Plusieurs exemples nous sont donnés au XVIIIe siècle dans trois villages du Morvan. Leurs bois denses étaient des repaires idéaux pour les loups qui étaient une constante source d’effroi pour la population. À deux kilomètres au Nord-Ouest du hameau Les Brenets, l’un des hameaux d’Arleuf [1] qui en compte une trentaine, existe d’ailleurs un lieu-dit appelé “Le Crot du loup” (crot = creux), qui témoigne de la réalité de l’existence de lieux infestés de loups dans la région.
Des écrits datant de 1749 [2] nous révèlent combien les villageois étaient confrontés aux problèmes posés par leur présence.
Comme nous pouvons le constater, un loup enragé a semé la terreur pendant deux longues journées dans trois hameaux au Nord-Est du bourg d’Arleuf.
La sombre série commence le 21 mai à Frétoy, village distant de deux kilomètres et demi des Brenets, hameau tout au Nord d’Arleuf. Deux garçonnets d’une dizaine d’années sont tués ainsi que quatre châtrons (jeunes bœufs récemment châtrés) et une jument. Le lendemain, la bête féroce se trouve au village des Brenets où elle s’attaque au manouvrier Jean Dufour, âgé de 70 ans, qui succombe aux morsures infectées par la salive. Le loup file ensuite au hameau des Pasquelins. Là, se déroule un vrai carnage. Jeanne et Lazare Guenard, filles de Pierre, dit Bourguignon, Marie de Lescheneault, sœur de Jean, et Jeanne Truchot sont attaquées. Lazare Guenard y laisse sa vie. Le loup agresse également le bétail dans le même hameau. Ainsi, Lazare Paquelin Lobot a perdu ce jour-là deux bœufs, Jean Pasquelin Gruer dit Lobot un bœuf et un veau, Jean Pasquelin, fils d’Hugues, une vache et Pierre Guenard dit Bourguignon une vache. La dernière victime de ce loup enragé est un bœuf de Philibert Truchot, habitant du hameau des Chauveaux. On peut s’imaginer l’émoi causé par cette bête féroce et la chasse qui s’ensuivra. Jean de Leschenault, François Pasquelin, Dominique et Jean Guenard pourront finalement tuer le loup ce même jour. Voilà un récit de chasse qui a dû alimenter les veillés et qu’on aimerait connaître.
Une observation en marge du document montre que cet épisode n’est pas unique. On peut y lire (l’orthographe du document est respectée) : « Il y a onze à douze ans [donc en 1737] que l’un des Guenard se jetta sur un loup enragé qui allait blesser son enfant à la porte de sa maison. Il cria au secours et ce loup fut assommé entre ses bras. Il fut taxé d’office au département par M. Pallu » (sic). Le service public rendu par le courageux homme lui a donc valu une mesure de « protection » fiscale, c’est-à-dire que sa cote de taille fut allégée. En effet, les taxes d’office permettaient à l’administration d’établir directement une imposition sans laisser à la communauté d’habitants, en principe responsable, le droit de la discuter.
Dans les deux cas d’attaques de loup, il s’agissait d’un animal enragé qui se montrait en plein jour ce qui n’est pas habituel pour ces carnassiers en dehors des périodes de manque de proies, c’est-à-dire pendant les hivers très rigoureux.
Un autre exemple de chasse au loup est relaté en 1783 dans les registres paroissiaux de Montsauche, situé à 20 km à vol d’oiseau au Nord d’Arleuf. « L’enfant qui fut enterré le 15 avril 1783, âgé de dix ans etoit avec deux autres enfants de son âge, tous d’Argoulois, à garder leurs moutons auprès du bois d’Argoulois lorsqu’un loup se jeta sur lui, le prit par la jambe et l’entraina dans le bois, malgré ses cris et ceux des deux autres enfants qui saisis de frayeur montèrent sur des arbres, et peu de temps après coururent à Argoulois annoncer cet accident. Les parents vinrent sur le champ tout éplorés à Montsauche ; on sonna le tocsin ; il s’assembla assez de monde ; on alla armés de fusils et de bâtons dans le bois d’Argoulois. Quelques uns bien avisés présumèrent que le loup pourroit revenir querir une autre proie. Ils se cachèrent sur le passage. L’animal revint en effet ; il fut tué d’un coup de fusil par Bernard, meunier du moulin d’Argoulois. On se rassembla ; on ouvrit le corps du loup, on trouva dans son ventre environ une livre de chair fraiche. Il s’agit ensuite de trouver l’enfant. On chercha inutilement dans le bois. On trouvoit bien ses habillements épars ça et là, mais point de corps. Au bout de six jours, un garde de bois fit la découverte de l’enfant qu’il trouva au milieu du bois entièrement nud, couvert de feuilles, sans autre blessure qu’un quartier de viande emporté sur le rein, et le col percé des dents du loup. Il fut apporté à Montsauche et enterré. Cet accident est surprenant en toutes ses circonstances. Chacun donnoit son sentiment. On en parla beaucoup en ce pays ci. » (l’orthographe du document est respectée).
Texte extrait du livre : La vie dans un village du Morvan d’après les écrits de l’époque, Arleuf de 1625 à 1725, par Gewa THOQUET.
La carte a été dessinée par Alain Trinquet qui m’a également signalé la note concernant l’attaque du loup à Montsauche en 1783.