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Escale à Djibouti

Le vendredi 17 mai 2024, par † Léon Moron, † Michel Carcenac

Voici la neuvième partie du journal du commandant Moron lors de sa croisière dans la Mer Rouge en 1933. Le commandant est sans pitié pour le gouverneur de la colonie, Chapon-Baissac qu’il qualifie de toqué et dont aucun projet ne trouve grâce à ses yeux, qu’il soit civil ou militaire.

Chapon-Baissac parle de ses démêlés avec Henri de Monfreid "mais il est tellement antipathique qu’on donne raison, peut-être à tort, à l’aventurier."

Le futur voyage à Addis Abeba est négocié avec la compagnie de chemin de fer française.

La vie grouillante du village indigène à l’ambiance proche de l’Afrique noire enthousiasme le commandant comparée à la tristesse de l’Arabie.

15 février :

Le vent a soufflé fort du sud toute la nuit. Lorsque je me lève à 5h45 le jour commence à poindre. Le ciel est parcouru par des nuages déchiquetés. A l’appareillage, la Diana ne réussit pas à franchir le Vimy et est obligée de remouiller. Elle tourne sur sa chaine et nous sortons en vitesse. Dès la passe, la mer est faite. Nous tanguons lourdement. La brise est très fraiche. Les grandes tables du nord du Ras Bir se dessinent nettement.

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Le Vimy en ligne de file au large du Ras Bir. 11 h 15.02.33.

Nous passons les Frères et venons route au sud pour contourner le cap. Le ciel se dégage, la mer prend sa belle couleur bleue. Nous roulons et tanguons pas mal. Le Vimy, derrière remue beaucoup plus que nous et c’est normal. Nous passons devant les îles Musha. L’alignement d’entrée est noyé dans la poussière et nous ne le voyons qu’au dernier moment. La brise est encore très fraiche, même à l’abri du récif. Le malheureux Fontainebleau est toujours là, désormais complètement couché et sans espoir d’être jamais relevé. C’est un peu vexant de trouver sur 600 milles de distance deux paquebots français coulés par l’incendie. Nous mouillons dans le sud à lui.

16 février :

La Diana charbonne dès la première heure. On a fermé toutes les ouvertures et il fait une chaleur épaisse dans les appartements. La poussière noire charriée par la mousson saupoudre terriblement tout le bord. On ne sait vraiment plus où aller. Dans les chalands, les Somalis, noirs naturellement, souffrent certainement moins que nous de cette saleté. Elle colle à leur peau et les parcelles de charbon scintillent sur eux. Type d’hommes assez peu musclés en apparence, très souples, aux traits fins, beaucoup le nez busqué. Ils ont le torchon de la Mer Rouge autour des reins et le gros turban avec la queue pendante sur l’épaule.

Je me débarrasse de cette ambiance en descendant à terre faire quelques achats. Grosse chaleur et lumière éblouissante. Il n’y a dans la rue que les pouilleux qui vous collent comme des mouches. Le long de la jetée, les barques remontent avec le flot. Leurs équipages sont à l’eau jusqu’au cou et poussent en chantant. Leur peau noire luisante d’eau de mer est d’un lisse merveilleux. L’Amboise est arrivé d’Indochine, ce matin. Il a pris notre courrier pour le nord. Je suis allé à terre ce soir avec l’Amiral. Nous avons circulé dans les rues du village nègre qui est vraiment épatant. Venant de l’Arabie, on est frappé de l’ambiance noire, qu’elle soit somali, abyssine ou tout à fait nègre. C’est l’Afrique avec toute son impudeur. On y retrouve bien les joueurs de dominos et les marchands de dattes pourries, comme sur la côte d’Asie, mais ils sont entourés de marmots tout nus qui vous courent après dès qu’ils vous aperçoivent. Les femmes sont dans la rue et participent au commerce, alors que, là-bas, en Arabie, elles sont cachées derrière les moucharabiehs.

Hommes vêtus des costumes les plus différents : banians : chemise pendante sur le pantalon, veston, calotte, le tout blanc ; ces gens sont des parsis et ne mangent que ce qui n’a pas été tué ; des éthiopiens drapés ; des nègres presque nus, des petites filles hindoues aux pantalons de soie qui tombent jusqu’aux pieds.

