- Le Biautais et leu Redsiculeu
Louis Chaumartin, poète
Lorsqu’il écrit, il doit résider aux Roches de Condrieu (en Isère au bord du Rhône) ou y venir "en villégiature". Son livre est publié à Saint Etienne, peut être y habite t’il alors ? Sinon, il aurait été plus logique de le publier à Vienne, plus proche des Roches.
Grâce à des recherches dans les registres paroissiaux et l’état civil du village, on peut faire une hypothèse : Louis CHAUMARTIN naît le 18 décembre 1749 à Condrieu (paroisse dont dépend Les Roches), fils de Joseph "marchand cordier du Port de Condrieu" et de Françoise RAMET.
Il est décédé aux Roches le 21 octobre 1834 à l’âge de 85 ans, veuf de Marie BOUDIN.
Il s’est marié le 17 juillet 1781 à Condrieu, âgé de 32 ans. Il est dit "marchand sur le Rhône, habitant des Roches... fils de défunt Joseph CHAUMARTIN et de Françoise RAMAY... Sa femme Demoiselle Marie BOUDIN est fille « d’Antoine BOUDIN marchand au même lieu et de défunte Louise BLANCHERY ».
Louis Chaumartin est donc d’une famille marinière.
Les mariniers
Il n’entre pas dans nos vues de décrire ici en détail toutes les activités de la vie marinière. D’autres s’y sont attachés avec succès [1]. Ce que nous pouvons dire, c’est que Les Roches est, aux XVIIIe et XIXe siècles, un nid de mariniers, à l’instar de Condrieu, situé en face, également au bord du Rhône.
« Condrieu fut un pays qui fournit, en dehors de l’importante famille de TONNERIEUX, des trois frères CUMINAL, dit Saléros, qui allèrent ensuite se fixer à Sablons, des mariniers vraiment remarquables par leur qualité de haute compétence professionnelle, de vigueur et d’endurance. Aussi le pays s’en ressentait-il grandement pour sa réputation et sa prospérité.
On était batteur d’eau de naissance et il eut été difficile d’y trouver des enfants ne sachant pas nager comme des poissons dès l’âge de dix à douze ans » [2].
Ainsi s’exprime Louis MENITRIEUX, de Serrières. Le poète Frédéric MISTRAL a consacré à cette ville et à ces hommes son immortel Poème du Rhône. Alphonse DAUDET s’est fait le chantre de ces mariniers : « il n ’y a pas de meilleurs garçons que ces mariniers du Rhône, au regard franc et pétillant comme le vin blanc de Condrieu ». Il faut lire aussi « CANTEDOR », admirable roman de Gabrielle MAGDINIER, originaire de Saint-Clair-du-Rhône.
La Saint Nicolas, patron des mariniers, et la « Vogue », fête patronale du village, festivités fortement empreintes de sacré, sont un fort lien social dans les villages mariniers.
Durant tout le XVIIIe siècle et la première moitié du XIXe siècle, la batellerie est la principale occupation pour les Rochelois.
La batellerie à chevaux a une organisation très hiérarchisée. Les « maîtres d’équipage », affrètent ; grâce aux capitaux mobilisés par leur commerce ; des trains de barques chargées de marchandises diverses : récoltes de céréales, tonneaux de vin, denrées alimentaires, outillage, matériau de construction. Celles-ci sont livrées plus au sud, notamment à Arles et Beaucaire.
Ces « marchands sur le fleuve » ou « négociants sur le Rhône » accompagnent parfois la cargaison, pour traiter affaire aux principales haltes de cette descente du Rhône, « la Descize ».
Mais la plupart du temps, ils restent « au bureau » pour tenir leurs livres de compte, rédiger les courriers...Ce sont des hommes d’affaires.
La « Descize » puis le retour, « la Remonte » (vers Vienne et Lyon) mobilisent le savoir faire ancestral des « patrons sur le Rhône » qui conduisent les « trains d’équipage » On rencontre aussi ,dans les registres paroissiaux et l’état civil, les termes « voiturier par eau » ou « voiturier sur le Rhône » Ces hommes dirigent la manœuvre et donnent les ordres aux différentes catégories de mariniers sur les barques et aux « culs de piau » (les culs de peau) chargés de mener les chevaux tirant les barques « à la remonte » le long du chemin de halage.
