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Et si l’histoire du moulin de Pothières (Côte d’Or) nous était contée par ce moulin lui même ?…

Le vendredi 22 novembre 2024, par Claude Thoret

Il nous est probablement arrivé à tous, devant une vieille demeure ou en la visitant, de nous dire : « Si les murs avaient des yeux et des oreilles, ils pourraient nous en raconter des choses... ». Nous allons donc imaginer les murs du moulin de Pothières, en Côte d’or, dotés de la vue, de l’ouïe et de la parole. Découvrons donc ce que ce moulin pourrait nous raconter sur son histoire.

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Le moulin de Pothières au XXIe siècle.

« Je me présente, je suis le moulin de Pothières, du nom du village situé en Bourgogne du nord, dans le châtillonnais à une dizaine de kilomètres au nord-ouest de Châtillon-sur-seine. Ce village se situe sur le versant ouest de la vallée de la Seine entre Châtillon-sur-seine et Bar-sur-seine.

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Vue aérienne de Pothières, situation du moulin par rapport au village.

Je suis un moulin dit ‘à l’anglaise’ résultant de la transformation, au milieu du XIXe siècle, de l’ancien moulin tout en conservant les ouvrages hydrauliques de ce dernier (déversoir, bief, vanne de décharge).

Actuellement je suis une résidence privée qui fait à l’occasion office de relais de chasse. Mais je fus exploité jusqu’au tout début du XXIe siècle.

Mon histoire sous l’ancien régime

Mes transformations avec le temps

C’est au IXe siècle que Girart de Roussillon fonda une abbaye à Pothières, dédiée à St Pierre et St Paul et habitée par des moines bénédictins. Il la plaça sous l’autorité directe du Saint-Siège et en fit la propriété exclusive de la papauté.

C’est donc à cette époque que je fus construit, à proximité du monastère. En ce temps là j’étais une construction en bois. Le monastère étant à l’écart de la Seine, les moines creusèrent une dérivation qui passait ( et passe toujours) par l’abbaye pour rejoindre la rivière en aval du village. C’est sur cette dérivation qu’on appela ‘la petite Seine’ que je fus érigé. J’étais un moulin à blé.

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Après de multiples attaques et destructions par les seigneurs avoisinants et les évêques de Langres, l’abbaye eut droit, au XIIIe siècle, à une ample reconstruction avec en outre l’édification d’une muraille de fermeture. Moi, toujours au même endroit, maintenant hors des murailles, je fus transformé en bâtiment de pierres.

Ma nouvelle apparence n’avait rien de différent des autres maisons du village. Les murs étaient de pierres blanches et gélives venant du versant ouest de la vallée de la Seine que l’on nomme familièrement ’La montagne’. Les ouvertures étaient assez étroites. Il n’y avait pas d’étage, seul un semblant de grenier au dessus. Le toit, lui, était de lave.

L’intérieur était séparé en deux parties, le logement et la meunerie. Le premier déte­nait une cheminée avec son âtre. C’était la pièce à vivre du meunier et de sa famille. La seconde abritait tout le matériel de meunerie ; les meules, l’auget, le frayon, etc...

Jusqu’à la moitié du XVIIIe siècle je produisais de la farine de blé. A la fin du XVéme siècle fut construit, à proximité de mon bâtiment, un moulin à scie avec un atelier de charpenterie.

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Principe du moulin à scie.

Ce moulin permettait de scier de gros troncs afin de produire, uniquement, le bois nécessaire à la réfection des différentes pièces constituant mon mécanisme de meunerie à blé, celui du moulin à scie et naturellement les deux roues.

A partir de la deuxième moitié du XVIIe siècle furent construites, à proximité du moulin à scie, une forge et une ‘batture à fer’.

A la deuxième moitié du XVIIIéme siècle, je fus transformé en moulin à huile (de navette) avec l’agrandissement de mon bâtiment pour augmenter la partie logement et installer une huilerie. Le moulin à scie qui devenait de plus en plus vétuste fut détruit, mais le bâtiment de charpenterie, lui, fut conservé. La forge et la ‘batture à fer’ furent, elles aussi, abandonnées.

Voici à quoi je ressemblais à la fin du XVIIIe siècle, à la veille de la Révolution :

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Le bâtiment était divisé en deux parties, la partie logement et le partie ‘usine’. La première s’élevait sur deux étages. Au rez-de-chaussée on trouvait deux pièces : la première, une chambre à feu (avec cheminée) faisant office de cuisine et dotée de deux entrées, l’une sur la cour, l’autre communicant avec la seconde pièce, plus grande, servant de chambre au quotidien et de salle à manger le dimanche et les jours de fête. Un escalier fermé, comme souvent en Bourgogne du Nord, partant de la cuisine et permettant d’accéder au premier étage. Où l’on trouvait deux chambres dont l’une avec feu. Enfin le dernier étage était constitué par un grenier.

La deuxième partie comprenait une salle de meunerie avec son mécanisme, une huilerie avec sa presse et son four et une boutique de charpentier bien outillée.

Dans le prolongement du bâtiment, se trouvait un jardin potager, ainsi qu’une cour entourée de dépendances dont un fenil et une écurie. Le bief, le sous-bief et le déversoir entouraient un "îlot" (B) constitué d’un pré et d’un deuxième jardin potager.

Pour bien comprendre les choses, voyons le fonctionnement du mécanisme de la meunerie et la réalisation de l’huile.

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Les sacs de grains de navette, sont versés dans la trémie (18). les grains se placent entre la meule tournante (11) et la meule dormante (10)par l’intermédiaire de l’auget
(16) et du frayon (13). Il en résulte une pâte qui est recueillie dans l’auge (19).

Cette pâte est transportée dans l’huilerie où elle est chauffée dans un four, pour la durcir, afin qu’elle puisse être pressée par une presse à vis, pour en extraire l’huile. Cette huile était généralement utilisée pour alimenter les lampes. Le tourteau (résidu de la presse), lui, était utilisé comme engrais ou comme nourriture pour animaux.

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Presse à vis avec des tourteaux.

Les seigneurs abbés de Pothières

Sous l’ancien régime, comme je l’ai déjà dit, j’étais un moulin banal, j’appartenais donc au seigneur Abbé du moment. Des seigneurs Abbés j’en ai eu pléthore et de tous les acabits. Jusqu’en 1493 tous les abbés étaient bénédictins. Certains se sont distingués, malheureusement en mal, comme l’abbé ARNOLD qui fut déposé au concile de Reims en 1049, d’autres en bien comme l’abbé Lambert, abbé de 1104 à 1114 qui fut élève de saint Bruno, fondateur des Chartreux. Il assista au concile de Troyes de 1104 et accompagna le pape Pascal II en 1107 dans sa visite au monastère de Bèze, lors de sa venue en France. C’était un brillant intellectuel qui mourut à un âge avancé. Il me reste en mémoire encore deux ou trois noms d’abbés comme Guy de VILLIERS (1301-1332), l’abbé HEMMO (1332-1337) ou l’abbé Jean II d’EPSONNE vers 1391.

C’est en 1493 que l’abbaye adopta la commende (action de conférer à quelqu’un un bénéfice ecclésiastique). L’abbé commendataire était désormais nommé par le roi et jouissait d’une bonne partie des revenus de l’abbaye. Par contre, le pouvoir réel était détenu par le prieur ou le cellérier (économe) qui étaient tous deux bénédictins.

Ces abbés commendataires, souvent issus de la haute aristocratie, étaient quelquefois libertins ou même athées. Cela dégradait les finances de l’abbaye, certains n’étant désireux que de s’enrichir. Ainsi les prestigieuses origines de certains abbés commendataires n’apportèrent aucun bénéfice concret à l’amélioration du sort de l’abbaye. Ce qui expliquait, en partie, son déclin jusqu’à la première moitié du XVIIIe siècle.

C’est en 1759 que fut nommé Jean-Claude, Richard de SAINT-NON comme abbé commendataire. Cet aristocrate, ancien magistrat, était lié avec les principaux philosophes et écrivains de son temps, il faisait partie de cette société de lettrés qui répandait et défendait les idées nouvelles et préparait la Révolution.

C’est sous sa ‘commende’ que d’importants travaux furent entrepris par les architectes parisiens, Chaillou et Daviler, pour restaurer la toiture du cloître, la construction du pavillon de l’abbé et le bâtiment de l’audience. En 1770, la reconstruction des anciens bâtiments monastiques fut amorcée et achevée en 1773. C’est à cette époque que je fus restauré et transformé en moulin à Huile. Ensuite, 1787 vit la construction de la maison abbatiale.

Les meuniers

Après avoir discouru sur les différents seigneurs abbés, voyons maintenant les meuniers. Il y en a eu, vous le pensez bien, une multitude. Ils étaient tous liés au seigneur abbé par un bail de 7 ou 9 ans qui stipulait précisément leurs droits et leurs devoirs.

