Un matin, vers 7 h 45 de cette fin d’année 1941, les Allemands placent un véhicule militaire à proximité du calvaire et organisent des perquisitions dans les maisons. C’est une surprise générale. Lorsqu’ils arrivent chez Serge et Robert ils découvrent des toiles de tentes militaires, des musettes, un masque à gaz, un poignard et une baïonnette rangés dans un grenier. Le gradé qui commande l’opération entre dans une violente colère et menace d’emmener leur père. C’est alors que je prends conscience d’une redoutable imprudence : le fusil caché dans le hangar ! Je cours chez moi, je tremble, je pénètre dans ce vieux hangar, j’ai chaud, je transpire, j’attache une ficelle à ce vieux fusil, je prends mes jambes à mon cou en tirant l’ensemble en direction d’un champ situé au fond du jardin ; je reprends mon souffle et je dépose dans les blés « cette arme délictueuse » qui, à ce moment, peut conduire rapidement mes parents à la prison.
Rassuré, je reviens jusqu’au bord de la rue au moment de l’arrivée de deux soldats fusils à la bretelle ; maman est seule, mon père est au travail. Après un bref salut, l’un entre dans la cuisine puis dans la chambre de mes parents, ouvre l’armoire, la referme, regarde ma mère, me sourit… et sort. Pendant ce temps l’autre vérifie le grenier, puis le hangar et termine sa curieuse visite en prononçant quelques mots d’allemand que je n’ai pas compris. C’est alors qu’une intense émotion m’envahit car dans ma précipitation j’ai gardé autour du cou ma musette kaki garnie de munitions ; dans ma grande détresse je me rends compte de l’énorme bourde mais je ne bronche pas et je tente de garder mon calme. Ils claquent des talons, basculent la tête en avant, saluent et continuent chez nos voisins. Ouf ! Quelle matinée !
Ma mère me dit : « mais qu’est-ce que tu as dans cette musette ? » et joignant le geste à la parole, elle ouvre ce « trésor dangereux ». Je verrai toujours l’effroi sur son visage blêmi par la peur à la vue du contenu, puis la pâleur qui annonce l’évanouissement et enfin sa reprise de conscience avec l’arrivée d’une claque retentissante et l’exclamation bien justifiée : « mais tu veux nous faire fusiller ! »…
Le lendemain plusieurs rumeurs circulent dans le village sur cette perquisition. La plus simple consiste à dire que c’est le chef du Parti Populaire Français (P.P.F) Monsieur Perry domicilié au début de la rue, dans un appartement situé au-dessus du café de l’Union qui aurait ordonné cette mission auprès des Allemands afin de causer des désagréments à son beau-frère. Ce dernier habite la même rue et ne partage pas ses idées pro-allemandes.
Je connais ce monsieur qui passe journellement devant chez moi dans une traction avant noire. Il salue parfois en levant son chapeau mais je remarque que mon père n’est pas à l’aise car il répond par un bref hochement de tête et ne regarde pas. C’est paraît-il quelqu’un qui travaille avec les Allemands de la Kommandantur. C’est un collaborateur…