Après cinq jours de navigation, le Rigault de Genouilly, en provenance des Samoa entre au port de Papeete.
Pendant mes études de médecine j’étais surveillant au lycée Michel Montaigne de Bordeaux. Ce lycée recevait de nombreux élèves venant des colonies. En particulier quelques-uns venant de Tahiti.
Tahiti est de loin l’île la plus célèbre de l’Océanie et je connaissais depuis mes lectures de jeunesse : t’Serstevens, Bougainville, Herman Melville et le Journal des Voyages.
J’aimais bavarder avec les Tahitiens, les faire parler du pays. Les grandes vacances se passaient à la métropole, il n’y avait pas encore d’avions de ligne.
La plus belle des croisières était leur retour à Papeete. A l’approche, quand la Terre se profilait sur le ciel, ils s’installaient à l’avant, captivés par la découverte progressive des paysages. Les trois pics étaient salués de joyeuses exclamations. Puis la côte rocheuse, les nombreuses vallées, les cascades reflétant le soleil et la masse de végétation luxuriante qui descend des sommets jusqu’à la mer.
« Je ne peux m’empêcher, dit Bougainville, de penser que je marchais dans le jardin d’Éden et que les Navigateurs avaient eu raison de l’appeler la Nouvelle Cythère. » Avec la douceur du climat, ce n’est pas étonnant que le commandant Moron ait pensé prendre sa retraite dans ce paradis. Et le Périgourdin que je suis, n’est pas peu fier qu’après réflexion, il ait choisi le Périgord Méridional, à cinq kilomètres de chez moi.
Lors des trois semaines de séjour dans le port de Papeete, le commandant Moron en a profité pour rendre visite aux officiers des autres bâtiments, souvent des camarades de l’École Navale.
A cette époque se trouvait à quai dans le port de Papeete une frégate nommée la Zélée. Lors d’une visite à la Zélée, Moron en a ramené en souvenir un bandeau au nom du navire destiné à être cousu sur le bonnet des marins. Ce bandeau lui servait de marque page dans le livre « Atolls of the sun » de Frederick O’Brien où je l’ai retrouvé.
Cette frégate faisait suite à un autre navire portant le même nom et coulé dans le port de Papeete le 22 septembre 1914.
La première Zélée était une canonnière construite à Rochefort en 1899. A l’entrée en guerre en 1914 elle était à quai dans le port de Papeete, sous le commandement du lieutenant de vaisseau Maxime Destremeau.
Les Allemands avaient annexé la Papouasie-Nouvelle-Guinée et les Samoa occidentales dont nous avons parlé dans l’article précédent. Les garnisons furent détruites par les Australiens pour la Papouasie et les Néo-Zélandais pour les Samoa occidentales. Mais dans le Pacifique rodaient des pirates redoutables. Les croiseurs cuirassés Scharnhorst et le Gneisenau. Les bâtiments allemands avaient une seule cheminée et tous les navires français et anglais en avaient deux. C’était facile de reconnaître ses amis. Le commandant du Scharnhorst fit fabriquer une deuxième cheminée avec des bambous, des toiles, des cordes et de la peinture. Grâce à cette ruse, ils coulèrent plusieurs bâtiments sans méfiance.
Revenons au port de Papeete avant la déclaration de la guerre en juillet 1914. Maxime Destremeau pensait que dès le déclenchement officiel des hostilités, les Allemands attaqueraient pour s’emparer de l’important stock de charbon, enjeu stratégique de la guerre navale dans le Pacifique. Les seuls autres endroits où ils pouvaient prendre du charbon étaient les ports du Pérou.
La canonnière la Zélée étant à quai, le lieutenant de vaisseau Destremeau fait transporter à terre les canons et les installe dans la montagne. Les mitrailleuses sont disposées dans des voitures qui évolueront suivant les circonstances. Au cas où les Allemands attaqueraient dans le port, pour les empêcher d’arriver au charbon, ordre sera donné de couler la Zélée. Les alignements pour entrer dans le port sont détruits. Je me demande ce que le capitaine Hornblower aurait pensé de cette tactique…
Du bavardage et de ses retombées :
Un cargo français vogue vers Tahiti. Son chargement : de la poudre à canon, cargaison dangereuse nécessitant une surveillance permanente. Malgré toutes les précautions prises, le capitaine craignait l’explosion qui aurait envoyé les morceaux de l’équipage aux requins. Aussi, quand la poudre se mit à dégager une drôle d’odeur qui se répandit dans le bateau, il envisagea la catastrophe et fit jeter dans l’océan Pacifique toute la cargaison. La Zélée ne pourrait tirer qu’une centaine de coups de canon. Qu’à cela ne tienne, nous ne sommes pas en guerre en 1913 !
