut futur de traitre. Ils redoublent de cruauté et de sévices au point que le gouvernement de Vichy tente de calmer Joseph Darnand, le secrétaire général de la Milice.
Le 6 août 1944, dans une lettre à son ministre Pierre Laval, Pétain dresse un réquisitoire très dur contre la Milice. Laval transmet cette lettre à Darnand qui répond à Pétain : « Pendant quatre ans j’ai reçu vos compliments et vos félicitations. Vous m’avez encouragé. Et aujourd’hui, parce que les Américains sont aux portes de Paris, vous commencez à me dire que je vais être la tache de l’Histoire de France ? On aurait pu s’y prendre plus tôt. »
Grand soldat, héros de la première guerre mondiale, Joseph Darnand s’engage volontaire en 1939, crée les corps francs, combat les allemands et il est fait prisonnier en 1940. Après l’armistice, par fidélité à son serment au général Pétain, il s’engage dans la politique de collaboration de Vichy.
Jugé après la libération il est fusillé au fort de Charenton le 10 octobre 1945.
Dans ses Mémoires de guerre le général de Gaulle écrit : « Rien, mieux que la conduite de ce grand dévoyé de l’action, ne démontrait la forfaiture d’un régime qui avait détourné de la patrie des hommes faits pour la servir. »
Plus modestement, loin des grandes tractations politiques et guerrières, l’émigré espagnol Pierre Canals, a tout naturellement choisi sans réserve la solidarité avec ses concitoyens français et a ainsi contribué à la libération de son pays d’adoption en laissant son épouse seule et ses enfants orphelins.
Après la fusillade des résistants, le 20 juin, la population de Saint Gaultier survit dans la crainte et l’incertitude. Maria, l’épouse de Pierre est recherchée par les allemands. Avec l’aide d’une voisine, la famille de Pierre Canals se réfugie à Meobecq, un village à dix kilomètres au Nord de Saint Gaultier. Il faudra attendre la libération du canton jusqu’au 10 septembre 1944, le jour où l’armée du général de Lattre prends possession de la ville.
Le 8 mai 1945 c’est la capitulation de l’Allemagne. Le 24 juin 1945 un monument à la mémoire des sept résistants fusillés est inauguré sur le chemin de Miran, commune de La Pérouille.
En deux sessions extraordinaires du Conseil Municipal de Saint Gaultier, les 19 juillet 1946 et 25 octobre 1947, il est décidé que quatre rues de la commune porteront les noms de résistants fusillés : Pierre Canals, Julien Diligent, Edouard Dreuilaud, Henri et Elie Salem.
- Mémorial de la France Combattante au Mont Valérien à Suresnes.
Les miliciens impliqués dans l’arrestation et la fusillade du groupe de résistants de Saint Gaultier seront jugés en 1946 et condamnés.
E. Paul, G. Paul, S. Pierre, F. Pierre sont condamnés à mort et fusillés. P. Frédéric est condamné aux travaux forcés à perpétuité.