Rien ne me prédisposait à imaginer la découverte que j’allais faire en explorant la piste de mes ascendants directs SARADIN (ou SARRADIN), lignée de journaliers, hommes de peine, vignerons, cultivateurs et marneurs [1] ayant vécu dans l’actuel Loir-et-Cher du début du XVIIe siècle à la fin du XIXe.
L’individu qui nous intéresse aujourd’hui, Maurice SARADIN (1701-1735), est mon ancêtre direct à la 9e génération.
Le berceau de la famille SARADIN
La famille de Maurice SARADIN est établie à Binas, village situé sur la route menant de Châteaudun à Beaugency, depuis au moins trois générations. Son arrière-grand-père Jean, l’ascendant SARADIN le plus ancien que j’aie pu identifier, y est décédé en 1631 ; il habitait le hameau de Chantôme au sud de la paroisse, entre Ouzouer-le-Marché et St Laurent-des-Bois. C’est dans ce lieu-dit qu’ont vécu son fils Martin et son petit-fils Jacques ; c’est également là que va grandir Maurice.
- Extrait de la carte de Cassini, années 1750
Chantôme, érigé en marquisat en 1696, comportait un château appartenant aux seigneurs de Chantôme, ainsi qu’une chapelle (tous deux seront détruits au XIXe siècle). A cette époque, le marquis de Chantôme est Gaston Jean Baptiste TERRAT, qui fut chancelier de Monsieur (Duc d’Orléans, frère de Louis XIV) et sera plus tard surintendant de la maison de ce dernier [2]. J’ignore si mes ancêtres SARADIN travaillaient pour lui, et s’ils l’apercevaient de temps en temps ...
Petite enfance de Maurice
Maurice SARADIN voit le jour au hameau de Chantôme le 4 mai 1701. Il est le fils de Jacques SARADIN et Anne GALLIOT ; son parrain et sa marraine sont Maurice GAUCHARD et Jeanne MONDAMER, qui ne semblent pas directement apparentés à la famille. Le parrain a signé d’une main sûre, il possédait donc une certaine instruction ; la marraine ne savait pas signer.
- Baptême de Maurice SARADIN, en 1701 à Binas
L’an mil sept cens un ce quatriesme may a eté presanté a l’Eglise un fils né de ce jour du legitime mariage de Jaques Saradin et Anne Galliau du village de Chantosme le quel a eté baptisé par moy prestre vicaire soub signé et et nommé Maurisse par Maurisse Gauchard et Jeanne Mondamer ses parin et marainne. Le parin a signé. |
Le prénom Maurice semble nouveau dans la famille SARADIN ; en tout cas, je n’ai pas trouvé d’autre Maurice sur les deux générations précédentes, malgré des fratries assez nombreuses. Sans doute ce prénom a-t-il été donné à l’enfant par son parrain. On notera également que St Maurice était le saint protecteur du village de Binas, comme en témoigne le nom de l’église, construite au siècle précédent.
Pour comprendre dans quel contexte vient au monde le petit Maurice, intéressons-nous un moment à ses parents.
Jacques SARADIN, son père, s’est marié une première fois à l’âge de 19 ans. De cette première union, il a eu six enfants dont seulement deux, Marie et Martin, sont encore en vie lors de la naissance de Maurice. Veuf à 30 ans, il se remarie rapidement avec Anne GALLIOT, elle aussi native de Binas et âgée de 25 ans. De ce second lit naissent d’abord deux filles, Anne et Marguerite, dont j’ignore tout ; probablement étaient-elles encore de ce monde à la naissance de Maurice, car je n’ai pas trouvé d’acte de sépulture à leur nom dans les registres de Binas. Maurice est le troisième enfant de Jacques et Anne.
Malheureusement, je n’ai pas pu identifier le métier de Jacques car aucun des actes paroissiaux que j’ai trouvés ne le mentionne. En tout cas, il ne savait pas signer. Son propre père était vigneron, son demi-frère Pierre était homme de peine ; sans doute a-t-il exercé le même type d’activité, louant peut-être ses services à la journée pour tous types de corvées. L’ouvrage ne manquait pas dans les campagnes au tournant du XVIIe et du XVIIIe siècle ...