Le but de l’amiral Maximilian Von Spee était de s’empare du charbon en stock à Tahiti. De nombreux navires de guerre allemands patrouillaient dans le Pacifique, sans charbon ils étaient à la merci de l’ennemi.
Les croiseurs cuirassés Scharnhorst et le Gneisenau, vont attendre à Bora Bora à 250 km de Tahiti. Ils arrivent sous pavillon britannique, parlent français et discutent avec le gendarme local venu accueillir des alliés. Ce bavard raconte l’histoire de la poudre. Les Allemands savent maintenant que Tahiti n’est pas défendue.
Les deux croiseurs allemands entrent dans le port mais s’arrêtent en l’absence d’alignements. Ils tirent sur la Zélée en train de couler, sabordée par son équipage. L’officier chargé du canon ne tire pas sur les croiseurs sachant que ces coups ne serviraient à rien, sinon à se faire repérer et détruire. Les Allemands tirent sur les fortifications et sur la ville, puis s’en vont, sans le charbon.
Finalement les Français s’en tirent bien. On déplore seulement la mort de deux civils. Mais surtout les forces navales britanniques connaissent la position des croiseurs, les harcèlent, perdent une bataille, mais les bateaux allemands seront coulés à la bataille des Falkland en décembre 1914.
Histoire de la goélette Papeete renommée Zélée :
Cette goélette franche a été construite en 1892 à San Francisco (Californie, USA) pour le compte de la Marine nationale. La goélette sera la propriété de la Marine nationale de 1892 à 1901.
En 1906, la Papeete réquisitionnée par les autorités, quitte Tahiti en février avec à son bord l’administrateur des Tuamotu.
Son voyage d’inspection se transforme en campagne de secours auprès des bâtiments échoués, des villages ravagés par un cyclone. La goélette visite les nombreuses îles ou atolls, partout les habitations ont été rasées. Une goélette a disparu en mer. Un quatre mâts anglais est échoué sur le récif et dix matelots ont péri. Le 17 mars ils apprennent que la goélette Tahitienne s’est perdue ; les 9 hommes d’équipage sont restés cinq jours sur un radeau de fortune.
Sa mission terminée, la goélette Papeete retourne à Tahiti.
Ce cyclone de 1906 a fait 122 victimes et des ravages considérables. A Tahiti, la ville de Papeete est à moitié détruite.
En décembre 1921 la goélette Papeete est vendue à un particulier. Les moteurs sont enlevés, elle est de nouveau un vrai voilier.
En 1925 la goélette est prise dans un fort mauvais temps au large des Gambier. Le capitaine met le bateau à la cape pendant quatre jours et quatre nuits. Puis c’est le calme plat et la goélette dérive lentement. La nuit tout l’équipage, épuisé, dort. Au matin la goélette est immobile dans une darse entre les coraux immergés. Avec l’aide de la population la goélette est tirée de sa fâcheuse situation.
Le 15 juillet 1931, la goélette Papeete est rachetée par la Marine Nationale et rebaptisée du nom de Zélée, en souvenir de la canonnière de 1914.
Cette nouvelle Zélée est remise en état, on change la mâture, on installe deux moteurs Diesel ATLAS de 45. Elle est armée d’un canon de 47 mm, d’un fusil mitrailleur et de six mousquetons et deux révolvers. Son effectif est de 32 hommes commandés par un lieutenant de vaisseau.
Le 21 juillet 1932, la Zélée est à Bora Bora pour accueillir le croiseur britannique Diomède en visite de courtoisie accompagné d’un pétrolier ravitailleur. Une pêche aux cailloux est organisée avec filets, pirogues et la population. La pêche est miraculeuse, deux baleinières sont remplies. Suivant la tradition, les commandants ont l’honneur d’harponner les plus gros poissons. Le soir un grand bal réunit la population et les équipages des trois bâtiments. En pleine nuit il n’y a plus rien à boire ; le commandant de la Zélée envoie deux costauds à bord pour ramener deux barriques de 125 litres. La fête peut continuer jusqu’au jour à la satisfaction des trois commandants, des équipages et de la population. [1]
Mais qu’est-ce que la pêche aux cailloux ? En voici une description :
A cinq heures du matin, tout le long du rivage, les conques marines se mettent à rugir.
Les hommes, les femmes, les enfants, se pressent sur les bords du lagon et regardent s’éloigner les pirogues, en direction du récif. Elles se suivent, alignées par intervalle de trente à cinquante mètres.
A deux ou trois kilomètres de là, une autre ligne de pirogues se dirige pareillement vers le récif. Dans chacune, à l’arrière, un rameur conduit le bateau. A l’avant, un homme tient par un filin un gros caillou.