Ils avaient deux droits principaux , celui de ‘courroie’ et celui de ‘mouture’. Le premier leur donnait le privilège exclusif de moudre le grain des habitants de toute la seigneurie de Pothières . Ce droit leur permettait de contrôler et de monopoliser la production de farine dans leur zone d’influence, leur donnant ainsi un avantage économique considérable.

Le deuxième droit était celui de ‘mouture’, c’est à dire qu’ils gardaient pour leur compte personnel le fruit de la mouture totale diminuée de celles dues au seigneur abbé, aux religieux et à la maison du garde général du seigneur abbé. Les proportions étant définies par les dits seigneurs.

Mais pour avoir ces deux droits ils devaient payer au seigneur abbé ou à son représentant une amodiation (location) qui a varié avec le temps. Au 18e siècle elle était évaluée de 300 à 400 livres par an.

En ce qui concerne les devoirs, le principal était de produire une ‘mouture’ de qualité de sorte qu’il n’y ait aucune plainte de la part des habitants. Pour cela il fallait un moulin qui meule à la perfection. Le meunier devait prendre à sa charge tout l’entretient des mécanismes, des roues (tournantes et ‘travaillantes’) et des meules, ces dernières étant fournies par le seigneur abbé. Il devait aussi maintenir en bon état les biefs, vannes et écluses.

Il me reste en mémoire quelques noms de meuniers. Ceux, bien sûr, qui m’ont amélioré ou transformé. Le premier qui me vient à l’esprit est le sieur REGNARDET qui a bâti le moulin à scie vers 1640. Ensuite, son successeur, le sieur GOSY, qui, lui, a construit la forge et la ’batture à fer’. Ont suivis le sieur GOUSY, le sieur PRIEST, plus tard, le sieur BERNARD qui m’a transformé en moulin à huile et pour finir, le sieur VIARDOT qui fut le dernier meunier amodié (locataire).

En 1791 je fus vendu, comme la plupart des dépendances appartenant aux moines, comme bien national. C’est le sieur Louis RAYMOND, habitant du village qui me racheta pour me louer à un jeune meunier, Edme Didier PROTTE, issu d’une vielle famille de meuniers originaire d’Essoyes dans l’Aube, village situé à 20km au nord de Pothières.

Le temps des meuniers-propriétaires

Mon exploitation par Edme Didier PROTTE et ses descendants (1791-1911)

Je vais être assez prolixe sur cette famille car c’est elle, sur quatre générations, qui, après plusieurs transformations, a fait de moi le bâtiment moderne que l’on peut voir actuellement.

Exploitation du moulin par le couple PROTTE-POINSOT (1791-1807)

Au printemps 1791, je vis s’installer au moulin un nouveau meunier avec sa femme et un garçon d’à peu près 3 ans, une petite fille d’environ 1 an qui, malheureusement décédera deux ans plus tard . Ce meunier s’appelait Edme-Didier PROTTE, c’était un homme d’une trentaine d’années, assez corpulent à l’allure athlétique au visage ouvert, à l’abord sympathique et au regard qui laissait deviner un esprit vif et déterminé. Son aspect général cadrait bien avec celui des meuniers de l’ époque.

Sa femme, une belle blonde aux yeux bleus, au maintient distingué malgré une grossesse avancée devait être un peu plus jeune que lui. Elle, par contre, par ses vêtements simples mais de qualité et son allure altière faisait plus petite bourgeoise que meunière. J’appris plus tard que c’était la fille d’un riche tonnelier d’Essoyes, Jacques POINSOT. Elle se prénommée Jeanne.

Lui, était, comme sa femme, originaire d’Essoyes, village situé, à l’époque de sa naissance, dans la partie méridionale de la province de Champagne, dans le bailliage de Chaumont en Bassigny à proximité du bailliage de la Montagne, en Bourgogne. Il était issu d’une vieille famille de meuniers de la région.

Ayant perdu son père, meunier à Loches, bourg voisin d’Essoyes, à l’âge de 14 ans et sa mère deux ans plus tard, il s’installa chez ses grands-parents paternels qui tenaient le moulin de ’la Roche’, dit aussi ‘le grand moulin’, qui était une ‘usine’ conséquente à Essoyes.

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Après son mariage, en 1788, le couple s’installa au moulin du ’Buisson’ à Vannaire, village situé dans la vallée de la Seine, à environ 6 lieues au sud d’Essoyes. Moulin qu’ils amodiaient au seigneur de Vannaire, le Sieur DE BASCLES, Marquis D’ARGENTEUIL.

Ils restèrent à peu près trois ans dans ce moulin qui, il faut le dire, était assez vétuste. En 1790 c’était la confiscation des biens de la noblesse en ‘biens nationaux’ et le moulin fut racheté par un meunier au début de l’année 1791.

Edme-Didier et sa famille durent s’en aller et c’est ainsi qu’ils débarquèrent à Pothières pour m’amodier.

Dès son arrivée, Edme-Didier prit le taureau par les cornes pour remettre mes mécanismes en marche et vérifier le bon état de chaque outil.

Le 10 août 1791 une petite fille prénommée Catherine vint agrandir la petite famille. Deux mois plus tard, jour pour jour, ils signèrent chez maître LASSANGLEE, notaire et "Garde notes" à Pothières, un bail de neuf ans au sieur Louis RAYMON. Ce bail indiquait, entre autres, les obligations incombant au locataire :

Tenir en état tous bois, tournants et travaillants, desdits moulin et huilerie, empalements et autres réparations en charpente. Faucher les prés en temps et saison propre. Épancher les "taupières" et les fermer chaque année (entretenir les berges en éliminant taupinières et autres terriers). Rehausser l’îlot entre l’empalement du déversoir et le pont limitant le sous-bief. Ceci, afin de le garantir des eaux et de pouvoir le mettre en jardin.

Le montant du bail s’élevait à 800 livres, payables en deux termes, l’un à la Saint Jean Baptiste et l’autre au Noël suivant. Son beau-père se porta caution solidaire pour le couple.
Edme-Didier se remit au travail épaulé par un ouvrier meunier, Michel ROBERT. L’aide d’un manœuvre ne lui était pas inutile, car, outre le fonctionnement du moulin, il y avait aussi la mise en état permanente du matériel.

Ces mises en état nécessitaient de gros travaux de charpenterie et de menuiserie, il fallait notamment refaire la roue à aubes qui était dans un piteux état. Mais ce jeune meunier me paraissait travailleur et courageux.

Le 7 février 1793 Jeanne mit au monde Jean, leur deuxième garçon. 1793 fut aussi l’année de la terreur. Pothières a échappé à cette tourmente. Seul incident, l’église où se déroulait le culte devint un lieu de réunion publique où l’on chantait des barcarolles (chants improvisés) en l’honneur de la révolution. Le curé BABEAU, desservant de l’époque, se réfugia chez les habitants du village. Il remplit ses fonctions sacerdotales dans une chambre de la maison du sieur BOYER, surnommé le "Prince de la Chapelle".

Le 30 pluviôse de l’An II de la république (18 février 1794), Jacques POINSOT, le père de Jeanne, m’acheta à Zacharie JACQUES, héritier du sieur RAYMON, décédé peu de temps auparavant. La vente eu lieu au village, dans la maison du vendeur. Elle comprenait le bâtiment et les terres stipulées dans le bail signé en 1791. Elle se faisait moyennant la somme de 30000 livres. L’acquéreur versa, lors de la vente , devant maître MIGNARD, notaire ’provisoire’, la somme de 6 000 livres sous forme d’assignats. Les 24 000 livres restantes étant payées en huit versements, chacun de 3 000 livres, dans un délai maximum de dix ans. Edmé Didier et Jeanne se portèrent tous les deux, volontairement, cautions solidaires et s’engagèrent à honorer ces huit versements.

Edme-Didier, le 11 mars suivant l’achat du moulin, emprunta 3 000 livres à Bazile GRAPIN, propriétaire à Châtillon sur Seine, pour honorer sa première traite. A partir de ce moment, Jeanne et Edme-Didier furent quasiment chez eux. Du moins, ils pouvaient faire réparations et transformations à leur guise et travaillaient pour eux.

Edme-Didier et son ouvrier continuèrent à travailler avec acharnement. Les affaires fonctionnaient bien. L’exploitation devint prospère Petit à petit. Le 30 mars de la même année, Jeanne accoucha d’un troisième petit garçon, appelé Baptiste, malheureusement, il décédera deux ans plus tard.

Un an après la naissance du petit Baptiste le couple a agrandit son patrimoine en achetant un verger à Pothières. Les affaires allaient bon train, leur niveau de vie s’améliorait nettement. Si bien que Jeanne put engager une domestique pour les tâches ménagères ce qui lui permit de mieux s’occuper de ses enfants et vivre sa vie de petite bourgeoise rurale.

