Recommandations aux religieuses
A Condrieu Pierre BONNARDEL, curé de Condrieu depuis mai 1758 (né le 3 janvier 1723, il vient d’avoir 68 ans en ce début 1791) a refusé le serment constitutionnel et cause bien des soucis à la municipalité Il doit donc être remplacé ! Le dernier acte pastoral de Pierre BONNARDEL est du 14 juin 1791.
Annet VERTAMY DUPRAT est nommé curé de Condrieu. Dans les registres paroissiaux , on relève cette note : « Mr VERTANY DUPRAT curé a été installé à la cure de Condrieux le 23 juin 1791 par la municipalité, la Garde nationale étant sur les armes ! ».
Son premier acte dans ses nouvelles fonctions est le baptême d’Anne DERVIEUX le 27 juin 1791.
- Façade de l’église de Condrieu
- Eglise pratiquement détruite lors des Guerres de Religion, elle fut reconstruite au XVIIe siècle.
Elle est sous le vocable de Saint Etienne.
L’ancien curé garde bien des partisans et l’accueil fait au nouveau curé est plutôt frais : les Frères du collège refusent d’emmener les enfants à la messe. « Ils ont dit qu’ils ne voulaient pas communiquer du tout avec le nouveau curé de Condrieu qui, depuis hier, est en fonction. Ils n’ont pas prêté le serment qui leur est relatif par rapport à l’enseignement des enfants ; et ils ont décidé qu’ils ne le prêteraient pas. Cet abandon des enfants au moment où ils doivent aller à l’église cause un scandale considérable... Les sœurs de l’Hôpital ont un pensionnat de filles... elles n’ont pas prêté de serment... elles ont cessé de conduire leur pension à l’église paroissiale. La communauté murmure contre cette conduite. »(24 juin 1791).
Annet écrit, comme c’est la coutume, dès sa prise de fonctions « aux Dames religieuses de Saint Marie de Condrieu » (La Visitation) :
« Mesdames, chargé par Monsieur LAMOURRETTE évêque de Lyon en me donnant mon institution canonique d’être votre premier supérieur, ainsy que de confesser aux prêtres habitants de cette paroisse et les pouvoirs de confesser, prêcher ; je me fais un devoir de vous prévenir que plus je m’empresserai d’aller au devant de tout ce qui pourra vous être agréable, en ce qui dépend de moi et qui ne contraira en aucune manière la nouvelle constitution et les lois décrétées par l’assemblée nationale sanctionnées par le Roy ; autant je tiendrai la main à ce qu’il ne se passe rien concernant mon ministère qui puisse nuire à la tranquillité publique, tranquillité d’autant plus essentielle à conserver, qu’elle tient aux consciences et à la religion, objet sacré que les fidèles doivent bien plus respecter qu’interpréter à leur guise.
Ainsy vous voudrez bien regarder comme un acte de sagesse de votre part, auxquels je ne saurais trop vous exhorter, que les fêtes et dimanches, il ne se fasse publiquement aucun service religieux dans votre église, ni quanium (réunion) des prêtres qui n’auront pas prêté le serment, ny confesse, ny prêche jamais sans en excepter votre directeur auquel je ne pourrai permettre de confesser que vous seules, et qui sera tenu les fêtes et dimanches de ne dire la messe que pour vous, attendu que les prêtres non assermentés n’étant nullement approuvés pour ces objets, je serais obligé de les dénoncer à l’accusateur public, en lui apprenant que vous ayant prévenues vous vous êtes rendus doublement coupable et lui demandant d’agir en conséquence.
- L’église de la Visitation fondée en 1630 par Claude de Villars
Permettez-moi de vous le dire Mesdames, parce que ma place me l’ordonne : vous devez vivre dans la paix, la retraite, l’obscurité, le recueillement, servir Dieu... Mais jamais vous mêlez d’interpréter des points de religion que vous ne comprenez pas, ni des lois auxquelles vous devez vous soumettre tant que vous serez dans le royaume.
