Ce récit se passe à une époque située tout juste en dehors de la mémoire familiale, à cette première génération de laquelle absolument rien ne nous est parvenu : ni noms, ni photos, ni objets, ni la moindre information ou anecdote.
En effet, les souvenirs évoqués par mon grand-père Armel GAUTHIER (1916-2003) s’arrêtaient à son propre grand-père, Aurélien GAUTHIER (1861-1939) [1], natif de la commune de Pray dans le Loir-et-Cher, et ayant ensuite vécu successivement à St Gourgon (même département), puis Auzouer, Villedômer et Neuillé-le-Lierre (Indre-et-Loire).
C’est donc par mes recherches généalogiques que j’ai pu identifier les parents d’Aurélien, et m’intéresser notamment à sa mère, Marie SARADIN. Celle-ci a eu la particularité de faire partie d’une fratrie – ou plutôt sororie, selon le terme apparu au XXe siècle – de six sœurs ... mais aussi, d’être confondue à l’état-civil avec l’une des autres. Il faut dire que les prénoms d’usage n’ont pas toujours été simples à identifier chez les sœurs SARADIN.
Après avoir démêlé l’écheveau, j’ai eu envie de retracer leurs parcours respectifs. Je vais donc vous présenter successivement Justine, Rosalie, Admérine, Anne, Marie, et Stéphanie. Mais commençons d’abord par le contexte : les parents, les lieux, l’époque.
- L’église de Landes, où se sont mariés les parents SARADIN et où a sans doute été baptisée leur fille aînée.
- (Source : CRGPG = Centre de Recherches Généalogiques du Perche-Goüet)
Les parents
Jean Paul SARADIN et Marie Justine CHARON se sont mariés le 2 juin 1830 à Landes (aujourd’hui Landes-le-Gaulois), bourgade d’environ 800 habitants. Tous deux âgés de près de 24 ans, ils ont également en commun la fluctuation du nombre de R dans leurs patronymes respectifs : un ou deux, au gré des actes et des officiers d’état-civil ...
Tous deux vivaient à Landes déjà avant leur mariage, mais sont natifs de villages voisins. Troisième d’une famille de quatre enfants, Jean est marneur de son métier, comme son père avant lui ; c’est-à-dire qu’il travaille dans une carrière de marne et/ou répand la marne sur les terres à labourer, la marne étant un amendement constitué d’un mélange d’argile et de calcaire, utilisé encore de nos jours en agriculture [2]. Il descend d’une lignée d’hommes de la terre profondément enracinée dans la région, parmi lesquels on trouve toutefois un soldat voyageur qui a ramené une épouse de Provence, trois générations plus tôt [3]. Jean a une sœur et un frère aînés, ainsi qu’un frère plus jeune, qui vivent également à Landes au moment de son mariage.
Justine, elle, est journalière ; elle loue donc ses services à la journée, sans doute dans l’agriculture. Je ne lui ai pas trouvé de frères ou sœurs, mais mes recherches de son côté n’ont pas encore été très exhaustives. Ce qui est certain, c’est qu’elle aussi a des racines familiales qui plongent profondément au cœur du pays vendômois.
- L’église de Pray, du XIIe siècle, où 5 des 6 sœurs SARADIN ont dû être baptisées.
- (source : CRGPG)
L’église de Pray, du XIIe siècle, où 5 des 6 sœurs SARADIN ont dû être baptisées.
Les lieux
Au cours de leur vie, relativement longue, Jean et Justine ont effectué essentiellement deux mouvements vers l’ouest.
- Jean est natif de Champigny-en-Beauce, et Justine de St Lubin-en-Vergonnois. Lorsqu’ils se sont installés à Landes dans leur jeunesse, a priori à la suite de leurs parents respectifs, ils ont déménagé d’une dizaine de kilomètres au sud-ouest pour Jean, et environ sept kilomètres au nord-ouest pour Justine. J’ignore à quel endroit précisément ils vivaient à Landes, que ce soit avant ou après leur mariage.
- Puis quelques mois après leur union, entre janvier 1831 et septembre 1832, ils vont s’établir au village de Pray, à environ sept kilomètres au nord-ouest de Landes – soit pour Justine un mouvement similaire à celui qu’elle avait déjà fait plus jeune. Là, ils vivront principalement au hameau de la Motte.
