Henri Reymond, le 1er « Mort pour la France » de Saint-Clair-du-Rhône.
Le 29 juillet 1884, en mairie de Collonges au Mont d’Or Nicolas Reymond, « employé au chemin de fer » de vingt sept ans, « demeurant audit Collonges, hameau de la Pelonnière » vient déclarer la naissance de son garçon né la veille, 28 juillet « à huit heures du soir, dans son dit domicile, de lui déclarant et de dame Grange Marie, son épouse, âgée de vingt six ans, couturière » Nicolas déclare « vouloir lui donner les prénoms de Henri-Marius ».
Sont présents François Cellard, 37 ans, Chef de gare à Collonges et Alexis Glatoud, 26 ans, cordonnier à Collonges [2].
En 1886, dans le recensement de la « population éparse » de Collonges au Mont d’Or, la petite famille Reymond est toujours à la Pelonnière… mais dans celui de 1891, elle n’y est plus !
Entretemps, au gré d’une mutation professionnelle, la famille s’est installée aux Roches de Condrieu, au sud de Vienne (Isère). C’est là que naît leur deuxième garçon. Le 21 janvier 1891, en mairie « est comparu Nicolas Reymond, âgé de trente trois ans, employé au chemin de fer ». Il déclare la naissance de Léon Joseph, la veille à dix heures du soir.
En fait, l’affectation aux Roches ne doit rien au hasard : c’est une façon pratique de se rapprocher de leurs familles. Nicolas est né en 1857 à Reventin, à quelques kms, et Marie sa femme est née en 1858 à Chonas, tout à côté ! Ils se sont mariés à Chonas le 2 juin 1883.
Dans le recensement de 1896, à Saint Clair du Rhône, au quartier de Champagnolle (limitrophe des Roches) est recensée la famille Reymond : Henri Grange, 67 ans, le beau-père de Nicolas Reymond, et Jules Reymond, 25 ans, le frère de Nicolas, partagent leur logis.
Dans le recensement de 1901 des Roches « rue du Péage » sont notés Nicolas Raymond « chef de ménage, employé au P.L.M », son épouse Marie Grange « épicière », Henri, 17 ans, leur fils « ouvrier en sparterie » chez Mr Chamouton, et le petit Léon, 10 ans. Henri Grange est toujours avec eux mais plus Jules.
En 1904, Henri Reymond a vingt ans, il est recensé. Comme son père, il est « employé au P.L.M » : « Cheveux et sourcils châtain foncé, yeux gris bleu, front ordinaire, nez long, bouche moyenne, menton rond, visage plein », il mesure 1 mètre 59 et est déclaré « Bon pour le service ».
Incorporé au 4e Zouaves
« Incorporé le 12 octobre 1905, N° Matricule 12326, arrivé au corps et soldat de 2e classe le 14 octobre 1905. Envoyé en congé le 28 septembre 1907. Certificat de bonne conduite accordé. Campagnes en Tunisie du 14 octobre 1905 au 28 septembre 1907. Passé dans la réserve le l’armée active le 1er octobre 1908 »
Jeune marié
En fin d’année 1909, le 11 décembre, « Mr Reymond Henri Marius, cultivateur domicilié aux Roches de Condrieu » , se marie à Condrieu, juste de l’autre côté du pont sur le Rhône. Il épouse Marie Antoinette Chevalier « sans profession, domiciliée à Condrieu, lieu de Mirebaudy, où elle est née le dix novembre mil huit quatre vingt trois ». Elle vient d’avoir 26 ans, elle est la fille de Jean Baptiste Chevalier et d’Eugénie Reynaud (sa mère est morte le 27 décembre 1892).
Août 1914 : la guerre est déclarée !
La plupart des hommes des Roches et de Saint Clair sont mobilisés. Beaucoup rejoignent les rangs des 99e et 299e régiments d’infanterie.
Le 299e Régiment d’Infanterie de réserve commença sa mobilisation le 3 août 1914 à Sainte-Colombe-lès-Vienne. Il était composé en grande partie d’hommes du Lyonnais et du Dauphiné, et fut placé sous le commandement du Colonel Petitjean [3].
Le plan de concentration l’affectait à la défense de la frontière Italienne.../... Le 7 août, le 299e embarqué en deux trains, était dirigé sur la région de Chambéry et cantonnait le 9 et le 10 à Montmélian, la Chavanne et Planaise.
