Le lieu, la date, les personnages
Nombre de mes ancêtres ont vécu dans la paroisse de Saunay, dans l’actuelle Indre-et-Loire (orthographiée autrefois Sonnay ou encore Sonné) : au moins quatre ascendants directs et plus d’une centaine de collatéraux identifiés à ce jour, sur une large période allant de la fin du XVIIe siècle jusqu’au XXe bien entamé. C’est pour cette raison que j’ai été amenée à éplucher la plupart de ses registres en ligne, et à y trouver fortuitement ce qui va faire l’objet de ce récit.
L’intervalle de temps qui nous intéresse aujourd’hui se limite principalement aux années 1769 à 1785, vers la fin de l’Ancien Régime. Une fois n’est pas coutume : cet article, contrairement à ceux que j’ai pu rédiger auparavant, ne retracera pas la vie d’une personne en particulier (à une petite exception près), ni d’une famille. Il portera essentiellement sur des individus qui ont pour seul trait commun le fait d’être tous décédés dans la paroisse de Saunay, pendant la période précitée (ce qui suppose évidemment qu’ils y ont, pour la plupart sinon tous, vécu).
Saunay est à l’époque un village peuplé d’un peu moins de 500 âmes, si l’on se réfère aux données publiées pour l’année 1793 [1]. Il est situé au nord-est de Château-Renault, petite ville de Touraine, et au sud de la forêt du même nom.
- « Sonnay » sur la carte de Cassini
- XVIIIe siècle (source : Gallica)
- Vue générale de Saunay au début du XXe siècle
- (source : Archives Départementales d’Indre-et-Loire)
L’église et son curé
- L’église de Saunay au début du XXe siècle
- (source : Archives Départementales d’Indre-et-Loire)
L’église Notre-Dame de Saunay, qui sert en quelque sorte de cadre commun aux personnages de cet article, date du XIe siècle. Remaniée au XVIe, elle n’a guère dû changer de physionomie depuis cette époque [2].
En mars 1768, elle voit arriver un nouveau curé : le père Jean Roch PICHERÉ. Ce dernier succède au père Jacques PASQUIER qui la desservait depuis une quinzaine d’années ; décédé le 24 novembre de l’année précédente, il a d’ailleurs été inhumé dans l’église. L’intérim de novembre à mars a été assuré par un certain BRUNEAU, prêtre vicaire de Saunay.
Le père PICHERÉ rédige son premier acte le 20 mars 1768, et le signe de la manière dont il signera presque toujours par la suite : « Picheré curé ».
- Première signature du curé PICHERÉ
- Registres de Saunay (source : AD37, registre 6NUM6/240/027, vue 3/9).
Il n’y a qu’en fin de registre qu’il signera différemment, chaque année, lorsqu’il attestera avoir rappelé à ses paroissiens et paroissiennes l’édit d’Henri II relatif aux grossesses cachées [3]. Là, il précise, sans doute pour faire plus solennel : « Picheré curé de Sonné ».
Jean Roch PICHERÉ tiendra scrupuleusement les registres paroissiaux jusqu’au cours de l’année 1791, date à laquelle il sera remplacé. Nous y reviendrons. Ce qui nous intéresse pour le moment apparaît dans le registre de l’année qui a suivi son investiture.
Une liste inattendue à la fin du registre de 1769
Seule la collection du greffe est disponible en ligne pour les années concernées, ce qui correspond aux doubles des registres, selon le principe instauré par Louis XIV afin de sauvegarder les informations relatives aux baptêmes, mariages et sépultures [4].
Le registre de 1768, repris en main courant mars par le père PICHERÉ, ne présente rien de particulier, sinon le fait que notre curé a indiqué soigneusement dans la marge le nom et le type de chaque acte (par exemple « enterrement de Simon Brossier »). C’est une pratique très courante bien que non systématique, déjà utilisée par son prédécesseur, et qui permet de repérer plus vite un acte en particulier, ou de comptabiliser plus facilement les différents types d’actes (baptêmes, mariages, sépultures). Cet usage, lorsqu’il était présent dans les registres communaux, ne l’était pas nécessairement pour autant dans les registres destinés au greffe ; c’est néanmoins le cas ici, ce qui témoigne probablement d’une volonté et habitude de rigueur et de clarté.
C’est à la fin du registre de l’an 1769, après l’ensemble des actes de baptêmes, mariages et sépultures, que j’ai vu apparaître un paragraphe inattendu, signalé dans la marge par la mention « Maladies », et intitulé « Genres des maladies qui ont fait périr les personnes décédées pendant le cours de l’année mil sept cent soixante neuf ».
