C’est l’explorateur Samuel de Champlain qui relève, pour la première fois, l’existence de la rivière Gatineau dans son journal à la date du 4 juin 1613, mais il ne lui donne pas de nom :
[...] nous passâmes proche d’vne autre riuiere qui vient du Nord, où se tiennent des peuples appelés Algoumequins [...] Et quelquefois, ces peuples passent par cette riuiere pour éviter les rencontres de leurs ennemis, sçachant qu’ils ne les recherchent en lieux de si difficile accés. [...] À l’embouchure d’icelle il y en a vne autre qui vient du Sud...
Bien que de nombreux autres coureurs de bois et explorateurs aient sillonné la rivière des Outaouais au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, aucun de ceux qui ont écrit une relation de leurs voyages ne semble avoir signalé le nom de la rivière Gatineau. Pourtant, les rivières du Lièvre et Rideau ont été tôt connues sous leur toponyme actuel. Est-ce à dire que la rivière Gatineau est restée sans nom durant deux siècles ou plus ? Cela est pour le moins invraisemblable, puisque notre coin de pays était occupé par les Amérindiens de la nation algonquine bien avant l’arrivée des Européens. Les Algonquins devaient donc avoir un nom pour la rivière Gatineau comme ils en avaient un pour celle des Outaouais qu’ils appelaient Kichesipi, c’est-à-dire grande rivière.
Le nom Gatineau apparaît pour la première fois au Québec en 1648 quand le soldat Nicolas Gastineau (Paris 1627-Québec 1689) s’établit en Nouvelle-France. Originaire de la paroisse Saint-Eustache, à Paris, Gastineau possédait une bonne instruction et devient, en 1650, commis de la traite des fourrures de la compagnie des Cent-Associés aux Trois-Rivières. Ayant plus d’une corde à son arc, il occupera le poste de greffier et de tabellion, aux Trois-Rivières, avant de devenir juge-prévôt et marchand de fourrures au Cap-de-la-Madeleine. Nicolas Gastineau a-t-il parcouru la rivière Gatineau ? Cela est possible. Mais selon l’historien Raymond Douville, qui a potassé les minutiers des notaires de Trois-Rivières du régime français, deux des fils de Nicolas Gastineau, Jean-Baptiste ( ? 1671-Trois-Rivières 1750) et Louis (Cap-de-la-Madeleine 1674-Trois-Rivières 1750), avaient établi un poste de traite de fourrures ou du moins un relais sur la pointe située à l’embouchure de la rivière Gatineau dans le dernier tiers du XVIIe siècle.
Quand l’explorateur britannique Alexander Henry s’aventure sur la rivière des Outaouais en 1761, il passe totalement sous silence l’existence de la rivière Gatineau alors qu’il remarque celle du Lièvre, ce qui semble suggérer que sur les rives de la première il n’y avait aucun vestige d’un ancien poste de traite.
En 1783, le lieutenant britannique David Jones désigne la rivière Gatineau sous la forme de River Lettinoe dans un rapport qu’il adresse au gouverneur Haldimand. Et quand l’arpenteur canadien Joseph Bouchette fait la description topographique de la région en 1815, il signale la rivière sous le toponyme de Gatineau. Plus tard, en 1831, le lieutenant-colonel John By (fondateur de Bytown devenu Ottawa) dresse un plan du canal Rideau sur lequel la rivière est appelée Gatteno alors que « R. Gatineau » apparaît sur les cartes de William Henderson (1831) et Thomas Devine (1861). Dans une lettre qu’il écrit à M. Patrick Phelan le 22 mai 1838, Mgr Lartigue, évêque de Montréal, reprend le toponyme Gatineau.
Peut-on conclure que les Gastineau sont à l’origine du nom de la rivière qui coule dans notre ville ? Cela n’est pas assuré. Il se pourrait bien que le toponyme Gatineau ne soit qu’une forme évoluée d’un nom amérindien. En effet, dans sa Relation des traverses et avantures d’un marchand voyageur dans les terrytoires sauvages de l’Amérique septentrionale, parti de Montréal le 28e de mai 1783, écrite en 1830, le coureur des bois Jean-Baptiste Perrault montre la rivière Gatineau sur deux cartes dessinées de sa main. Sur la première, la rivière porte le nom de Nàgàtinong, et sur la seconde, celui de Agatinung. Ce sont là deux toponymes à consonance amérindienne dont la prononciation se rapproche singulièrement du nom Gatineau une fois la première syllabe éliminée : gàtinong et gatinung. Mais comme les langues ont la faculté de s’interpénétrer, on ne saurait dire, à coup sûr, laquelle a influencé l’autre dans le cas présent.