Lorsque Maurice vient au monde, son père a 37 ans et sa mère 32. Hélas, il ne connaîtra pas vraiment son père puisque ce dernier décède lorsqu’il est âgé de seulement six mois. La mort de Jacques n’a pas été subite, puisqu’il a eu le temps de recevoir le sacrement de pénitence et l’extrême-onction ; mais il n’avait que 38 ans, et laisse une jeune veuve avec plusieurs enfants.
L’union de Jacques et Anne n’aura duré que sept ans à peine. Anne ne se remariera pas ... et ne survivra pas très longtemps à son défunt mari, puisqu’elle décède à son tour en janvier 1706, à l’âge de 36 ans seulement. Maurice a quatre ans et demi ; il n’a pu garder que peu de souvenirs de celle qui lui a donné le jour.
Que se passe-t-il pour Maurice ensuite ? Je sais seulement qu’il perd sa demi-sœur Marie quelques mois après sa mère, en août 1706, au hameau d’Ablainville à Binas ; elle avait 18 ans. Mais elle ne vivait pas nécessairement avec lui, ce qui semble confirmé par le fait que les déclarants sont tous deux des oncles maternels de la défunte, non apparentés à Maurice.
Par qui Maurice a-t-il été recueilli, où a-t-il vécu ? Il avait de la famille (oncles et tantes) à Binas, mais aussi à Tripleville, village situé un peu plus au nord. Je n’ai trouvé aucun indice de sa présence dans les registres paroissiaux de ces deux communes, ce qui n’est pas en soi une preuve d’absence [3]. Le mystère reste donc entier ... et se prolonge pendant plus de deux décennies.
Le mariage de Maurice ... et une première surprise
C’est seulement en 1731, le 5 février précisément, que notre Maurice réapparaît : âgé de 29 ans, il se marie à Marchenoir, de l’autre côté de la forêt du même nom, à une douzaine de kilomètres au sud-ouest de Binas.
Parlons d’abord de sa promise. Maurice épouse Marguerite VEYEN, fille de feu Honoré et de Catherine REGNAUT. Pas d’autre indication sur celle-ci : ni sa paroisse d’origine, ni son âge, ni aucune mention d’autres membres de sa famille. L’acte est très succinct et ne donne même pas le nom des témoins, que l’on ne peut identifier que par leurs signatures pour ceux qui savaient signer ; aucun patronyme ne m’est connu parmi ces derniers. On apprend néanmoins deux choses intéressantes dans cet acte.
- Mariage de Maurice et Marguerite, en 1731 à Marchenoir
Ce jour d’huy 5e fevrier ont esté mariés apres une publication faite hier et dispense des autres de Monseigneur en datte d’hier bien insinué Maurice Sarradin fils de Jacques et d’Anne Galliot defunts et Margueritte Veyen fille de feu Honoré et de Catherine Regnaut lesquels ont reconnu pour leur enfant legitime Maurice agé de 26 mois et baptisé # en leur nom. Le tout p[rése]nce de temoins soussignés. # le 23 sept 1728 dans la parroisse de Valbonne diocese de Grasse. |
1. Dispense de deux bans
Pourquoi cette dispense ? La pratique, sans être rare, n’est pas si courante chez les familles non nobles ou non bourgeoises, d’autant qu’elle était payante et devait être demandée à l’évêque. Les motivations pouvaient être les suivantes [4] :
• nécessité de se marier rapidement en raison d’une grossesse
• nécessité de se marier rapidement avant une période d’interdit (Carême, Avent)
• en raison de la maladie ou de la mort redoutée d’une des deux parties
• en raison d’une profession qui nécessitait de se déplacer, en combinaison avec d’autres contraintes de temps (marchands ou soldats notamment)
• pour éviter les oppositions sociales : par exemple en cas de conflits entre les deux familles, ou d’un mariage considéré comme non conventionnel entre des époux avec un grand écart d’âge.
Dans le cas présent, aucune des raisons ci-dessus ne peut être totalement écartée, bien que certaines soient plus plausibles que d’autres. Nous y reviendrons.
2. Légitimation d’un enfant naturel
Le couple reconnaît pour son enfant légitime un petit Maurice âgé de 26 mois. Là encore, la chose n’était pas rare ; lorsque naissaient des enfants naturels, leur légitimation lors du mariage de la mère était fréquente pour leur éviter le statut de bâtard, que l’époux soit leur père biologique ou non. Mais le plus étonnant ici nous est apporté par la mention ajoutée en marge de l’acte : elle nous précise que le baptême de cet enfant a été célébré dans la paroisse de Valbonne, diocèse de Grasse (actuel département des Alpes-Maritimes), soit à près de 800 kilomètres de Binas.