Ils passeront tout le reste de leur existence commune à Pray. Seul Jean, bien plus tard, veuf et âgé, déménagera une dernière fois vers l’ouest, d’une bonne quinzaine de kilomètres, pour s’installer à Villechauve où il décédera au bout de quelques mois ; nous y reviendrons.
- Parcours géographique de Jean Saradin et Justine Charon
- (source : Google Maps)
Pray compte environ 300 habitants dans les années 1830 et 1840 ; sa population s’accroîtra ensuite progressivement jusqu’à atteindre 400 âmes dans les années 1860, puis oscillera entre 360 et 430 jusqu’à la Première Guerre Mondiale [4].
Le hameau de la Motte n’est pas très grand, mais nous n’avons pas d’indication sur l’endroit exact où a vécu la famille SARADIN-CHARON [5]. Le cadastre napoléonien de 1831 nous montre quelques habitations parsemées le long du chemin de la Motte, à l’ouest du bourg ; les recensements font état de 6 maisons en 1841 avec 26 habitants, et jusqu’à 12 habitations en 1861 avec 49 âmes. On peut voir aussi sur ce plan le lieu-dit la Toise, au sud-est, où la famille sera recensée une seule fois, en 1851.
- Pray en 1831
- Lieux-dits la Motte, la Toise et Rucheux
(source : cadastre napoléonien, Archives Départementales du Loir-et-Cher)
L’époque
Jean SARADIN et Justine CHARON ont tous les deux vu le jour pendant l’été 1806, alors que le calendrier républicain venait depuis peu d’être abandonné au profit du bon vieux calendrier grégorien. Il est du 30 juin, elle du 17 septembre ; moins de trois mois les séparent.
C’est le Premier Empire, qui s’effondrera pendant la neuvième année de Jean et Justine. Suivra la Restauration ; en juin 1830, au moment de leur mariage, Charles X est à la tête des Français, mais plus pour longtemps puisqu’il sera balayé lors de la fameuse Révolution de Juillet pour laisser la place à son cousin Louis-Philippe Ier.
Toutes les filles de Jean et Justine verront le jour sous Louis-Philippe, à l’exception de la petite dernière, qui le manquera de peu en avril 1848. En effet, en février de la même année, le monarque est contraint par une autre Révolution d’abdiquer, cédant la place à l’éphémère Seconde République, qui durera moins de cinq ans. Suit alors le Second Empire qui ramène un Bonaparte sur le trône sous le nom de Napoléon III, en décembre 1852. Ce dernier devra se retirer à son tour en 1870, après le désastre de Sedan face aux Prussiens ; la République revient pour de bon.
Tous ces changements et événements n’ont guère dû avoir d’influence sur l’existence de notre couple, dont le premier rejeton naît à Landes en janvier 1831. Comme l’indique l’acte, c’est un enfant « femelle » ... qui sera suivi de cinq autres. Voici venu le moment de vous les présenter.
1. Justine, l’aînée
Le premier enfant du couple SARADIN-CHARON, né à Landes le 31 janvier 1831 soit sept mois après le mariage de ses parents, est une petite fille qui reçoit le même prénom que sa maman. Oui, mais voilà : l’adjoint au maire de Landes a inscrit dans le registre « Augustine SARRAZIN », fille de « Jean SARAZIN » et « Augustine CHARON ».
Nous savons pourtant que la mère s’appelait bien Justine. Par la suite, la fille aînée du couple se verra attribuer le prénom d’Augustine sur tous les actes officiels ; quant aux recensements, ils oscillent allègrement entre Justine et Augustine. Mais la persistance de « Justine » même occasionnellement au fil des ans ne laisse guère de doute sur son prénom d’usage. On verra en tout cas qu’elle est la seule des filles SARADIN à avoir reçu un prénom unique à la naissance.
Son patronyme voit lui aussi des fluctuations, variant entre SAR(R)ADIN, SAR(R)AZIN ou même SARASIN. Elle n’a sans doute jamais protesté : en effet, elle n’a pas reçu d’instruction et ne savait pas signer son nom.
La famille s’installe à Pray alors qu’elle n’a que quelques mois. C’est là qu’elle grandit, au hameau de la Motte. Dès l’âge de 15 ans, elle n’est plus recensée chez ses parents, et j’ignore où elle se trouvait aux recensements de 1846 et 1851. En 1856 et 1861, elle réside dans sa commune natale, à Landes : en effet, elle y est recensée comme domestique chez les GROSSEJAMBE, une famille d’agriculteurs.