Croyez au sentiment d’intérêt et de fraternité que vous avoue votre concitoyen, votre supérieur, VERTAMY DUPRAT, curé de Condrieu."
La lettre est très rigoureuse pour l’application des lois religieuses de la Constitution civile du clergé. Et comme deux précautions valent mieux qu’une, Annet VERTAMY précise en post scriptum dans sa lettre du 28 juin 1791 :
« Je vous préviens qu’après avoir communiqué cette lettre à Messieurs les Officiers municipaux, je leur ai demandé de la faire inscrire dans leur registre, afin qu’à la première réquisition en cas de contravention, ils fussent bien plus autorisés d’agir suivant la rigueur des lois ».
Dénonciation de Vertamy contre le réfractaire Montblanc
L’accueil de ses confrères en religion, nous l’avons vu, n’est guère favorable à VERTAMY.
Qu’en pensent les fidèles ? Sont ils favorables au nouveau curé, regrettent ils Pierre BONNARDEL ? Celui ci, avec ses condisciples non assermentés, mène la lutte contre la Révolution.
Elle ne fait que s’enfler, s’envenimer entre les deux clans opposés. Annet VERTAMY adresse à la municipalité de Condrieu le 28 septembre 1791 cette dénonciation :
« Notre sainte religion intacte et conservée dans son intégrité par la constitution, trouve dans les prêtres non assermentés des perturbateurs qui l’attaquent en séduisant le peuple et allarmant les consciences faibles. Ils cherchent à porter les crédules au soulèvement et au mépris des fonctions publiques ecclésiastiques, à écarter les fidèles de la communion de l’Eglise.
Leur audace sera longtemps téméraire si elle est impunie.
Souvent ils renouvellent leurs entreprises anticonstitutionnelles, mais l’arrêté du département du 13 août 1791 fournit un remède efficace pour préserver les citoyens et la religion des attaques de la séduction des prêtres réfractaires ».
Cet arrêté exige de dénoncer aux Accusateurs publics, suivant l’exigence des cas, toutes personnes de quelque sexe qu’elles soient, qui par des cris, menaces ou mouvements quelconques, exciteraient quelques troubles et provoqueraient du désordre. (article IV)
Les ecclésiastiques non assermentés auront la faculté seulement de dire la messe dans les églises paroissiales, mais ils ne pourront la célébrer qu’à l’heure qui sera déterminée par le curé à son choix, sans qu’il puisse être permis aux dits ecclésiastiques d’avoir des clefs particulières des églises et sacristies (article V)
Le département de Rhône et Loire cherche le compromis, mais les réfractaires ne l’acceptent pas. La suite de la lettre de VERTAMY nous l’apprend :
« Le sieur abbé MONTBLANC qui après avoir semé l’allarme dans les consciences de quantité de nos fidèles s’était éloigné du pais pour passer dans l’étranger vient de rentrer dans cette ville.
A peine y a t il repris son séjour qu’il a recommencé à répandre parmi le peuple les erreurs du fanatisme et la séduction contraire aux mœurs et à la Religion. Ce qui trouble la tranquillité publique et peut causer un soulèvement en formant différents partis...
Le jourd’hier vingt sept du courant, le sieur abbé MONTBLANC, frère du Sieur MONTBLANC chirurgien, se trouvant dans la vigne de ce dernier au milieu des vendangeurs et vendangeuses proposa des questions à plusieurs d’entre ces personnes sur la confession. II acheva par leur dire et certiffier que la confession auprès des prêtres fonctionnaires ne valait rien ; que ceux qui se confessaient aux prêtres constitutionnels feraient mieux de se jetter au Rhône.
- statue de St Vincent, patron des vignerons,à La Garenne
- Condrieu est réputé pour ses vins, connus dès l’Antiquité.
Les Romains auraient apporté ici le cépage du Viognier.