Marguerite était-elle originaire de cette lointaine région ? S’agissait-il d’un enfant qu’elle aurait eu de père inconnu, avant de connaître Maurice (ce qui était peu probable vu le prénom de l’enfant) ? Ou ce dernier était-il vraiment allé là-bas ?
Baptême du petit Maurice ... et deuxième surprise
Evidemment, je me suis empressée d’aller rechercher l’acte de baptême de cet enfant, en date du 23 septembre 1728 à Valbonne :
- Baptême du petit Maurice SARADIN, en 1728 à Valbonne
Led. an et le vingt trois septembre a été baptisé Maurixe Saradain fils illégitime de Maurixe ainsi quil a declaré en presence d’Urbain Raimond et d’Antoine Courmon soubsignés du lieu de Bina eveché de Bloy en Blaisois a presant soldat en la ville d’Antibe dans le Regiment de Nivernois et de Marguerite Veianne du lieu de Seranon eveché de [Frejus ?] son parain a eté Jacques André de ce lieu et sa marraine Anne Veiane sa femme et sœur de lad. Marguerite signés |
On remarquera à la fin de l’acte la croix, pour laquelle le curé a indiqué « marque dudit Maurixe Saradain ». Il ne savait donc pas signer, mais cette marque lui a néanmoins été symboliquement demandée. Les deux témoins, eux, ont signé.
Ainsi, Marguerite était bien originaire de Provence ... Et la deuxième surprise majeure, c’est que Maurice était soldat ! En garnison à Antibes, il a connu dans cette région une jeune femme avec qui il a eu une liaison, de laquelle est né un enfant à qui il a donné son prénom.
- Uniforme porté par les soldats
Qu’est-ce qui a bien pu amener le jeune homme, issu d’une lignée d’hommes de la terre implantés à Binas depuis au moins trois générations, à endosser l’uniforme ? Aucun moyen de le savoir, malheureusement. L’acte de baptême du petit Maurice est le seul où il est fait mention de son état ; à cette date, notre soldat a 27 ans. Il peut être dans l’armée depuis plusieurs années déjà.
Le régiment de Nivernais est un régiment d’infanterie créé en 1684 d’après la province du même nom, et qui sera rebaptisé régiment de La Marche-Prince en 1753. Parmi les batailles notables auxquelles a participé ce régiment, aucune n’est indiquée entre 1713 (Rhin) et 1733 (Italie) ; à cette première date Maurice était évidemment trop jeune, et à la seconde il était déjà retourné au pays, comme nous le verrons un peu plus loin. Nous ne connaissons donc pas son parcours à cette période.
- Drapeau Nivernais
En revanche, nous pouvons nous représenter son apparence : l’article de Wikipédia consacré à ce régiment nous donne une illustration de l’uniforme porté par les soldats (à gauche). Nous connaissons également leur drapeau (à droite).
Le colonel et mestre de camp à cette époque, depuis 1719, est Jean Théophile de Béziade, marquis d’Avaray. Son frère prendra sa succession en 1734.
Comment fonctionnait l’armée française à cette époque ? « Les régiments français sous l’Ancien Régime constituaient la composante principale de ce que l’on appelait déjà à l’époque l’Armée française ou les Armées du Roi de France. Ils portaient les noms de leur propriétaire puis par la suite les noms de leur province ou ville de recrutement.
Comme les brigades aujourd’hui, chaque régiment avait sa spécialité (infanterie, cavalerie, etc.) et était appelé à servir sur les champs de bataille selon les exigences militaires. Comme pour la Marine, tout Français avait le droit de s’y engager, mais les offices de commandement des régiments et les hauts grades étaient réservés à la noblesse militaire (noblesse d’épée) et inaccessible au tiers-état.
Dans l’organisation territoriale de l’Ancien Régime, chaque régiment avait également le rôle d’assurer la sécurité de sa province. Il était alors placé sous l’autorité d’un gouvernement militaire. » [5]
Qui était Marguerite VEYAN ?
Intéressons-nous maintenant de plus près à l’épouse, Marguerite VEYEN ou plus souvent VEYAN (entre autres orthographes).