C’est également à Landes qu’elle se marie le 2 juillet 1862, à l’âge de 31 ans, avec un maçon de 41 ans, Victor RIBOULEAU ou REBOUL(L)EAU. Ce dernier, qui signe l’acte de mariage, habite la commune voisine de Lancé, au nord-ouest de Pray ; Justine s’y installe ensuite avec lui et devient journalière. Un petit Jean, prénommé comme son grand-père maternel, naît en 1863 ; ce sera leur seul enfant.
Au bout de huit ans de mariage, Victor décède à moins de 50 ans, à la veille de Noël 1870, en pleine guerre franco-prussienne (ce qui n’est probablement qu’un hasard, même si des combats violents ont eu lieu dans la région une dizaine de jours plus tôt). Justine se retrouve donc veuve à moins de 40 ans, avec un petit garçon de sept ans. Elle ne se remariera pas, et passera tout le reste de son existence à Lancé, là où elle vivait avec son mari, au lieu-dit la Pinauderie. Dans les années 1880, elle y habite seule ; puis son fils vient la rejoindre dans les années 1890, toujours célibataire.
Jean RIBOULEAU se marie tardivement, à 40 ans, à Crucheray en 1903 ; il reconnaît en même temps une fille naturelle de son épouse, âgée de 13 ans. Justine SARADIN veuve RIBOULEAU a déjà 72 printemps. Résidant avec le jeune couple, elle aura le temps de connaître ses petits-enfants Louis RIBOULEAU, né à Lancé en 1904, et Marie Augustine RIBOULEAU, née en 1906. J’ignore quel était le prénom usuel de cette dernière, mais il y a fort à parier que c’était une ‘véritable’ Augustine cette fois ; au début du XXe siècle, l’orthographe des noms était devenue bien plus stricte.
Justine SARADIN veuve RIBOULEAU s’éteint le 20 novembre 1911, à Lancé. Je ne dispose que d’une transcription de l’acte, mais ce dernier a été visiblement établi au nom d’Augustine SARRAZIN, conformément à l’acte de naissance écrit de manière erronée 80 ans plus tôt ...
2. Rosalie, ancrée à Pray
La deuxième fille de Jean et Justine, née à Pray le 16 septembre 1832, reçoit trois prénoms :
« Magdeleine Rosalie Clémence ». Il n’y a aucun doute possible sur son prénom d’usage, qui fut celui du milieu. Pour autant, elle a aussi été dénommée Rose sur plusieurs actes et recensements, à l’âge adulte ... Peut-être se faisait-elle appeler indifféremment Rosalie ou Rose, qui devait en être un diminutif. Quant à son patronyme, hormis la variation du nombre de R, il ne semble jamais avoir été écorché.
Rosalie est la seule des six sœurs (hormis celle décédée en bas âge) à avoir apparemment passé toute son existence au village de Pray. Jusqu’à l’âge de 24 ans, elle est systématiquement recensée chez ses parents, où elle exerce l’activité de couturière ; après son mariage, elle s’établit avec son mari à Rucheux, lieu-dit situé au sud-est de la Motte et comportant également une poignée de maisons (voir carte plus haut). Il semble qu’elle ait toujours habité là par la suite.
Elle est aussi la première des sœurs à se marier, le 2 juin 1857. Le premier gendre de Jean et Justine SARADIN, Gabriel MÂNE, est loin d’être un inconnu dans la famille : il s’agit en effet d’un cousin germain des sœurs SARADIN ... Sa mère n’est autre que Madeleine dite « Marie Félicité » SARADIN, sœur aînée de Jean, et veuve de Mathurin MÂNE. Le jeune époux, natif de Landes, est âgé de 28 ans, soit quatre de plus que Rosalie.
Le mariage entre cousins germains était autorisé, du point de vue civil ; l’acte ne précise d’ailleurs rien de particulier à ce sujet. En revanche, s’ils se sont mariés à l’église (ce qui est plus que probable vu les usages de l’époque), ils ont dû obtenir une dispense.