Après la rivière, c’est un petit village qui s’approprie le nom de Gatineau. Ce lieu, situé à l’embouchure de la rivière du même nom, reçoit d’abord le nom de Long Point Range, mais on l’appelle le plus souvent Long Point de la rivière Gatineau qui, raccourcit devient Pointe de la Gatineau puis Pointe à Gatineau et enfin Pointe-Gatineau vers 1838. Toutefois, les anglophones appellent ce lieu Templeton puis Waterloo. C’est de cet endroit qu’est parti, en 1806, le premier train de bois à destination de Québec, baptisé Columbo. Les premiers Pointes-Gatinois ont d’abord vécu de l’industrie du bois, et comme les habitants de Bytown (aujourd’hui Ottawa), ces hommes de chantier n’avaient pas tout à fait des mœurs d’enfant de chœur. Son premier habitant permanent semble avoir été Pierre Papin (1830), mécanicien à bord des vapeurs qui naviguaient sur l’Outaouais.
Pointe-Gatineau devient paroisse en 1840 ; le village n’est toutefois officiellement fondé qu’en février 1876 quand il se détache de la municipalité rurale de Templeton.
L’autre agglomération qui prendra par la suite le nom de la rivière Gatineau est le village de Gatineau erronément appelé Gatineau Mills. En 1926, la Canadian International Paper (CIP) s’établit dans le canton de Templeton-Ouest sur les terres des familles Berlinguette, Dupras, Davidson, Monette, etc. et construit une papeterie au coût de 26 millions de dollars. L’usine entre en production le 6 avril 1927, un an après le début des travaux de construction. La même année, une autre entreprise s’installe dans le canton : la International Fibre Board Limited. La CIP construit des habitations pour ses employés de sorte qu’un village prend forme pour se détacher de la municipalité de Templeton-Ouest le 18 novembre 1933. Il prend alors le nom de « municipalité du village de Gatineau ».
En 1974, le ministre des Affaires municipales sanctionne le projet de loi 98 qui fusionne, le 1er janvier 1975 les villes et municipalités de Gatineau, Pointe-Gatineau, Touraine, Templeton, Templeton-Est, Templeton-Ouest. Des quatre choix proposés comme nom de la nouvelle ville (Gatineau, Touraine, Carrefour et La Vérendrye) celui de Gatineau l’emporte avec 75 pour 100 des votes.
Et en 2002, les villes d’Aylmer, Buckingham, Hull, Gatineau et Masson-Angers sont fusionnées pour former la nouvelle ville de Gatineau où le principal employeur est le gouvernement fédéral bien que la nouvelle municipalité compte pas moins de cinq usines de pâtes et papier.
Aujourd’hui, le toponyme Gatineau désigne une rivière, une ville, un comté et un parc.
Sources :
- ANQ, correspondance de Mgr Jean-Jacques Lartigue, évêque de Montréal.
- BARBEZIEUX, Alexis, Histoire de la Vallée de l’Ottawa, Ottawa, 1898.
- CHAMPLAIN, Samuel de, Les voyages du sievr de Champlain, xaintongeois, capitaine ordinaire pour le Roy en la marine, Paris, Jean Berjon, 1613.
- CORMIER, Louis-P., Jean-Baptiste Perrault marchand voyageur parti de Montréal le 28e de mai 1783, Montréal, éd. du Boréal Express, 1978.
- DOUVILLE, Raymond, De Nicolas Gastineau sieur Du Plessis à Maurice Le Noblet Duplessis, in « Les Cahiers des dix », Québec, 1974.
- DUNN, Guillaume, Les forts de l’Outaouais, Hull, éd. du Jour, 1975.
- GAFFIELD, C. et al., Histoire de l’Outaouais, Montréal, IQRC, 1994.
Noms et lieux du Québec, Commission de toponymie, Gouvernement du Québec, 1996. - SULTE, Benjamin, Gatineau : la rivière et la famille, in « Asticou » no 28, juillet 1983, Société d’histoire de l’Ouest du Québec.