Suit une liste qui comporte les noms et prénoms de six individus morts cette année-là, avec pour chacun la date du trépas et, surtout, la cause.
- "Genres des maladies qui ont fait périr les personnes décédées..."
« Genres des maladies qui ont fait perir les personnes decedées pendant le cours de l’année mil sept cent soixante neuf (Source : AD37, registre 6NUM6/240/028, vue 7/9)
- Pierre Bourrillon decedé le 22 janvier du haut mal
- Jean Fontaine le 24 janvier fievre maligne
- Mathurin Quillet le 26 janvier apoplexie
- Marie Deletang le 18 avril suittes de couches
- Marie Mortier le 31 may couche avant terme
- François Chereau le 29 9bre paralysie et apoplexie »
En feuilletant le registre, on peut faire les constats suivants :
- La liste qui apparaît à la fin n’est pas un simple récapitulatif, puisque les maladies n’étaient pas indiquées dans les actes concernés. Le curé a donc ajouté ces informations à la fin de l’année. L’a-t-il fait de mémoire ? ou avait-il pris des notes sur un autre support ?
- Cette liste ne reprend pas l’exhaustivité des décès ; en effet, il existe d’autres actes d’« enterrements » qui n’y sont pas cités. Il s’agit des enfants en bas âge : la mortalité infantile était tellement courante que le père PICHERÉ n’a pas dû y relier la notion de maladie, qui semble avoir guidé sa main pour le reste. Seuls les adultes apparaissent donc ici.
- Enfin, cette liste est suivie en toute fin de registre d’une brève référence aux naissances de l’année, ainsi formulée : « Il y a eu vingt naissances, six de garçons et quatorze de filles ». Ce qui montre que le curé ne s’intéressait pas uniquement aux décès ni aux maladies ; toutefois il se limite pour les baptêmes à une sommaire comptabilisation (qu’il n’a d’ailleurs pas faite pour les décès).
Des listes quasi-systématiques de 1772 à 1780
Avant de nous pencher sur les maladies en question, voyons ce qu’il en est des registres suivants.
En 1770, aucune liste des décès n’est présente en fin de registre, ni aucune comptabilisation des naissances. Même constat en 1771. Il y avait pourtant de la place disponible sur les feuillets … Le brave curé avait-il juste eu un intérêt passager pour les maladies de ses paroissiens ?
Mais voilà qu’en 1772, la liste des maladies est de retour, sous le même titre qu’en 1769 (seule l’année a changé). Le contenu varie légèrement : en effet, au lieu de rappeler la date du trépas, qui figure déjà dans chacun des actes concernés, le prêtre indique l’âge du défunt. Par exemple : « Catherine Cuvier, agée de soixante trois ans, chaud refroidi et asthme ». Autre différence : après la liste de ces défunts, tous adultes, le curé dénombre l’ensemble des événements (naissances, morts, mariages).
- Fin du registre de Saunay de 1772
- (source : AD37, registre 6NUM6/240/031, vue 7/9)
Plus précisément, le père PICHERÉ a comptabilisé les naissances de garçons et de filles, mais aussi les décès en distinguant les « petits enfants » des « grandes personnes », et les mariages.
La liste des trépassés comporte bien neuf noms (ceux des adultes), conformément au nombre indiqué dans ce récapitulatif ; mais contrairement au registre de 1769, les causes de décès indiquées ne sont pas uniquement des maladies ou en lien avec un accouchement. En effet, on y trouve aussi des morts de « vieillesse », ou encore un « mort subitement ».
Pendant les années suivantes, notre curé notera quasi-systématiquement la liste des défunts de l’année avec leur âge et la cause du décès, à l’exception de 1777 : pour cette année-là, aucune liste ni dénombrement ne figure en fin de registre. Le père PICHERÉ l’aurait-il fait sur un feuillet manquant ? Ou s’était-il lassé de ces inventaires ? Quoi qu’il en soit, cette pratique est de retour l’année suivante, et sera observée jusqu’en 1780.
Ainsi, le prêtre de Saunay a consigné les « maladies qui ont fait périr les personnes décédées », au-delà de 1769, dans tous les registres annuels de 1772 à 1780 inclus, sauf 1777. A partir de 1781, il cesse complètement de répertorier les causes de décès … à une petite exception près : en 1785, il rédige en fin de registre un commentaire général sur le « genre des maladies », mais sans aucun détail nominatif (voir plus loin). Ce sera sa dernière référence aux maladies de ses paroissiens.