Jusque vers l’âge de 45 ans, Gabriel exerce la profession de marneur, comme son beau-père. A une exception près : au recensement de 1861, il est « brioleur » ... Le dictionnaire de Littré nous indique : « Dit aussi baudelier, celui qui transporte du bois avec des bêtes de somme » [6]. Puis, pendant les dernières années de sa vie, il sera maçon. Quant à Rosalie, elle reste couturière.
Contrairement à son épouse, Gabriel était instruit, et sa signature apparaît sur de nombreux actes relatifs à leurs proches. Il mourra jeune encore, à 53 ans. Rosalie se retrouve donc veuve à 49 ans, après un quart de siècle de mariage.
Entre-temps, le couple a eu trois enfants : d’abord Gabriel, puis Rosalie (prénommés comme leurs parents), qui décèdent tous les deux au bout de quelques jours. Seule Irma, la troisième, née le 15 août 1860, atteindra l’âge adulte. Elle se marie à l’âge de 23 ans avec Léon MAURY ; ce dernier, tailleur de pierre et maçon, vient s’installer à Rucheux avec la fille et la mère.
Deux petits-enfants vont naître chez les MAURY-MÂNE : Gabriel, prénommé comme son grand-père paternel, puis Berthe. Rosalie est alors une jeune quinquagénaire, déclarée sans profession ; sans doute se rend-elle utile à la maison et auprès de ses petits-enfants. Pourtant, au recensement de 1906, on la trouve non plus chez sa fille, mais dans une maison voisine : elle est employée à demeure chez les DELORY, père et fils cultivateurs, qui pallient sans doute l’absence de femme dans leur foyer par l’emploi de deux domestiques. L’une a 15 ans ; l’autre, Rosalie, en a 73 ...
C’est le dernier recensement disponible en ligne pour la commune de Pray. Je ne sais pas grand-chose des dernières années de la vie de Rosalie. Ses petits-enfants se marient tous les deux en 1910. Notons que Gabriel épouse une cousine issue de germains, Bérangère MÂNE : les époux ont en commun leurs arrière-grands-parents Mathurin MÂNE et Madeleine dite « Marie Félicité » SARADIN, ce qui ajoute un lien de cousinage supplémentaire à celui déjà apporté par Rosalie SARADIN et Gabriel MÂNE. Ainsi, leurs enfants descendront trois fois du même couple, Pierre SARADIN et Marie DURAND, parents de notre Jean SARADIN et de sa sœur aînée « Marie Félicité » ...
Rosalie pourra connaître au moins cinq arrière-petits-enfants. Le premier est un petit Gilbert MAURY (fils de Gabriel) né à Lancé alors qu’elle a 78 ans, et les autres seront deux paires de jumeaux : Gabrielle et Louis GARNIER (enfants de Berthe), nés à Pray, et Léonce et Louis MAURY, nés à Lancé (ce dernier décédé en bas âge). La deuxième des sœurs SARADIN (et la dernière survivante) s’éteindra à Pray le 22 mai 1916, pendant la Grande Guerre, à l’âge respectable de 83 ans.
3. Admérine, mariée deux fois
La troisième sœur SARADIN vient au monde le 19 janvier 1835, à Pray, et reçoit elle aussi trois prénoms : Julie Honorine Admérine. Son prénom d’usage sera le plus rare des trois : Admérine. C’est en effet celui que l’on relève sur la totalité des recensements, et la plupart des actes d’état-civil. On lui trouve toutefois quelques variantes, comme « Mérine » en 1861 (diminutif, ou erreur du recenseur ?) ou encore Almérine (assez fréquent après son mariage). Quant à son nom de famille, s’il a le plus souvent été respecté (avec 1 ou 2 R), on rencontre tout de même un « SARAZIN » et une « SARRAZINE ».
Elle semble avoir vécu avec ses parents au moins jusqu’à l’âge de 21 ans. Au recensement de 1861, alors qu’elle en a 26, elle est recensée comme domestique au lieu-dit Villejumer à Pray, chez les SOURIOU, une famille de cultivateurs. Il s’agit d’une propriété située tout près de la Motte, juste au nord.
Où est-elle en 1866 ? Je ne l’ai pas trouvée à ce recensement, ni à Pray, ni à St Gourgon, commune où elle se marie l’année suivante, le 27 novembre 1867.
