« Peu nombreux sont ceux, en effet, qui savent que Pierre ENCIZE était en réalité le pseudonyme qu’utilisait l’abbé Louis PERROT lorsqu’il rédigeait ses « Impressions d’un montagnard solitaire » sur Ferrières et son passé. »
« L’abbé Louis PERROT était un érudit qui a publié dans les annales bourbonnaises en 1890 -1891 de nombreux articles sur Ferrières sous le titre « Ferrières à vol d’oiseau. »
« . . . membre éminent de la Société d’Émulation et des Beaux Arts du Bourbonnais. ».
« ... l’écrivain élégant, expert et spirituel, qui sait piquer de traits opportuns les plus austères sujets, et les libérer ainsi de leurs influences somnifères. »
Sur un fort cahier, le journal de sa paroisse, l’abbé a laissé le manuscrit de ses recherches et réflexions. Grâce à l’obligeance d’un correspondant généalogiste, j’ai pu en prendre connaissance.
Par ailleurs, l’efficace disponibilité du Service des Archives départementales de l’Allier, m’a permis d’obtenir une copie de l’article « Ferrières à vol d’oiseau ».
Comme ses contemporains, j’ai été séduit par la qualité d’écriture de l’homme d’église. A-t-il acquis au seul séminaire la culture générale dont il fait preuve sans ostentation, mais avec brio ?
Né le 11 juillet 1851, à Moulins, dans une modeste famille de journaliers, il a 35 ans lorsqu’il est nommé à Ferrières.
Il a alors acquis une solide expérience de la pratique sacerdotale dans trois paroisses : Saint-Gérand-le-Puy, Cusset et Paray-sous-Briailles. En marge de sa mission religieuse, l’abbé va consacrer une part importante de son temps à des recherches profanes et va faire œuvre d’historien et généalogiste.
Dès son arrivée, il est conquis par la population et l’environnement géographique et s’attache à reconstituer l’histoire de la commune : Ferrières à vol d’oiseau de 1369 à 1793 [3]
Je vais trouver dans ses écrits une mine d’informations sur mes ancêtres et leurs voisins ! [4]
Dans un premier temps, il rapporte les traces recueillies avec grand soin sur la période féodale des deux châtellenies locales : la baronnie de Montgilbert et le comté de Ferrières. Il mentionne ses sources :
« vieux parchemins papiers de la famille Lozeans. Etudes de Ferrières, le Mayet et St Clément. Archives de la bibliothèque de Moulins. Bibliothèque nationale de Paris. Greffe de Riom, Différents auteurs tels que Nicolaï Marsollier, Jussel, Coiffier, Demoret.
En déchiffrant les 20000 actes des vieux registres j’ai pu me tromper sur la transcription de certains noms propres de lieux ou d’individus généralement mal écrits. »
« Hâtons-nous maintenant d’esquisser à grands traits le sujet qui nous occupe. »
- Château de Montgilbert
S’amorce alors une longue énumération d’événements, filiations, alliances, mariages, donations, acquisitions, cessions et contentieux, relevés pour les deux seigneuries.
A l’évocation de ce passé, l’abbé affiche une certaine nostalgie de l’ordre ancien qui va l’accompagner tout au long de son ministère.
« Ne dirait-on pas que les ogres sont du domaine de la réalité, ne dirait-on pas qu’avant 89 les paysans de nos campagnes n’avaient pour se nourrir que des racines et des cailloux avec un peu de foin pour le dimanche. »
« Nous ne sommes pas assez naïfs pour admettre sans contrôle ces utopies plus ou moins scientifiques. Il est beI et bien admis maintenant qu’un homme d’esprit doit dépenser son encre et son talent à dénigrer les personnages et les institutions de l’ancien régime. C’est une affaire de mode contre laquelle il serait prudent de réagir. On aime à nous représenter les seigneurs d’autrefois sous les couleurs les plus sombres. On est à se demander pourquoi le créateur dans son infinie miséricorde a voulu jeter sur le monde ces monstres, d’un nouveau genre, ces oppresseurs du peuple et ces buveurs de sang. Pauvres cervelles ! »
« il suffit de consulter les annales de la France pour s’apercevoir que la féodalité ne fut pas sans grandeur malgré les nombreux écarts. S’imaginer quelle fut l’exploitation raisonnée de l’homme par l’homme sur l’immense étendue de notre territoire serait faire fausse route en matière historique. Hélas, hélas ! à part les exceptions malheureuses qu’on est obligé de reconnaître, nous pourrions soutenir encore avec preuves à l’appui que les seigneurs d’autrefois valaient largement nos seigneurs d’aujourd’hui »
« . . . ces messieurs ou ces dames parrains ou marraines des enfants de leurs métayers, c’est une coutume presque générale qui suppose entre la chaumière et le castel les rapports de la plus parfaite harmonie.
Les rapports entre le loup et l’agneau sont d’une autre nature. ».
