En Mars. On ne coupe plus de bois [1], & l’on ne fait plus de charriages [2] à cause des labours & semailles des avoines qui pressent.
Les charretiers [3] qui ne sortaient qu’une fois par jour, sur les dix heures en hiver, font deux attelées en Mars : ils vont au labour depuis le point du jour jusqu’à onze heures, & y retournent à deux heures après midi jusqu’à la nuit.
Quand on a des prés usés [4] ou des friches [5], on les laboure pour y semer de l’avoine ou des pois [6].
On sème la luzerne, le trèfle & le sainfoin [7] ; après avoir semé de l’avoine un peu claire, on sème l’une de ces graines par-dessus, & l’on y fait passer la herse [8] : l’avoine mettra ces petits plants à l’abri, qui ne rapportent rien la première année, & l’on en sera dédommagé par cette récolte d’avoine. Il entre dans un arpent 20 livres de graine de luzerne, ou vingt boisseaux de sainfoin. La luzerne vient bien dans les terres qui ont du fond, soit sable ou terre franche. Mais le sainfoin vient où la luzerne ne ferait rien ; dans les terres les plus sèches, on le sème un peu plus épais, & le sainfoin en est plus fin.
Il ne faut pas différer de semer le blé de Mars [9] depuis la fin de Février jusqu’au 15 de Mars. La mesure est de six boisseaux de Paris par arpent ; l’orge à peu près de même ;1’avoine , selon la qualité de la terre, mais plutôt plus que moins, parce que si elle lève trop drue, en la hersant quand elle a poussé, la herse en diminue la quantité, & lui donne une bonne façon, surtout si on la roule ensuite. Il ne faut pas que la corde de la herse soit trop courte, ce qui la ferait fauter en hersant lorsque le cheval tire, & le champ serait mal hersé ; en la tenant un peu plus longue, la herse produira son effet.
On ensemence les terres froides [10] & les plus humides les dernières, étant plus molles après l’hiver, & plus sujettes à la gelée.
La vesce, le lin, le maïs ou blé de Turquie, les lentilles & bisailles [11] doivent être semées depuis le 15 de Mars jusqu’au 15 d’Avril, & non plus tôt. La vesce doit être semée lorsque la terre n’a plus aucune humidité, et recouverte avec la herse dans le jour. M. de Sutieres [12] conseille de chauler [13] tous ces grains avant de les semer. On sèmera aussi un peu de cumin pour les pigeons.
Les semailles étant faites, on donnera le second labour aux jachères ; on le fumera en même temps pour y semer du blé en Octobre.
Il faut défendre l’entrée des bestiaux dans les prés [14].
Et achever ses plantations, & particulièrement les saules [15] , les peupliers [16] & l’osier [17] , à mesure qu’on les coupe. Dans les terrains trop frais, l’osier jaune, qui est sujet à la gelée, ne résiste point. Mais bien le rouge, & encore mieux le vert, qui est un osier tout à fait aquatique, dont on borde les rivages des isles.
Il est encore temps, de tailler & planter la vigne, si on ne l’a fait dans le mois précédent, et ensuite on donne le premier labour ; comme on l’a dit. Si l’on attendait plus tard, qu’elle eût poussé, on abattrait des bourres [18], & l’humidité de la terre donnerait plus de prise à la gelée.
On sarcle [19] & l’on mêle les blés, ainsi qu’on échardonne [20] les avoines, aussitôt que le chardon y parait.
Il faut songer de bonne heure à réparer les aires des granges qui font en mauvais état, afin qu’elles aient le temps de sécher avant la récolte. Pour faire une aire de grange, on fouille tout l’espace à la pioche jusqu’à six pouces de profondeur ; on y ajoute de 1a terre grasse, et l’on pétrit bien les deux terres ensemble avec un peu d’eau dont on les bassine. On affermit le tout ensuite, & on le rend bien uni, en battant avec une batte de jardinier. On recommence tous les jours jusqu’à ce qu’elle soit sèche, pour empêcher qu’elle ne se gerce : ensuite on la couvre de paille, qu’on y laisse jusqu’à ce qu’on y batte du grain : il est bon, à mesure qu’elle sèche, de l’arroser d’eau dans laquelle on a délayé de la fiente de vache. Ce sont les maçons Limousins [21] pour l’ordinaire qui sont dans l’usage de faire ces aires ; nous avons vu qu’on leur payait en quelques endroits 24 livres pour une aire de 24 pieds de longueur sur douze de largeur, faite avec précautions & sans gerçures.
C’est le temps de préparer la terre pour faire de la brique, qu’on cuira en Avril.
On pêche les étangs au commencement du Carême.