Elle a alors près de 33 ans. L’heureux élu se nomme Jean Baptiste THUPAIN ; cultivateur à St Gourgon, jeune veuf de 37 ans et père de six enfants, il ne sait pas signer, à l’instar d’Admérine. Elle s’installe avec lui. Leur mariage sera hélas de courte durée : peu après la naissance d’une petite Rosalie, Jean Baptiste trépasse à 39 ans, dans des circonstances que j’ignore. Admérine retourne alors à Pray, chez ses parents ; c’est là que la petite Rosalie décède à son tour, à moins d’un an.
La jeune veuve finira par se remarier, cinq ans plus tard à 41 ans, avec un veuf de 64 ans. Louis MAINGOUR est journalier à Lancé, commune où vivra désormais Admérine ; lui non plus ne sait pas signer son nom. Cette union restera sans enfant. En 1881, ils sont recensés au lieu-dit La Troëne (ou la Troisne) ; au recensement suivant, en 1886, ils habitent aux Maisons Rouges dans la même commune. Louis décédera en janvier 1891 à l’hospice de Vendôme, à l’âge de 78 ans ; Admérine se retrouve veuve pour la seconde fois à 56 ans, et cette fois-ci elle ne se remariera pas.
Elle a sans doute été proche de sa jeune sœur Marie, dont nous allons bientôt parler ; en tout cas, elle semble avoir recueilli au moins deux filles de celle-ci après la disparition de leur mère. En effet, l’aînée de Marie a accouché chez Louis et Admérine d’un enfant de père inconnu, et l’y a laissé pour monter à Paris (l’enfant est décédé peu après) ; la benjamine a également vécu avec eux, et recueillera à son tour sa tante Admérine chez elle sur ses vieux jours, à la Troëne. Admérine décède à 69 ans, le 2 mai 1904 à Lancé.
4. Anne, disparue très tôt
La partie consacrée à la quatrième des sœurs SARADIN sera extrêmement courte, puisque la petite Anne Marie Amélie (dont j’ignore à vrai dire le prénom usuel, n’ayant cité le premier que par convention) a vécu moins de deux mois. Née à Pray le 1er août 1837, elle y décède le 21 septembre de la même année.
Elle n’aura pas eu le temps de laisser de trace dans les recensements. C’est le seul enfant que Jean et Justine, les parents SARADIN, aient perdu en bas âge.
1 enfant sur 6 seulement, ce n’est pas si mal pour cette époque où la mortalité infantile était encore élevée, malgré les progrès significatifs apportés par le développement de la vaccination antivariolique. Les autres maladies ou infections diverses ne manquaient pas, souvent fatales aux nourrissons ...
5. Marie, maman prolifique
Mon ascendante Marie Magdeleine, la cinquième sœur, vient au monde l’année suivante, le 9 octobre 1838. Son prénom usuel est sans aucun doute Marie, d’après la totalité des recensements et des actes de naissance de ses enfants. Seuls ses actes de mariage et de décès complètent ce prénom d’usage ... mais de manière erronée : en effet, elle y est confondue avec sa petite sœur Marie Julie Adrienne, qui n’avait pourtant que 11 ans au moment du mariage, et dont le prénom usuel était bien différent, comme nous le verrons.
Lorsqu’elle vient au monde, Marie a donc trois sœurs aînées en vie : Justine âgée de 7 ans, Rosalie qui en a 5, et Admérine qui en compte 2. Marie est recensée chez ses parents à la Motte (et ponctuellement à la Toise) jusqu’à l’âge de 17 ans inclus. Elle en a 18 lorsque Rosalie se marie ; elle-même sera la deuxième des sœurs SARADIN à convoler, deux ans plus tard, le 18 juillet 1859 (Justine, l’aînée, n’étant pas encore mariée).
Âgée de 20 ans, Marie épouse Thomas François GAUTHIER, journalier de 28 ans, domicilié à Pray depuis peu. Il est originaire du village de St Hilaire-la-Gravelle, situé à plus de 30 kilomètres au nord. Ni l’un ni l’autre ne savent signer ; Marie est couturière, profession qu’elle continuera à exercer dans les premiers temps de son mariage.
- 18 juillet 1859
- Acte de mariage de Thomas François GAUTHIER et Marie Madeleine SARADIN (extrait).