Avant son départ pour l’étranger son langage était le même, mais quelle que soit son opinion sa manifestation ne peut lui être permise quand elle peut entraîner le peuple au désordre et allarmer les consciences.
Je demande acte de ma dénonciation, et que la municipalité daigne prendre les moyens convenables pour écarter cet ennemi du repos. Qu’il soit fait droit sur le tout.
A Condrieu le 28 7bre 1791. VERTAMY DUPRAT curé ».
- Signature d’Annet Duprat Vertamy, curé de Condrieu
Troubles à l’église paroissiale
Quelques semaines plus tard, le curé VERTAMY se plaint de nouveau au maire et aux officiers municipaux de Condrieu :
« Les sieurs PAULET, BRUT et VINCENT répandent le trouble dans les fonctions des prêtres fonctionnaires de cette paroisse et dans les offices divins. Ils en empêchent la célébration aux heures où ils sont fixés. ils s’immiscent à les célébrer eux-mêmes, ils n’en ont pourtant aucun droit.
Ils sont venus hier chanter, avec M.BONNARDEL, les vêpres à deux heures après midi. Ils se sont emparés des livres de chants en sorte que lorsque les prêtres fonctionnaires sont venus pour faire l’office les sieurs PAULET, BRUT et VINCENT l’avaient commencé. On a été forcé de le leur laisser achever.
Ce matin (1er novembre 1791) à six heures ils ont chanté matines. Ils ont causé le retard des offices ordinaires de la paroisse, de la première messe. L’exposant (le curé VERTAMY) leur a observé qu’ils ne pouvaient faire aucune fonction dans l’église paroissiale et que le procédé était une violence contre les fonctionnaires.
Malgré cette observation, les Sieurs BRUT et VINCENT sont venus aujourd’hui incontinent après les vêpres et la bénédiction à l’église paroissiale.
Ils prétendaient chanter des vêpres. Ils ont excité un tumulte considérable ; quantité de fidèles étant encore dans l’église ont été scandalisés de l’entreprise des dits sieurs BRUT et VINCENT.
On les a engagés à se retirer. Ils l’ont fait en murmurant affreusement et tenant un langage scandaleux.
Il est important que le service divin soit exempt de troubles, que les prêtres conformistes soient protégés contre les tentatives des personnes opposées à la Constitution ».
VERTAMY DUPRAT demande l’exécution des arrêtés du directoire du département concernant les prêtres non-conformistes.
Dans cette dénonciation, VERTAMY cite l’ex curé BONNARDEL comme fauteur des troubles le jour de Toussaint.
Mais deux jours plus tard il précise aux officiers municipaux que « c’est par erreur qu’il a compris Monsieur BONNARDEL prêtre dans sa dénonciation... (laquelle) soit regardée comme non advenue contre M. BONNARDEL et ne puisse être portée à inculpation contre lui et que sa déclaration soit notifiée à ce dernier... ».
« Le jeudy trois novembre » 1791, ROLLAND, secrétaire greffier de la municipalité de Condrieu remet une copie de cette déclaration à « Monsieur BONNARDEL prêtre demeurant audit lieu, en parlant dans son domicile à une fille domestique ».
Il vaut mieux que Pierre BONNARDEL soit absent car, même si VERTAMY DUPRAT l’innocente sur les troubles du premier novembre, son attitude anticonstitutionnelle lui attire les poursuites décidées par les députés.
Le citoyen Jacques Vertamy et son frère Annet, curé (1792 - 1793)
Depuis juin 1791 Annet Vertamy est curé de Condrieu.
Dans les registres paroissiaux qu’il remplit de sa belle écriture, le contenu inhabituel de quelques actes nous permet de connaître un peu la position de certains Condriots envers la Révolution :
- Jean Pierre Roidot, fils de Joseph Roidot, « maître marchand chapeillier » et de Benoîte Chatelard, né le 12 janvier 1792, est baptisé le même jour.
Le parrain est Jean Pillier ; la marraine Marie Plasson.