Sa garde robe devint, petit à petit, de meilleure qualité. Les jupes et casaquins (corsages ajustés portés sur la jupe) était en basin (toile fine importée d’Angleterre), en soie comme le "gros de Tours" (tissus en soie comme le taffetas) ou en toile d’Orange (coton imprimé). Le dimanche elle s’habillait en bourgeoise, elle mettait sous sa jupe deux paniers à poches, fixés sous un casaquin de qualité, et chaussait une paire de souliers en peau de veau allemand.

On pouvait aussi la voir faire ses courses à Pothières ou à Châtillon dans un Tilbury à deux places, tiré par un âne. Ils étaient donc bien établis dans le village, il faut dire que le meunier, dans un bourg, tenait un rôle clé.

Le 22 janvier 1796, c’est Nicole leur troisième fille qui vit le jour. En 1797 les traites du moulin étaient payées, Edme-Didier put investir de nouveau en achetant quatre pièces de terre, des prés, sur la commune voisine de Villers-Patras , pour 490 livres au sieur TALON, un homme d’affaires demeurant à Villefranche dans le Rhône. Ces terres appartenaient autrefois à l’abbaye de Pothières.

Il était si populaire qu’il fut élu maire cette même année. D’ailleurs son mandat fut marqué par un évènement que l’on peut qualifier d’anecdotique.

En avril 1798, je vis arriver dans ma cour le curé BABEAU tout essoufflé, transpireux et extrêmement agité. Il alla voir Edme-Didier pour lui soumettre l’objet de son émoi.

Deux élus de Villers-Patras, village voisin, étaient entrain de s’emparer clandestinement, dans la cure, des papiers et effets de l’administration du canton qui y étaient déposés.

Il faut savoir qu’à la révolution, le district de Châtillon-sur-Seine fut divisé en différents cantons. Bien que moins peuplé que Pothières, Villers-Patras fut choisi comme chef-lieu. Mais ce village n’ayant pas de local pour accueillir le directoire exécutif du canton, c’est Pothières qui recevait les membres du directoire dans une pièce de la cure où, naturellement, tous les dossiers du canton étaient entreposés. L’habitude devenant force de loi, la municipalité voulait conserver ce privilège, ce qui provoqua une vive polémique entre les deux villages.

Edme-Didier et le curé BABEAU se précipitèrent vers la cure. Quand ils y arrivèrent ils virent un rassemblement autour du bâtiment. Les deux "malfaiteurs" furent confondus. Les pultériens criaient au scandale, s’estimant être devant "un véritable viol, d’une malhonnêteté caractérisée". L’un des deux accusés montrait ostensiblement la lettre officielle le nommant président de l’administration du canton. Cela ne l’empêcha pas d’être conspué par la petite foule. Pour en finir, Edme-Didier fit chercher le capitaine de la garde nationale locale. Ce dernier rappliqua immédiatement avec ses hommes. Les deux compères se virent alors obligés de quitter les lieux avec leur charrette vide, sans demander leurs restes.

Finalement, un mois plus tard, le litige fut réglé par l’administration officielle. Les réunions se firent à Villers-Patras, dans une maison cédée par un particulier.

Le mandat d’Edme-Didier s’acheva, sans autre incident, en 1799. Il vit sa famille s’agrandir, le 6 janvier 1800, ce fut la naissance d’un septième enfant, un petit Jean-Baptiste qui, malheureusement, décédera deux ans plus tard, le 5 octobre 1802. Le 27 juin 1801, vit la venue au monde d’une petite fille, Marie-Anne. Naissance suivie par celle d’une autre petite fille, Rose, le 14 avril 1803. Pour finir, en 1804, c’est un garçon, Joseph, qui vit le jour.

Le couple acquit en 1804 quatre pièces de pré, dont une, de plus d’un hectare et demi. C’est aussi à cette époque qu’ils achetèrent, dans le village, une maison nommée ’la maison de l’abbatiale’. Ce bâtiment appartenait à l’abbaye, sous l’ancien régime. Il a été construit en 1787-1790, puis vendu comme bien national en 1791.

En 1807, notre meunier, probablement avide d’activités, a décidé de louer à Madame de MARMONT, la mère de Louis Auguste VIESSE DE MARMONT, l’un des premiers compagnons de Bonaparte, à l’époque, général en chef de l’armée de Dalmatie, futur duc de RAGUSE, le ’moulin des malades, qu’elle possédait à Sainte Colombe, localité limitrophe de Châtillon. Ce moulin était situé sur la Seine, à environ 8 kilomètres en amont du moulin de Pothières.
L’amodiation comprenait le moulin avec sa ’tournante’, son huilerie, sa ’cage à foulon d’écorces’, et tout un ensemble de prés, jardins et chènevières, environnant le bâtiment.

C’était un moulin vétuste et Edme-Didier dut s’engager, dans les trois ans, sous peine de résiliation, à :

• Reconstruire à neuf, l’huilerie et le foulon.
• Rehausser et réaménager totalement le logement du meunier en le rendant commode, sain et bien éclairé.
• Pratiquer une chaussée pour arriver de plein pied dans le dessus du moulin. Faire, dans le bâtiment, les ouvertures nécessaires pour accéder à cette chaussée.
• Construire un pont sur le bief pour faire arriver chevaux et voitures au foulon et à l’huilerie sans être obligé de passer par le moulin. Et, pour couronner le tout, construire un autre moulin de la même qualité que celui de Pothières.

On peut se demander si notre meunier n’était pas trop présomptueux pour accepter de faire tous ces travaux dans un délai aussi court que celui de trois ans.

Le bail fut signé pour 27 ans à raison de 1300 francs par an, payables en blé et en argent, à raison de deux termes par année.

Un mois après cette signature, le 26 février, Il vendit à un avocat de Châtillon deux pièces de pré, acquises avec le moulin de Pothières, pour la somme de 987 francs 50 centimes ( 1000 livres).

Edme-Didier s’installa provisoirement au ’moulin des malades’ avec une partie de sa famille. Il se partageait entre les deux moulins. Ses deux garçons, de 19 et 15 ans, pouvaient maintenant aider efficacement Michel ROBERT pour la marche et l’entretient de mon ‘usine’.

Avec l’argent de la vente du 26 février, il engagea les travaux au ’moulin des malades’. Il acheta du bois, engagea de la main-d’œuvre et un charpentier. Pour tout cela, il a dû investir près de 1700 francs.

Le 7 octobre 1807, Jeanne accoucha, au ’moulin des malades’, de son onzième enfant. Le nouveau né fut nommé Prudent. Malheureusement, à 45 ans, Jeanne ne supporta pas cette dernière couche. Elle décéda le 2 janvier 1808.

Exploitation du moulin par le couple PROTTE-PRIEUR (1808-1828)

Edme-Didier, après le décès de son épouse, se retrouva seul avec ses sept enfants survivants. Louis, l’aîné, était âgé de 19 ans, Jean de 15 ans, Nicole de 13 ans, Marie-Anne de 7 ans, Rosalie de 5 ans, Joseph de 3 ans et Prudent de 10 mois. Les deux aînés n’étaient pas une charge pour lui, car ils l’aidaient activement au moulin. Par contre les filles et joseph, l’étaient plus. Ne parlons pas du bébé…

Aussi, sept mois après le décès de Jeanne, le 25 juillet 1808, il épousa Brigide, Barbe PRIEUR, une jeune femme de 29 ans, presque 20 ans de moins que lui, fille de vigneron et originaire de Charrey, village voisin de Pothières. Edme-Didier avait un oncle et un cousin qui étaient meuniers dans ce bourg. C’est par leur intermédiaire qu’il a connu la jeune femme. Elle travaillait à Châtillon chez un jardinier, le sieur GENTIL.

Au lendemain de son mariage, Brigide s’installa au moulin de Pothières. Je me souviens de son arrivée. C’était une jeune femme aux cheveux châtains et aux yeux bruns, bien charpentée, elle avait la beauté de la jeunesse. C’était la paysanne parfaite que l’on devinait courageuse et pleine de bon sens. Rien à voir avec la petite bourgeoise qui l’a précédée dans le lit de Edme-Didier.

Une fois installée elle s’occupa des travaux domestiques et, surtout, des deux petits garçons de Edme-Didier et de ses trois filles. Ces dernières avaient maintenant un âge qui leur permettait d’aider leur belle-mère, c’est ce que cette dernière leur demanda de faire. La chose ne fut pas du tout de leur goût, n’étant pas habituées, avec leur mère, à participer aux travaux ménagers.

Elles passaient plutôt des après-midi entières à faire apprendre à leur oiseau siffleur de courtes mélodies à l’aide d’une serinette ( boite à musique munie d’une manivelle qui émet, lorsqu’on actionne cette dernière, de courtes mélodies). Cet instrument et l’oiseau siffleur étaient très à la mode à cette époque chez les dames de la bonne société.

Edme-Didier, lui, continuait à faire tourner ses moulins, à mettre en état le ’moulin des malades’ et commençait à me restaurer complètement. Là, aussi, les travaux étaient conséquents. Il devait refaire à neuf la roue en lui donnant plus de puissance, commencer à en construire une deuxième pour pouvoir installer, en plus de l’huilerie, un foulon pour broyer le chanvre.

