Patois dauphinois
Comme le dit l’écrivain et auteur régional Rémi Cuisinier : Tout d’abord il faut rappeler que le français est un patois qui a réussi à s’imposer. La langue française a été reconnue officiellement depuis 1539, date de l’édit de Villers-Cotterets de François 1er. Jusqu’au 19e siècle, le français ne fut parlé que par les gens d’église, les seigneurs... (les clercs et les gens de robe).
Les paysannes et les paysans de toutes les régions parlaient leur patois. Celui de notre région s’appelle le franco-provençal. ... Notre patois est un mélange de mots gaulois, de mots latins, de mots germains et d’autres mots apportés par les envahisseurs. C’est bien pour ces raisons que ce patois est un maillon et un lien entre le passé et le présent.
Dans le patois il y a l’intime relation entre le mot et la chose, en tenant compte du vécu de la personne qui le cause. Lorsqu’on écoute un patoisant, il faut observer ses gestes et sa mimique.
Quelquefois lorsque l’on interroge un vieux paysan, afin de connaître le nom d’un outil ou d’un objet dont il a perdu le nom, alors il suffit qu’il prenne cet outil en main pour retrouver de suite le nom qu’il avait entendu prononcer par sa grand-mère ou son grand-père.
C’est bien pour ça que l’on peut dire que les paysannes et les paysans parlaient et pensaient en patois. [1].
En France, il y a la langue d’Oil au nord, la langue d’Oc au sud. Entre les deux, le franco-provençal [2].
C’est le linguiste italien Graziadio-Isaïa Ascoli (1829-1907) qui en révèle l’originalité en 1873 : « J’appelle franco-provençal un type linguistique qui réunit, en plus de quelques caractères qui lui sont propres, d’autres caractères dont une partie lui est commune avec le français et dont une autre lui est commune avec le provençal, et qui ne provient pas d’une tardive confluence d’éléments divers, mais au contraire atteste de sa propre indépendance historique, peu différente de celle par lesquelles se distinguent entre eux les autres principaux types romans ».
Le franco-provençal n’est ni le français ni l’occitan. Il se situe géographiquement entre les deux. Il correspond à plusieurs variétés dialectales :
- Département de la Loire : le forézien, le roannais ;
- Département du Rhône : le lyonnais, le beaujolais ;
- Département de l’Isère et nord de la Drôme : le nord-dauphinois ;
- Département de la Haute-Savoie : le savoyard ;
- Département de l’Ain : le bressan ;
- Le Jura et le Doubs : le jurassien.
Il va au-delà des frontières puisqu’il recouvre en totalité les cantons suisses de Genève et de Lausanne, en partie ceux de Fribourg, Neuchâtel, Vaud et, en Italie, la vallée d’Aoste et le versant oriental du Mont-Cenis.
La Vogua de Vai Le Roches
Le texte patois que nous présentons a été écrit en vers. Les impératifs de la rime écrite, qui doit également rimer à l’oral, ont amené Louis Chaumartin a utiliser des tournures de phrases ou des mots qui ne reflètent pas exactement le langage parlé dans cette région du Dauphiné à cette époque [3].
C’est pour cela que de traduire ces "vers patois" en "vers français" reste un périlleux exercice. L’essentiel est de respecter "l’inspiration" et la saveur du texte original. La traduction n’a pas été faite scientifiquement. Elle est le fruit des réflexions de quelques enfants du pays qui ont mis en commun leurs souvenirs du patois local [4].
Et tout mon sujet va sortir d’une fête.
S’il y a quelqu’un qui n’en soit pas content,
il peut bien en dire du mal, ça ne me fait rien.
Pour bien finir,il faut toujours bien commencer.
Et puis toujours prendre, les choses par leur pied,
Ils essayent toujours deux ou trois jours d’avance,
S’ils viendront à bout d’éclaper [5] une grosse lance
Et puis quand on vient à jouter pour tout de bon.
ils ont toujours mal à la main ou bien au genou
mais ça n’empêche pas que les plus forts jouteurs,
attendent leur tour aussi raides que des clous.
Oui revenons le samedi, le soir arrive,
et vous voyez le cabaret qui dérive [6].
et puis à la tête d’une quinzaine, Jean Siau !
suivi de la musique et des affûtiaux [7],
S’en vont chez tous les plus notables habitants,
Donner la sérénade, faire les compliments.