Les Rochelois exercent aussi des activités liées à la batellerie : maréchal-ferrant pour les chevaux de l’attelage ; tonnelier pour le transport par eau des vendanges, cordier pour la confection « de la maille » grosse corde pour le halage, cordonnier pour les bottes et tabliers des mariniers, corroyeur pour les harnais et les sangles.
Sont encore exercés les métiers de bouche : boulanger ; boucher ainsi que des petits artisanats tels que tailleur d’habits, maître chapelier, maçon, charpentier, tisserand, drapier.
Il ne faut pas non plus oublier les auberges, dont celle des Roches-de-Condrieu qui est aussi une des meilleures pour la restauration des mariniers lorsque ceux-ci font escale aux Roches ou à Condrieu.
C’est ce qui explique le nombre, en constante augmentation des habitants du bourg des Roches : 760 habitants en 1766 ; plus de 800 en 1778 ; 1600 vers 1810.
Cette activité de la batellerie à chevaux, à partir des années 1830 1840 va décroître puis bientôt disparaître à cause de la navigation à vapeur. C’est le thème de l’excellent roman que Bernard CLAVEL a consacré aux mariniers, dont le « Seigneur du Fleuve », Philibert MERLIN, patron de l’équipage, est Condriot.
Dater "Le Biautais" ?
On peut avoir un doute sur l’identité de l’auteur. En effet,les époux Chaumartin ont un fils : Antoine, né vers 1791, qui se marie aux Roches le 13 floréal an XIII (3 mai 1805) avec Marie REVON, née vers 1786.
De cette union naît un autre Louis CHAUMARTIN le 25 mars 1812. Il ne peut probablement pas s’agir de l’auteur de l’opuscule car vers 1832-1834 (date probable de l’ouvrage) il n’aurait alors que 20 ans ! Et si l’on se reporte à certaines pages « autobiographiques » cela se prête mieux à quelqu’un « qui a vécu » le grand-père de Louis qui a, à cette époque, 85 ans.
Cet ouvrage ne comportant aucune date de publication peut être daté grâce aux indices du texte patois.
Pourquoi 1832-1834 comme date probable de la publication de "LE BIAUTAIS" ?
Le premier texte est dédié à "monsieur TRANCHAND, maire de Vai Les Roches". Etienne TRANCHAND est maire de décembre 1832 à 1843 ; dates de son premier mandat ; il remplace alors MARCHAND aîné.
Dans un texte de Louis CHAUMARTIN apparaît le nom de BONNARDEL. Il s’agit d’un conseiller municipal de cette époque ; de même que THONNERIEUX cité également.
Une indication supplémentaire : le notaire Monsieur JOUBERT (cité dans le testament de Pierre BATAFI) est un notaire de Chonas, village tout à côté, des années 1800-1820.
D’autre part, l’auteur parle de "Chez MATRAS". C’est aujourd’hui encore un nom de quartier (Limite Saint Clair avec Les Roches), or cette appellation est toute récente ; vers les années 1820-1830.
- La vogua de vai le Roches (extrait)
Autre argument en faveur des dates 1832-1834 : à partir de 1838-1839 une polémique s’est élevé entre Les Roches et Saint Clair : un projet à l’initiative des Rochelois sous l’égide d’Etienne TRANCHAND tend à réunir les deux communes. Pétitions, enquêtes officielles, délibérations de part et d’autre... Saint Clair étant opposés au projet (Monsieur FAURE est maire à cette date) rien ne bouge. Le projet sera repris encore en 1855 puis en 1888-1890 ! Cette querelle sera même l’objet de chansons !
Nul doute que si Louis CHAUMARTIN avait été là à cette date il en aurait parlé, à mots couverts, dans son petit opuscule ; mais rappelons qu’il décède en octobre 1834.
Monsieur CHAUMARTIN évoque donc ses souvenirs rochelois... Depuis sa naissance en 1749 il a connu bien des choses et son grand âge lui permet d’en rire.
Nous aurons l’occasion dans un prochain article de présenter une traduction du poème "la vogua de vai le Roches" illustré de cartes postales anciennes.
Lire : La vogue de vai le Roche