Malgré mes recherches, je n’ai pu collecter que peu d’informations à son sujet. J’ai trouvé à Valderoure, paroisse à l’époque appelée Val de Roure et rattachée à Seranon, la naissance de sa sœur Thérèse en 1699, et le décès de son père Honoré en 1704. Les VEYAN et les RAYNAULT (nom de sa mère) y sont très nombreux, ce qui ne facilite pas les recherches ... Mais surtout, il n’existe pas de registres paroissiaux en ligne avant 1696.
Or, il est probable que Marguerite soit née avant cette date. En effet, d’après l’âge indiqué à son décès, elle serait née vers 1689 ... Ce qui lui fait une belle différence d’âge avec Maurice : elle aurait eu douze ans de plus que lui. Elle aurait donc déjà été âgée de 39 ans à la naissance de leur enfant illégitime, et de 41 ans lors de leur mariage.
Même si les âges ne sont jamais très fiables dans les actes de sépulture, il est vraisemblable que Marguerite ait de toute façon été plus âgée que Maurice. Il ne semble pas qu’elle ait été mariée auparavant, ce qui est assez inhabituel pour l’époque, passé la trentaine. Elle ne devait pourtant pas être un mauvais parti, en tout cas du point de vue familial : son père était maréchal de forge. Etait-elle affligée d’une quelconque disgrâce ou infirmité ? Se refusait-elle au mariage, jusqu’à sa rencontre et son enfant naturel avec ce jeune soldat du Blaisois ? Ou bien aurait-elle été veuve, bien qu’aucun des deux actes (baptême du petit Maurice et mariage de Marguerite) ne l’évoque ? Nous en sommes réduits à des hypothèses.
En tout cas, Marguerite a accouché de son enfant illégitime à plus de quarante kilomètres (ou peut-être faudrait-il dire dix lieues) de Valderoure / Seranon où elle était domiciliée. Valbonne, où vivait sa sœur Anne avec son mari, se situait entre Valderoure et Antibes, cette dernière ville n’étant qu’à une petite quinzaine de kilomètres. Peut-être est-ce à Valbonne qu’elle a rencontré son beau soldat, et qu’ils se retrouvaient ...
- Valbonne se situe entre Valderoure et Antibes, à environ 40 kms de l’une
et 15 kms de l’autre (Google Maps)
Marguerite avait au moins quatre frères et sœurs, selon les informations que j’ai pu rassembler :
- Anne, née vers 1683, mariée avec Jacques ANDRE (date et lieu inconnus) et décédée à Valbonne en 1738. Marguerite devait être proche de cette sœur aînée, car celle-ci est la marraine du petit Maurice ;
- Honoré, né vers 1697, maréchal de forge comme son père, marié en 1717 à La Roque Esclapon (actuel département du Var) et décédé dans la même paroisse trente ans plus tard ;
- Thérèse, née à Valderoure en 1699, mariée dans la même paroisse en 1727 avec Guillaume MIRAPEL ;
- Boniface, naissance inconnue, marié à Valderoure en 1736 avec Elisabeth VEYAN.
Malheureusement, aucun des actes relatifs à cette fratrie ne m’en a appris davantage ni sur Marguerite, ni sur ses parents.
Elle aurait eu environ quinze ans au décès de son père. Quant à sa mère, je sais seulement qu’elle était encore en vie en 1736, bien après le départ de Marguerite pour le Blaisois.
Pourquoi la dispense de deux bans de mariage ?
Si l’on se penche à nouveau sur les raisons possibles de cette dispense, on peut maintenant formuler les hypothèses suivantes :
• Une grossesse : peu probable, à moins d’une fausse couche. La petite Madeleine est née plus d’un an après le mariage.
• Imminence d’une période d’interdit : après vérification, il s’avère qu’en 1731 le Carême a débuté le 7 février, soit deux jours après le mariage de Maurice et Marguerite. L’interdiction de se marier couvrait toute la période du Carême, soit quarante jours ; il est très possible que le couple n’ait pas souhaité attendre, pour légitimer une vie commune qui aurait été très mal vue hors des liens sacrés du mariage ...
• Maladie ou mort redoutée d’une des parties : peu probable, même si Maurice est mort bien jeune ; son décès survient tout de même plus de quatre ans après le mariage.
• Profession nécessitant des déplacements : si Maurice était toujours soldat au moment de cette union, alors cette hypothèse est très plausible.