Le maire adjoint a indiqué les prénoms, date et lieu de naissance de Marie Julie Adrienne, sa petite sœur, sans réaliser que si ces informations avaient été justes, il aurait été en train de célébrer le mariage d’une fillette de 11 ans ... [7]. |
Le jeune couple passe ses premières années au hameau de Rucheux, à Pray (voir carte), là où vit déjà Rosalie avec son mari. Une petite Lucie Marie naît sept mois après leur union, puis c’est Aurélien François qui vient au monde le jour de leur deuxième anniversaire de mariage (mon arrière-arrière-grand-père).
Vers 1862, la famille GAUTHIER-SARADIN déménage pour la commune de Landes, que la sœur aînée Justine vient par ailleurs de quitter. Ils s’installent au Grand Chassay, lieu-dit qui de nos jours ressemble à une grosse ferme ancienne assez similaire à sa configuration sur le cadastre napoléonien. Ils y resteront environ trois ans ; y viendront au monde une petite Marie Irène, puis un petit François Théophile qui ne vivra que trois mois. Dans les registres de Landes, Marie se voit rebaptiser « SALADIN ».
En 1866, c’est à nouveau à Pray que l’on retrouve la famille constituée de François, Marie et leurs trois enfants survivants. Ils habitent cette fois auprès des parents de Marie, au hameau de la Motte, qu’ils ne quitteront plus. François change alors de métier : de journalier, il devient marneur, à l’instar de son beau-père Jean SARADIN. Celui-ci, âgé de soixante ans, est en revanche passé depuis quelques années de l’état de marneur à celui de journalier. A-t-il incité et/ou formé son gendre à prendre cet état ? ... Quant à Marie, elle sera désormais recensée comme « femme de ménage », « ménagère » ou « sans profession » - ce qui à l’époque revenait à peu près au même, signifiant qu’elle se consacrait aux activités du ménage (au sens de foyer).
Le foyer s’agrandit avec Marie Aglaé Armandine, qui ne vivra que deux mois, puis Léocadie Armandine Eudoxie en 1867. Deux ans plus tard arrive Victor Hyacinthe ; puis en 1872 naît une petite Lucie Blanche Aglaé, qui sera en réalité appelée couramment « Marie ».
Marie et François ont eu huit enfants, dont six ont survécu au bas âge. Il n’y en aura pas d’autre : Marie SARADIN décède le 1er mai 1873, à l’âge de 34 ans seulement. De quoi est-elle morte ? L’histoire ne le dit pas ... Quant à son veuf François, il ne lui survivra qu’un an et demi : il trépasse à son tour le 22 octobre 1874, à 44 ans. Là encore, nous en ignorons la cause.
Les six enfants survivants de François GAUTHIER et Marie SARADIN se retrouvent donc orphelins ; l’aînée a 14 ans, la plus jeune en a 2 ... Quant aux parents de Marie, ils ont eu la douleur de perdre ainsi leur avant-dernière fille fauchée en pleine jeunesse. Ils vont recueillir plusieurs des orphelins, si ce n’est tous ; je ne peux l’établir avec certitude, faute de recensement disponible pour la commune de Pray en 1876. Ce qui est certain, c’est qu’en 1881, alors qu’ils sont déjà bien âgés, ils habitent toujours la Motte avec leur dernière fille « Stéphanie », dont nous allons parler sous peu, et leurs deux petites-filles Armandine et « Marie » GAUTHIER.
Mon ascendante Marie SARADIN est donc celle des cinq sœurs survivantes qui aura eu l’existence la plus courte ; elle est aussi celle qui aura eu le plus d’enfants, et de loin.
6. « Stéphanie », la benjamine
Près de dix ans s’écoulent entre la naissance de Marie SARADIN et celle de la dernière des sœurs. Justine, la mère, a-t-elle fait entre-temps des fausses couches ? Impossible de le savoir.
Quoi qu’il en soit, Marie Julie Adrienne, dite « Stéphanie », vient au monde le 10 avril 1848. Ses parents ont tous deux 41 ans ; ses sœurs aînées sont âgées respectivement de 17, 15, 13 et 9 ans. J’ignore si elle est née à la Motte, où la famille est recensée en 1846, ou à la Toise, où vivent les SARADIN-CHARON en 1851. Si c’est à la Toise, elle n’y passera de toute façon que sa petite enfance, puisque la famille est à nouveau recensée à la Motte en 1856.
