En 1935, l’Aviso Colonial Rigault de Genouilly fut détaché en Chine, à Shanghai.
Il fallait protéger les Français qui se trouvaient dans la concession française de Shanghai. Les autres états faisaient de même. En dehors de la concession, le gouvernement français ne pouvait envoyer un détachement militaire dans la ville et la solution se trouvait dans la Marine. Le choix d’un aviso colonial était judicieux. Les fleuves, le Huangpu, ou Fleuve de la Rive Jaune et le Yangtsé ou Fleuve Bleu ne sont navigables qu’avec des bâtiments à faible tirant d’eau. Les Avisos coloniaux avaient été conçus pour remonter les fleuves des colonies françaises. Le tirant d’eau était de six mètres et le Rigault de Genouilly pouvait se faufiler dans bien des endroits comme la canonnière du Yangtsé. L’équipage comprenait une centaine de fusiliers marins prêts à intervenir.
Léon Moron était aux aguets, les choses étaient sérieuses. Le navire reste « stationnaire » six mois environ avant de partir pour son périple dans le Pacifique. Arrivant à Brisbane en Australie, les marins du Rigault s’écriaient : « Toutes les femmes de Brisbane sont blanches ! ».
Pendant six mois ils n’avaient vu que des asiatiques.
KEELUNG (Ile FORMOSE maintenant TAÏWAN)
Le 8 Décembre 1935, le Commandant Moron est présent sur une photo, avec trois japonais et trois japonaises, ainsi que trois de ses officiers. Au verso, il dessine les personnages avec leurs noms : trois Jap.h dont un général, trois Jap. f., E.V. Hierhol, E.V. Ounouer (?), L.V. Doignon Tout ce monde est en costume clair, les hommes ont une cravate.
Les Japonais sont des personnages importants de Keelung. Ils seront le lendemain au cimetière pour la cérémonie.
Cimetière de KEELUNG 9 Décembre 1935
Voici les 3 textes, dactylographiés, des allocutions prononcées par le commandant Moron le 9 Décembre 1935 :
Marins de l’AMIRAL COURBET,
Cinquante ans après la mort de votre grand chef, des marins français, vos jeunes frères, arrivant de la Rivière Min, viennent s’incliner pieusement devant vos tombeaux et les dalles qui portent vos noms.
Marins du RIGAULT DE GENOUILLY souvenez-vous que les Français qui reposent ici et ceux qui, avec bien d’autres, sont morts dans les eaux d’Extrême-Orient, ont donné leur vie pour la grandeur de leur pays. Au nom de notre France chérie, avec nos cœurs de marins, donnons-leur le témoignage de de notre reconnaissance. Découvrons-vous et recueillons-nous.
Aux Japonais de Keelung (Formose)
Je vous demande de transmettre aux hautes autorités de Formose l’expression de nos profonds remerciements pour la part que nos frères d’armes ont bien voulu prendre à cette manifestation du souvenir. Puis-je vous demander également de leur dire combien, nous Français, sommes heureux de savoir nos morts sous leur bienveillante protection.
Quand le commandant Moron s’adresse aux Japonais, certainement à ceux présents sur la photo, il remercie “les frères d’armes“, formule qui choque de nos jours ; mais l’invasion de la Chine par le Japon se produisit seulement en 1937. Au passage du Rigault de Genouilly à Formose, la “belle île“ était japonaise. Après la défaite du Japon, l’ONU décrétât l’indépendance de Formose qui abandonnât son nom portugais pour celui de Taïwan.
Moron s’adresse en premier aux marins de l’amiral Courbet et leur dit :
“vos jeunes frères arrivant de la Rivière Min.“
Ainsi le Rigault de Genouilly venait de la Rivière Min, un fleuve dont la source est au Tibet. Il se jette dans la Mer de Chine méridionale, en face de Formose. Là, à 15 km au sud de Fou-Tcheou, la bataille sous les ordres de l’Amiral Courbet eut lieu, dans la baie de la Pagode. En quarante minutes la flotte chinoise fut détruite. Puis, pendant trois jours, la flotte française démolit les fortifications, l’arsenal et les nombreuses et modernes installations militaires. Il était normal que Moron se rende à la baie de la Pagode ou l’escadre de Courbet perdit seulement neuf hommes. Les sept cents morts proviennent d’autres combats dans cette guerre franco-chinoise.
En Chine, des soldats se révoltèrent. Après les avoir battus, le gouvernement chinois les accepta à la condition qu’ils aillent se défouler ailleurs. Ils s’appelaient les Pavillons Noirs.
