Dieu cueillit une tendre fleur
Pour l’apporter au séminaire
Que de son agréable odeur
Elle embaumerait pour la vie
Eh bien ! Ce fertile parterre
Qui ne l’a déjà deviné
Le premier, tu reconnus, Père
Le cher village où je suis né
Le charmant pays d’Ymonville
Dont tu fis la gloire et l’honneur. »
Séminariste modèle
« Un jour… » Ce pourrait être il était une « foi ». Le poème du jeune séminariste a les préludes d’un conte où la fée se serait effacée devant Dieu.
Quand Joseph Delarue le compose en juin 1887, il a seize ans. Comme ses camarades, chaque année, l’adolescent sacrifie à la tradition qui, par la rime, rend hommage au supérieur du petit séminaire de Chartres, Cyrille Ychard.
- Le petit séminaire de Saint-Chéron. Les lettres du prénom du supérieur sont au premier plan, composées avec des tiges de roses. Archives diocésaines de Chartres.
Le petit Beauceron y célèbre son village d’Ymonville, « fertile parterre » touché par la grâce du geste divin. À vingt ans révolus, Joseph file encore la métaphore florale en l’honneur cette fois du supérieur du grand séminaire, lui dédiant « un bouquet odorant… aux riantes couleurs [1] ».
À la différence de ses condisciples, il ne verse ni dans l’allégorie politique qui pourfend les ennemis de l’Église, ni dans le récit d’instantanés de la vie au séminaire. Non, Joseph exprime une sensibilité candide à la nature et, dans d’autres écrits rimés, il s’émeut des oisillons s’apprêtant à l’envol vers les cieux. À sa représentation idéalisée ne manque que le murmure de l’eau pour figurer le Paradis. Son innocence émerveillée magnifie l’œuvre du Créateur qu’il promet de servir « par son travail et sa conduite exemplaire ». Promesse tenue, Joseph est ordonné prêtre le 23 juin 1895.
- Une autre ode de Joseph Delarue à Cyrille Ychard, supérieur du petit séminaire, marquée par la candeur
Le curé de Châtenay, objet de scandale
En 1906, onze ans plus tard, l’ancien séminariste, devenu curé de Châtenay, est au cœur d’un énorme scandale. La presse cléricale déverse sur son nom un tombereau d’injures : « Traître à son Dieu, à son évêque, à ses confrères, à sa famille et à son pauvre père que sa trahison courbe vers la tombe », écrit La Croix le 26 septembre qui, avec une violence stupéfiante, récidive le 30 en se pinçant le nez :
« Penchez-vous avec précaution et regardez : voyez cette chose, qui n’a de nom dans aucune langue, ce cadavre qui flotte dans la cloaqua maxima dont les eaux vaseuses charrient tant de détritus. Détournons les yeux de cette triste épave. »
L’Ami du clergé, hebdomadaire de référence, qui entend considérer l’affaire Delarue dans le temps long, affirme sans sourciller : « Si l’histoire de l’Église révèle un certain nombre de scélératesses, elle ne nous a rien révélé d’aussi écœurant [2]. » Qu’il est loin le temps des poèmes, du pépiement des oiseaux et des végétaux odorants.
Née dans le contexte explosif de la Séparation des Églises et de l’État, l’affaire Delarue fait des mois durant la une de la presse française. Car à travers l’itinéraire singulier d’un homme, elle soulève des questions fondamentales auxquelles l’Église catholique est confrontée – encore aujourd’hui –, celles du célibat et de la chasteté des prêtres et plus largement celle de leur rapport au monde.
Pour la saisir dans toute sa complexité, il convient d’abord de revenir à l’enfance du jeune Delarue, au polissage de son esprit au séminaire et à ses années d’apostolat à Châtenay avant d’envisager dans un deuxième temps le scandale proprement dit. En quelque sorte, considérer les voies du Paradis avant celles de l’Enfer que La Croix promit à ce « Judas ».
Prochain article : un fils de paysan au séminaire
L’histoire du curé de Châtenay est racontée dans le livre « le roman vrai du curé de Châtenay, 1871-1914 » ed. EM.