Stéphanie est systématiquement recensée chez ses parents jusqu’à ses 33 ans inclus, ce qui est particulièrement tardif. Elle y exerce une activité de couturière. Finalement, elle se décide cet hiver-là, le 27 décembre 1881, à convoler avec François Pierre PALLY ; ce dernier, journalier à Villechauve, est un veuf de 36 ans, sans enfant.
Surprise : les deux époux savent signer. D’une main relativement sûre, Stéphanie a écrit « A. Saradin » à deux reprises : au bas de l’acte, et dans la marge sous une mention additionnelle. On peut donc en déduire qu’en dépit de son prénom usuel, elle devait considérer « Adrienne » comme l’officiel.
- Signatures de Stéphanie et son époux
sur leur acte de mariage
Quant à son mari, il a signé « P. Pally » avec une aisance encore plus grande [8].
Le père, Jean SARADIN, est présent à la cérémonie du mariage ; en revanche, la mère, Justine CHARON n’est pas venue, « étant dans l’impossibilité de manifester sa volonté », d’après ce que nous apprend l’acte. Perdait-elle la tête ? Ou avait-elle été victime de ce que nous appellerions aujourd’hui un AVC, lui ayant laissé des séquelles graves ? Quoi qu’il en soit, elle décédera l’été suivant, le 15 août 1882. Pierre PALLY en est le déclarant, avec Aurélien GAUTHIER fils de Marie.
Stéphanie a rejoint son mari pour vivre à Villechauve. Après le décès de sa mère, le couple recueille Jean SARADIN, âgé de 75 ans. C’est auprès d’eux qu’il disparaîtra à son tour, le 1er novembre 1883 ; là encore, c’est le mari de Stéphanie qui déclare son décès.
Pendant leurs premières années de vie commune, Pierre et Stéphanie semblent avoir gardé leurs professions de journalier et couturière. En revanche, un nouvel état apparaît pour Stéphanie à partir de 1886 : en plus d’être couturière, elle est également épicière, et le deviendra pleinement par la suite, de même que Pierre qui ne sera plus journalier mais épicier.
Le couple vit à Villechauve pendant dix à quinze ans, au bourg. A partir de 1896, on les trouve cette fois à St Gourgon, où ils tiennent également une épicerie. Ils habitent d’abord au lieu-dit Villethiou, puis à la Cadasserie, à environ 4 kilomètres à l’ouest du bourg ; c’est là que décède Pierre PALLY en 1897, à l’âge de 51 ans.
Stéphanie en a 48 ; le couple n’a pas eu d’enfants. Elle vit désormais seule à la Cadasserie, toujours épicière ; elle y figure toujours au recensement de 1906, et c’est également là qu’elle terminera ses jours, le 15 juin 1910, à l’âge de 62 ans.
Vision d’ensemble
Si l’on prend maintenant du recul sur la vie des sœurs SARADIN (en considérant les 5 qui ont atteint l’âge adulte), on peut faire les constats suivants :
1. Elles n’ont a priori jamais cohabité toutes ensemble.
En effet, lorsque la petite dernière Stéphanie est venue au monde, l’aînée Justine âgée de 17 ans était déjà placée comme domestique dans une autre famille.
2. Justine, l’aînée, ne semble pas avoir été proche de sa famille.
Non seulement elle a quitté le foyer bien plus jeune que ses sœurs (avant l’âge de 15 ans), mais on ne trouve aucune trace officielle d’elle ou de son mari lors des événements familiaux ; et en dehors de la présence des parents à son mariage, aucune trace de ses proches n’est relevée non plus par la suite dans son existence.
3. Stéphanie, la benjamine, était en revanche très proche de ses parents.
La petite dernière a quitté le nid très tard, à 33 ans ; elle a recueilli peu après son père veuf et âgé, et son mari a été déclarant au décès de chacun des parents.
4. Stéphanie est la seule à avoir reçu une certaine instruction.
Seule la petite dernière des sœurs a appris à signer ; et la relative aisance de sa signature montre qu’elle avait acquis également des rudiments d’écriture. C’est peut-être ce qui l’a aidée à entrer dans le domaine du commerce après son mariage, sachant que son mari savait également lire et écrire.