Ce penchant monarchiste se traduisait-il dans les prêches ? Je serais tenté de le croire. Serait alors éclairé le courrier sibyllin qu’adressait sa très fidèle paroissienne, ma grand-mère Maria, à son frère Gaspard mobilisé au front, en 1915 Sur fond de guerre, une étrange rumeur :
« A Ferrières, les gens ne vivent plus. Ils attendent une révolution car on parle qu’on va mettre un roi sur le trône »
On parle à la sortie de la messe ?
Si d’une façon générale, le doyen observe ses ouailles et leurs prédécesseurs avec bienveillance, c’est d’une plume acérée qu’il dépeint quelques situations qui vont retenir mon attention.
Pour peut-être mieux comprendre certaines analyses et réflexions, il est nécessaire de rappeler le contexte social et politique dans lequel se déroule son sacerdoce [1886-1918].
Nous sommes au cœur de la IIIe République et plus précisément à « La Belle Époque » [1890-1914].
La République libérale vacille, menacée par les organisations anarchistes : multiples attentats terroristes, assassinat du Président Sadi Carnot [1894]..., les mouvements ouvriers : manifestations et grèves brutalement réprimées [5] et les courants monarchistes encore virulents.
Le régime va opter pour une vigoureuse politique anticléricale, la loi du 9 décembre 1905 établit la séparation des Églises et de l’État.
L’Église est dépossédée de ses biens mais aussi de ses prérogatives, particulièrement en matière d’enseignement. Les lois Jules Ferry (1881-82) portent leurs fruits.
Cette violente évolution sociale et politique amène notre « curé de campagne » à manifester de l’aigreur face aux mutations locales. A Ferrières comme ailleurs la subversion gagne. A l’issue des élections municipales du 03 mai 1908, il note avec amertume :
« La liste républicaine libérale au pouvoir [ . . . ] a été battue par la liste radicale-socialiste [ . . . ]
De cette façon, la république a été sauvée et la commune a eu quelques imbéciles de plus pour gérer ses affaires.
Le matin même, à la 1re messe, la plupart se pressaient à l’église pour faire bénir les croix de bois que l’on plante dans les champs ; à les voir si pieusement recueillis, vous n’auriez pas pensé voir des socialistes en herbe.
Tout de même, c’est un peu vexant de constater que tant de bêtise et de malice a pu se glisser dans les œuvres du bon Dieu. »
Le ton est plus plaisamment moqueur, mais pour un peu sarcastique, lorsqu’il dresse le portrait de quelques confrères venus prêcher le carême :
en 1909 :
« Il a été prêché par le R. P. Chemel S.J. qui venait de la maison de Besançon.
Ce bon père avait déjà passé 15 ans en Afrique. Il était épuisé. il nous est arrivé avec beaucoup de bonne volonté, une grande fatigue de la vue, des varices purulentes, des embarras de la vessie et deux ou 3 autres maladies plus ou moins mortelles . Malgré cela, tout s’est assez bien passé. Sa longue barbe et sa piété solide ont impressionné nos gens. Il n’y a pas eu de diminution sensible dans les communions »
en 1916 :
« Les 15 derniers jours du carême de 1916, nous avons eu comme prédicateur le R.T. Archange de la maison de Bourges. C’était un franciscain de belles couleurs et d’assez bon appétit, assez modeste du reste dans ses mortifications ; à son 1er déjeuner du petit matin, il a bien voulu se contenter, le vendredi saint, d’un fort café au lait avec tartine grassement beurrée. A part cela, le meilleur enfant du monde. Il devait avoir quelque chose du côté du cœur. »
C’est une réflexion d’un tout autre registre qui va me heurter, mais aussi m’entraîner dans une enquête généalogique avec quelques rebondissements.
L’abbé a longuement et avec complaisance rapporté la très ancienne présence des seigneurs, mais aussi des bourgeois, artisans et paysans, les toponymes des villages témoignant de leur ancrage séculaire :
« Ne dit-on pas en effet : chez Mauchamp, chez Fumoux, chez Randier, chez Pion, chez Boudet, chez Magnaud, chez Potin, chez Mazioux, chez Forest, chez Matichard, chez Thévenet, chez Pérard, chez Plédy, chez Roche, chez Mounier, chez Giraud, chez Fradin, chez Recot, chez Fournier, chez Brosse, chez Diot, chez Bouchet, chez Pazan, chez Genti. Or, tous ces noms sont des noms d’individus plus ou moins connus dans les siècles précédents »
« D’autres part, on dit à Becouze, au Pilar, à Chambrias, aux Ollières, à Puyravel, à la Boffety, au Garet, au Lignier, à la Moussière, à Ramille, à Orléans, parce que jadis à une époque assez reculée vivaient sur ce territoire de Ferrières des paysans de ce nom comme on le verra plus loin dans la nomenclature des anciennes familles. »
Il témoigne aussi de son estime et considération à l’égard des « manants » locaux :
« Dans le peuple, il y a des familles qui semblent remonter très haut, citons en 1re ligne les Paput, Riboulet, Desbatisse, Pilar, Ollières, Basmaison, [ . . .] »
Soixante douze familles « de vieille race » sont ainsi citées.