Le dimanche arrive, c’est ici le beau,
Le tambour bat, chacun se range comme il faut,
Armé d’une épaillette [8], ou d’une lance,
Vous voyez toute la troupe qui s’avance,
Et ils ont en tête les plus jolis drapeaux,
Et puis des bonnets blancs en guise de chapeaux.
Et c’est ainsi qu’ils vont une fois tous les ans,
De leur curé entendre les beaux compliments,
Et la messe dite, chacun reprend son rang,
Ils se rentournent la belle musique en avant.
Et au bord du Rhône, le bassin qui est tout prêt,
Et l’Amadou [9] s’est déjà mit tout leste,
Et vous le voyez qui court à la grande course [10],
Pour les saluer avec deux grands beaux coups de boite
Et si on était encore sous Napoléon,
Ils auraient peut-être deux belles pièces de canon.
Il y a tant de gens, qu’ils se montent sur les pieds,
Et encore il en vient de tous les cotés,
Pour écouter la musique et voir jouter
Il en vient de Lyon et des autres pays,
Et si ils savaient il en viendrait de Paris !
Et si j’avais la permission de Bonnardel [11] !
Je voudrais l’écrire à l’empereur de Chine !
Et les bonnets de ses sujets nous serviraient,
Même pour accompagner les autres instruments.
Mais n’allons pas tout à fait aussi loin que ça.
Et regardons donc si la joute se passe bien
Ca ne va pas mal il en tombe deux d’un coup.
- Les joutes aux Roches
Et un coup de boite [12] du père Lamadou !
Ca n’est rien et va bien de plus fort en plus fort,
Et ça étonne les gens qui sont sur les bords,
Et c’est bien quatre fois pire que chez Nicollet,
Ils rompent les lances, ils arrêtent leurs deux barques ;
Ah que voilà un beau coup qui demande attention ;
En voilà bien deux durs qui vont jouter ensemble
Et c’est le grand Collet avec Thonnérieux !
Je vous réponds qu’ils se tiennent bien tout deux,
C’est un plaisir de voir comme ils se présentent,
Et puis tous deux sans trembler comme ils s’attendent
Leurs barques s’approchent, les lances sont levées,
Les plastrons en bruissent, et les lances en craquent
Leur courage, la force se sont balancés [13].
Et ils font reculer leurs deux barques de vingt pieds [14]
Ils sont en place et puis ils s’observent de nouveau,
Et leurs barques vont raides comme des oiseaux,
Les lances se croisent et se touchent toutes deux,
La lance se brise dans la main de Thonnérieux !
De la force qu’il y va il tombe en avant ;
La joute demeure bien à Collet le grand !
- Les joutes aux Roches
Qui s’entend jusque vers le Pilat bien aisément.
C’est fini et chacun amasse son paquet.
Et va s’habiller pour venir au grand banquet,
Puis après les femmes, les filles et les enfants.
Se mettent en farandole bien mieux de cinq cent ;
Mais déjà le jour qui tire un peu à sa fin,
N’entend que clarinette, violon, tambourin
Et ceux-là ici qui sont bien las de danser,
Vont se promener avec toutes leurs bonnes amies [15].
Et la danse se vide un peu sur le tard.
Du temps que ça s’emplit vers les tombereaux piqués [16]
C’est un endroit que si il savait parler,
Bien des filles ne lèveraient pas tant le nez ;
Oui c’est vrai vous pouvez bien y aller tous les lundis,
Et vous verrez qu’ils ravagent tout le gazon.
Mais n’en parlons plus cela ne nous regarde pas,
Et je fâcherais trop de petits lève nez.
Revenons, ils n’ont pas tous finie la fête ;
Et puis le lundi ils chantent à se rompre la tête,
Et puis le mardi ils pendent une grande berte [17]
Et ils font péter le bon dernier coup de boite
Les deux yeux bandés, armés d’un gourdin ferré,
Et puis vont à droite et à gauche pour l’éclaper,
Et celui qui l’éclape n’est pas toujours le plus adroit,
Parce que je l’ai eu vu éclaper par hasard !
Et c’est ici que se termine la fête,
Chacun va reposer pour guérir sa tête.
- Les joutes à Condrieu