Le nombre impressionnant de nos ancêtres directs et la subjectivité de nos arbres généalogiques
Théoriquement, le nombre de nos ancêtres directs se calcule par la formule suivante 2 puissance G (G étant le nombre de générations prises en compte pour construire votre arbre généalogique). Sur douze générations, comme je l’ai entrepris avec un premier ancêtre connu né en 1595, cela donne pour moi (née en 1951) 4096 ancêtres. Le nombre de mariages entre cousins réduit l’effectif, bien sûr.
Je n’ai retrouvé que 683 ancêtres directs sur ces 4096 théoriques, faute d’enregistrements dans les paroisses où ils vivaient, malgré l’ordonnance de 1539 préconisant cet enregistrement et pour beaucoup d’entre eux je n’ai retrouvé que les dates de naissance, de mariage ou de décès et les lieux. Ces chiffres donnent le vertige devant notre méconnaissance considérable de nos origines et l’extrême brassage de nos racines. Plus j’avançais dans ma généalogie, plus je constatais que ma subjectivité me conduisait à privilégier l’approfondissement d’une branche par rapport à une autre, d’un personnage par rapport à un autre. Je voulais, par exemple, donner autant de place aux femmes qu’aux hommes, contrairement à ce que l’on fait en suivant seulement la lignée patronymique, ne pas oublier non plus les oncles et tantes, cousins et cousines, neveux et nièces qui constituaient l’environnement souvent très proche de nos ancêtres , et pour les oncles et tantes célibataires, « ceux qui tenaient les murs de la maison » comme dit encore une tante pour qui la dispersion du patrimoine est un des grands malheurs qui peuvent arriver à une famille.
C’est donc un arbre subjectif que je présente, celui des racines que je ressens comme miennes et en inventant ma propre manière de présenter cet arbre, en élaguant tous ceux (et toutes celles) dont je ne parlerai pas. Il reste après ma sélection une dizaine d’ancêtres dont je vais essayer de vous faire partager l’histoire… sur les 8549 individus qui figurent dans mon arbre généalogique.
Tous originaires de pays rudes
Les lieux où nous avons vécu nous marquent à jamais. Ils déterminent pour beaucoup notre relation au monde. Ce que l’on y voit, le temps qu’il y fait, les plantes qui y poussent, les chemins qui les traversent, qui y mènent ou qui en partent, les voisins que l’on a ou l’isolement dans lequel on vit, tout cela fait de nous ce que nous sommes.
Les lieux de l’histoire de ma famille tiennent dans deux mouchoirs de poche de 20 km de côté pour le plus grand, moins de dix pour le plus petit ; ils sont faciles à atteindre maintenant, ils sont tous en bordure d’une autoroute. L’A 89 (sortie Les Salles) pour la branche paternelle, l’A430 (sortie Albertville) pour la branche maternelle. Bien que mes ascendants aient peu bougé jusqu’à la génération de mes parents, ils vivaient dans des lieux de passage et de frontière : le franchissement des Monts du Forez, incontournable pour aller de Lyon à Bordeaux (celui qu’a suivi Montaigne en 1580), limite entre l’Auvergne et le Forez, le passage vers l’Italie par le col du petit St Bernard (celui qu’a suivi Hannibal en -218 avant JC), limite entre la France et le royaume de Sardaigne.
Des pays rudes et isolés : La chevalerie, Bounier, Sommet, Les Cros, Le grand bois, Bénétan ou Montesseau sont tous situés à plus de mille mètres d’altitude et connaissent la neige pendant les mois d’hiver (aujourd’hui encore), Coubanouze, Biorges et La Bathie ou Esserts-Blay sont moins élevés et plus riants, moins isolés aussi. Tous ces hameaux sont de petite taille, même s’il faut les imaginer beaucoup plus peuplés qu’ils ne le sont aujourd’hui (certains sont quasiment inhabités aujourd’hui, même si aucun n’est abandonné). Des pays où la pierre est toujours là près de la terre arable, où l’on cultivait le seigle et la pomme de terre plus que le blé.
- Lieux auvergnats et foréziens où vécurent mes ancêtres directs
- Lieux savoyards où vécurent mes ancêtres directs
Tous paysans et artisans
Tous mes ancêtres sont des paysans jusqu’à la génération de mes parents, des petits paysans, mais paysans propriétaires, qui travaillaient la terre et élevaient des animaux, mais ils avaient tous une activité complémentaire, sans doute plus ou moins importante : marchands de bois par eau, coutelier, charpentier, sabotier, marchand, charron, colporteur, ardoisier, cabaretier…
Aucun ne semble avoir fait des études importantes, mais beaucoup savaient signer assez tôt, se sont préoccupés de politique et tous ont veillé jalousement à l’accroissement et à la transmission du patrimoine. Bien modeste patrimoine, durement acquis et défendu par toutes sortes de méthodes qui sont restées honnêtes (allant du célibat, à la descendance restreinte et aux recours au tribunaux).
Avec des croyances qui ont donné à ma famille sa couleur particulière
Le patrimoine génétique, les lieux et les métiers nous déterminent en partie, mais nous héritons aussi de nos ancêtres de croyances qui traversent les générations et influencent notre vision du monde et j’ai voulu aussi témoigner de cette vision du monde qui était la leur.
