Cette découverte n’en est toutefois pas une, car, il y a plus de cinquante ans, des utilisations particulières et multiples des renseignements fournis pas la Généalogie se sont fait jour. Elles permettent ainsi de reculer dans le temps les limites de cette appartenance.
Les données qui vont suivre ne seront pas une nouvelle illustration de la « Vie de nos ancêtres » travail bien connu d’une Association limousine mais apporteront nous le pensons à nos amis généalogistes amateurs un éclairage sur la prise en compte dans de nombreuses disciplines scientifiques du travail généalogique classique qui leur est propre.
Ce sont des démographes, par le biais de la démographie historique, qui ont été les premiers à intégrer concrètement la dimension généalogique dans leurs travaux. Ils se sont basés au départ sur des généalogies qui n’étaient pas contestables, d’une complétude maximale et facile à remonter dans le temps comme celle de la Paierie anglaise ou celle de familles praticiennes genevoises. Avant eux, ethnologues et anthropologues ont évidemment travaillé en se basant sur des généalogies qui étaient seulement construites sur la transmission orale des populations qu’ils étudiaient comme les tribus Touaregs, les Esquimaux [1], ainsi qu’une expérience personnelle auprès de Chaouias algériens pratiquée dans le cadre d’une mission du Musée de l’Homme [2].
Cette démographie historique et la généalogie quantitative qui lui est attachée c’est-à-dire l’analyse collective de milliers de réseaux généalogiques étudiés dans leur interrelation, ont pris leur envol avec l’arrivée de l’informatique puis la montée en puissance des ordinateurs. Les chercheurs ont donc pu travailler avec des bases de données performantes amarrant chaque individu à un réseau généalogique. On a pu ainsi passer des simples fiches de famille et de la construction d’arbres à des fichiers aboutissant à une structure généalogique de la population. Les sources utilisées s’appuient sur les mêmes bases que celles que nous utilisons : BMS, état civil, listes nominatives de recensement, comptes de tutelles, archives notariales, archives diocésaines, dispenses, archives judiciaires, enquêtes agricoles.
L’exploitation de ces données s’avère toutefois différente. Les généalogistes amateurs, laissent -ou plutôt laissaient- un peu de coté les données relatives à ce que nous appelons les « branches mortes » : il s’agit des enfants disparus dans leur très jeune âge, (heureusement ondoyés en cas de mortinatalité puis, plus tard déclarés) des adolescents morts avant d’être en âge de procréer et enfin souvent des célibataires. Il serait permis d’y ajouter à notre avis, si tant est que l’on puisse les appréhender, les avortements spontanés ou non avec une inconnue relative au sexe du produit.
L’occultation même très partielle de ces branches collatérales sans bourgeon fructifère, introduit donc un biais certain encore plus évident dès le moment où l’on veut appréhender de manière précise les différentes facettes de la fécondité existant dans une population donnée et ses conséquences démographiques. La méthodologie est par ailleurs évidemment différente de celle que nous utilisons car les objectifs sont plus nombreux. Une autre utilisation de la généalogie est aussi apparue avec la prise en compte des travaux des généalogistes de base par les chercheurs en génétique des populations, en anthropologie biologique et en médecine.
Quel que soit l’item retenu, intervient tout d’abord le concept important du nombre de descendants utiles à chaque génération versus des branches mortes citées plus haut. Ce sont les individus qui contribuent à la constitution de la ou des générations suivantes et auxquelles on accède par le biais des généalogies descendantes. Si tous les descendants sont sans personne au destin inconnu, la généalogie peut être dite complète, condition essentielle pour qu’elle soit utilisable dans sa totalité quel que soit le faciès étudié. Cette démarche peut être faite soit à partir des individus de sexe mâle et l’on parle alors de généalogies patrilinéaires ou agnatiques soit en suivant des individus de sexe féminin et l’on parle alors de généalogies matrilinéaires. Dans ce dernier cas, malgré la disparition du patronyme et même en dehors de toute isonymie (caractéristique d’un mariage où l’époux et l‘épouse portent le même patronyme indicateur de la possibilité d’endogamie), si toutes les généalogies d’un ensemble -village, commune canton etc.- sont connues, on peut suivre la descendance matrillinéairement sans difficultés particulières et même, pensons nous, avec plus de justesse car « mater certissimus, pater semper incertus ».
On entre ainsi de plain-pied dans la généalogie par l’examen de milliers de réseaux généalogiques étudiés dans leurs interrelations. De ce fait, ces dernières constituent le matériau de base d’une analyse qui permet de constater et de quantifier les variations démographiques et les comportements sociaux au fil des générations. Cette généalogie quantitative se distingue-t-elle de la généalogie que nous pratiquons ? C’est une question d’échelle puisque le généalogiste amateur se limite à des générations descendantes avec les travers que nous citions plus haut puisque l’étude est restreinte à un réseau de reproductions familiales. Ni la nuptialité ni la fécondité ni la mortalité ne se mesurent avec une grande rigueur scientifique. Toujours au travers d’une étude généalogique stricte, les frontières administratives étant dans ce cas ignorées, la mobilité géographique est de ce fait mieux appréhendée ce qui apporte, comme nous allons le voir, un éclairage nouveau et intéressant pour les recherches démographiques ou anthropologiques concernant une population donnée.