5. Gabriel MÂNE, mari de Rosalie, a été présent à la plupart des événements de la famille. Rappelons qu’il était un proche de la famille SARADIN depuis toujours, étant le cousin germain des six sœurs. De plus, le fait qu’il ait su signer a dû favoriser son implication active dans le cadre des actes officiels. Il n’y a qu’auprès de Justine qu’on ne trouve pas trace de sa présence.
6. Les 5 sœurs se sont toutes mariées, mais leurs mariages n’ont pas duré très longtemps.
L’union la plus longue a été celle de Rosalie, à savoir 25 ans tout de même ; le premier mariage d’Admérine a duré seulement 3 ans (mais le second 15 ans).
7. Elles n’ont pas eu beaucoup d’enfants.
Ce n’est pas nécessairement lié au point précédent, car Marie, l’exception avec ses 8 enfants, les a tous eus avant l’âge de 33 ans. Justine a eu un seul enfant en huit ans de mariage ; Rosalie en a eu trois en 25 ans, dont un seul a survécu ; Admérine en a eu un lors de sa première union, décédé en bas âge ; quant à Stéphanie, elle n’en a apparemment eu aucun.
8. Seule Marie, mon ascendante, n’a pas connu le veuvage.
Il faut dire que Marie est morte beaucoup plus jeune que ses sœurs, à 34 ans seulement. Les autres ont été veuves respectivement à 39 (Justine), 50 (Rosalie), 35 (Admérine) et 49 ans (Stéphanie). Seule Admérine s’est remariée, pour se retrouver veuve à nouveau à 56 ans.
9. Les parents SARADIN-CHARON étaient présents pour leurs filles.
Jean SARADIN et Justine CHARON ont assisté à tous les mariages ; seule Stéphanie n’a pu avoir que son père à la cérémonie, sa mère étant souffrante comme nous l’avons vu. Ils ont également recueilli plusieurs des enfants de Marie, si ce n’est tous, au décès de cette dernière.
10. Les sœurs SARADIN ne se sont guère éloignées du village de leur enfance.
Je veux parler ici bien sûr de leurs lieux de vie, non de leurs déplacements – même s’il est probable qu’elles n’ont pas dû beaucoup voyager. Rosalie a toujours habité à Pray ; celle qui s’est éloignée le plus est Stéphanie, la benjamine, Villechauve étant à environ 16 kilomètres de son village natal.
- Villages où ont vécu les sœurs SARADIN
à l’âge adulte (source : Google Maps)
Postérité et héritage SARADIN
Sur les 6 filles SARADIN, seules 3 ont eu une postérité – très nombreuse pour Marie, bien qu’elle n’ait pas eu le temps d’être grand-mère :
Léonce MAURY, arrière-petit-fils de Rosalie, mort pour la France en 1945, est inscrit sur le monument aux morts de Lancé.
Edouard MANCHERON, arrière-petit-fils de Marie, est coureur cycliste professionnel dans les années 1940 [9].
Jean SARADIN et Justine CHARON n’ayant pas eu de descendance mâle, le nom s’est éteint avec leurs filles pour cette branche. Néanmoins, il s’est poursuivi du côté de François SARADIN, frère de Jean. On notera que les deux frères de ce dernier, Christophe et François SARADIN, vivaient à la Motte à Pray eux aussi, et ce de longue date. Jean s’y était installé le premier ; il est également le premier des trois à décéder, malgré son âge déjà avancé (77 ans).
Christophe n’a pas eu d’enfants survivants (malgré trois mariages), mais François en a eu 9 (avec deux épouses). Il est le dernier des trois frères à être encore recensé à la Motte en 1886 ; il décèdera l’année suivante. Au recensement de 1896, on y trouve désormais son fils Frédéric SARADIN, avec sa famille. Il s’agit donc d’un cousin germain des sœurs SARADIN. Ils y sont toujours en 1901 et 1906.
Les recensements postérieurs ne sont pas en ligne, mais je sais par un cousin généalogique, arrière-petit-fils de Frédéric, qu’il existe toujours en 2022 une ferme à la Motte qui appartient aux descendants SARADIN, même s’ils ne portent plus ce nom. Peut-être un jour une exploration du cadastre aux Archives Départementales de Blois me permettra-t-elle de savoir si c’était celle dans laquelle ont vécu les 6 sœurs SARADIN ...
- Le hameau de la Motte de nos jours
(source : Google Maps)