Sont témoins : « François Pioche, Jacques VERTAMY, Jean VERIER, tous amis de la Liberté, qui ont répondu des serments de lenfant qui seront ceux d’employer à l’âge de maturité les armes qui lui seront confiées pour combattre les ennemis de la Liberté. »
Sur cet acte signé par Berthelier, vicaire ; on reconnaît la signature de Jacques Vertamy, frère du curé.
- Louise Targe, fille d’Etienne Targe et de Madeleine Gay, née le 28 juin, est « inondée le même jour par Monsieur Blanc, chirurgien de cette ville de Condrieu ». Il faut comprendre qu’elle est ondoyée. Le 2 juillet 1792, « ledit enfant, présenté par son père Targe, ami de la Constitution, nous a présenté son enfant pour être baptisé dans l’église paroissiale de St Etienne de Condrieux par un prêtre constitutionnel ; ledit prettre vicaire de cette paroisse la baptizé. Le parain a été Pierre Gay, la maraine Louise Dumas ; qui ont signé, avec le perre, le parraint, la maraine et autres...(suivent les signatures) VIVIERS, vic »
- « Messieurs les vicaires ont inhumé le corps d’un homme de la paroisse mort à l’hôpital sans sacrements en raison de ses sentiments contre la Constitution, ce vingt cinq septembre mil sept cent quatre vingt douze, quatrième de la Liberté, première de l’Egalité, en présence de Marcellin Cellard et de Jean Perret, illetérés. Vertamy Duprat, curé ».
Cet inconnu, opposé à la Constitution civile du Clergé, fidèle jusqu’au bout à ses convictions, a refusé les « secours de la Religion » apportés par le curé constitutionnel ou ses vicaires.
Annet Vertamy lui-même est « bon patriote ». Il clôt la rédaction des actes d’état civil par ces mots : « Fin des registres pour l’année 1792, la quatrième de la Liberté et de l’Egalité, la première de la République française. Vertamy Duprat, curé » (7 janvier 1793).
On notera que l’Egalité a rejoint la Liberté « en quatrième année » pour laisser la place à l’An Un de la toute nouvelle République française !
Dorénavant la tenue des actes d’état civil n’est plus assurée par le curé Vertamy mais par les « officiers municipaux ». Est-ce pour cette raison qu’on note beaucoup plus la présence de Jacques Vertamy, cinquante trois ans, frère du curé et prêtre également, dans les actes passés en mairie de Condrieu ? Faut il y voir la présence souhaitée par certains « citoyens » d’un homme de Dieu à leurs côtés ? Il est bien difficile « de sonder les cœurs et les reins » !
Il semble que des liens amicaux existent entre Jacques Vertamy et les familles Dumas et Gay. Souvent, lorsque les actes concernent ces familles, Jacques est présent :
- Pancrace Dumas, père de la petite Geneviève qui vient de naître, est assisté le 9 janvier 1793 en mairie de Jacques Miral, marchand boulanger, et de Jacques Vertamy « ce dernier municipal » Serait il membre de la municipalité de Condrieu dirigée par le Maire Bonnaud ?
- Le 15 janvier, au mariage de Simon Dechelette (natif de Roanne) avec Marie Thérèse Leroy, les futurs sont accompagnés de Pierre Basset et Jacques Vertamy. Les publications de mariage ont été « dressées par le citoyen Vertamy Duprat, curé de cette commune, attendu que les registres étaient en son pouvoir ».
- Le 17 janvier 1793 « a comparu Jacques Vertamy...citoyen domicilié au dit Condrieu » pour déclarer le décès de Jeanne Clemaron « morte hier...dans son domicile rue du Grand Port ».
- Le 18 janvier, devant Claude Vincent, officier public chargé de l’état civil, comparaissent Pierre Basset et Jacques Vertamy pour déclarer le décès de François Dumas, beau père du dit Basset (mort la veille à 67 ans).
