Tous les livres et les témoignages sur la Guerre de 1914-1918 sont unanimes pour reconnaître la fougue, le courage des soldats, leur héroïsme. Ceci est dû en grande partie à leur jeune âge.
Peu de hauts gradés se battent sur le Front, mais surtout des engagés volontaires. La plupart des soldats est formée de vrais patriotes partis pour la liberté de la France, pour la reconquête des terres perdues en 1870.
D’autres, par contre, sont dans les tranchées sans avoir encore très bien compris ce qui leur arrive, tel ce jeune étudiant, commandant d’artillerie qui, profitant des accalmies, prépare son diplôme d’ingénieur et qui, un jour de défaite, crie à ses hommes "le sauve qui peut".
Ceux-là partent à l’attaque quand on l’ordonne mais le moral est bien bas. Ainsi et peu de livres le relatent, il leur faut avaler une rasade de rhum pour "y aller". De même, pour soutenir le moral des troupes, les chefs organisent un roulement entre les hommes en position sur le Front et ceux qui sont légèrement en arrière des lignes.
Pour tous, la vie est insoutenable, les tranchées sont des tombeaux. Pour dormir, ils étendent leur capote sur la boue et tentent de se reposer ainsi par tous les temps. Parfois, des cigarettes leur parviennent.
Le plus dur est d’attendre le moment de l’attaque dont l’heure demeure secrète bien que le bruit de son imminence court depuis un ou deux jours.
Les familles, les civils ignorent quasiment ces souffrances car les soldats ont une permission tous les six mois et les lettres sont soumises à la censure en prévention contre l’espionnage.En effet, celui-ci est intense et l’espionnage allemand s’est exercé bien avant la guerre.
Mon grand-oncle Ferdinand Angousture qui avait étudié l’allemand au lycée Ampère de Lyon, avait eu pendant ses études un jeune correspondant et avait séjourné chez ce dernier, en Westphalie en 1913. L’aversion des Allemands pour la France et même leur méchanceté envers les Français l’avaient frappé, d’autant qu’il avait fréquenté un milieu évolué puisque son correspondant était le fils d’un des douze conseillers du Kaiser Guillaume II.
Ferdinand avait relaté à sa famille une conversation qu’il avait eu avec un colonel où il était question de trois zeppelins qui avaient survolés la France et s’étaient écrasés. La conversation s’était envenimée et l’on avait parlé avec vigueur de l’Alsace-Lorraine.
Mon arrière-grand-père, Emile Angousture, pharmacien à Lyon, est mobilisé pendant la guerre à l’hôpital de Barcelonnette.
Un jour, il est chargé d’accompagner des prisonniers allemands blessés au Fort de Tournoux, non loin de là. Quelle n’est pas sa surprise d’entendre ces officiers parler avec exactitude du lieu où ils sont et d’indiquer le chemin à prendre pour aller au fort. Mon arrière-grand-père leur demande comment ils le connaissent et pourquoi ils sont certains de ne pas avoir été détournés de la bonne route. Un officier lui réplique que les arbres avaient été marqués bien avant la guerre.
La vie des civils est de plus en plus difficile avec la durée de la guerre. Les hommes âgés sont mobilisés, les jeunes sont à la guerre, alors les femmes se mettent au travail. A la campagne, les paysannes et les enfants habitués au travail de la terre vivent décemment, mais en ville, seules les femmes robustes prennent la relève des hommes dans les usines car il s’agit principalement de travaux de force.
Les autres, les vieillards, les pauvres vivent de la soupe populaire et du peu de charbon qui leur est donné gratuitement. Quant aux classes plus aisées, elles ne ressentent pas les rigueurs de la guerre car le marché noir est encore mieux organisé qu’il ne le sera pour la prochaine guerre.
Les journaux ont des nouvelles tronquées du Front, les reportages sont donc incomplets et la population s’intéresse à la lutte des partis politiques et appelle cette guerre : "la guerre des curés". Car, c’est surtout le parti démocrate formé du clergé et de la haute société qui dirige le pays. En opposition à ce parti, s’active le parti radical avec Edouard Herriot.
