Jusqu’au milieu du XIXe siècle (Au XXe siècle, il existait encore quelques contrats établis suivant ce principe), la plupart des agriculteurs bretons exploitaient leurs terres sous le régime agricole du domaine congéable [1]. Comme la pratique de ce type de contrat n’était pas usitée dans toute la région de Bretagne, elle était réglementée par les usements, réglementations locales (textes coutumiers).
Il y avait différents usements dont les principaux étaient ceux de Brouérec, de Cornouaille, de Tréguier/Goëllo et de Rohan.
Le principe était le suivant : le bailleur était le propriétaire foncier des terres, alors que l’exploitant possédait les bâtiments et aménagements de la terre. L’exploitant était en général un paysan. Le bail durait 9 ans, était reconductible, mais pouvait aussi être résilié par le propriétaire foncier. Ce dernier était alors tenu de rembourser le montant des biens concéder à l’exploitant par la procédure de congément. Chaque renouvellement de " baillée " faisait l’objet du versement d’un droit d’entrée appelé : " commission ", " pot de vin " ou " denier d’assurance ". Sous l’Ancien Régime, les différents actes nécessaires à la procédure étaient les suivants :
- le bail (ou baillée) du propriétaire foncier, devant notaire.
- le congément qui comprenait : la sentence de la juridiction, la prestation de serment des priseurs, le mesurage et le prisage, devant le notaire ou la juridiction, le congément proprement dit et le remboursement devant la juridiction.
Pour mieux comprendre le fonctionnement de ce type de contrat, nous allons examiner le principe du domaine congéable suivant l’usement de Brouérec dont la pratique couvrait la région côtière du Morbihan, de l’embouchure de la Laïta à l’estuaire de la Vilaine.
La répartition de la propriété et le principe contractuel
La propriété de la tenue (exploitation) était scindée en deux.
La première partie, appelée le " fonds ", appartenait au propriétaire foncier et la deuxième partie, dénommée " édifices et superfices ", était le bien de l’exploitant. L’exploitant pouvant être désigné par les termes de colon, domanier, convenancier et tenuyer.
Le " fonds " était constitué du sol et des arbres dits fonciers, c’est-à-dire les arbres susceptibles de fournir du bois d’œuvre. Les " édifices et superfices ", appelés aussi " droits édificiers et réparatoires ", regroupaient le travail fait par l’exploitant pour mettre en valeur " le fonds ", c’est-à-dire les bâtiments (logements et locaux d’exploitation), l’aire à battre, le puits, les fossés et les talus, les haies, les barrières, les labours, les productions (herbe, litières, paille, foin, tailles des arbres et les arbres fruitiers) et les engrais du sol (engrais proprement dits et fumier). Le propriétaire foncier concédait la jouissance du fond au colon contre une redevance annuelle appelée rente convenancière ainsi qu’à l’obligation de certaines corvées.
Le principe du domaine congéable peut donc se résumer suivant le schéma ci-après :
La baillée ou bail
La baillée (ou bail) pouvait prendre différentes formes suivant que le colon poursuivait la jouissance de la baillée, que le propriétaire foncier la passait à un autre exploitant ou qu’un colon reprenait la totalité de la baillée détenue à plusieurs. La dénomination de la baillée prenait alors respectivement les dénominations suivantes : baillée d’assurance, baillée de congément et baillée d’assurance et de congément.
Le type de baillée usitée par le notaire peut être résumé par le tableau suivant :
Dans le cas d’une baillée de congément le colon 2 était tenu de rembourser les droits au colon 1. Pour déterminer le montant de ces droits un " mesurage et prisage " était réalisé.
L’acte dit de " mesurage et prisage " est un document très intéressant pour le généalogiste car il décrit par le menu les biens immobiliers appartenant à nos ancêtres agriculteurs.
Ce type de document peut être retrouvé aux Archives Départementales (série B des juridictions et E des notaires).
Nous donnons ci-après, à titre d’exemple, le texte rédigé pour le " mesurage et prisage " d’une exploitation dépendant du village de Gâvres en date du 5 octobre 1767.
Mesurage et Prisage Guillaume Lescouët [2]
(Avec quelques aménagements d’orthographe par rapport à l’original pour faciliter la lecture)
5 octobre 1767
Gâvres
Minute du prisage
De Gâvres en Riantec
Montant à 1128L 7s 8d
Mesurage et prisage des droits d’édificiers stus [3]et tous engrais, pailles et marnies, d’une moitié de tenue située au village de Gâvres paroisse de Riantec, à domaine congéable sous le prieuré de Saint-Gildas de Rhuys fait à requête d’Yves Le Gallo et Marie Lescouët sa femme , demandeurs en congément, contre Guillaume Lescouët et Marie Grayo sa femme, défendeurs au dit congément, auquel a été vaqué par nous soussigné procureur respectivement convenus des parties et tiers donné d’office aux fins de sentences rendues au Siège Royal d’Hennebont les seize et trente juillet dernier, qui jugent le dit congément et donne acte de nos conventions et nominations et d’autre extrajudiciaire portant nos prestations de serments du treize août dernier notifié le lendemain par Castel huissier. En conséquence, y avons procédé sur l’assignation nous donné à cette fin le premier de ce mois sur la monstre nous fait par les dits défendeurs, en présence des demandeurs, comme suit le jour cinquième octobre mil sept cent soixante et sept.