Le foulon broie, grâce à des maillets (ou marteaux), le chanvre ramolli par le rouissage (trempage dans l’eau), pour séparer la filasse (fibres) de la chènevotte (tige). Après le broyage, qui se fait en deux temps, afin que la filasse soit bien pure, cette dernière est livrée au tissier (tisserand).

1808 fut aussi l’année où Louis, le fils aîné, passa le conseil de révision. Il n’était pas très chaud pour aller à la guerre, son père non plus d’ailleurs. Louis fut réformé pour défaut de taille, alors qu’il dépassait la taille limite de 10 centimètres… Ceci grâce à l’intervention du maire de Pothières qui faisait partie du conseil de recrutement. Son rêve était de devenir médecin, il n’avait pas trop le physique pour être meunier.

Le 18 septembre 1809, Brigide mit au monde leur premier enfant, une petite fille prénommée Julienne. A cette époque l’ex-beau-père de Edme-Didier, Jacques POINSOT, lui signifia de lui rembourser les 6000 livres qu’il avait investit dans mon ‘usine’ en 1794. Edme-Didier était acculé, il avait fait de gros frais dans les restaurations des deux moulins. Il dût emprunter et même vendre divers objets mobiliers, par adjudication, pour s’acquitter de sa dette.

En 1810, il termina les travaux de restauration du "moulin des malades". Par contre, il n’avait pas encore commencé les travaux de construction du second moulin et ceux du pont qui devait traverser le bief. Il ne pouvait les financer, aussi il décida de sous amodier (sous louer) le moulin, en transmettant au locataire les mêmes obligations mentionnées dans le bail de 1807 concernant les nouvelles constructions.

Le 28 janvier 1811, Brigide accoucha d’un petit Jacques-Lucien. Malheureusement le bébé décè­dera une semaine plus tard.

1811 fut aussi l’année où les gros travaux entrepris dans mon ‘usine’ furent terminés. Les deux roues refaites à neuf fonctionnaient parfaitement . Un bâtiment (A) avait été construit sur l’îlot du sous-bief pour abriter le foulon à chanvre et divers locaux. Une cour avait aussi été aménagée sur le restant de l’îlot. Ce dernier ayant été rehaussé.

Edmé-Didier possédait maintenant un moulin performant qui lui permettait de prospérer en affaires.

le 10 mars 1812 naquît et mourut le deuxième petit garçon de Brigide. Un petit Edmé-Jean.
Dés septembre 1812, les mauvaises nouvelles de Russie commencèrent à se répandre.

Jean, le second fils de Edmé-Didier, étant conscrit de 1813 avait de grandes chances d’être appelé. Il n’avait aucune envie d’être enrôlé, alors il prit les devants en cherchant un remplaçant. Il le trouva en la personne d’un jeune charpentier de Pothières, conscrit de 1809, qui avait, à l’époque, tiré un bon numéro et évité l’incorporation.

le 8 octobre 1812, les deux jeunes gens, accompagnés de Edmé-Didier, se rendirent chez le notaire pour signer un ’traité de remplacement aux armées’. Joseph GAILLARD s’obligea à prendre le numéro de tirage au sort de Jean. Si ce dernier était mauvais, il s’engageait à se faire agréer pour le remplacer. Dans ce cas, son père recevrait 1500 francs au lendemain du tirage et la même somme, avec intérêts, deux ans plus tard. Ces sommes seraient payées par Edmé-Didier et considérées comme une avance sur l’héritage de Jean. Ce dernier tira un mauvais numéro et évita ainsi grâce à ce traité l’enrôlement dans l’armée.

Il échappa ainsi aux campagnes de Saxe et de France, toutes deux désastreuses... Durant cette dernière, en 1814, les combats se déplacèrent jusque dans l’Aube, à Brienne, petite ville située, à vol d’oiseau, à 40 km au nord de Pothières. Les pultériens entendaient, dans le lointain, venant du nord, le bruit assourdi des canons. L’inquiétude les gagna, craignant que les combats ne les atteignent. Heureusement ce ne fut pas le cas.

Le 10 mars de cette même année, Brigide accoucha d’une petite fille, Vitaline, qui décédera à l’âge de trois ans. Le 23 mars, c’est Jean, le conscrit de 1813, qui décéda accidentellement en changeant une des meules. Cette dernière ripa des troncs sur lesquels on la déplaçait et écrasa la cuisse gauche du pauvre malheureux. Il se vida de son sang et trépassa avant l’arrivée du chirurgien. Edme-Didier perdit, là, une aide précieuse pour le moulin, car Jean semblait prendre le chemin de la succession de son père, aux affaires.

En 1815, après l’abdication de Napoléon, le village dut subir, pendant plus d’un an, l’occupation d’un régiment wurtenbourgeois. Les soldats, à l’uniforme vert, cantonnaient dans un camp situé au nord du bourg, au lieu-dit ’En la Trasse’. Toutes les fermes isolées étaient occupées, ainsi qu’une bonne partie du village.

Je n’ai pas été occupé, par contre les soldats sont venus prendre presque tout le mobilier d’Edme-Didier, probablement pour alimenter leurs feux du camp. La machinerie n’a pas été endommagée car ils avaient besoin d’un moulin en bon état pour pouvoir s’approvisionner. Ils étaient exigeants et violents envers ceux qui leur refusaient du vin. Une femme serait morte des suites des coups portés par les soldats qu’elle logeait.

Revenons au moulin où Brigide accoucha de sa troisième petite fille, Nicole-Céline, le 24 avril 1816. En juin de cette même année, madame de MARMONT étant décédée, son fils, le maréchal, prétexta du non-respect partiel de la clause N°3 du bail du ‘moulin des malades’ pour demander la résiliation de ce dernier. En effet si le moulin avait été entièrement restauré, le pont sur le bief et le nouveau moulin n’avaient pas encore vu le jour, le sous locataire d’Edme-Didier n’ayant pas commencé les travaux comme il s’y était engagé.

Edme-Didier répliqua qu’il avait fait de gros travaux et qu’une résiliation du contrat lui paraissait injuste. Les deux parties convinrent d’experts afin de constater l’état des travaux. Le rapport confirmant l’absence du pont et du nouveau moulin, MARMONT se pourvut en justice. Edme-Didier proposa d’échelonner les travaux dans le temps. Mais le tribunal de Châtillon, ne voulant pas déplaire au ‘pair de France’, nouvel ami de Louis XVIII, qui voulait installer au moulin et sur les terres en dépendant une immense vigneraie expérimentale, prononça la résiliation du bail.

Notre meunier fit appel et le 31 juillet 1817, la cour royale de Dijon mit l’appel à néant. D’après cette cour , Edme-Didier s’était soustrait à ses engagements pour se procurer des bénéfices illicites. Il aurait tardé à faire les travaux pour que le moulin ’des malades’ ne concurrence pas le moulin de Pothières, risquant, ainsi, de faire baisser l’activité de ce dernier.

Cette argutie étant évidement totalement fausse. Le bail résilié, le ’pair de France’ put, maintenant, récupérer terrains et moulin…

C’est à partir de ce moment là que les choses commencèrent à aller mal pour notre meunier. Privés des revenus de la sous-location du ‘moulin des malades’ , Le 10 octobre 1817 Edme-Didier et Brigide vendirent la maison dite de l’abbatiale, acquise en 1804. La vente se fit pour la somme de 3 500 francs. 2 000 francs furent versés par l’acquérante en ’espèces sonnantes’, le jour de la vente, chez le notaire. Les 1500 francs restant étant réglés trois mois plus tard, sans intérêts.

Le 11 octobre 1819, Brigide accoucha de son sixième enfant. Ce fut une petite fille du nom de Marie-Anne, qui, malheureusement, ne survivra pas plus de onze jours.

Le 24 avril 1820, Edme-Didier maria sa fille aînée de son premier mariage, Nicole. La jeune femme était âgée de 24 ans. L’heureux élu, lui, était un jeune homme de 23 ans, meunier au moulin Cholet à Villers-Patras. Outre son trousseau, la jeune épouse apporta à la communauté une somme de 2 000 francs offerte par son père. Le 19 octobre de la même année, Brigide mit au monde un petit garçon, Théodore, qui décédera à l’âge de 8 mois.
Le 11 février 1821, Edme-Didier emprunta la somme de 1340 francs à Jean Baptiste JULLY, épicier à Châtillon. L’acte fut passé chez maître MASSENOT, notaire au même lieu.

Le 2 janvier 1822, c’est Joseph, le troisième fils du premier mariage qui disparut. Le jeune homme était âgé de 18 ans. C’est la maladie qui eu raison de lui. Cette perte a éprouvé Edme-Didier. A 62 ans, il devait compter sur le soutien et l’aide de ce fils qui approchait de la majorité. Le jour de l’enterrement de son fils il fut victime d’ une attaque cérébrale. C’est probablement l’âge et l’émotion qui en furent la cause. Après cet accident vasculaire cérébral, sa main droite resta paralysée.