Et surtout des quantités de femmes noires, quelques-unes belles de visage, rarement lippues et toutes fines de corps. Les coiffures, très différentes les unes des autres doivent être les marques des tribus. Autour de la fontaine, sur la place, les unes emplissent les tanakis d’eau, les autres se racontent des histoires. Des rangées de marchands de lait accroupis sur deux rangs se faisant face. On ne distingue pas les marchands des clients. Les uns et les autres sont drapés dans des cotonnades de couleurs étincelantes. Des rouges, des verts et des jaunes invraisemblables. D’endroit en endroit une abyssine Harrari passe, noble, dans une longue robe de couleur uniforme bleu ou jaune omelette ; elle a la tête coiffée en boule.

J’aime vraiment à Djibouti, cette diversité de races, de costumes et de couleurs que je ne me rappelle pas avoir vu ailleurs au cours de mes séjours en pays exotiques. On dénigre facilement cette ville chez nous parce qu’on en conserve la légende des palmiers en zinc, mais lorsqu’on vient de passer par Port Soudan et Kamaran, où tout respire la mort à demi ou complètement, on est heureux de retrouver la vie grouillante de notre colonie. Evidemment les rues du village indigène sont sales. Tous les gosses poursuivent l’européen de passage, la main tendue, les malheureux ascaris qui font la police sont miteux, mais c’est une orgie de couleurs, d’odeurs et de mouvement, alors que dans la colonie anglaise, à laquelle je pensais, la propreté et le policeman ont enlevé tout charme et tout caractère. Il faut croire d’ailleurs que notre laisser aller ne nuit pas beaucoup à l’indigène, parce que les gens grouillent, ils n’ont l’air, ni misérables, ni malheureux.

Nous sommes en train d’organiser notre voyage à Addis. Ce n’est pas très commode, parce que nous allons tomber juste au moment où les trains rapides vont être supprimés en raison des pluies de printemps. Nous prendrons le dernier de ces trains rapides pour monter, mais pour le retour nous serons obligés de coucher deux nuits en route. Ce sera bien long, surtout pour moi qui connais le paysage et qui sait qu’on n’en a vite assez. Par ailleurs, il ne semble pas que la Compagnie des Chemins de Fer soit très généreuse pour les officiers, du moins si ce que de Badens envoyé aux renseignements nous a rapporté comme tuyaux. Pas de permis de circulation comme j’en avais eu pour moi et mes officiers, mais 50% de réduction, ce qui laisserait encore le voyage couchette comprise à près de 1200 Fr aller et retour. Pour moi, la question ne se pose pas, puisque je dois aller là-bas en mission et que mon billet me sera remboursé, mais pour les officiers qui désirent aller private, c’est une autre histoire. Je sais bien que s’ils me demandaient mon avis, je les découragerai de dépenser une telle somme pour un voyage aussi fatiguant et d’intérêt aussi médiocre. Si j’étais libre de ma personne, je lâcherais volontiers Addis pour Harrar qui, je crois est la belle ville indigène.

Voilà plus de 24h que nous sommes arrivés et l’Amiral n’a pas vu le bout du nez d’un français. Le gouverneur s’est décidé à nous inviter après-demain, mais il ne restera guère de temps pour entrer en contact avec la colonie, puisque nous partons en fait lundi et que notre deuxième séjour sera absorbé à peu près entièrement par notre voyage à Addis.

Je me trompe peut-être, mais comme je sais que le gouverneur est assez mal avec la colonie, je pense qu’il ne tient pas du tout à nous mettre en contact avec des gens qui nous diront qu’il est un imbécile. Il suffit d’ailleurs de le voir pour s’en rendre compte. Il faudra bien cependant que l’Amiral voit les installations nouvelles.

C’était assez amusant d’entendre cet homme (le gouverneur) parler hier de Monfreid avec un petit air dédaigneux et nous dire qu’ici personne ne le voyait alors que tout le monde au contraire en parle.

Il ajoutait qu’il avait proposé, il y a quelques années de faire acheter les Farisan par la France, mais que le gouvernement ne s’y était pas intéressé. Si l’on se souvient de ce que dit Monfreid à ce sujet, on cherche où est la vérité.