Tous mes ancêtres ont été élevés dans la religion catholique mais leurs degrés de pratique ont sans doute été très variables. Ils ont eu des oncles prêtres, des tantes religieuses et certaines mères confites en religion, ils ont vécu proches de lieux de mission (comme l’Ermitage au-dessus de Vollore) mais la tendance familiale semble plutôt pencher vers une mécréance discrète et ancienne.
Ce n’étaient pas non plus des aventuriers ; quatre siècle d’enracinement et pas une seule émigration repérée ni vers les Antilles, ni vers la Nouvelle France, ni vers les colonies, ni même vers les villes proches. Les plus lointains voyages sont ceux des marchands de bois par eau vers Nantes, des colporteurs d’Arconsat vers le Mexique et Cuba, des savoyards vers Paris, des auvergnats vers Lyon ; mais il s’agit dans tous les cas d’émigrations limitées dans le temps avec un retour espéré (et souvent réalisé) au pays, d’émigrations pour se constituer le pécule qui permettra de mieux vivre au pays. Pas plus aventuriers dans leurs entreprises professionnelles ou leurs mariages : ils ont toujours suivi la voie de leurs parents de la façon la plus traditionnelle. Le plus entreprenant de tous a fait faillite ! Aucun non plus n’a fait fortune !
Ni aventuriers, ni grands guerriers ; ils ont souvent échappé au service militaire ou même à la conscription en raison de tares physiques ou en se cachant. Ceux qui ont fait la grande guerre (mon grand-père maternel et mon arrière grand-père paternel) ne l’ont pas faite sur les champs de bataille.
Je ne vous invite donc pas à lire une grande épopée, mais l’histoire d’une famille qui a connu à travers le temps des malheurs et des bonheurs et a compté quelques personnalités attachantes et d’autres moins. J’y ai consacré trois ans de travail assez intense, en recherches généalogiques, poursuite de fausses pistes, visites des lieux, rencontres de cousins et cousines, lectures d’ouvrages, numérisation et transcription de documents d’archives, questions sur de forums, visites aux archives départementales, rédactions intermédiaires.
Souvenirs d’enfance
On commence toujours sa généalogie d’un point particulier. Le mien, c’est celui des vacances à la Chevalerie et de ces nombreuses "tantes" qui y venaient l’été et dont la position dans l’arbre de notre ascendance était pour le moins obscure. Elles s’appelaient Marthe, Finette, Camille ou Colette et nous les voyions vivre, et puis il y avait la mystérieuse tante Gal dont on parlait beaucoup mais qui était morte.
Vous vous appeliez Marthe Lévigne ,Marie Félicie Antoinette Guyonnet, Camille Guyonnet et Colette Mathieu. Vous étiez des grandes personnes qui vivaient sans mari, sans enfant, sans même un animal domestique. Je vous revois fanant comme dans une photo de J.F. Lartigue, car vous étiez des citadines passant seulement l’été à la campagne, occupées de vous, prêtant parfois la main distraitement et pour peu de temps. Finette entretenait sa peau extraordinairement douce, Marthe lisait des romans policiers, Camille était si fantasque et Colette si rare que je ne sais plus à quoi elles passaient leur temps.
A la Chevalerie vous aviez toutes une maison acquise dans d’obscures héritages, mais vous veniez de la ville, toutes fonctionnaires, toutes dans l’enseignement ou les postes. Vous ne prêtiez aucune attention aux enfants que nous étions mais je me souviens très bien de vous. Pour moi, vous restez des personnes admirables et mystérieuses, plus que des grands-tantes (que vous n’étiez pas toutes d’ailleurs), modèle désiré par mon père pour son unique fille, mais peu prisé par ma mère.
Je ne vous ai jamais vues comme les vieilles filles solitaires, amères et désœuvrées que vous étiez sans doute. Il flotte toujours sur vous un parfum de liberté. Votre égoïsme à vous avait une fois pour toute délimité le champ de votre regard sur le monde mais je ne vous ai jamais entendu vous plaindre. D’ailleurs vous ne parliez pas aux enfants !
Que j’aimais votre étrangeté, votre vie de bohème comme il peut en exister à la campagne : repas de n’importe quoi, à n’importe quelle heure, régimes surprises, lectures à n’en plus finir, jamais un tricot (ou alors infini et inachevé), jamais un bonbon ou un livre pour les enfants, sublimes, entières d’égoïsme.
Ma grand-mère Maria Maria Guyonnet, bien qu’ayant mari et enfants, était comme vous, dans une version paysanne et sauvageonne, pas arrangée comme une citadine, mais oubliant tout quand ses sœurs étaient là pour vaquer à de longues lectures de magazines ou d’infinies rêvasseries, l’éloignant des fourneaux et de son travail de fermière.
Au cours de ma recherche, une cousine m’a remis une photo de vous prise dans les années 1910. Vous êtes devant un décor de photographe, sans doute à la demande de la tante Gal dont j’ai découvert l’identité au cours de mes recherches Marie Antoinette Guyonnet, la sœur de mon arrière grand père mariée à un Monsieur Gal : Marthe est la première à droite, Maria ma grand-mère vient ensuite, puis une cousine inconnue, puis c’est Finette Marie Félicité Antoinette Guyonnet, puis une autre cousine inconnue. Camille mon autre grand tante n’est pas encore née et les deux cousines inconnues, sans doute deux autres nièces de la tante Gal Niche Lévigne et Germaine Guyonnet.
- Pour visiter le site de l’auteur : A partir de ce que vous me racontez de votre arbre généalogique ou de vos albums-photos, j’écris pour vous l’histoire de votre famille.