Le 27 avril suivant, c’est la seconde fille du premier mariage, Marie-Anne, qui prit époux, un jeune homme de 24 ans, Julien FRANCOIS, originaire de Grancey sur Ource, meunier à Voulaines, un petit village de la vallée de l’Ource. La jeune épouse apporta à la communauté une somme de 1200 francs, donnée par son père.

Edmé-Didier assista à la cérémonie, mais ne signa pas le registre à cause de sa paralysie. Cette dernière l’handicapait de plus en plus pour son métier. Il limita son travail physique et se consacra plus à la gestion de son moulin. Privé de l’aide de Joseph, il engagea de la main d’œuvre.

Le 14 juillet 1823, Brigide accoucha de son huitième enfant. C’était un petit garçon, nommé Bonnaventure. Deux mois plus tard, Edme-Didier donna en mariage, Rose, la troisième et dernière fille de son premier mariage, à Pierre ROBERT, menuisier à Vanvey, village de la vallée de l’Ource, situé à 25 km au sud-est de Pothières. La jeune épouse, en plus de son trousseau, apporta la somme de 1000 francs à la communauté. Somme offerte par son père. La cérémonie eu lieu à Vanvey. Edme-Didier ne put se déplacer.

Le 22 février 1824, il emprunta, au sieur SIREDEY DE GRANDBOIS, propriétaire à Châtillon sur Seine, la somme de 4250 francs. Somme, disait-il ; « pour me libérer d’autant envers les enfants de mon premier mariage ». il ajoutait ; « la dite somme a eu immédiatement cette destination ».

Le même jour, il prit de nouvelles dispositions en faveur de sa femme et de ses enfants du second lit pour équilibrer leurs parts par rapport à celles des enfants du premier lit.

Les quatre enfants, Louis, Nicole, Marie-Anne et Rose, reçurent, chacun, 1080 francs. Le 13 juillet 1824, les trois filles, à l’initiative de Marie Anne, contestèrent la somme reçue de leur père et demandèrent à ce dernier de faire établir un compte de tutelle pour justifier ces sommes.

C’est ce qu’il fit par l’intermédiaire de maître VIANDEY, avocat à la cour de Châtillon. Le compte fut présenté le 31 juillet suivant. Les trois filles le contestèrent et se pourvurent en justice le 24 août de la même année. Après de multiples audiences, le jugement fut rendu le 18 mai 1825. Le compte établit par le tribunal doubla, à peu près, les sommes reçues par les filles.

Edme-Didier ayant facturé dans son compte les frais généraux qu’elles lui avaient occasionné ( nourriture, hébergement, hébergement, etc.), la cour, comme les filles, estima que ces frais étaient largement remboursés par le travail qu’elles avaient fourni jusqu’à leur mariage et par conséquent jugea cette facturation comme nulle et non avenue. Notre meunier, lui, estimait que cette facturation était tout à fait légitime , leur ayant donné à chacune à leur mariage une somme conséquente pouvant être considérée comme la rémunération de leur travail.

Edme-Didier, très affaibli par la maladie, renonça à faire appel et régla les sommes dictées par le tribunal.

Le 17 septembre suivant, toujours très affaibli, il reçut, au moulin, maître MIGNARD, notaire à Châtillon-sur-Seine, et quatre témoins. Là, il donna sa part du moulin de Pothières, avec toutes ses dépendances, à Brigide, pour éviter, disait-il, la division (vente) du moulin après son décès.

Un an plus tard, le 25 septembre 1826, Edme-Didier se rendit à l’étude de maître MONGINET, à Mussy, pour y faire son testament définitif. Le testament, de 4 pages, très détaillé, se terminait en ces termes ; « Je recommande à ma femme et à mes enfants de vivre en paix et en union entre eux, et je déclare que par le présent testament, je n’ai eu d’autre intention que de rendre à chacun de ceux qui s’y trouvent intéressés, ce que je crois en mon âme et conscience, lui être dû, et d’assurer la tranquillité et la sérénité. » Il ne put signer l’acte, sa vue ayant fortement baissé et son bras droit étant totalement paralysé.

Le 5 février 1827, il maria sa fille aînée de son second mariage, Julienne. Celle-ci épousa un jeune homme de Grancey-sur-Ource, Mathieu FRANCOIS, le frère de Julien FRANCOIS, le mari de Marie-Anne. Le jeune époux était aussi charpentier-meunier. Edmé-Didier assista au mariage qui a eu lieu à Pothières mais ne signa pas sur les registres, ne pouvant le faire.
Les jeunes époux s’installèrent au moulin. Ils y travaillèrent tous les deux, avec Brigide et un ouvrier. Edme-Didier, lui, continuait, difficilement, à s’occuper de la gestion.

Le 17 juin 1828, notre meunier et sa femme décidèrent de vendre leur moulin au jeune couple.

Je dois vous avouer que Edme-Didier PROTTE, de tous les meuniers-propriétaires que j’ai eu, est certainement celui qui m’a le plus marqué. Ceci pour deux raisons, d’abord par son charisme, son courage, sa compétence et son esprit d’entreprise, et ensuite par son parcours contrasté.

En effet ses 40 années d’exploitation ont été marquées par deux périodes quasiment égales et tout à fait différentes. La première, avec sa première épouse, fut , on peut le dire, faste et ascensionnelle avec l’augmentation de son patrimoine, la location du moulin ‘des malades’, son train de vie de bourgeois, ou plutôt celui de sa femme, et son aura parmi les pultériens.

La deuxième période, après le décès de sa première épouse, fut plus chaotique. Les difficultés commencèrent avec l’injonction de son ex-beau père de lui rendre sans délai les 6000 livres qu’il avait investi dans le moulin. Ensuite, avec la perte de ses procès contre MARMONT et ses filles du premier lit, malgré sa bonne foi évidente dans les deux cas.
Toutes ces difficultés l’obligèrent à vendre la plupart de ses biens et à emprunter fortement, ce qui altéra énormément son train de vie et même sa santé, surtout après le décès de son fils Joseph.

Exploitation du moulin par le couple FRANÇOIS-PROTTE (1828-1831)

Dans l’acte de vente Edme-Didier et Brigide demandent au couple de leur construire une chambre à feu dans la continuité du bâtiment. Chose qui fut faite très rapidement.

Mathieu et Julienne prirent donc les rennes de l’exploitation. Cette dernière prospérait bien, puisqu’en 1829 le couple acheta deux parcelles de terre sur la commune de Pothières, au lieu-dit ’les Brevards’.

Le 13 août 1831, Julienne mit au monde un petit garçon que le couple nommera Stanislas. Mais quatre mois plus tard, le 12 décembre 1831, Mathieu fut emporté par la maladie, il avait à peine 32 ans.

A 21 ans, au décès de Mathieu, Julienne se retrouva seule avec son petit garçon de 4 mois, et le moulin à faire tourner. Son père ne pouvant plus travailler. D’ailleurs celui-ci décédera un an après son gendre. Il restait bien sa mère, Brigide-Barbe, mais cela ne suffisait pas pour exploiter convenablement le moulin. Elle embauchadonc un homme âgé de 23 ans, Claude GATTEFOSSÉ.

Ce jeune homme, était charpentier-meunier, originaire de Grancey-sur-ource (le même village que celui du défunt mari de Julienne). C’était un ami de la famille.

Exploitation du moulin par le couple GATTEFOSSÉ-PROTTE (1833-1863)

Le 31 janvier 1833, Julienne se maria avec Claude GATTEFOSSÉ. Sur le contrat de mariage, il était indiqué qu’elle apportait à la communauté, entre autre, le moulin dont la moitié lui appartenait, l’autre moitié appartenant à son fils Stanislas comme part d’héritage de son père.

Me voilà donc avec un nouveau meunier-propriétaire. C’était un jeune homme agréable physiquement, bien charpenté à la chevelure noir-corbeau et au regard décidé.

Au lendemain du mariage, Le couple reprit mon exploitation. Je produisais toujours de l’huile de navette et de la fibre de chanvre.

Le 8 mars 1834, vit la naissance d’une petite fille que le couple nommera Sophie.

La tréfilerie

A cette époque l’industrie sidérurgique se développait énormément dans le châtillonnais, notamment, avec la nouvelle fonderie édifiée en 1823-1824 par le fameux maréchal MARMONT, celui qui a résilié le bail du ‘moulin des malades’ que tenait Edme-Didier. Cette usine se situait à Sainte-Colombes, près de Châtillon-sur-Seine non loin de l’endroit où se situait le ‘moulin des malades’.

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Dans les fonderies, le fer est obtenu par la décarburation de la fonte. Il est ensuite transformé dans des ateliers de première transformation comme, par exemple, les tréfileries, qui fabriquent, elles, du fil de fer, ou les clouteries confectionnant, elles, on l’aurait deviné, des clous.