- Le 19 janvier, Jacques Vertamy « officier municipal et notable domicilié audit Condrieu » accompagne Marianne Gabert « sage femme » qui vient déclarer la naissance de Louise Garat.
- Le même jour, il est avec Jean François Combe pour la naissance de Marie Gabert.
Pendant ce temps là, à Paris, Louis XVI est jugé et condamné à mort. Il sera exécuté le 21 janvier 1793. Le sait on à Condrieu ?
- Le 12 février Jacques Vertamy est témoin au mariage de Pierre Gay et Louise Dumas. Ne seraient ils pas les parrain et marraine de Louise Targe, née en juin 1792 ?
- Le 21 février « Jacques Vertami... citoyen » est témoin pour les déclarations des naissances de Marie Puzin et de Marie Marthoud. Le 26, pour celle de Christine Chaumartin. Le lendemain, il est en mairie pour celle de Jeanne Simon. Le 2 mars, c’est celle de Michel Cellard.
- Le 6 mars 1793, « le citoyen Jacques Vertamy » est témoin au mariage de Jean Blanc avec Marguerite Bufat (originaire de Valence).
- Témoin également le 9 avril au mariage de Jean Foret « patron (sur le Rhône) » fils de Jean Foret (également patron) et d’Etiennette Saignimorte avec « Demoiselle Marie Ramay, fille légitime de deffunt Antoine Ramay, de son vivant marchand (sur le Rhône) et de vivante Marie Viallet ».
- Le 23 avril, Jacques Vertamy est témoin pour les actes de naissances de Marie Gabert et d’ Antoinette Fabre.
- Le 18 juin, Jacques est cité comme témoin au mariage de Gabriel Mercier avec Marie Tranchand. Idem le 1er juillet 1793 pour le mariage de Mathieu Marthoud et de Marie Chol.
De cette date jusqu’au 18 pluviôse An II (20 février 1794), on ne le retrouve plus cité dans les actes à Condrieu. Le 20 février, ce sera lui le marié !
Clergé réfractaire et fidèles patriotes
L’histoire des catholiques en France, par la plume de C. LANGLOIS et T. TACKETT, nous explique :
« En 1791, le clergé qui avait refusé le serment pouvait théoriquement rester sur place, à condition de partager l’église paroissiale avec le prêtre constitutionnel.
Toute cohabitation devint rapidement impossible... la tension monta vite. Des émeutes... rendirent précaire la liberté théorique du culte aux non constitutionnels. Dans les campagnes les autorités municipalités, districts et départements chargées par un décret de janvier 1791 de la police en matière religieuse, se mirent à en user...surtout là où dominaient les réfractaires, en déplaçant les prêtres hors de leurs paroisses, parfois même en les emprisonnant, par mesure de rétorsion contre les avanies que les populations faisaient subir aux constitutionnels. Ces dispositions non légales furent avalisées, voire intensifiées, avec la nouvelle Assemblée législative réunie en octobre 1791 ».
Le décret du 29 novembre 1791 exige des prêtres réfractaires un nouveau serment civique et donne aux administrateurs locaux la possibilité de les déporter de leur domicile en cas de troubles. Ceux qui n’obtempèrent pas dans les huit jours sont déclarés suspects de révolte contre la loi et de mauvaises intentions contre la Patrie... Louis XVI oppose son veto le 19 décembre mais les autorités passent outre : les réfractaires se terrent ; dans le massif du Pilat et ses bois notamment. D’autres s’exilent.
Ce document des archives de Condrieu évoque clairement la fracture qui s’agrandit entre autorités municipales tenues d’exécuter les lois antireligieuses de la Nation et les fidèles catholiques patriotes adversaires des réfractaires :
« Au citoyen maire et magistrats du peuple de la ville et canton de Condrieu.