Sur la période 1772-1780, le contenu des listes varie légèrement d’une année sur l’autre :
- Les décès des jeunes enfants sont parfois indiqués de manière détaillée, parfois commentés de manière globale, ou d’autres fois pas du tout mentionnés ;
- Des commentaires assez précis sont donnés pour certains individus dont les circonstances du trépas ont été surprenantes ou spectaculaires, par exemple pour une femme morte en couches en 1772, ou pour un homme mort de la rage en 1775 (voir plus loin).
Vue d’ensemble sur les causes de décès des habitants de Saunay, de 1769 à 1780
Après avoir étudié la nature et la fréquence des informations récapitulées par notre curé, intéressons-nous à ce qui fait la richesse de cet inventaire : les « genres de maladies ». Si un certain nombre d’entre elles nous paraissent banales, d’autres peuvent faire frémir.
Ayant repris en détail et classé dans un fichier toutes les informations ainsi fournies par le père PICHERÉ, j’ai pu établir les comptages suivants, en me basant sur les registres de 1769, 1772 à 1776, et 1778 à 1780 (soit neuf années) :
- 106 décès ont été répertoriés de manière nominative, dont 59 hommes et 47 femmes ;
- Selon les années, ce nombre varie de 9 à 25 ;
- 45 causes différentes de décès ont été recensées.
Ce qui représente, à l’échelle du village et de la période, une jolie base de données.
Le tableau ci-dessous reprend les causes de décès citées au moins deux fois, classées par ordre décroissant du nombre de cas :
Les autres causes de décès, qui n’apparaissent qu’une seule fois, sont les suivantes (pêle-mêle) : abcès au bas-ventre, cessation des fonctions de l’estomac, chagrin, coqueluche, couches avant terme, épilepsie, épuisement, « a fini », fièvre pourprée, chute négligée, flux de sang, gale, haut mal, hydropisie, inflammation à la gorge, mal caduc, mauvais lait (pour un petit enfant), abcès aux poumons suite à une fausse pleurésie, pourpre rentré, rhume de poitrine, teigne, enfant prématuré.
N’ayant aucune formation médicale, j’ai tendance à classer ces causes de décès en trois catégories différentes :
- Maladies qui résonnent de manière familière, même sans les connaître de près : asthme, coqueluche, fièvre, abcès, apoplexie, mal de gorge, suite de couches, gale, épilepsie, pleurésie, phtisie, hydropisie …
- D’autres qui m’étaient totalement inconnues : vérette rentrée (il s’agit de la varicelle, peut-être « rentrée » car sans éruption ?), pourpre rentré (taches pourpres apparaissant sur la peau en raison d’un épanchement de sang dans le derme, de même pourquoi rentré ?), suppression (je n’ai rien trouvé quant à ce terme) …
- Et, par ailleurs, des motifs de décès qui ne sont pas des maladies : notamment vieillesse et retour d’âge, ce dernier point m’ayant particulièrement étonnée. Sans parler de la mystérieuse mention « a fini », qui caractérise une femme sexagénaire « de faible complexion » ; ou encore « épuisée de travail », pour une femme de 57 ans …
Quelques commentaires spécifiques
Certaines observations plus détaillées peuvent également laisser songeur. Je cite ici les plus marquantes, relatives à des adultes :
- Pour Anne CHAPIN, décédée à 45 ans en 1772 : « morte en couches, l’opération césarienne lui a été faite après son décès et outre un enfant bien conformé, on a trouvé une masse de chair de 7 à 8 livres ».
- Pour Jean MORIET, décédé à 50 ans en 1775 : « fièvre violente avec symptômes de rage, il y avait deux ans et demi qu’il avait été mordu. Trois autres qui furent mordus le même jour et par le même animal ont péri, les uns plus tôt, les autres plus tard, quoique remédiés. Ces accidents sont fort communs en ces cantons, et personne n’y donne de remède. »
- Pour Pierre BOUILLAULT, décédé à 75 ans en 1778 : « mort subitement en arrivant du travail des champs ».
- Pour Magdelaine BERGER, décédée la même année à 17 ans : « fille extraordinairement grande et forte, morte d’une chutte négligée ».
- Fin du registre de Saunay de 1778
- (source : AD37, registre 6NUM6/240/037, vue 13/15)
Les décès des enfants en bas âge ont fait plus souvent l’objet d’un commentaire général que d’une approche détaillée, notamment :
- 1774 : « Les autres sont des enfants à la mamelle, morts presques tous par des abondances d’humeurs qui n’ont pas sorti. Il n’y a eu ni verette, ni pourpre, ni rougeole, ni autre maladie epidemique. »
- 1778 : « Sont mort aussi plusieurs petits enfants de differents genres de maladies auxquels on ne prent pas assés garde. »
- 1780 : « Abondance de glaires qu’ils n’ont pas eu la force de jeter » (cette année-là ayant été particulièrement cruelle avec 17 décès de nourrissons).