D’après des renseignements que nous avons eu à terre, Monfreid ne serait ni à Dice Daoua comme nous le disait Maigret, ni sur les bancs comme l’affirmait Claoui à Suez, mais dans sa propriété près de Harrar.

J’ai acheté ce matin son troisième bouquin, la Croisière du Haschich. Il contient de fort belles photographies. D’un choix qui prouve du bon goût de celui qui les a inscris ou faits.

17 février :

La brise est beaucoup moins sensible que les jours précédents et il fait très chaud.

Descendu à terre avec l’amiral à 10 heures pour entretenir le gouverneur de certaines questions de service. Il nous fait un tableau assez noir de la colonie, non pas en ce qui concerne sa prospérité puisqu’il nous dit qu’elle vit sur elle-même et qu’elle envoie par surcroit quelques centaines de milles francs par an à la métropole, mais au sujet de l’absence absolue de tout moyen de défense en cas de conflit. C’est évidemment un plaidoyer pro domo et il n’hésite pas à nous confier que lorsqu’il est arrivé ici en 1924 on ne parlait pas moins que de céder la colonie à l’Italie. D’après lui, à cette époque, des officiers seraient venus de l’Erythrée à Tadjura pour y négocier un traité. C’est ce qui l’aurait incité à faire l’occupation effective de ce point. En réalité, nous dit-il, l’occupation fut faite par ma femme et moi. C’est splendide. Les Italiens ne se seraient d’ailleurs pas contentés de venir à Tadjura mais ils auraient envoyés une mission à Djibouti même, en auraient fait le recensement des ressources et auraient bâti un plan de répartition des locaux entre leurs administrations.

Depuis que je suis ici, dit Chapon-Baissac, je me suis efforcé avec mes maigres moyens de faire une politique de prestige, mais je ne peux lutter que bien difficilement avec les Italiens et les Anglais, nos voisins, avec les premiers surtout, qui dotent leur colonie de crédits considérables. Comme je ne voudrai pas que la côte française soit ramassée dans les 48 premières heures d’une guerre, j’ai demandé des moyens militaires : troupes, batteries… J’ai été XXX d’abord, mais il semble qu’en France, on commence à se rendre compte de la nécessité de meubler notre colonie de moyens de défense. Je viens de recevoir un capitaine et j’aurai avant longtemps une compagnie et peut-être deux.

Chapon-Baissac a demandé à l’Amiral de faire état de cette conversation et d’en donner les arguments Rue Royale.

D’après lui, la Somali serait capable de fournir de grosses ressources en hommes, auxquels viendraient s’ajouter des réservistes des colonies italiennes et anglaises voisines. Le principe d’un bureau de recrutement est admis d’ailleurs.

Le capitaine, qui n’est là que depuis cinq jours, s’appelle Fargues, je crois. C’est un gros bonhomme qui ne sort certainement pas de Saint Cyr. Il m’a dit que le côté militaire de la colonie est dans un état lamentable. Les cinquante méharistes sont ce qu’il y a de mieux. Quant à la garde indigène, elle est armée de vieux fusils Gras pas entretenus. Les mitrailleuses ne marchent pas et il n’y a ni bandes, ni caissons. On peut dire que c’est une base de départ, mais bien maigre.

J’ai rencontré au gouvernement deux des marécageux du personnel de C-B. Sales gueules. Ils m’ont donné quelques petits tuyaux intéressants. Le gouverneur aurait l’intention de créer dans le massif de Goda une station d’estivage à 1600 mètres. Le tracé de la route depuis Djibouti serait fait et les communications seraient doublées par des avions d’une compagnie civile qui ferait l’Abyssinie. A première vue, le projet est très beau, mais est-il réalisable ?

La région du Goda est peuplée de Danakils féroces qui ne laisseront la route libre que si on leur met sur le dos des troupes en bonne quantité. Je ne sais pas très bien quand nous aurons les moyens de le faire.

Les directeurs de la Compagnie des Chemins de Fer sont venus à bord ce matin. Il semble que définitivement on nous offre 50% de réduction et 4 couchettes gratuites. Ce n’est pas mal, mais c’est insuffisant pour les officiers qui auront à voyager à leur frais.