« Il est juste d’ajouter que c’était l’époque de la forte race, l’époque des beaux gars de chez Pion, l’époque où ces géants des bois mettaient 48 heures, en hiver, pour se frayer un passage au milieu des gonzières (amas de neige) et porter à Ferrières le cercueil de leurs pauvres défunts. »
Mais brusquement le doyen Perrot délaisse l’encre au profit du fiel et y trempe sa plume.
« Après 1700, paraissent les Rousseau qui sont très probablement d’origine juive . Ils se faufilent en nos régions sous la conduite d’Isaac Rousseau. Pour qui connaît leur profil, leur type moral et leurs habitudes économiques, la solution n’est pas douteuse. »
Comment justifier une pareille charge irraisonnée, - deux siècles après ! - sinon par une méfiance hargneuse, à l’égard de « l’étrange étranger », du « horsain » dirait-on ailleurs, méfiance décuplée s’il est soupçonné d’être d’origine juive.
Le contexte historique éclaire partiellement la violence du propos, l’antisémitisme est à son comble en France.
L’Affaire Dreyfus (1894-1906) en est un extraordinaire révélateur. La presse nationale, régionale et locale bat des records de tirage et elle est quasi totalement antidreyfusarde, au moins lors du premier procès.
Pour les conservateurs catholiques, c’est l’occasion de renouveler l’accusation de « Peuple déicide » [6]. L’abbé est certainement lecteur de « La Croix de l’Allier » qui multiplie les attaques et alimente la haine. Le 16 janvier 1898, ce quotidien n’hésite pas à titrer « Sales Juifs » !
Au-delà de la dimension idéologique, je vais essayer de vérifier l’authenticité du propos : l’irruption d’un mouton noir dans le blanc troupeau pastoral ?
Je balaie vite l’hypothèse d’Isaac Rousseau, père de Jean-Jacques. Certes contemporain [1672-1747] mais qui ne s’est guère éloigné de Genève, sa terre natale et au surplus protestant revendiqué.
L’idée de tamiser les registres paroissiaux sur plusieurs décennies « après 1700 » ne me sourit guère. L’ancêtre Rousseau étant sans doute unique à Ferrières, je vais tenter d’intercepter l’un de ses descendants en sondant les premières tables décennales, puis de remonter la lignée.
Opération réussie ! Après un cheminement parfois laborieux, je peux mettre l’œil sur le mariage d’Isaac, le 21 février 1735.
Hélas, la déception accompagne la découverte.
Si l’Identité de l’épouse est livrée : Françoise Chabros [Chabrol], fille de François et Marguerite Dumas, du bourg de Ferrières, je ne peux déchiffrer entièrement celle de l’époux.
Certes je peux décrypter (!) son prénom, relever qu’il est fils de feu Pierre et défuncte Antoine[tte] [ . . .], masson de son état, mais son origine géographique reste mystérieuse : de la province de la ??, paroisse de faure ??
Une nouvelle démarche auprès du service des Archives départementales de l’Allier, va me permettre de lever le voile. J’ai accès à un acte parfaitement numérisé.
Isaac est natif de la Province de la Marche, [département de la Creuse aujourd’hui], immémoriale terre de maçons aux compétences si réputées et recherchées ! Lui-même maître-maçon a-t-il été appelé pour restaurer l’église qui recevra son clocher quelques années après ?
Après quelques tâtonnements, je peux le loger !
« Bon catholique » : il a été baptisé, le 27 mai 1707, non pas à Faure, toponyme inexistant, il fallait lire : paroisse de . . . Faux [-la-Montagne]. Il doit son prénom à Isaac Carty, son parrain [7].
Je suis au terme de mon enquête lorsqu’une dernière approche attentive de la lignée Rousseau m’amène à découvrir un « apparentement terrible » [8]... et réjouissant !
Dans la rubrique du site internet municipal « Ces Farrérauds mémorables », aux côtés de l’abbé Perrot, est salué Jules Jean-Baptiste Rousseau, né à Ferrières le 10 juin 1905 : c’est un descendant direct d’Isaac !
Les qualités humaines de cet homme, pharmacien dans le bourg, se révèlent au cours de la seconde guerre mondiale. Élu maire en 1947, reconnu excellent gestionnaire, il le restera jusqu’en 1989.
Ainsi dans l’hommage des actuels Farrérauds, sont réunis les deux protagonistes de cette histoire.
Requiescant in pace !!
Sources :
Abbé Louis Perrot. Journal de la paroisse de Ferrières.
Thierry Sabot - Contexte. Editions Thisa.
Service des Archives départementales de l’Allier :
- Pierre Encise. Ferrières à Vol d’Oiseau. Annales bourbonnaises.
- Etat-civil. B.M.S. N.M.D. Ferrières-sur-Sichon.
- Presse.
Service des Archives départementales de la Creuse :
- Etat-civil. B.M.S. Faux-la-Montagne.
Gallica – B.n.F. :
- Retronews - L’Affaire Dreyfus à la une.