• Risque d’opposition sociale : il est possible que certains n’aient pas vu d’un bon œil l’union de Maurice avec une ‘étrangère’ plus âgée que lui. Peut-être ce mariage hâtif, célébré dès le lendemain du premier et seul ban, avait-il aussi pour but d’éviter une opposition officielle.
Ainsi, plusieurs de ces raisons apparaissent plausibles. Parmi elles, je pencherais en priorité pour l’approche du Carême : si Marguerite venait d’arriver de Provence, n’ayant aucune famille dans la région, il fallait bien qu’elle puisse vivre avec Maurice avec leur enfant ; cela aurait été compliqué d’attendre plus de quarante jours ...
Une Provençale à Marchenoir : les premières années
Comment Marguerite a-t-elle fait le long voyage jusqu’à Marchenoir, avec son jeune enfant, vraisemblablement pendant l’hiver 1730-1731 ? En coche, à cheval ? ... Cela a dû prendre des semaines. Maurice était-il présent pour les accompagner ? Avait-il déjà renoncé à l’état de soldat, ou a-t-il quitté plus tard le service ?
A vrai dire, il est probable qu’au moment de son mariage, il ne soit déjà plus dans l’armée. Cela aurait sans doute été mentionné dans l’acte, et par ailleurs à compter de ce moment il a été présent à chaque événement familial.
Pour autant, je n’ai aucune indication sur son état à cette époque. Vivait-il de ses rentes de soldat ? Travaillait-il la terre ? Louait-il ses services à la journée ? Impossible de le savoir.
Quant à Marguerite, comment s’est-elle intégrée à son nouvel environnement, elle qui arrivait d’une province aussi éloignée, avec des coutumes sans doute différentes, et un « parler » probablement différent lui aussi ? En effet, à l’époque la langue principale dans sa province était le patois provençal ; le français ne devait être pour elle qu’une seconde langue ... De plus, elle avait certainement un fort accent provençal, qui devait sembler bien exotique à nos ancêtres du pays blaisois.
C’est à Marchenoir que s’est installé le couple avec son petit Maurice (nous n’avons pas d’indication sur le lieu exact où ils ont vécu). Hélas, ce dernier décède quelques mois après le mariage de ses parents, à l’âge de trois ans, en novembre 1731. L’acte, extrêmement bref, tient sur deux lignes ; on ne sait même pas qui a assisté à son inhumation. Marguerite est à nouveau enceinte ; en effet, elle accouchera en avril 1732 d’une petite Madeleine. Malheureusement, celle-ci décède à son tour à l’âge de sept mois seulement ; l’acte est tout aussi succinct que pour son frère aîné.
Près d’un an plus tard, en septembre 1733, c’est un petit François qui vient au monde. Son père a 32 ans, et sa mère déjà 44, si l’on se réfère toujours à l’âge calculé d’après son décès. Ce sera leur dernier enfant.
En février 1735, le couple est témoin au mariage d’Anne SARADIN, nièce de Maurice, avec un certain François CHARPIGNON à Tripleville. Leur paroisse de résidence n’est pas indiquée ; il est possible sinon probable que ce ne soit plus Marchenoir, mais Binas, village d’origine de notre Maurice. En effet, c’est là qu’ils habitent deux mois plus tard, en avril 1735, lorsque Maurice décède à l’âge de 33 ans seulement.
Aucun indice ne nous est parvenu sur la raison de son trépas ; nous savons seulement qu’il a reçu les sacrements de pénitence, d’eucharistie et d’extrême-onction. Plusieurs de ses proches ont été présents à l’inhumation : son épouse Marguerite, son demi-frère Martin SARADIN, son cousin germain Jean SARADIN (qui savait signer), son parrain Maurice GAUCHARD, et un certain Vincent HEZARD.
La seconde union de Marguerite
Marguerite se retrouve donc veuve après quatre ans de mariage, à l’âge supposé de 45 ou 46 ans, avec un enfant d’à peine 18 mois, le petit François. Elle ne restera pas seule longtemps : moins de deux mois après le décès de Maurice, elle épouse à Binas un certain François RIBY, originaire de St Laurent des Bois (village situé entre Binas et Marchenoir). Ce remariage paraît bien hâtif, mais sous l’Ancien Régime aucun délai de viduité [6] n’était imposé ; rien ne s’y opposait donc.