Ces ateliers avaient besoin de la force hydraulique pour fonctionner. Aussi, de nombreux meuniers virent là une opportunité pour améliorer leurs profits.

En 1836, notre couple, après mure réflexion, décida de demander, à la préfecture, l’autorisation de construire une tréfilerie. Autorisation accordée.

Dès le 21 juin1836, Claude (GASTEFOSSÉ) commença à mettre en œuvre ma transformation. Les travaux allèrent bon-train, au bout de trois mois la tréfilerie était opérationnelle.

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A : bâtiment d’habitation. B : les deux roues motrices. C : salle de filerie. D : four
E : ancienne construction. F : hangar.

Le tréfilage est une technique de mise en forme, à froid, des métaux qui permet de réduire la section d’un fil, par déformation plastique, en le tirant a travers l’orifice calibré d’une filière sous l’action d’une force de traction (ici, la force hydraulique) en présence d’un lubrifiant (huile ou savon). Le lubrifiant est introduit dans un savonnier, situé juste avant la filière.

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Mon atelier de tréfilage comprenait donc 16 bobines et un four à 4 chaudières. Le hangar, lui, servait à stocker les bobines de fer à étirer et celles déjà étirées, prêtes à la livraison.

La tréfilerie une fois opérationnelle, Claude et Julienne l’exploitèrent avec l’aide d’un ouvrier, Simon LORIGNY. Julienne embaucha une jeune fille, Marguerite MICHAUD, pour faire les travaux domestiques et s’occuper de ses deux enfants. Elle put ainsi travailler à temps plein avec son mari.

Tous les trois travaillèrent d’arrache-pied si bien que l’exploitation devint vite rentable, car, dès 1841, le couple acheta, le 1er janvier, 28 ares de terre à Pothières au sieur LACROIX, vigneron. Il acquirent, le 4 janvier, la maison abbatiale, qui avait appartenu au grand père de Julienne, à la femme GERBAINE, de Mirebeau, pour la somme de 400 francs. Enfin, le 17 mars, il négocièrent, avec le sieur DUFOUR, 4 ares de près pour 50 francs.

Le 15 avril 1845, il achetèrent ,à Pierre DAVID, 12 ares de près dans la commune de Villers-patras, au lieu-dit ’les prairies de Vix’. C’est aussi vers 1845, après le départ de Simon LORIGNY, que deux autres ouvriers furent embauchés : Jean LAMBERT et Louis BOYER. En plus des deux ouvriers, il y avait aussi Stanislas, le fils de Julienne, qui, maintenant à14 ans, était en âge de travailler.

En 1847, les affaires allaient encore bon-train. Notre couple acheta, le 15 mai, 3 ares 51 centiares de terre, sur Pothières, à Claude BOYER pour 36 francs. Le 14 juin, il acheta à Jean BOYER, menuisier, deux parcelles de terres, toujours sur la commune, pour la somme de 140 francs. Et enfin, toujours le 14 juin, il acheta, à Claude LEAUTEY, 24 ares 42 centiares de terre, encore à Pothières, pour la somme de 300 francs.

C’est aussi à cette époque que l’ancienne construction, qui comprenait encore les meules, fut louée à un meunier, Alexis BEAU qui employa un ouvrier-farinier. Cela faisait un supplément de revenu pour notre couple.

En 1854, Sophie, la fille de Julienne et Claude se maria avec François, Médéric MARTINOT, un jeune meunier originaire de l’aube. Le jeune homme vint s’installer au moulin et y travailla.
Mais à partir de 1857, les ressources en minerais, dans la région, s’appauvrirent de plus en plus et les ateliers travaillaient de moins en moins. C’est là, que notre couple décida d’arrêter l’exploitation et de construire à la place de la tréfilerie, un autre moulin, un bâtiment moderne comme il commençait à s’en construire dans la région dont la conception venait d’outre-Manche.

Le 30 janvier 1859, juste avant la construction du nouveau moulin, ils achetèrent 28 ares de terres à Alexandre BAZILE, demeurant à Paris.

Le grand moulin

La première pierre de mon nouveau bâtiment fut posée le 1er août 1859 par Stanislas et Sophie, les deux enfants de Julienne, maintenant adultes. Outre l’inscription, cette pierre fut ornée d’un soleil entouré de deux cornes d’abondance remplies d’épis. Cette sculpture représente deux symboles païens. Le soleil, symbole d’amour et de réussite, évoque aussi, en ésotérisme, un nouveau départ, la réalisation de nouveaux projets. La corne d’abondance, elle, symbole de la fécondité et du bonheur, ici remplie d’épis, suggère aussi la protection des biens matériels et de l’amour.

Ces symboles choisis par Julienne et Claude, nous montrent bien l’état d’esprit du couple à cette époque. Ils se lancent dans un nouveau projet avec leurs enfants. Projet qui, espèrent-ils, leur apportera réussite et bonheur.

Mon ancienne structure fut quasiment détruite. La nouvelle se présentait comme un ensemble de cinq bâtiments :

Sur la rive gauche du bras de Seine :

• Un vaste bâtiment d’habitation (A), composé, au rez de chaussée, de quatre chambres à feu (chambres avec cheminée) et un cabinet tenant d’évier. Au premier étage, il y a quatre chambres dont deux à feu. Dessus le tout, se trouve un grenier.

• Un autre grand bâtiment de trois étages, contigu au précédent (B), composé, au rez de chaussée, du hallage du moulin (espace ou se trouve les moteurs et les engrenages) et deux chambres à feu. Le premier étage comprend deux chambres. Le reste du bâtiment servant à l’exploitation du moulin avec ses accessoires. Parmi ces derniers on compte trois paires de meules, mues par une turbine située dans le bras de Seine (F), et une bluterie (machine à passer le produit de broyage à travers un tamis).

• Un autre bâtiment contigu aux deux autres (C, la gravure ci-dessus ne nous montre que son toit). Il est partagé entre une partie comprenant deux étages, servant de réserve, et une écurie à chevaux.

Sur la rive droite du bras de Seine :

• Un grand bâtiment servant d’huilerie (D). Il renferme huit grosses cuves à huile, des broyeurs, huit presses à huile, des cylindres et autres accessoires, le tout mû par une roue hydraulique située près de la turbine.

• Contigu à ce bâtiment, un hangar qui sert de bûcher et de magasin pour l’huilerie (E).

Sur la rive gauche, devant les trois bâtiments, se trouve une cour, bordée à l’extérieur par un hangar, une grange, une écurie et une basse-cour. Sur la rive droite, en face l’huilerie, deux jardins et les aisances.

Les bâtiments de mon ’usine’ étaient caractéristiques de l’architecture industrielle du 19e siècle, de vastes bâtisses à étages.

Le matériel était, lui aussi, typique du 19e siècle. Plus de bois dans les mécanismes. Tout était en fer, en acier ou en fonte. Les roues à aubes en bois avaient disparues pour être remplacées par une roue hydraulique et une turbine. Cette dernière était une nouveauté. Les toutes premières turbines sont apparues au tout début du 19e siècle (1806-1814).

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La turbine est un dispositif destiné à utiliser la force d’un fluide ( ici, l’eau) et à transmettre le mouvement au moyen d’un arbre. La pression de l’eau s’exerce sur une roue en métal munie d’aubages spéciaux et fixée sur un axe, arbre d’acier puissant. L’arbre transmet le mouvement à toutes sortes de mécanismes (ici, des meules).

Les meules, aussi, avaient évolué. Le mécanisme était totalement en métal. L’huilerie avec ses broyeurs, ses cylindres et autres machines mues grâce à la roue hydraulique, avec aussi ses huit presses et ses huit grandes cuves, me donnait un aspect beaucoup plus industriel qu’artisanal. J’étais désormais une véritable usine telle qu’on le concevait au 19e siècle.

En 1861 j’étais totalement opérationnel. Claude et Stanislas m’exploitaient ensemble. Ils refabriquaient, de l’huile de navette, mais, maintenant, de manière industrielle.

Ils avaient 4 ouvriers dont un farinier qui s’occupait uniquement des meules, de la bluterie, et de leurs mécanismes. Les autres ouvriers, eux, s’occupaient du fonctionnement de l’huilerie.

Tous étaient logés dans le bâtiment (A) du moulin. Les ’maîtres’, eux, logeaient dans le bâtiment principal (B).

En 1863, deux ans après ma mise en fonction, Claude et Julienne, encore jeunes (elle, âgée de 54 ans, lui de 56 ans) décidèrent de ’décrocher’. Estimant qu’après 30 ans de travail acharné, ils pouvaient prendre un repos bien mérité. De plus ils laissaient à leurs enfants un outil de travail neuf et performant. Ils leurs firent diverses donations, Julienne, quand à elle, donna sa part du moulin à son fils Stanislas. C’était maintenant lui le propriétaire de l’usine, mais il partageait la gestion avec sa sœur Sophie. Ils avaient tous les deux la trentaine.