Mon grand-oncle Ferdinand Angousture est engagé en juillet ou août 1917, il a eu 19 ans au mois d’avril et vient de réussir son baccalauréat.
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Il a décidé de partir avec huit de ses camarades mais est engagé avec difficulté car il ne voit presque plus d’un œil. Finalement, il réussit à l’être grâce à la protection d’un commandant. Il part pour nettoyer les tranchées à la place d’un père de famille de trois enfants. Selon lui, ce travail est atroce.
Un soir, qu’il est avec quatre ou cinq autres soldats, de garde dans la tranchée, dans une forêt de la Champagne, il entend, non loin d’eux, des allemands parler et se demander où ils se trouvent. Ferdinand qui possède bien l’allemand, leur répond. Les autres, heureux, croyant entendre des compatriotes, s’approchent sans prendre garde et sont faits prisonniers. Les Allemands sont dix contre cinq ou six Français.
Au cours d’une attaque, il s’écroule pris d’une crise d’appendicite. Son chef le fait reculer vers les ambulances, à l’arrière, avec un camarade atteint aux jambes. Ainsi, tous les deux, sans aide, partent sous la mitraille. La nuit est d’un noir dense, seulement éclairée par le sillage des obus. Un obus explose à côté d’eux. « Hé bien ! Il n’est pas passé loin, celui-là » crie Ferdinand à son camarade qu’il soutient. Mais ce dernier ne répond pas et s’effondre. Ferdinand veut le redresser et dans la nuit dense, pour savoir ce qu’il a, lui passe une main sur le visage. Sous ses doigts, il sent que la calotte crânienne a disparu, enlevée par un éclat d’obus. Hébété par le bruit, il laisse là son camarade pour avertir un brancardier.
Lors de la bataille de la Malmaison, Ferdinand est agent de liaison entre le 28e bataillon de Chasseurs Alpins auquel il est affecté et le 283e Régiment d’Infanterie. Ce jour-là, durant toute l’attaque, il traverse le front de part en part pour porter les ordres et s’en sort sain et sauf.
Le soir, alors que le calme semble revenu, il se tient devant le commandement avec les officiers et le colonel du 283e R.I. Celui-ci lui demande d’attendre une accalmie pour rejoindre son bataillon, lorsqu’un éclat d’obus vient le frapper à la tempe. Il a dix-neuf ans et demi, ce 23 octobre 1917. Il est inhumé à côté de la tranchée du Cuivre, près du poste de commandement. Il était sorti indemne de combats terribles. Du 28e bataillon, il ne reste plus que quinze hommes.
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Le 17 novembre seulement, son père reçoit la visite d’un émissaire du maire de Lyon lui annonçant la mort de son fils et le don de la France de 1 000 francs pour les funérailles.
Le 15 juillet 1918, le Général Brissaud-Desmaillet, commandant la 66e division, cite le Chasseur Angousture Ferdinand à l’Ordre de la Division.
- Extrait de la citation à l’ordre de la division n° 707 du 23 novembre 1917
Par arrêté ministériel du 22 avril 1920, publié au Journal Officiel le 22 septembre 1920, la Médaille Militaire est attribuée à la mémoire du Chasseur Angousture Ferdinand.
Entre temps ses parents sont morts de chagrin, son père le 15 mai 1918 à 51 ans, sa mère le 21 mai 1920 à 48 ans. De lui, il ne reste que son nom gravé sur le monument aux Morts du lycée Ampère de Lyon. [3]
Les nettoyeurs de tranchées
En janvier 2008, vous aviez fait paraître les souvenirs de ma grand-mère sur la première Guerre Mondiale et son frère Ferdinand Angousture, engagé volontaire à 19 ans, que j’avais rédigés en 1966 pour un devoir d’histoire au collège. J’avais repris le texte d’origine en corrigeant quelques maladresses d’écriture et avais eu le tort de ne pas m’interroger sur le fond.
En ce centenaire de 1914, je parlais récemment de ce souvenir avec un ami professeur d’histoire lequel m’ouvrit les yeux sur le « nettoyage des tranchées ». Ma grand-mère disait avec innocence que son frère s’était engagé pour nettoyer les tranchées, ce qui dans son esprit avait un sens bienveillant qu’elle devait assimiler au confort des soldats. A chaque permission, il disait que ce travail était atroce, mais jamais, elle n’avait su l’horreur que cela signifie. L’histoire officielle n’en parle quasiment pas.