Bestiaux et volailles. Il ne faut plus tuer de cochons pour saler ; la chair prendrait difficilement le sel, et le lard deviendrait rance, mais on en élève de jeunes.
C’est le temps où les vaches entrent en chaleur ; elles portent neuf mois, ainsi que les biches, & vivent quinze ans.
Les poules & les dindes commencent à couver : ce n’est qu’à deux ans que les poules commencent à être bonnes couveuses ; plus jeunes, elles ne gardent pas le nid exactement. Le bruit est contraire à la couveuse & à ses poussins ; c’est pourquoi on les met dans un endroit retiré avec de l’eau & du grain près d’elle. La couvée dure 21 jours, au bout desquels le poulet sort de l’œuf. Si deux ou trois jours après ce temps ils ne sortent pas de la coquille , il faut jeter les œufs, car c’est une marque qu’ils sont clairs ; c’est-à-dire, qu’il n’y a que de l’eau dedans, ou que les poulets sont morts dans la coquille, pour avoir été refroidis & mal couvés. En Égypte on fait éclore quantité de poulets à la fois dans des fours : on est parvenu ici à en faire éclore sur des couches ; mais toutes ces méthodes artificielles n’ont pas pris ici, et ne valent pas la peine qu’elles donnent. Nos ménagères se bornent à faire couver les oeufs naturellement par des poules ordinaires, ou par des poules dinde, qui en couvent davantage, & qu’elles forcent à couver malgré elles, en les enivrant ou en les endormant à force de les tourner dans la main avec la tête sous l’aile. Les poulets ne mangent qu’au bout de 24 heures & quelquefois deux jours. On leur donne d’abord pour nourriture de la mie de pain rassis bien émiettée, un peu de millet pendant quinze jours, & de l’eau bien nette pour boire ; ensuite du chènevis, du sarrasin ou blé noir, du pain trempé & enfin de l’orge, de l’avoine, etc. comme les poules.
Le vin est un remède efficace pour la guérison de plusieurs maladies de la volaille, comme lorsqu’on leur a ôté la pépie, etc [22].
On observera que toute volaille doit être plumée aussitôt qu’elle est tuée : si ou la laisse refroidir, la plume s’arrache difficilement. Il ne faut la vider qu’après qu’on l’a flambée. On ne flambe point celles qu’on met en broche,
Les dindonneaux exigent les mêmes foins, & plus, pour les élever ; ils sont fort délicats ; le froid leur est mortel quand ils sont jeunes ; au contraire, quand ils ont acquis toute leur croissance le froid les engraisse ; ils y restent exposés nuit & jour, même pendant les plus mauvais temps de l’hiver, sans que cela leur nuise.
Les oisons & les canards s’élèvent plus facilement que les dindons, sous la conduite de leur mère. Les canards de Barbarie sont ceux qu’on doit élever de préférence.
On commence à avoir quelques pigeonneaux quand le temps a été doux ; c’est ce qu’on appelle la volée de Mars ou première volée. Mais ils sont plus communs en Avril.
Il est temps de vendre l’orge, l’avoine, la vesce, le blé de Mars, les pois & les graines de sainfoin, de trèfle & de luzerne, pour les semailles ; le beurre, les œufs, les pruneaux, les pigeonneaux en totalité, n’en laissant point échapper dans ce temps-ci pour repeupler, mais en Août, comme il sera dit ; le poisson, & les bêtes à cornes engraissées pour la semaine sainte.
Foires.
- Le premier lundi de Carême, à Nemours.
- Le premier samedi de Carême, à Senlis & à St-Florentin.
- Le second lundi de Carême, à Troies, foire franche, & à Gien, dure huit jours.
- Le même jour, à Crepy en Valois, foire considérable.,
- Le jeudi de la mi-Carême, à la fête à Leps.
- Le 8, à Sens.
- Le 14, à Merreville en Beauce, foire franche.
- Le mercredi de la passion, à Longjumeau.
- Le 21, à Sens.
- Le mardi de la passion, à Mormant en Brie, foire franche.
- Le jeudi saint, à Arpajon.
- Le 26, à Villenaux en Brie.
Source :
- Louis Liger, La Nouvelle maison rustique, 11° édition, 2 volumes, Paris, 1790.
Bibliographie :
- Marcel Lachiver, Dictionnaire du monde rural, les mots du passé, Paris, Fayard, 1997.
- Georges Duby, Armand Wallon (sous la direction de), Histoire de la France rurale, Tome 2 : L’Age classique (1340-1789), 4 volumes, Paris, Editions du Seuil, 1975.
- Gabriel Audisio, Des paysans, XV°-XIX° siècle, Paris, Armand Colin, 1993.
- Pierre Goubert, Les Paysans français au XVII° siècle, Paris, Hachette, 1982.