A droite, Élina accepte de poser, avec son ombrelle. Elle ne s’est pas installée sur le même plan que les autres, le mouvement de l’épaule droite dit bien qu’elle n’est pas de ces gens-là. Le visage manque de netteté car la gélatine de la plaque est abîmée.
Élina est née en 1849, elle devait avoir soixante ans et la photo doit dater de 1910.
Ce jour-là, elle avait accompagné sa " bonne " dans sa famille, pour une visite de quelques heures peut-être. Le chauffeur et photographe était Antoine.
Les parents et grands-parents sont nu-pieds, mais tout le monde à la campagne faisait de même à cette époque. Les dents ont disparu. La mère est heureuse, mais la grand-mère, intimidée, se cache. Le garçon a des brodequins, peut être en l’honneur des visiteurs. Quant à la bonne, elle est jolie, bien coiffée suivant les conseils de la patronne et vêtue comme il faut. La robe a été retaillée, mais la couture part en zigzag. Evidemment, elle porte des chaussures.
Le lieu : inconnu. D’autres maisons sont bâties avec les mêmes pierres dans le village de Cladech qui domine le château des Milandes et je me souviens que, par tradition, mes parents allaient " chercher " leur bonne à Cladech. Il aurait été très simple de faire parler mon père, il ne demandait pas mieux, mais quand on exerce une profession prenante, on n’a pas le temps et puis, ces histoires d’autrefois, on les écoute d’une oreille distraite. Plus tard viennent les regrets.
Personne en 1910, et bien plus tard, ne pensait qu’une bonne était une esclave, n’ayant que le dimanche pour se reposer. Mais quand elle " sortait " d’une maison sérieuse, elle avait appris son métier de femme et avait gagné en dignité. D’avoir vécu avec des bourgeois lui donnait un vernis. Cette photo en est un exemple. Si cette bonne était restée à la ferme, elle aurait subi un esclavage bien plus pénible, aurait été coiffée comme sa mère, et n’aurait pas eu de chaussures.
Découvrir Le Périgord d’Antoine Carcenac : (photographies 1899 - 1920).