Les nettoyeurs de tranchées formaient une seconde vague d’assaut qui devait neutraliser les poches de résistance ennemie en capturant des prisonniers, en récupérant du matériel, des informations (Ferdinand parlait couramment l’allemand) et, le pire, en s’engageant au corps à corps après avoir lancé des grenades si les combattants adverses survivants résistaient. Le nettoyage de tranchées s’intensifia à partir de 1917 pour garantir à la première vague d’assaut qu’il ne restait pas de combattants ennemis derrière elle. Les nettoyeurs avaient une formation spécialisée, ils étaient équipés de grenades, d’armes à feu pour tuer avec « honneur » l’ennemi, mais, en fait, ils possédaient aussi des couteaux pour se défendre et tuer. Pour « y aller » Ferdinand racontait qu’ils avaient droit à une rasade d’alcool (rhum ou gnôle). Moi, je croyais que c’était pour avoir le courage de sortir de la tranchée et partir le fusil en avant face aux obus et aux lignes ennemies !
Ferdinand avait réussit son baccalauréat et se destinait à des études de pharmacie pour seconder son père pharmacien à la Croix-Rousse à Lyon puis, lui succéder. Il avait été élevé avec droiture dans une famille où l’empathie existait fortement car son père soignait souvent gratuitement les canuts les plus pauvres.
Quelle haine, quelle propagande ont-elle conduit ce jeune homme à être volontaire pour tuer au corps à corps d’autres hommes ?
Je le sais, je raisonne en 2014 confortablement installée devant mon ordinateur dans un pays en paix. Depuis mon enfance personne ne me rabâche qu’il faut reprendre l’Alsace et la Lorraine. Lorsqu’il s’était engagé, s’avait-il ce qu’il aurait à faire ? Le gouvernement et l’armée censuraient le courrier et les journaux mais il partait pourtant bien pour nettoyer les tranchés à la place d’un père de famille de trois enfants.
Il fut tué à Pargny-Filain le 23 octobre 1917 et ses parents en moururent de chagrin, son père le 15 mai 1918 à 51 ans, sa mère le 21 mai 1920 à 48 ans. C’est ainsi que le relatait sa sœur.
Autre question iconoclaste : son père pharmacien ne s’est-il pas suicidé ? Il en avait les moyens. Je sais que sa mère est morte d’une péritonite.
Je pense maintenant à sa sœur, ma grand-mère, avec son éducation bourgeoise qui interdisait aux jeunes filles l’accès aux réalités de la vie et de la société. Elle a perdu son fiancé en 1916 (je l’ai su par hasard, elle n’en parlait jamais), puis son frère et ses parents et fut seule à 25 ans. Elle n’avait sans doute pas assez de valeur aux yeux de son père pour le retenir.
Pour la vérité et après mure réflexion, il est indispensable pour moi que je vous communique ces réflexions.
Sur les "nettoyeurs de tranchées", lire l’ouvrage de Claude Secondi :
Il était nettoyeur de tranchées en 1917
voir aussi les échanges des passionnés du Forum Pages 14-18 :
http://pages14-18.mesdiscussions.net/forum1.php?config=pages1418.inc&cat=3&post_cat_list=|3*pages1418|5*pages1418|23*pages1418|10*pages1418|18*pages1418|7*pages1418|1*pages1418|&trash=0&orderSearch=1&recherches=1&resSearch=200&jour=0&mois=0&annee=0&titre=3&search=NETTOYEUR+TRANCHEES&pseud=&daterange=2&searchtype=1&searchall=1
notamment celles-ci : http://pages14-18.mesdiscussions.net/pages1418/forum-pages-histoire/nettoyeurs-tranchees-sujet_1971_1.htm
Ce n’est pas le côté le "plus reluisant" de la Grande Guerre.... mais c’est de l’histoire réelle, loin des poncifs lus dans la presse d’alors, et dans celle d’aujourd’hui !