En 1864 les Pavillons Noirs furent expulsés vers l’Indochine où ils harcelèrent les Français. Les impériaux chinois toléraient ces anciens rebelles à la condition qu’ils restent en dehors de la Chine. Ils participèrent en 1885 au siège des troupes françaises, la Légion étrangère, pendant 35 jours, dans une ville du Tonkin.
Un corps expéditionnaire commandé par Henri Rivière fut envoyé dans la région du fleuve Rouge. La Chine, craignant que les Français ne s’installent chez eux, entra en guerre (18811885). De plus, les Chinois considéraient que l’Annam et le Tonkin leur appartenaient.
Les Pavillons Noirs firent le siège d’Hanoï et Rivière fit une sortie victorieuse. Mais au combat suivant il fut tué avec deux autres officiers. Les Pavillons Noirs le décapitèrent et promenèrent sa tête sur une pique. Le courage de Rivière au combat enthousiasma les Français.
A Siorac, le commandant Moron, faisant ses courses, passait devant le magasin de vêtements « Au Brave Commandant Rivière ».
Dans les années 1925-1935, mon beau-père était pilote militaire à Hanoï ; il fut le premier à faire le tour de l’Indochine en avion. Un jour, il partit en mission de reconnaissance vers la frontière chinoise, pour surveiller les Pavillons Noirs. Survint un “trou d’air“. Son capitaine derrière lui fut éjecté de l’avion, il n’avait pas mis sa ceinture. Il ouvrit son parachute et se posa dans la jungle, pas tout à fait déserte. Les Pavillons Noir le cueillirent, ne lui firent aucun mal et empochèrent la rançon.
SOUVENIR FRANÇAIS KEELUNG ET LES ÎLES PESCADORES
Deux années de combats contre les Chinois dans l’Ile de Formose se traduisirent par la mort de sept cents Français. Pour 60% de maladie : choléra, typhoïde, affections diverses.
L’amiral Courbet avait commencé la guerre en fanfare, détruisant la flotte chinoise. Mais les Chinois étaient bien supérieurs en nombre à Formose et surtout le gouvernement français envoyait des ordres contradictoires qui sapaient le moral de Courbet. L’amiral, un polytechnicien, préparait minutieusement ses plans d’attaque pour éviter des pertes à ses hommes. La veille d’une attaque qui devait être décisive, Courbet reçut un télégramme de Paris lui apprenant que la paix était signée avec son ennemi. Bien sûr le général chinois en a profité pour s’organiser, faire venir des troupes de Chine par le détroit des Pescadores et ensuite, se moquant de son traité de paix, infliger de lourdes pertes aux Français. Pour “aider“ Courbet, Iules Ferry envoya deux officiers supérieurs qui ne connaissaient rien à la situation sur place et lui mirent des bâtons dans les roues. Affaibli par la dysenterie, désespéré par les pertes subies et par une guerre conduite depuis Paris, l’amiral Courbet mourut sur le Bayard, dans le port de Keelung, le 11 Juin 1885.
Plus tard, toutes les dépouilles furent transférées à Keelung et sont enterrées dans deux cimetières militaires français, l’un à Keelung (Formose), l’autre à Makung (Pescadores). Sur décision du Gouvernement français, les deux cimetières sont construits et aménagés par le Génie entre juin et juillet 1885, en mémoire de l’amiral Courbet et de ses hommes morts au combat.
Les bâtiments de guerre français qui visitent ces pays, font procéder aux réparations et aux travaux nécessaires. C’est en 1909 que le terrain actuel du cimetière de Keelung est utilisé pour réunir les dépouilles des soldats morts au combat. Quand le Rigault de Genouilly fit escale dans le port de Keelung, c’était les Japonais, occupants Formose, qui entretenaient le cimetière suivant des accords avec la France. De ce fait, le commandant Moron n’avait pas à faire des travaux d’entretien mais il était chargé de vérifier l’état des lieux et de remercier les Japonais. Ceux-ci avaient des troupes d’occupation sur le territoire conquis par la France et de ce fait pouvaient être considérés comme des alliés, des “frères d’armes“.
Chaque année, le 11 Novembre, des membres de la délégation française à Taïwan, des représentants de la communauté française, ainsi que le délégué du Souvenir Français pour l’Asie se retrouvent au cimetière de Keelung pour déposer des gerbes de fleurs et se recueillir.
Claude Jaeck est le délégué pour la Chine et Taïwan du Souvenir Français, son épouse est Taïwanaise.
Pour achever cet épisode de Formose, le commandant Moron nous a souvent raconté que les Japonais photographiaient sans cesse et sur toutes les coutures son aviso. Pensaient-ils à leur guerre à venir ?
- Silhouette du Commandant Moron