Je vous ai dit plus haut que j’avais un faible pour Edme-Didier à cause de son parcours de vie avec ses hauts et ses bas. En ce qui concerne Julienne et Claude, ce n’est pas la même chose, pour moi ce sont mes concepteurs, mes créateurs, c’est grâce à eux que je suis devenu une usine moderne. C’est pour cela que je garde pour eux une pensée émue.

Exploitation du moulin par Stanislas FRANÇOIS (1863-1909)

Stanislas est alors âgé de 32 ans quand il devint mon propriétaire. Le voilà à la tête d’une entreprise moderne et dynamique qu’il gère avec sa sœur. Pendant trois ans sa mère, son beau-père, sa sœur et son beau frère demeurèrent avec lui au moulin jusqu’à son mariage.
En 1865, 11 ans après leur mariage, Sophie et François-Médéric MARTINOT eurent une petite fille qu’ils prénommèrent Clothilde.

En 1866, Stanislas se maria avec une jeune fille demeurant à Tournus, en Saône et Loire, département avec lequel il avait des liens commerciaux. L’heureuse élue se nommait Marie-Herminie GORSSE. La jeune femme, âgée de 30 ans, demeurait avec sa mère, Augustine BACHELET, à Tournus. Ceci, depuis le décès de son père, huissier à Gueugnon (Saône et Loire), survenu le 12 décembre 1831. La cérémonie du mariage eu lieu à Tournus le 23 avril 1866. Julienne et Claude, avec leur fille Sophie, y assistèrent.

Après le mariage la famille GATEFOSSÉ quitta le moulin pour emménager dans la ’maison de l’abbatiale’, achetée en 1841. Souvenons nous le, cette maison fut vendue en 1817 par Edme-Didier PROTTE, le grand père de Stanislas. C’est à cette époque que François-Médéric MARTINOT quitta sa femme et sa fille pour disparaître dans la nature.

Stanislas installa donc sa femme et sa belle-mère au moulin. C’est à ce moment qu’il dut changer de farinier sous la pression de son épouse. C’est Nicolas DUMAINE qui remplaça Charles MATHE et aménagea, avec sa famille, dans le logement de la famille du précédent farinier. Les DUMAINE, originaires de Saône et Loire et amis des GORSSE, ont suivi Marie-Herminie et sa mère à Pothières.

Bien qu’elle n’habitait plus au moulin, Sophie continuait à gérer l’exploitation avec son frère. Ce qui n’était pas du goût de la nouvelle arrivante qui voulait avoir les mains libres, ayant apporté à la communauté avec son mari une dote conséquente.

Les relations entre les deux femmes n’étaient pas au beau-fixe. Par soucis d’économie, sans doute, sur les quatre ouvriers, en dehors du farinier, elle n’en fit garder qu’un, Jean GAUTROT.

Mais avec le temps son influence sur son mari diminua peu à peu pour devenir quasiment nulle. Les relations entre les deux époux se détérioraient de plus en plus. Elle reprochait à Stanislas d’avoir trop laissé sa sœur Sophie s’immiscer dans la gestion du moulin et dans leur vie privée.

Leurs relations devinrent si tendues qu’en 1887, presque 20 ans après leur mariage, elle quitta, avec sa mère, le domicile conjugal pour aller ‘s’exiler’ à l’hospice de Châtillon-sur-Seine.
Elle accusa, même, son mari d’avoir eu avec sa sœur , des rapports d’intimité quasi incestueux. Après enquête, le tribunal civil de première instance de Châtillon-sur-Seine jugea , le 13 décembre 1887, ces propos imaginaires et outrageants et n’a pas retenu la plainte.

C’est alors que Stanislas demanda le divorce. Ce dernier fut prononcé le 8 mai 1888 par le même tribunal. Cependant, Stanislas dut payer à son ex-femme, une somme de 35 francs par mois, payable par trimestre, à titre de pension alimentaire. Il dut aussi lui remettre une somme de 300 francs pour qu’elle subvienne à ses frais.

Sophie, et sa fille Clotilde revinrent s’installer au moulin. Claude et Julienne, les parents, étant décédés, respectivement en 1872 et 1879. Toutes les deux s’impliquèrent dans l’entreprise, en participant à la gestion et, même, en y travaillant.

De son côté, Stanislas embaucha, après le départ de la famille DUMAINE, unnouveau farinier, Émile GALLIEN, et deux ouvriers, Pierre REUILLY et Bernard GENSTBITTEL en complément de Jean GAUTROT.

Bernard GENSTBITTEL était originaire d’Alsace, il défraya la chronique des faits divers en 1896. En effet, le 26 mars de cette année là, il mit le feu, à l’aide d’un bidon de pétrole, au moulin du ’Buisson’, situé dans la commune de Courcelles-les-rangs, village proche de Pothières.

Il fut surpris par le propriétaire qui lui tira dessus, il dut s’enfuir sans demander son reste. Après enquête, il fut arrêté par les gendarmes. Interrogé, il avoua avoir voulu se venger du meunier qui le traité sans cesse de prussien. Mais ses antécédents ayant été lourds, trois condamnations pour vol et l’expulsion du territoire français, Il a été jugé et envoyé au bagne de Cayenne où il décéda, aux îles du Salut, le 22 mars 1899.

Après cet ’incident’, Stanislas le remplaça par Claude MONOT. C’était aussi l’époque où il donna de plus en plus de responsabilités à sa nièce Clotilde, âgée maintenant de 35 ans. Lui, en avait 69.

En 1909, âgé de 78 ans, il décida de vendre le moulin, avec ses dépendances, et le fond de commerce (clientèle et matériel servant à l’exploitation), à sa nièce. Cette dernière étant, depuis quelques années gérante de l’entreprise. Le moulin et ses dépendances furent estimés à 25 000 francs. Même somme pour le fond de commerce. Les actes furent signés chez Maître BALLOT, notaire à Châtillon sur seine, le 26 mai 1909.

Durant ces 46 ans d’exploitation par Stanislas FRANÇOIS, il n’y a pas eu de changements dans ma structure, mais j’ai toujours fonctionné d’une façon optimum. Malgré ses ennuis conjugaux Stanislas a été un très bon propriétaire-exploitant.

Exploitation du moulin par Clothilde MARTINOT (1909-1911)

Voilà Clotilde, à l’âge de 46 ans, devenue ma propriétaire. Elle partit sur les mêmes bases que son oncle, mais, en plus, elle embaucha une domestique en la personne de la veuve BOUQUET pour la délivrer des taches ménagères et s’occuper de son oncle vieillissant qui vivait toujours au moulin.

Le 25 octobre 1910 vit le décès, à 76 ans, de Sophie GATTEFOSSÉ, la mère de Clotilde. Cette dernière hérita alors de la maison abbatiale et de 23 pièces de terre, toutes louées, d’une valeur totale de 6900 francs.

Malheureusement, Clotilde, ne jouira de son héritage que durant un an. En effet, elle décéda le 6 décembre 1911, le lendemain du décès de son oncle Stanislas. Tous les deux furent victimes d’une épidémie de tuberculose. Elle n’aura exploité son entreprise que pendant deux ans.

En ce qui concerne Clothilde, je n’ai pas grand-chose à dire, ci ce n’est que pendant deux ans elle a bien géré l’entreprise comme son oncle le lui avait montré.

Le devenir du moulin après 1911

Clotilde, n’ayant pas eu de descendance, ce sont ses cousins qui héritèrent. Ils étaient 19, il y en avait 8 du quatrième degré et 11 du 5e degré. Tous de la lignée maternelle.

Ce nombre important d’héritiers impliqua la vente de tout l’héritage. J’ai donc été vendu avec toutes mes dépendances pour 35000 francs.

Ce fut Henri CLEMENCELLE, meunier originaire de Gomméville dans l’Aube, qui acheta mes murs et Henri CHOUARD qui acheta le fond de commerce correspondant à l’huilerie. Le premier exploita le matériel qui lui permettait de produire de la farine de blé. Le second transforma l’huilerie en clouterie mécanique . Cette dernière fut reprise par Alfred BREDEL, un propriétaire de Châtillon-sur-Seine, qui développa l’entreprise en faisant travailler deux ajusteurs, son fils et Henri CHOUARD.

Cette clouterie fonctionnera jusqu’en 1930. Après cette date, le moulin ne produira que de la farine de blé. C’est la famille CLEMENCELLE qui l’exploitera jusqu’au tout début du 21e siècle. Ensuite, le moulin fut racheté par un particulier qui le transforma en résidence. Ce fut la fin de ma vie de ‘moulin tournant et travaillant’. »

Ce qu’il faut retenir de ce récit

Cette petite histoire du moulin de Pothières nous montre, entre autres, l’évolution des bâtiments des moulins à travers les âges. Nous partons du moulin en bois du 9e siècle pour arriver au moulin-usine du 19e siècle en passant par le moulin en pierre du 13e siècle.