Illustrations récentes
Sur la base de la reconstitution de la généalogie descendante de tous les individus nés de la fin du XVIIe siècle à nos jours, un groupe de chercheurs a publié il y a neuf ans, dans une revue d’anthropologie (la plus vieille du Monde), l’analyse démographique originale d’un population jurassienne [3].
Considérées pendant longtemps comme des isolats sur le plan de la génétique, plusieurs vallées fermées [4] ont en effet souvent servi de base pour des travaux de démographie mais surtout aux anthropologues par le biais des apparentements pour la recherche de la consanguinité.
C‘est vers la fin des années 80 que l’épanouissement de l’informatique a permis d’intégrer les données généalogiques dans les études démographiques et dans la génétique des populations. Ainsi épaulés par des données statistiques avancées, les auteurs de cet article ont pu préciser les résultats de travaux antérieurs (30 ans de recherche) portant sur cinq communes peuplant une vallée géologiquement fermée qui s’étend du nord des plateaux du Jura au Bugey, au sud, avec le bourg de Lelex en son centre. C’est une partie de la vallée de la Valserine dans le Jura français. Cette vallée fut longtemps un quasi désert par manque de population ceci jusqu’au début du Moyen Age et ensuite pendant longtemps, elle fut considérée comme un quasi isolat [5].
- La vallée de la Valserine vue depuis La Dôle (cote 1633 m)
- Auteur : Serge NUEFFER - Licence : GFDL.
En s’appuyant comme nous l’avons indiqué plus haut sur les relevés des BMS, des registres de l’état civil, des listes nominatives de recensement, des archives notariées, voire des enquêtes agricoles, les auteurs ont précisé cet isolement populationnel strict en reconstituant la micro histoire de cette région à un moment donné. Au décours de douze générations représentant plus de six mille généalogies classées en quatre cohortes [6] de vingt ans entre 1800 et 1969 (1800/1819, 1850/1859,1894/1913 et 1950/1969), ils ont pu ainsi reconstituer la généalogie et la fréquence « des entrées » d’ascendants ayant immigré dans cette entité géographique. En pratique, le but recherché était de connaître la part de l’enracinement profond -homogénéité- et celle de l’implantation récente ou intermédiaire -hétérogénéité- des ancêtres. La recherche de cette partition s’appuie tout d’abord sur l’établissement d’un « coefficient de déperdition »de l’information génétique (démarche relativement ardue pour un non professionnel) soit absolu soit relatif, qui correspond en gros, à la différence statistique entre le nombre d’ancêtres potentiels que l’on devrait trouver pour un individu donné à celui que l’on trouve effectivement. Cette opération est toujours rapportée pour chaque cohorte avec une analyse poussée de la position des cohortes entre elles.
Pour en terminer sur ce sujet, les auteurs introduisent, et c’est à notre avis le plus important, la notion de sexe déterminant et prouvent que la sédentarité -les habitants du « pays », le « noyau stable de la population à un moment donné »-, est plus grande lorsque la lignée paternelle est déjà implantées dans la vallée, ceci dans une proportion de 45/55 au niveau de la troisième génération. Enfin, la dernière cohorte étudiée -ascendance des individus né de 1950 à1969- se distingue des autres puisqu’un quart des individu nés dans cette fourchette ne possédant aucun ascendant provenant de cette vallée ce qui indique un apport extérieur important au XXe siècle ; toutefois, cette intrusion se retrouve très légèrement quelle que soit la période de naissance étudiée.
On ne saurait terminer cette présentation sans indiquer qu’une partie de la population de la Valserine est touchée par une maladie héréditaire rare, la maladie de rendu Osler. Sa fréquence serait de 1/99 dans le Jura ; Sachant qu’un enfant né avec au moins un parent porteur du gène correspondant a 50% de chances d’hériter cette maladie, les auteurs ont essayé dans un travail antérieur à celui paru dans les Bulletins et Mémoires de la SAP, de trouver l’« effet fondateur » c’est-à-dire l’ancêtre commun à tous les porteurs de cette maladie. Ils ont échoué dans leur démarche car cet ancêtre a sans doute été occulté soit du fait de pertes de documents anciens, soit qu’il soit apparu avant la création des BMS.
Cet article présente donc une appréciation originale et polyvalente de la généalogie. Bien que les auteurs s’adressent à des interlocuteurs avertis qu’ils soient démographes, anthropologues ou médecins, pour une grande partie, ce travail nous parait à la portée de tout généalogiste de base. On peut facilement situer cette vallée dans le Jura à l’aide d’une carte au 25/1000e et constater son caractère de vallée fermée ; cette dernière caractéristique nous parait essentielle. Si par ailleurs, les auteurs ont fractionné en quatre cohortes l’étude de cette population, c’est, nous disent-ils pour alléger tableaux et résultats. Néanmoins, en tant que généalogiste cette partition nous parait sinon introduire un véritable biais tout du moins diminuer la consistance des résultats. Des travaux à venir portant toujours sur la population de cette vallée devraient mieux répondre à l’attente des généalogistes et augurer une étude plus complète dont les modalités pourront être appliquées à beaucoup de populations présentant les mêmes particularités.