C’est en chantant l’hymne de la Marseillaise que je pense à mes amis disparus alors que dans le même temps je construis mes pensées à partir des citations du grand poète Victor Hugo :
« Ceux qui pieusement sont morts pour la Patrie n’ont droit qu’à leur cercueil la foule vienne et prie…Gloire à notre France éternelle ! Gloire à ceux qui sont morts pour elle ! Aux martyrs ! Aux vaillants ! Aux forts !… »
Ma vie sera marquée à jamais par cette guerre et surtout par la mort de mes amis car c’est à cet instant dramatique que ma vie d’adulte a commencé ; l’inquiétude et les privations s’estompent, la joie revient, je me sens plus fort, mais cette maturité avant l’âge est la conséquence des traumatismes relatifs à cette difficile période. Ma communion solennelle en cette année 1946, sera l’occasion d’une réflexion avec mon copain Jacky, sur Dieu, la vie, la mort et surtout la Liberté avec un approfondissement qui viendra l’année suivante et qui verra la disparition complète de mes attitudes infantines.
L’objectif suivant sera le Certificat d’Etudes Primaire avec un passage obligé de plusieurs mois chez un ancien professeur de mon père à l’école primaire supérieure Armand Lederlin de Thaon-les-Vosges et cela à la suite de mon départ de l’école communale pour coups et blessures reçus de l’instituteur. C’est l’inspecteur d’Académie qui a autorisé ce mouvement à la suite d’une plainte de mes parents. Il s’en est suivi une grève générale des élèves du village qui, ne pouvant plus supporter ses méthodes violentes apprises en Prusse Orientale, ont finalement obtenu une mutation quasi immédiate de ce triste individu.
Cette mise à niveau s’est effectuée avec le concours d’un couple d’instituteurs, amis d’enfance de ma mère, qui m’aidait dans mes devoirs et m’hébergeait chaque midi. Je témoigne de ma profonde gratitude à l’égard de ces trois enseignants qui ont largement contribué à ma réussite. Je me souviens du périple journalier : d’abord le petit chemin de crasse sous le bois de la vigne, puis la passerelle brinquebalante sur la Moselle de la largeur d’une planche ou je devais porter mon vélo sur mon dos en tenant la corde d’une main pour traverser au lieu-dit « l’eau blanche » jusqu’à Chavelot, ensuite longer le chemin de halage sur plusieurs kilomètres en bordure du canal, traverser les chemins intérieurs de la blanchisserie jusqu’à l’école et un retour identique le soir après l’étude à la nuit tombante ! Il faut préciser que la rentrée en 6e à onze ans était antérieurement impossible compte tenu des événements. Les études secondaires commenceront donc ensuite en 5e au « Cours complémentaires d’Epinal ».
C’est dans cette tranche de vie sous contrainte angoissante de l’occupant, en privation générale des biens de consommation courante dans le cadre d’un rationnement qui va durer jusqu’en 1949 et surtout la perte de liberté, que j’ai su apprécier les choses les plus simples de la vie. Paradoxalement j’ai appris et découvert le goût de l’effort physique et intellectuel dans mes actes journaliers ; j’ai également ressenti la satisfaction dans la réussite d’un objectif mais aussi comment affronter une douleur morale intense dans l’adversité. J’ai compris que les contraintes et les échecs doivent servir de référence dans l’apprentissage de nos actes afin de se remettre en cause pour atteindre le but fixé. Ils permettent, après une saine réflexion, d’être en mesure de rebondir positivement avec force, courage et ténacité, en mobilisant notre énergie à bon escient. Les « explosions » de joie qui font partie de la vie et qui sont le reflet de nos comportements dans le cadre d’événements externes auxquels nous sommes sensibles ont malheureusement été limitées pendant cette période. L’héritage laissé par cette guerre : contraintes, privations et pénuries, m’a certainement conditionné dans la gestion positive de mon impatience et de mes envies mais face aux événements négatifs j’ai compris qu’il fallait constamment relativiser, bien graduer avec circonspection l’importance des faits par référence à ce passé, engager l’analyse et faire ensuite la synthèse avant de décider.
La suite est une autre histoire… Ce sera toujours la vie d’un homme à la recherche du bonheur dans la simplicité ; les actes quotidiens seront guidés par un sens profond de la morale, du dialogue constructif, d’une certaine rigueur positive facilitant le compromis, de la mise en œuvre des valeurs humaines en restant soi-même en toutes circonstances et du respect de l’autre…