Elle nous montre aussi la modification des techniques hydrauliques au cours du 19e siècle. Passage de la machinerie en bois, avec sa roue à aube, à la machinerie en métal avec sa turbine et sa roue hydraulique.

Elle nous donne aussi un aperçu de la diversité des industries utilisant la force hydraulique. Ici, le textile avec le foulon à chanvre, l’alimentaire avec le moulin à huile et le moulin à blé, l’industrie du bois avec le moulin à scie et enfin la sidérurgie avec la tréfilerie.

Nous avons pu voir aussi la différence de ‘gestion’ entre le moulin ‘banal’ de l’ancien régime et le moulin du meunier-propriétaire de l’époque moderne. Le premier étant tenu par des meuniers ‘amodiés’ qui, en plus du prix de leur bail, devaient donner au seigneur et à ses gens une partie de sa production et devait aussi prendre à ses frais toute modification du moulin. Le second, lui, était totalement libre de faire ce qu’il voulait de son moulin à condition de le déclarer aux autorités.

Pour finir, ce récit nous montre aussi ce qu’était le métier de meunier. Métier très physique jusqu’à la première moitié du 19e siècle, qui requérait des compétences spécifiques , en dehors de la meunerie, comme le travail du bois et celui du fer pour l’entretient des différents mécanismes. A partir de 1850 les progrès techniques rendirent ce travail moins pénible et plus spécialisé.

C’était aussi un métier de famille, on était meunier de père en fils et les filles se mariaient avec des meunier. Si-bien qu’après la révolution il s’est créé chez les meuniers-propriétaires, un peu partout en France, de véritables dynasties.

Documentation

Introduction

Iconographie :
• Photographie du moulin de Pothières prise par Thierry BAYARD.
• Vues aériennes de Pothières.Googlemaps.

Mon histoire sous l’ancien régime

Documents d’archives (AD de côte d’or) :
• Extrait du plan du territoire de Pothières dressé par l’arpenteur DURELLE en 1786. C1989.
• Pothières : moulin, huilerie(baux, mémoire).1643-1775. 9H55.
• Abbaye de Pothières. 1243-1788. 9H122.

Documents bibliographiques :
• Jean-Claude RICHARD de la BRETÉCHE, abbé de SAIT-NON (1727-1791). Christian LEBRUMENT. 1992.
• L’abbaye de Pothières : histoire et réflexions. David LOISELET.

Iconographie :
• Le moulin en bois du château de Guédelon.
• Extrait du plan du territoire de Pothières dressé par l’arpenteur DURELLE en 1786. C1989.
• Extrait de la carte d’une partie de la rivière Seine sur laquelle est construit le moulin de Pothières appartenant à M. PROTTE. 1812. Bibliothèque Nationale de France. GED-69-71.
• Principe du moulin à scie. Patrimoine de Prades.
• Schéma du mécanisme d’un moulin à eau.« L’énergie des marées et leur exploitation enRance ». 2011
• Presse à huile.Pascal CRAPE. Le monde des moulins. 2006.

Le temps des meuniers-propriétaires

Exploitation du moulin par le couple PROTTE-POINSOT (1791-1807)

Documents d’archives (AD de côte d’or) :
• Bail moulin de Pothières.(1791). 4 E 89-16.
• Acte de vente du moulin de Pothières.(1794). 4 E 87-69.
• Inventaire après décès de Jeanne POINSOT .(1808). 4 E 89-139.

Documents bibliographiques :
• Guide du meunier et du constructeur de moulins. P M N BENOIT. 1830.

Iconographie :
• Vannaire, moulin du buisson. Carte de CASSINI.

Exploitation du moulin par le couple PROTTE-PRIEUR (1807-1828)

Documents d’archives (AD de côte d’or) :
• Acte d’achat PROTTE-SIMON. 4 E 87-110.
• Vente maison de l’abbatiale. 4 E 87-113.
• Obligation PROTTE-JULLY. 4 E 89-153.
• Obligation PROTTE-SIREDEY. 4 E 89-157. Documents bibliographiques.
• Jugement MARMONT-PROTTE 1817. Journal des audiences1817.

Iconographie :
• Foulon à chanvre. Association tour-de-crocq.fr. 2018.
• Extrait de la carte d’une partie de la rivière Seine sur laquelle est construit le moulin de Pothières appartenant à M. PROTTE. 1812. Bibliothèque Nationale de France. GED-69-71.

Exploitation du moulin par le couple FRANCOIS-PROTTE (1828-1831)

Documents d’archives (AD de côte d’or) :
• Acte de vente PROTTE-FRANCOIS.1828.4E87/134.
• Acte de décès de Mathieu FRANCOIS.1831.3E499.
• Acte de naissance de Stanislas FRANCOIS. 1831.3E499.
• Inventaire après décès de FRANCOIS Mathieu. 4E87/142.

Iconographie :
• Extrait de l’acte de vente PROTTE-FRANCOIS.1828.4E87/134.

•Acte de décès de Mathieu FRNCOIS.1831.3E499.

Exploitation du moulin par le couple GATTEFOSSE-PROTTE (1833-1863)

La tréfilerie.
Documents d’archives (AD de côte d’or) :
•Tables des acquéreurs du bureau d’enregistrement de Châtillon sur seine. 1841­1850.
3Q8/29,30,31,32,33,34.
• Registres de recensements du village de Pothières. 10M 499-1,2,3,4,5.
• Service des mines de Châtillon sur seine. Concession de Pothières. SM 23964.
• Contrat de mariage GATTEFOSSE- PROTTE.29,01,1833. 4E87/150.

Documents bibliographiques :
• La tréfilerie. R JEAN. La Bibliothèque de travail. Avril 1950.
• Compréhension et modélisation des mécanismes de lubrification lors du tréfilage des aciers inoxydables avec les savons secs. Carole LEVRAU. Thèse, mai 2006.
• Le patrimoine sidérurgique du châtillonnais. Serge BENOIT et Bernard RIGNAULT.

Iconographie :
• L’industrie du fer en châtillonnais. Le patrimoine sidérurgique du châtillonnais. Serge BENOIT et Bernard RIGNAULT.
• Ordonnance royale du 20 juin 1838, N° 4308.
• Plan détaillé de la tréfilerie de Pothières. Archives Nationales. F/14/4326 dossier N° 22.
• Principe du tréfilage. Thèse LEVRAU. Mai 2006.
• Schéma de principe d’une machine à tréfiler simple.Thèse LEVRAU. Mai 2006.

Le grand moulin
Documents d’archives (AD de côte d’or) :
• Donation GATTEFOSSE- PROTTE.12mai 1863.4E89/276.
• Registres de recensements du village de Pothières. 10 M 499-4,5.

Documents bibliographiques :
• Dictionnaire historique de la suisse. Berne.1998-2018.

Iconographie :
• Photographie personnelle de la première pierre du moulin de Pothières prise avec l’assentiment du propriétaire.
• Carte postale, du tout début du 20e siècle, représentant le moulin de Pothières.
• Schéma montrant le principe de la turbine.
• Meule 19e siècle. C NAVELIER.

Exploitation du moulin par Stanislas FRANCOIS (1863-1909)

Documents d’archives (AD de côte d’or) :
• Registre de recensement de Pothières.1876.
• Acte de décès Bernard GENSBITTEL.
• Acte de décès Stanislas FRANCOIS.
• Déclaration de mutation par décès de Stanislas FRANCOIS. 3Q8/1183.
• Jugement du procès FRANCOIS-GORSSE. 13,12,1887.U VIII BC/79.
• Jugement du divorce FRANCOIS-GORSSE. 08,05,1888.U VIII BC/79.

Documents d’archives (AD de Saône et Loire) :
• Acte de mariage FRANCOIS-GORSSES 1866.5E 543/35.
Documents d’archives (étude notariale, rue de la ferme, Châtillon/seine).
• Actes de vente FRANCOIS-MARTINOT. 26 mai 1909. Maître P BALLOT. Vol 17-N°351.
Exploitation du moulin de Pothières par Clothilde MARTINOT (1909-1911).

Documents d’archives (AD de côte d’or) :
• Déclaration de mutation par décès de Clotilde MARTINOT. 3Q8/1183.
• Épidémies. statistiques sanitaires. Registres de déclarations (1896-1918). Arrondissement de Châtillon/seine. SM 456.

Le devenir du moulin de Pothières après 1911

Documents d’archives (AD de côte d’or) :
•Déclaration de mutation par décès de Clotilde MARTINOT. 3Q8/1183.
Documents bibliographiques.
• L’équipement hydraulique de la côte d’or en 1899.Hydrauxois.
• Architecture des moulins à blé et minoteries.Pascale MOISDON, Catherine TIJOU. 2016.

Iconographie :
• Vente du moulin. Le courrier de Bar-sur-Aube. 28 mai 1912.
• Encart publicitaire. « machine nouvelle ». Août 1929.

Un grand merci à Alix NOGA, bénévole de ’France Généalogie web21’, pour son aide précieuse aux Archives Départementales de Côte d’or.

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