Enfin, le registre de 1785, cinq ans après la dernière compilation des causes de décès, mentionne cette seule remarque de la main de notre curé :
« Il a regné, particulièrement en automne, une maladie epidemique causée par des fievres que les chirurgiens nommoient putrides avec dyssenterie, portant au cerveau. Les malades ont esté, trois mois, jusqu’à quatre, presques toujours dans le même degré de danger, j’ai remarqué que ceux ou celles qui ont été purgés avec l’émétique, dès le principe, n’ont pas été dans le grand danger et ont eté assés promptement guéris. »
Cette dernière remarque, de même que d’autres du même genre, semble montrer qu’il ne nourrissait pas uniquement un intérêt que l’on pourrait trouver morbide pour les maladies ayant entraîné le décès, mais qu’il s’intéressait également aux remèdes permettant (ou pas) de les guérir.
- « Genre des maladies », fin du registre de Saunay de 1785
- (source : AD37, registre 6NUM6/240/044, vue 13/15)
Qui était Jean Roch PICHERÉ, et pourquoi cet intérêt pour les « maladies » ?
Je laisse le soin aux passionnés du sujet de se pencher davantage sur les types de maladies et leur degré d’occurrence, ou de les comparer à d’éventuelles statistiques nationales, s’ils le souhaitent. Pour ma part, ce qui m’intrigue le plus à ce stade est de savoir pourquoi le curé de Saunay s’est ainsi intéressé aux maladies mortelles de ses paroissiens, au point de les consigner en détail sur une grande partie des registres paroissiaux.
Avait-il fait des études de médecine, ou rêvé d’exercer cette profession ? Quel était son parcours avant d’arriver dans cette bourgade de la campagne tourangelle ? Après quelques recherches, voici ce que j’ai pu reconstituer.
Jean Roch PICHERÉ a été baptisé à Château-Renault, le 17 juin 1728. Il est le fils de Jean PICHERÉ, bourgeois qui deviendra plus tard huissier royal de la connétablie de France, et de son épouse Marie GUEHERY, veuve en premières noces de Louis Laurent GUERIN qui était receveur aux aides au département d’Amboise. Une génération plus haut, son grand-père paternel était procureur au siège de Vendôme, et son grand-père maternel bailli de Château-Renault.
Une recherche rapide m’a permis de lui trouver deux sœurs aînées et un jeune frère. La première s’est mariée avec un marchand tanneur, la seconde avec un « notaire et procureur fiscal, premier huissier audiencier au siège royal du grenier à sel de Neuvy » (commune distante d’environ 25 kilomètres de Château-Renault). J’ignore tout du cadet, peut-être décédé en bas âge.
Notre curé était donc issu d’une famille de la haute bourgeoisie castelrenaudaise. D’après ce que j’ai pu reconstituer via les registres en ligne, il est d’abord vicaire à La Roche Clermault (près de Chinon, à plus de 80 kms de Château-Renault) en octobre 1752, soit dès l’âge de 24 ans ; il y est ensuite « prêtre vicaire » à compter de février 1753. Autrement dit, il a prononcé ses vœux ecclésiastiques avant même l’âge de 25 ans (qui était l’âge en principe requis pour entrer dans les ordres). Vicaire dans cette paroisse jusqu’en 1758, il a dû ensuite obtenir une cure ; mais j’ignore laquelle, n’ayant pas trouvé d’informations sur son parcours pendant les dix années suivantes, jusqu’à son arrivée à Saunay.
Est-il entré dans les ordres par réelle vocation, nous ne pouvons que le supposer. Quant à son intérêt pour les maladies, il a pu être complètement anecdotique, ou motivé par une expérience personnelle ; nous ne le saurons pas ...
En tout cas, il semble avoir été un curé plutôt méticuleux, tenant ses registres avec soin, d’une écriture appliquée et très lisible. Il aura ainsi rédigé, sauf erreur de ma part, la totalité des actes de baptême, mariage et sépulture des paroissiens de Saunay de mars 1768 à septembre 1791.
Qu’est devenu le père PICHERÉ ?
Contrairement à ce que j’annonçais au début de cet article, je me suis attardée un peu plus que prévu sur le cas de notre curé, avec la curiosité tout d’abord de comprendre son intérêt pour les maladies, mais aussi celle de connaître les circonstances de son propre décès. Un troisième point m’a également intriguée : sa disparition non pas brutale, mais progressive, des registres de Saunay.