Comme j’entrevois le voyage à Addis comme une corvée sans intérêt, j’ai insinué à l’Amiral que nous pourrions essayer au retour de faire un saut à Harrar, qui doit avoir beaucoup de chic. Le projet a été communiqué au Directeur et j’espère que cela collera. Ce n’est qu’à ce prix que j’accepterai de gaité de cœur de passer trois jours sur la route pour le voyage du retour.

J’ai demandé à ces gens ce qu’étaient devenus certains des personnages importants des Chemins de Fer à qui j’avais eu affaire il y a cinq ans. Par les réponses, j’ai pu contrôler que tous avaient été balayés peu après mon passage. Ils m’ont dit que cela n’avait rien d’extraordinaire puisque les fonctionnaires ne restaient pas normalement très longtemps, mais je sais par ailleurs qu’on a fait un nettoyage parce qu’on avait trouvé à Paris que les faveurs accordées étaient trop nombreuses, heureux euphémisme pour ne pas avouer des tripotages scandaleux.

En tout cas, ce petit train français est en bénéfices très sensibles et c’est probablement le seul du monde entier. Ceci parce que les marchandises transportées sont des marchandises de valeur : café, peaux, etc. et que l’exportation marche malgré la crise.

Le gouverneur, ce matin, nous avait conviés à 16 heures pour aller avec lui sur le terrain examiner un certain nombre de points intéressant à la fois la défense de Djibouti et l’amélioration des conditions de vie des gens de la ville par l’éloignement du village indigène. Il y avait là le Directeur des Travaux Publics, le médecin, le capitaine, enfin trois voitures pleines.

On nous a arrêtés dans le voisinage des deux phares dont l’alignement sert pour l’arrivée au mouillage. Zone un peu surélevée en arrière de la mer de trois à quatre kilomètres. Entre elle et la mer, une plaine de sable au ras de l’eau. Tout autour de nous le désert de cailloux noircis de basalte. Une chaleur terrible.

Le gouverneur nous expose alors ses projets : amener ici le village indigène, y faire construire des casernements pour la garde indigène, transporter dans le voisinage le terrain d’aviation et les postes de TSF, qui sont actuellement à côté de la ville. Peut-être même y installer une batterie de défense. L’eau pour le moment, il n’en est pas question. On croit rêver ou plutôt on se demande si ce n’est pas un fou qui parle. Jamais les indigènes n’accepteront, même s’ils sont complètement idiots de quitter la proximité d’une ville européenne commerçante pour venir habiter un désert de cailloux situé à plusieurs kilomètres d’elle et de la mer. Si c’est par analogie avec ce que font les Anglais, on se trompe d’interprétation. Les Anglais ne se mêlent jamais aux indigènes, mais ils ne les refoulent pas loin d’eux. On n’imagine pas non plus l’intérêt qu’auraient des avions à venir sur un terrain très éloigné de la ville et entouré du désert de cailloux où une chute est fatale. Quant aux postes de TSF, s’ils sont gênés par les moteurs des ventilateurs des habitations de la ville, il suffit de les déplacer de deux kilomètres, mais dans un endroit facilement accessible.

Il ne peut être question, non plus de mettre des moyens de défense dans cette zone, ni même les casernements. Si un ennemi vient à Djibouti opérer, ce sera peut-être pour détruire, mais plutôt pour occuper un point aussi important et aussi commode, muni de pas mal d’installations et en relations faciles avec l’Éthiopie par le chemin de fer. On peut supposer des bateaux venant là de nuit débarquer des hommes à la racine de l’épi de la ville et bombardant l’agglomération au petit jour, tout en ménageant le port et les installations voisines pour pouvoir les utiliser ensuite. Si l’on veut refouler une telle tentative, même si le hasard voulait qu’une batterie soit installée, il ne faudrait pas que les troupes soient perchées à 4 km du point de débarquement. Les mitrailleuses ne portent utilement qu’à 1500 m. Le temps de venir au point attaqué et l’ennemi serait installé solidement, le derrière appuyé à une ville affolée par un bombardement et sans aucun moyen de défense. Ce serait une situation magnifique pour l’attaquant. On n’a pas idée, non plus de placer de l’artillerie à 4 km en arrière de rivage pour perdre ainsi le tiers de sa portée.