Magistrats, les citoyens de la ville et canton de Condrieu ont J’honneur de vous observer, et notamment les officiers de la garde nationale, que ce jourd’huy, vingt six mars (1792), environ à neuf heures du matin, ils furent instruits sur la place des exercices où ils étaient assemblés, qu’un parti considérable de peuple avait formé le projet de s’assurer de la personne du nommé PAULET, contre lequel une dénonciation vous a déjà été présentée.
Les bons citoyens désirant éviter les suites fâcheuses qu’auraient pu avoir J’exécution d’une pareille démarche, se sont aussitôt transportés vers le domicile du dit PAULET, et par leurs soins et leur zèle, ils sont parvenus à faire cesser tous les troubles dont le sieur PAULET était l’objet, et enfin à faire disperser le rassemblement qui s’était formé au devant de sa maison.
Ce PAULET est un prêtre insermenté. Il dit la messe dans l’église des religieuses de la Visitation, situation tolérée par la municipalité condriote depuis un an. L’église paroissiale est en effet réservée au culte du curé constitutionnel VERTAMY DUPRAT.
Mais à peine commençait-on à jouir de la tranquillité publique qu’un autre rassemblement du peuple s’est formé dans l’église des religieuses et a fait sortir toutes les femmes qui y étaient, lesquelles étaient en grande partie toutes étrangères à la ville de Condrieu.
On vient des villages alentour (surtout des femmes) pour cette messe dite par un réfractaire : les prêtres constitutionnels ne sont plus en communion avec le Pape depuis la condamnation de la Constitution civile du clergé. Leurs messes et leurs sacrements sont, selon lui, non valables canoniquement. Celles des insermentés sont, pour les ferventes paroissiennes, les seules authentiques.
« Depuis longtemps, Magistrats du Peuple, cette église est l’objet des rassemblements de tout individus entièrement opposés et même ennemis de la Constitution. Depuis longtemps ce lieu et tout le local est devenu le refuge de tous les prêtres réfractaires qui fourmillent dans cette ville. C’est là où les plus affreux projets contre la liberté française se discutent. Il est temps, Magistrats, de faire cesser tout sujet d’infraction à la Loi que le seul motif de l’ouverture de cette église fait naître.
Vous devez veiller à la tranquillité publique. Il est donc de votre sagesse de prendre au plus tôt les mesures les plus promptes pour que le sujet des craintes des citoyens français à votre administration soient dissipées.
Enfin, Magistrats du Peuple, tous les bons citoyens attendent de votre justice que vous voudrez bien statuer sur le champ, et sans désemparer sur l’objet de notre pétition tendant à ce que vous fassiez fermer l’église des religieuses, même dès aujourd’hui, jusqu’à ce qu’il en ait été ordonné autrement.
Vous préviendrez des maux qui affligeraient sans doute votre sensibilité et votre amour pour le repos des citoyens.
A Condrieu le 26 mars 1792. MOUTON, capitaine actif, F. PIOCT ».
Signature suivie de plus de 50 autres noms.
Quelques semaines plus tard ces patriotes de Condrieu vont constater que la Nation est de leur avis :
« Le 20 avril 1792, la Législative déclare la guerre au roi de Bohème et de Hongrie, en fait à l’Autriche qui trouve une alliée dans la Prusse. Très vite c’est la défaite voire la déroute : la France est envahie. L’idée d’un complot royaliste et clérical, d’une « cinquième colonne » blanche, prend corps : le 26 mai, l’assemblée législative vote contre le clergé réfractaire la première loi de proscription : tout prêtre réfractaire dénoncé par vingt citoyens actifs doit quitter immédiatement le territoire sous peine de dix ans de détention. Le roi oppose encore son veto au décret... (Mais) les révolutionnaires, le 10 août 1792, provoquent sa chute » (Pierre PIERRARD, Histoire des curés de campagne).
La chapelle de la Visitation est fermée au culte, les prêtres réfractaires interdits de séjour à Condrieu. Ils célèbrent l’office divin dans des oratoires privés, dans des caches aménagées dans des maisons amies ; ou même dans les bois alentour. Partout ils sont traqués.