Et premier
1) Une maison à deux longères [4]et un pignon au couchant et la moitié de celui au levant, avis des défendeurs en congément, ayant de longueur vingt et neuf pieds [5], de franc quatorze pieds et demi et de hauteur huit pieds, le tout par réduction, et pignon au couchant orné de son chevron de taille. En la longère du midi une porte de taille avec son huys et palâtre de bois sans clef ni clavure [6], deux petites fenêtres aussi de taille avec leurs huissets sur bandes de fer. En façade nord une porte aussi de taille à palâtre et huys de bois sans clef ni clavure, deux fenêtres aussi de taille mi-croisées [7]avec leurs huys. Au pignon du couchant une cheminée complète de taille, même la pile housse et cuve de massonne . Au même pignon une petite fenêtre carrée de taille à palâtre et huys de bois. Au demi pignon une porte de taille bouchée de massonne [8]. Au-dedans deux cloisons de planches posées sur seuil de bois avec leur huys, dont celle côté du pignon mitoyen à clef et clavure. Au courant sept poutres couvertes de planches. Au soutien de la couverture trois montants simplement accolés, simples et doubles filières de bois de sciage et rondin, couverture et ligature de paille. Le tout prisé par le menu, compris les orbes et curaison des fondements et la moitié seulement de la tête de cheminée sur le dit pignon mitoyen au levant, la somme de six cent trente cinq livres dix neuf sols neuf deniers cy 635L 19s 9d
2) Au joignant la longère du midi, une petite soue à porc à deux longères et un pignonet et demi ayant de longueur sept pieds et demi, de franc quatre pieds et demi et de hauteur six pieds, le tout par réduction, le demi pignonet du midi orné de son chevron. Le tout prisé par le menu, compris les orbes de curaison des fondements, une porte de taille à palâtre et huys à bois, et une auge de pierre avec sa dalle, le tout en la longère du midi, et en l’état la somme de cinquante six livres six sols cinq deniers cy 56L 6s 5d
3) Sur l’aire à battre, une petite maison nommée Ty Forme à deux longères et deux pignons ayant de longueur seize pieds et un huitième, de franc neuf pieds et de hauteur sept pieds et demi, le tout par réduction des dits pignons ornés de leur chevron de taille. Au pignon du nord une porte et une lucarne et une petite fenêtre de taille le tout à palâtre et huys de bois, excepté la petite fenêtre. En celui (pignon) du midi un four à jambages, courges, corbeaux, manteau, foyer, fourneau et pile de grosse taille, la pile et housse et cuve de massonne. Au cours quatre poutrelles garnies de deux passées de barasseaux, le surplus sans doublage. Au soutient de la couverture deux montants simplement accolés, simple filière, et le fait de bois de sciage et rondins, couverture et ligature de paille. Le tout prisé par le menu, compris les orbes [9]et curaisons du fondement la somme de deux cent trente et une livres sept sols trois deniers cy 231L 7s 3d
4) Le quart du puits sur l’aire à battre avec ses éligements [10], couronnement, fondasse et auge, prisé en l’état la somme de trente et neuf livres dix sols cy 39L 10s 0d
5) Sur la moitié de la rue et aire à battre, à prendre au couchant, deux cordes [11] sous un douzième de murs aux parties du midi et couchant, prisé avec le courois et aplanissement de l’aire à battre la somme de dix neuf livres quinze sols cy 19L 15s 0d
6) Sur un jardin nommé Liorch Er Leur deux cordes et quart de murs au midi et couchant endroit, prisé avec les stus, orbes et la porte et son huys dans le mur du couchant la somme de trente et quatre livres cinq sols cy 34L 5s 0d
Et l’heure de quatre heures étant parvenue avons déclaré nous retirer à nos demeures ordinaires pour y prendre nos réfections et le coucher et renvoyer pour la continuation au présent à demain prochain sous nos seings le dit jour mois et an que devant. Interligne pignonet à palâtre de bois approuvé raturé un mot nul.
Le Gallen P.Mxxxx Le Manec
En conclusion, nous dirons que la pratique contractuelle, du domaine congéable, pour l’exploitation du sol d’une grande partie de la Bretagne pendant plusieurs siècles, a rythmé la vie économique et sociale des campagnes. Dans l’esprit des gens, le domaine congéable a gardé une réputation de législation dure et contraignante pour la classe paysanne.
Mais cette image négative est probablement à nuancer car, suivant Philippe Le Roscouët, le domaine congéable a permis à de nombreuses familles paysannes de vivre honorablement de la terre. Le domaine congéable offrait au paysan une bonne autonomie pour mener son exploitation surtout dans le cas d’un propriétaire foncier peu présent sur le terrain. Le droit de mettre fin au contrat détenu par le propriétaire foncier n’a pas toujours été une contrainte forte car bien des familles se sont maintenues longtemps sur les mêmes tenues. Le domaine congéable a donc assuré aux campagnes une certaine prospérité avec toutefois une rigidité sociale participant probablement à la paix sociale.