Il faut être toqué pour imaginer un pareil ensemble. Je crois d’ailleurs que la plupart des assistants pensaient comme moi.

Chapon-Baissac, sur la route du retour nous a reparlé de Monfreid. Il reprend facilement toutes les histoires des bouquins et les retourne à sa manière, mais il est tellement antipathique qu’on donne raison, peut-être à tort, à l’aventurier.

Nous avons passé devant la gare en rentrant. C’était l’heure où tout le monde va voir l’arrivée du train d’Addis. Les indigènes formaient le long des trottoirs des guirlandes de belles couleurs.

Ce soir, comme hier, j’entends dans le lointain le tam-tam qui appelle à la danse.

18 février :

Nous sommes descendus de bonne heure ce matin pour aller visiter les travaux du port. Le chantier est assez actif et on espère l’achèvement pour la fin de 1934.

Ce qui frappe le visiteur dans une telle entreprise, c’est l’influence qu’ont pu avoir des intrigues sur la réalisation. On voit par exemple un retrait dans la jetée à un endroit où la logique eut voulu la voir droite pour aller sa raccorder à un autre épi. On demande la raison d’une telle anomalie et on vous répond que c’est évidemment stupide, mais qu’on l’a fait par crainte de revendications du propriétaire de l’épi au cas où on y aurait fait le raccord.

A première vue d’ailleurs, il ne semble pas que ce port, dont la raison d’être majeure doit être le ravitaillement en mazout des paquebots, ait été conçu, ni pour rendre très facile le pompage, ni pour simplifier l’embarquement et le débarquement des marchandises par rapport à ce qui est fait actuellement au mouillage sur rade. Il est certain que des paquebots n’accepteront pas de venir coller leurs flancs à trois épis perpendiculaires à la jetée lorsque le vent les y poussera et leur situation a été choisie de telle manière que pendant trois mois de l’année, c’est ce qui se produira. La mousson d’été qui souffle à partir de juillet de l’ouest est trop violente en rade pour qu’un bâtiment ose tenter pareil amarrage. De plus, il semble qu’un quai eut été préférable à ces épis, qui auront une quarantaine de mètres ( ?) de long et dont les racines seront sur une jetée brise lames sur laquelle toute circulation de marchandises sera impossible.

En fait on aura dépensé beaucoup d’argent pour une amélioration bien maigre de la situation actuelle – mazoutage délicat en été, nécessité de transbordement des marchandises par chalands. La raison ne serait probablement pas difficile à trouver ; il est probable que l’Afrique Orientale, propriétaire du matériel de batelage et de chalandage veut continuer, malgré la construction du port, à gagner de l’argent avec ses moyens.

Et puis, enfin le mazout n’est pas encore là. Les réservoirs ne sont pas commencés. On doit les placer d’ailleurs au point le plus exposé à un bombardement par la mer. Le projet d’avoir des citernes flottantes comme solution provisoire est lui-même dans l’eau. Je crois qu’on mazoutera encore longtemps à Aden. C’est un peu navrant.

En somme, puisqu’on déclare qu’un quai d’accostage en eau profonde avec alimentation de mazout, grues et dégagement direct des marchandises par voie ferrée demanderait beaucoup trop d’argent, qu’on ne fasse rien de ce côté et qu’on se contente du port aux caboteurs. Les paquebots continueront à venir au mouillage, qui n’est jamais mauvais. On leur accostera des citernes ou ils prendront à bord un pipeline comme à Périm ou à Aden.

Du bout de cette jetée, nous regardions la malheureuse épave du Fontainebleau, qui est maintenant à peu près couchée sur le côté. Lorsqu’on pense qu’on a dépensé tant d’argent pour essayer de relever ce bateau et qu’on en est toujours au même point. Sans parler du point de vue prestige, il ne faut pas oublier que cette épave absorbe quatre postes de mouillage et les meilleurs.