Le 11, le Régiment remontait légèrement la vallée de l’Isère et s’installait à Coise, Longemale, Chateauneuf, Mal taverne et Poncim. Le séjour dans ces villages se prolongea jusqu’au 19 et fut consacré à l’entraînement et à la reprise de l’instruction militaire des réservistes.
Mais lorsque l’Italie eut affirmé sa volonté de rester neutre dans le conflit, le Haut Commandement retira les troupes des Alpes pour les diriger sur le front Nord-Est où les appelait la bataille des frontières. Le 20 août le 299e quittait la Savoie, embarqué à destination de Besançon [4].
Le 26 (août 1914) au matin, la 148e Brigade se porte sur Borville ; le 333e et le 299e s’engagent dans la direction de Remenonville. Le Régiment reçoit là le baptême du feu ; les premiers obus à mélinite tombent, mais sans enrayer la progression et la brigade réussit à pénétrer dans le village.
Une accalmie permet de regrouper les éléments mélangés, puis le groupe du Commandant Colombani reprend la progression, mais se trouve bientôt arrêté par le feu.
A la nuit tombante, l’assaut est tenté avec l’aide de nouvelles unités, mais ne réussit pas. Les troupes stationnent à hauteur de la côte 285 à l’est du chemin Remenonville Gerbeviller. Il est indispensable de reformer les éléments des trois régiments confondus au cours de l’action, mais cette opération est rendue difficile par la pluie, la nuit et la proximité de l’ennemi.
Eugène Côte et Louis Dessemond, deux Rochelois du 299e, sont tués le 26 août 1914 à Remonoville (Meurthe et Moselle) |
Le lendemain, malgré la résistance des Allemands, le 299e marche dans la direction de Gerbeviller, et le 28 il franchit la Mortagne. Immédiatement après le passage, le 6e Bataillon se déploie et gagne la côte 282. Le feu ennemi est intense, la lutte est âpre contre les puissantes lignes organisées allemandes. Cependant nous réussissons à nous établir fortement sur les pentes au nord de la rivière. L’avance a été pénible et les pertes sensibles, mais l’ennemi a subi un véritable échec.
Le 29 le brouillard est trop épais, pour qu’on puisse tenter quoi que ce soit : ce n’est que le 30, au lever du jour, que le Régiment en liaison avec les autres unités de la 74e D. I. attaque les tranchées du bois du Haut de la Paxe..
Les bois du Haut de la Paxe
- Journal de Marche et Opérations du 299e Régiment d’Infanterie (26 N 744/1)
« Les Allemands ont occupé Gerbéviller pendant le reste de la semaine. C’est le dimanche 30 août qu’eut lieu ce duel dont tant de sépultures attestent l’implacable acharnement. Entre Gerbéviller et Moyen, l’ancienne route soulève et laisse retomber mollement son ruban grisâtre. Des talus, ici, la surplombent, non loin de la brasserie Noël ; là deux pépinières de bouleaux la bordent de chaque côté ; plus loin, à gauche, un hagis [5] précède les bois du Haut de la Paxe dont la lisière s’étend parallèlement sur une distance d’environ un kilomètre. Vers la droite, les souples ondulations du terrain s’arrondissent en trois croupes successives qui descendent vers la Mortagne et sont sillonnées par les caprices de la nouvelle route. Le paysage annonce déjà les Vosges toutes proches. A l’ouest, les crêtes couronnées de forêts découpent leurs lignes sèches sur l’horizon. Une buée estompe la vallée, adoucit les reliefs, lave d’une teinte d’aquarelle le décor empli maintenant de clameurs et de râles, de triomphe et d’agonies, d’un immense tumulte d’uniformes où frémit le vol des drapeaux. Là-bas, Gerbéviller apparaît dans la lumière dorée à travers l’exaltation des enthousiasmes comme le but de tant de sacrifices. Le clocher déchiquette sa dentelle de granit rougeâtre ; la chapelle rapproche davantage ses deux tours trapues ; la note écarlate des toits s’est effacée. Une fumée âcre monte vers le ciel sans nuages. Le village achève de se consumer ; et c’est pour venger l’exécrable attentat que tant de héros gravissent le plateau fatal » [6] |
- Le bois du Haut de la Paxe
Au pied des pentes, face à l’objectif, les bataillons marchent dans le brouillard jusqu’à 300 mètres environ des lignes ennemies. Là il faut s’arrêter. Une fusillade intense, à laquelle succède un feu d’artillerie prend le régiment en écharpe. Les pertes sont sérieuses [7].
