Cette jolie fille avec Antoine, nous l’avions déjà vue plusieurs fois sur des photos en compagnie de mon père, et leurs regards, leur attitude, en disaient long sur l’estime mutuelle qu’ils se manifestaient.
Ici, la noce se fait photographier dans un bois, mais tous les bois se ressemblent. Nous avons eu beau chercher, torturer la mémoire des plus âgés, impossible de découvrir le lieu. Les personnages ? tous inconnus, sauf Antoine. Il a cadré le cliché, avec davantage d’espace au-dessus des têtes que sous les pieds, s’est assuré que les branches ne faisaient pas d’ombres importunes. Il a donné l’ordre de ne plus bouger, a libéré le déclencheur automatique et s’est précipité pour retrouver sa place... un instant trop tard.
Si ses souliers sont bien ancrés, sa main gauche bouge et plus encore son visage qui est flou, plus exactement, dédoublé. Les yeux mi-clos, la bouche fermée, il n’a pas eu le temps de prendre la pose. Entre sa cavalière et lui, en retrait, son autre visage ricane d’une façon inquiétante.
Prenant le bras de la mariée, un jeune homme tient son chapeau avec des doigts si longs qu’on les prend pour des pinces de crabe.
La mariée, un bouquet de fleurs d’oranger piqué dans les cheveux, s’appuie nonchalamment sur son ombrelle. Elle est fière de sa taille de guêpe, mise en valeur par une robe simple et élégante. Mais, que de volants pour les autres.
L’équilibre du tableau est donné par les deux grands messieurs qui entourent la mariée. De chaque côté, les tailles sont plus petites.
Toutes les dames sont coiffées à la mode, un rouleau débordant sur le front, surmonté d’un chignon. On retrouve cette même coiffure pour une noce à l’hôtel de France en 1908.
Les questions : où ? quand ? qui ? étaient restées en suspens jusqu’à la réception en octobre 2002 de la lettre d’un instituteur retraité, M. Serge Coste. Celui-ci venait d’acquérir, dans une petite librairie, un des derniers exemplaires du Périgord d’Antoine Carcenac. Quelle ne fut pas sa surprise de reconnaître dans cet ouvrage la photo (la nôtre) du mariage de ses grands-parents maternels, Omer Gardeau et Jeanne Chavier, le 4 septembre 1906. Tous deux, enfants d’instituteurs, étaient eux-mêmes instituteurs à Monbazillac, conditions éminemment favorables à une idylle.
Monsieur Coste, lui-même enseignant par hérédité, m’a nommé les personnages et m’a raconté leur vie.
Les parents du marié sont à sa droite, en particulier ses deux sœurs, Berthe, et Agnès, bien embarrassée par son éventail.
Sur la gauche de la mariée, la famille de Jeanne Chavier. Sa sœur Marguerite vivait chez ses parents à Monbazillac. C’est la cavalière d’Antoine ; elle avait seize ans et lui vingt-deux et ils étaient très amoureux l’un de l’autre, mais le destin veillait.
Après ce mariage, Pierre Landesque, conducteur des Ponts et Chaussées, arriva un jour de Béziers et eut le coup de foudre pour Marguerite. Ce bel homme, grand et fort, sut trouver les mots pour la séduire.
Ils se marièrent en 1908, elle avait dix-huit ans, lui vingt-cinq. Ils partirent pour la Tunisie, où elle attrapa les " fièvres " et en mourut à vingt-quatre ans. Si elle était restée en Périgord... Leur fille habite au Maroc, leur petite fille à Béziers. J’ai une pensée reconnaissante pour Pierre Landesque, le don Juan, je lui dois la vie.