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L’Ingénieur du port nous racontait la dernière tentative de relevage, récente d’ailleurs, qu’avait faite un italien. Le bonhomme était arrivé à Djibouti avec deux ancres et quelques bouts d’aussières et il avait déclaré qu’en deux mois il se faisait fort de mener à bien l’opération. Son projet était de faire basculer l’épave qui est couché sur tribord en chargeant le côté bâbord de poids considérables. Le basculement serait aidé par la traction d’aussières sur les mâts avec points fixes sur des ancres… Il engagea les travaux et le jour où il escomptait le succès, il convoya des tas de gens pour jouir du spectacle. Hélas, l’épave ne bougea pas, tout le système de traction cassa et le malheureux fut tué. Son corps, à peu près dévoré par les poissons, fut retrouvé plusieurs jours après.

Il est inconcevable qu’on ait laissé un toqué se lancer dans cette aventure qui aurait pu être la cause de la mort de beaucoup de monde.

Le soir, dîner chez le gouverneur, suivi de bal. Table inintéressante, nourriture très quelconque. Les invités en cure-dents : la noce à Thomas. Ambiance certainement agréable, cependant pour les enseignes, parce que jolies femmes assez nombreuses.

L’Amiral a ramassé assez vertement le président du cercle qui ne lui avait pas rendu la carte qu’il avait déposé. Il a eu rudement raison et il est bon de faire sentir aux Français à l’étranger, que nous, marins, avons l’habitude de trouver chez les autres un peu plus de correction que chez nos compatriotes.

Nous avons fait le pied de grue au quai pendant une demi-heure parce que l’officier de quart de la Diana avait disposé de l’embarcation destinée à l’Amiral. C’est invraisemblable.

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5 Messages

  • Escale à Djibouti 17 mai 21:38, par Annick Harris

    C’est bien de voir l’humeur de l’amiral Moron changer à la vue de toutes les belles couleurs de "notre" colonie, bien que sa langue soit toujours très acerbe ! Il semble également avoir plus de respect pour la population autochtones que dans les escales précédentes.
    Vous l’avez surement dit dans le premier épisode, mais j’ai oublié ! Ces extraits viennent-ils du journal personnel de l’amiral Moron ou bien du journal de bord de son bateau ? C’est le commentaire de François de Rochefort qui m’y fait penser.

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    • Escale à Djibouti 18 mai 10:56, par Michel Carcenac

      Chère Annick,
      Il s’agit bien sur d’un journal personnel et même très personnel. Personne n’était censé lire ces lignes, totalement anti-diplomatiques. Le journal de bord du bateau ne renferme que les éléments intéressant la navigation, route, état de la mer, vent, nébulosité etc, et tous les officiers du bord y ont accès.
      Si tu veux plus de détails : Croisière du commandant Moron en Mer Rouge 1933
      Le commandant Moron n’aime pas beaucoup les anglais, mais il est loin d’être le seul, surtout dans la marine, même maintenant.
      Pour les autochtones, il est vrai qu’il est plus agréable d’être dans une ambiance libre comme celle qu’il décrit dans le "village" que dans le rigorisme de l’Arabie. Je crois que tu as été frappé par des commentaires négatifs en oubliant les positifs, sur les Danakils par exemple.
      "Peu après le mouillage nous voyons arriver au bord de l’eau un cortège de deux chameaux et de quatre hommes. Les chameaux sont blancs, les hommes noirs comme du charbon. Ils sont vêtus d’une pauvre étoffe verte et portent sur la tête le grand turban blanc. Ils sont armés du boomerary et de la lance. L’ensemble est magnifique."
      Merci de ta fidélité.

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  • Escale à Djibouti 17 mai 13:08, par François

    Merci pour la suite d’une aventure qui semble sans fin ! Le style de Moron et son point de vue sur les gens et les événements tranche joyeusement avec la morosité et les discours convenus de notre époque. A bientôt pour la suite ! François de Rochefort

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    • Escale à Djibouti 18 mai 11:01, par Michel Carcenac

      Merci pour un commentaire si positif.
      Il est vrai que cela semble sans fin. Quand on pense au si petit laps de temps pendant lequel tout cela arrive ! Et je dois dire que je n’ai même pas fini de taper le texte. Il ne faut pas mollir pour tenir le rythme de la publication !

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  • Escale à Djibouti 17 mai 12:44, par denis

    Bonjour, merci pour cette escale, et pour les details sur cet endroit plein de bons souvenirs....

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