- Etat des pertes du 299e RI
- Journal de Marche et Opérations du 299e Régiment d’Infanterie (26 N 744/1)
- Dans la très longue liste des morts, à la date du 30 août, est noté le nom de Reymond Henri, avec écrit en observation : "décès notifié par dépôt. Identifié à Moyen"
.../... Il faut se replier sur le Viaduc ; là, les fractions se reconstituent et un combat acharné se poursuit jusqu’à la nuit. Le but de l’ennemi était de rejeter nos troupes au-delà de la Mortagne. Mais la défense tenace de la division rendit vains les efforts allemands.L’interdiction à l’ennemi de cette importante position fut un brillant succès, et le nom de la Mortagne demeure depuis ce jour un des titres de gloire du 299e. [8].
Le récit d’un témoin
« On reconstitue aisément les phases de la terrible lutte ; on distingue l’acheminement par bonds des masses d’infanterie qui escaladent ce plateau, les officiers à vingt pas en avant.
A mesure qu’ils surgissent, les mitrailleuses boches moissonnent les képis, en couvrent le sol comme d’une jonchée de coquelicots. Derrière les rangs abattus, d’autres débouchent, auxquels, sans répit, un tragique coup de faux réserve le même destin. Nos fantassins s’écroulent la face centre terre, gardant leur alignement dans la mort tombés sur leurs flingots dont l’inutile baïonnette étincelle dans l’herbe.
Un radieux soleil illumine le carnage. La bataille précipite l’un après l’autre le 30e, le 222e et le 299e de ligne, plusieurs compagnies d’infanterie coloniale, livrées en pâture à l’insatiable fringale des canons.
Mais personne ne dépasse la suprême limite tracée par la route, malgré l’appui de notre artillerie qui fracasse, à cinquante mètres en avant, les tranchées ennemies.
Le souvenir des manœuvres d’automne en septembre 1909 hante notre esprit. Les partis se heurtèrent dans le même cadre. On avait quitté au jour Domèvre-sur-Vezouze et d’une traite on avait poursuivi, traqué l’adversaire sur la Meurthe traversée à Ménil-Flin, puis sur la Mortagne, malgré la rage d’une incessante canonnade.
Aujourd’hui, une progression de 60 à 200 mètres en une semaine, c’est la victoire !.../… Trois semaines après l’entrée en campagne, nous devions faire sur ce point le cruel apprentissage de la guerre telle qu’elle se déroule aujourd’hui en favorisant notre activité prudente : nos charges, notre audace impétueuse se brisaient comme les flots sur un roc à l’assaut des terriers dont la construction et l’aménagement ont de quoi stupéfier.
La trahison des feuillages épais, des remblais où s’appuyaient solidement la stabilité des mitrailleuses, guettait et frappait avec une précision mathématique l’élan de nos troupes : la machine à tuer imposait lâchement sa supériorité, la honte sournoise de sa victoire sur les vaillances de notre race » [9].
Alfred Brouchoud, des Roches de Condrieu, lui aussi du 299e RI, meurt le 30 août 1914 au Haut de la Paxe |
« N° 21 Jugement audience du six décembre mil neuf cent dix-neuf.
Vu les renseignements fournis par M. le Ministre de la Guerre le 27 juillet 1919 ; vu la requête du Procureur de la République à Vienne qui précède & les pièces qui y sont annexées & analysées ; vu les articles 89 du Code civil & la loi du 3 décembre 1915 ;
Ouï M. Rousset juge commissaire en son rapport & M. le Procureur en ses réquisitions ;
Le Tribunal, après en avoir délibéré déclare que le soldat Henri Marius Reymond, du 299e régiment d’infanterie… est décédé le 30 août 1914 à Moyen : Meurthe et Moselle. Mort pour la France.
…Transcrit sur les registres de l’état civil le vingt deux décembre dite année (1919) par nous Joseph Perret maire de la commune de St Clair-du Rhône ».
Henri Reymond repose dans l’ossuaire N°1 de la nécropole nationale de Gerbeviller.
Au cimetière des Roches de Condrieu, sur la tombe des familles Reymond-Gonty, il est écrit "A la mémoire de Henri Reymond, mort pour la France, 30-8-1914, 30 ans" [10]
Sur les combats du 30 août, voir également : "Retrouver le soldat Ducrot"