Jean Roch PICHERÉ signe son dernier acte sous le nom de « PICHERÉ curé » le 24 septembre 1791. Pour autant, ce n’est pas sa dernière apparition dans les registres de cette paroisse ; en effet, il continue à rédiger quelques actes, ponctuellement, dans les mois qui suivent. Mais c’est un autre désormais qui les signe, sous le nom de « BERGÉ curé » ; ce dernier ajoute une mention au bas de l’acte stipulant qu’il a donné son consentement à « Mr PICHERÉ prêtre ».
On reconnaît aisément dans ces actes la main de Jean Roch, à l’écriture et au style inchangés. Il signera une seule fois « Picheré pretre », en octobre 1791, lors des obsèques d’un parent du nouveau curé :
- Signatures "Bergé curé" et "Picheré prêtre"
- « … ladite sepulture faite a la requisition de monsieur le curé actuel, par nous soussigné » : on reconnaît l’écriture du père PICHERÉ, avec une hésitation sur le mot « actuel », puis sa signature « Picheré pretre »
(source : AD37, registre 6NUM6/240/050, vue 9/13)
Le nouveau desservant prendra ensuite la main pour la plupart des actes. Mais l’écriture de son prédécesseur est encore présente occasionnellement : il le supplée visiblement pendant ses absences. C’est le cas trois fois pendant l’année 1792 : le 14 février, le 14 juin, le 16 juillet.
Louis René BERGÉ signera à son tour un dernier acte le 18 novembre 1792, avant de remettre officiellement le registre le 11 décembre à un certain TOURNEBOEUF, officier d’état-civil qui sera désormais en charge de rédiger les actes de naissances, mariages et décès des citoyens. La République est passée par là.
Pour en revenir à Jean Roch PICHERÉ, nous pouvons donc établir trois constats suite à son remplacement par le père BERGÉ :
1. Il n’est pas décédé à ce moment-là dans l’exercice de ses fonctions,
2. Il n’a pas été affecté à une nouvelle cure,
3. Il n’a pas non plus quitté les ordres.
Que s’était-il passé ? Eh bien, de toute évidence, le curé PICHERÉ était ce qu’on a appelé un prêtre réfractaire …
Nous sommes en 1791. En juillet de l’année précédente a été adopté le décret de la Constitution civile du clergé, qui exige que tous les membres du clergé prêtent serment à la Constitution, sous peine de destitution [5].
Les prêtres assermentés, dits « jureurs », deviennent alors des salariés de l’Etat. Environ la moitié des prêtres français ont accepté de prêter ce serment ; ce taux se rapproche cependant de 100% dans certains départements, et c’est le cas de l’Indre-et-Loire [6]. Les indices concordent pour montrer que le père PICHERÉ n’a pas suivi le mouvement : c’est en effet à cette période qu’il perd la cure de Saunay et se voit remplacé par un autre curé.
- Prêtre "patriote" ou "aristocrate"
Il faisait donc partie d’une minorité de prêtres « non-jureurs », dits aussi réfractaires. A l’instar de ce qui s’est vu dans de nombreuses paroisses en France, sa destitution et son remplacement n’ont peut-être pas été bien accueillis par les villageois. Pour autant, le nouveau desservant ne lui était visiblement pas hostile, puisqu’il lui a permis de célébrer plusieurs baptêmes et sépultures et d’en rédiger les actes, et même d’en signer un en son nom.
Le statu quo n’a cependant pas pu durer. En effet, en août 1792, tous les prêtres, qu’ils soient jureurs ou réfractaires, sont tenus de prêter un nouveau serment dit de « liberté-égalité ». A défaut, il seront exilés sous un délai de quinze jours, sauf s’ils sont infirmes ou ont plus de soixante ans, auquel cas il pourront rester en France dans les chefs-lieux de département et sous surveillance [7]. C’est le cas de Jean Roch, qui a atteint 64 printemps.
De fait, c’est bien à Tours, chef-lieu de l’Indre-et-Loire, qu’il réside au moment de son décès, le 2 ventôse an XII, soit le 22 février 1804. Agé de 75 ans, il a rendu le dernier soupir à son domicile, 3 rue Claude Vignon ; il est indiqué « prêtre célibataire ». L’un des deux déclarants est un huissier public « ami du deffunt » ; l’autre est préposé aux inhumations.
De quoi est mort le père PICHERÉ, qui avait si soigneusement recensé pendant plusieurs années les causes de décès de ses paroissiens ? Simplement de vieillesse, ce qui vu son âge serait cohérent pour l’époque, ou d’autre chose ? L’acte ne le dit pas, et il n’y a évidemment pas de liste de ce genre à la fin du registre d’état-civil de l’an XII à Tours …