Entre les deux files, un vieux chef est debout sur une pirogue, tenant un drapeau. Tous ont les yeux braqués sur lui. Quand il juge le moment favorable il incline son drapeau à droite et alors tous les pêcheurs de droite, ensembles, lancent leur caillou dans l’eau, violemment.
Le vieux chef fait de même pour la rangée de gauche.
Il arrive que le caillou échappe à la corde, immédiatement le pêcheur plonge pour le rattraper.
Suivant les ordres du chef, les deux lignes obliquent de façon à se rejoindre par la pointe, du côté des récifs, et ainsi réunies, s’éloignent de la barrière de corail, amorçant un cercle.
Enfin, les femmes entrent dans la danse. Elles se plongent dans l’eau jusqu’au cou en se tenant par les bras, les jambes formant une palissade. Quand les hommes les rejoignent et se mettent eux aussi à l’eau, le cercle est bouclé. Les poissons, prisonniers, se jettent par bonds frénétiques contre cette barrière de jambes, en vain. Encore faut-il qu’il y ait des poissons...
Lorsque le cercle atteint son plus petit diamètre, un homme pousse à l’eau une pirogue chargée de feuilles de cocotiers formant un tapis. Ce grillage végétal, renforçant ainsi la palissade de jambes.
Mais ce jour-là, il n’y avait pas le plus petit poisson ! La prière du curé était-elle mal tournée ?
[2]
L’hydravion embarqué :
En Juin 1937, pas d’heures de vol pour l’hydravion qui est en réentoilage à la base navale de Fare-Ute.
Cela a été facile pour les mécaniciens de la base aérienne de Fare-Ute.
A l’Aéro-Club de Belvès nous avions un mécanicien retraité de l’Armée de l’Air, Monsieur Bouziat. Avec son épouse, il recousait et collait les déchirures aux ailes du Jodel. Un jour l’avion l’attendait dans le hangar, le dessous des ailes et du fuselage déchirés. Arrive le pilote qui lui raconte qu’il a fait une embardée en atterrissant sur la piste du club. Bouziat lui dit qu’il n’a jamais vu de genévrier autour de la piste. Ceux-ci poussent en terrain calcaire, l’aérodrome de Belvès est en terrain acide. D’où viennent donc toutes ces graines et ces aiguilles de genévrier dans la carlingue et dans les ailes. Oui, le sol est calcaire à la piste de Rocamadour, avoua le pilote…
Une semaine fut nécessaire pour tout ré-entoiler.
Moorea :
Moorea (Papetoai) Arrivée le 21 juin. Départ le 23 juin 1937
Moorea (Baie de Cook). Arrivée le 23. Départ le 25 juin
Quatre jours passés à Moorea, c’est court pour explorer l’île sœur de Tahiti qui était encore bien loin du Club Méditerranée.
A Moorea, les gens vivaient alors de la pêche et d’une agriculture vivrière. Ils avaient aussi quelques chèvres et des moutons. Les légumes et les fruits poussent presque tout seuls comme dans toutes les îles.
Un blanc nommé Vancouver avait constaté que dans les îles il n’y avait pas d’animaux, à part les cochons et la volaille. Très généreux il entreprit d’amener dans certaines îles des animaux tels que les buffles et les moutons.
Il conseilla aux indigènes de ne pas en prélever avant qu’un cheptel conséquent ne soit constitué. Les moutons ne se multiplièrent guère.
Les buffles formèrent un imposant troupeau, propriété du roi. Ces animaux étaient redoutables et les gens préféraient faire le tour de l’île en pirogue, plutôt que de de la traverser à pied.
Deux frères en firent l’expérience. Ils marchaient dans les collines quand sortit du bois un énorme buffle qui beuglait en les fixant. Ils s’enfuirent, l’un grimpa sur un arbre, l’autre fut rattrapé par le fauve qui le piétina et le jeta sur ses cornes. Le lendemain matin, les hommes virent le buffle et le malheureux toujours sur les cornes.
Protégés, les buffles proliférèrent et descendirent des montagnes dans les vallées et les collines, où l’herbe leur convenait. Ils formèrent d’immenses troupeaux.
Les indigènes apprirent un jour qu’ils pouvaient vendre les peaux des animaux. Facile pour les moutons, mais pour les buffles c’est une autre histoire, les peaux ne devaient pas être abimées.
Des Espagnols arrivèrent de Californie, ils s’y connaissaient en bétail. Montés sur des juments indigènes, ils attrapaient les bêtes au lasso.
Le roi, un peu jeune, récoltait un petit pourcentage de la vente, laissant les Espagnols dévaster son cheptel. En trois ans, des milliers de buffles furent abattus. Alors le roi compris sa bêtise et mit un tabou sévère sur la chasse. [3]