Etant né à St Laurent des Bois en 1697, le nouvel époux a 38 ans ; j’ignore si c’était une première union pour lui ou non. L’acte n’indique aucun veuvage, que ce soit pour lui ou pour Marguerite qui pourtant était veuve de fraîche date. Le métier de François n’est pas non plus mentionné ; on remarque juste sa signature au bas de l’acte, tracée d’une main maladroite.
Les trois bans ont été publiés selon les règles habituelles. On notera la présence de Jean SARADIN, « cousin » (sans précision) ; est-ce le même qu’au décès de Maurice ? Ce n’est pas certain car cette fois son nom n’apparaît pas parmi les signatures. Quoi qu’il en soit, cela semble indiquer que la famille SARADIN (ou en tout cas au moins un de ses membres) n’en a pas tenu rigueur à la jeune veuve de se remarier aussi vite.
François RIBY s’installe à Binas avec Marguerite. En tout cas c’est là qu’on retrouve le couple quatre ans plus tard, en septembre 1739 ; l’époux est aubergiste.
Leur union n’aura pas été longue : cette date est en effet celle du décès de Marguerite, âgée de 50 ans si l’on en croit l’acte de sépulture.
- Sépulture de Marguerite VEYAN, en 1739 à Binas
Cet acte confirme que Marguerite devait toujours être en bons termes avec la famille de son premier époux. En effet, tous les témoins présents à sa sépulture, en dehors de son second mari, font partie de cette famille : on relèvera notamment la présence de François CHARPIGNON dont elle avait assisté au mariage, et du même Jean SARADIN qui était présent au décès de Maurice, avec sa belle signature. Ici, ce dernier n’est plus indiqué « cousin germain », mais « cousin issu de germain » ; je n’ai pas encore réussi à établir avec certitude où il se situait dans l’arbre généalogique.
Marguerite n’a pas eu d’enfant de ce second mariage, qui n’aura duré lui aussi que quatre ans, comme le premier. Sans doute était-elle déjà trop âgée.
François, fils de Maurice et Marguerite
Seul survivant des enfants SARADIN-VEYAN, le petit François se retrouve donc orphelin de père et de mère, à l’âge de six ans seulement. A-t-il été élevé ensuite par son beau-père François RIBY ? Rien n’est moins sûr. Lorsque ce dernier décède en 1755, soit seize ans plus tard, à Ouzouer-le-Marché, son beau-fils François SARADIN, alors âgé de 21 ans, n’apparaît pas parmi les proches présents. Le mariage du jeune François, célébré deux ans plus tard à St Laurent des Bois alors qu’il était encore mineur au regard du mariage, nous apprend qu’il avait pour tuteur François CHARPIGNON ; comme nous l’avons vu plus haut, ce dernier est l’époux d’Anne SARADIN, cousine germaine du jeune François (elle avait 17 ans de plus que lui). Le jeune marié réside de droit à Tripleville, paroisse de son tuteur, mais de fait à St Laurent des Bois ; c’est là qu’il passera tout le reste de sa vie, avec son épouse Jeanne HASLE, originaire de La Ville aux Clercs, village situé à plus de trente kilomètres à l’ouest.
On notera une particularité intéressante : sur son acte de mariage et sur la plupart des actes de baptêmes de ses enfants, François est appelé « François Maurice », bien que ce second prénom n’ait jamais figuré sur son acte de baptême. Sans doute était-ce une façon de garder un lien avec son défunt père ...
Le fils du soldat et de la Provençale sera homme de peine, journalier ou encore fagoteur. Décédés tous les deux avant l’âge de quarante ans, François et Jeanne auront six enfants, dont mon ancêtre Pierre. Mais ceci est une autre histoire ...
Il s’en est fallu de peu !
François savait-il que sa mère était originaire de Provence, une province bien éloignée de son Blaisois natal ? A-t-il pu en transmettre quelque chose à ses propres enfants ? Rien n’est moins certain, tant il était jeune au moment où il s’est retrouvé orphelin.
En tout cas, l’information s’est perdue dans la nuit des temps, et il s’en est fallu d’un cheveu pour que je ne la trouve jamais ; si la mention marginale relative à un enfant illégitime n’avait pas mentionné son lieu de baptême, ou si le petit Maurice était décédé avant le mariage de ses parents, je n’aurais jamais su ni que Marguerite venait de Provence, ni que Maurice était soldat ...