Ils ne sont pas très loin de chez eux, 70 km tout au plus, quand débute ce récit et nul ne peut dire s’ils quittent leur domicile de Martigny en Valais ou s’ils le regagnent ! Redoutent-ils une nouvelle inondation comme celle qui avait frappé la commune moins de deux ans plus tôt et veulent-ils se mettre à l’abri de l’autre côté de la montagne, ou bien reviennent-ils d’une visite à quelque ami en pays genevois, ou bien encore le Biot est-il leur destination programmée ? Chacune de ces hypothèses est plausible mais aucune n’est établie, alors imaginons les évènements tels qu’ils ont pu se dérouler.
Vers 15h, le lundi 7 février 1820, Marie Catherine ressent les premières contractions. Il faut faire halte sans tarder car la délivrance est imminente. Au Biot, ils s’arrêtent chez une de leurs connaissances, le sieur François GALLAY, qui est chirurgien. Il accueille le couple dans sa grande maison et aide au long et douloureux accouchement. A 1 heure du matin naît un petit garçon qui pousse aussitôt son premier cri ; quelques instant plus tard vient au monde une fillette fluette au visage bleui tant le cordon ombilical lui a serré le cou ; le chirurgien pratique sur elle quelques mouvements respiratoires et la ramène à la vie. Une fois lavés et emmaillotés, les petits sont confiés aux bons soins de la gouvernante de la maison et d’une nourrice mandée par le sieur GALLAY.
Au matin du 8 février 1820, les enfants sont présentés au recteur JACQUET qui les baptise : Jean François a pour parrain le sieur François GALLAY et pour marraine Jeanne Françoise BERTHET son épouse ; le parrain et la marraine de la petite Marie Josette sont Jean Marie et Josette GALLAY, deux des enfants du chirurgien.
Dans les jours qui suivent, Pierre Ferdinand, Marie Catherine et le sieur GALLAY constatent, impuissants, la dégradation de l’état de santé de la fillette. Marie Josette meurt l’après-midi du 13 ; elle est inhumée dès le lendemain dans le cimetière du Biot.
Pierre Ferdinand et Marie Catherine regagnent alors Martigny, le coeur gros de la disparition de Marie Josette et on n’entend plus parler d’eux. Le jumeau survivant grandit avec, dans un coin de son âme, un vide, un manque inexpliqué qui le trouble et le pousse à se faire remarquer sans cesse. Le jeune Jean François est impoli, désobéissant et se rebelle contre toute autorité. Il quitte rapidement l’école, finit par ne plus paraître au domicile familial et en très peu d’années, sombre dans la délinquance et le banditisme.
Le 21 février 1851, la Cour d’Appel de Savoie condamne Jean François TURREL à 7 ans de réclusion, pour vol qualifié. L’expérience de l’incarcération ne le décide cependant pas à rentrer dans le droit chemin. Au contraire : c’est probablement en prison qu’il rencontre le nommé Jacques François SIMONIN, (condamné par la Cour d’Appel de Savoie le 10 juin 1856 à 5 ans de réclusion et 5 ans de surveillance pour vol qualifié). Ils projettent de monter une bande pour exercer la seule activité qu’ils connaissent : le vol.
Ces deux-là se sont trouvés ! Sitôt sortis de prison, les voilà qui récidivent..... et se font prendre rapidement.
Le Journal de la Savoie du 11 juin 1862 rapporte que la Cour d’Assises de la Savoie siégeant à Chambéry les 6 et 7 juin 1862, examine l’affaire dite de La Bande d’Albertville, composée de :
- SIMONIN Jacques François, 29 ans, cordonnier [le chef de la bande, instigateur des mauvais coups]
- TURREL Jean François, 42 ans, vannier [l’exécutant "sans foi ni loi"],
- CHÂTON Marie dite Koenig, dite la Tunique, 22 ans,
- PRELIOUSE Marie, dite Boirard, veuve BEAUSSANT, 38 ans,
- PERRON Françoise, veuve GLAIRON-MONDET, mercière, 53 ans,
- CONSEIL Marie-Madeleine, femme DEFFAUGT, mercière, 39 ans.
L’acte d’accusation expose que, pendant près de trois mois, d’octobre à janvier [1861-1862], les deux premiers accusés, SIMONIN et TURREL, se sont souillés des crimes les plus odieux, volant et pillant avec une audace et une impudence inouie, dépouillant les autels de leurs vases sacrés, ne respectant rien, arrêtant les femmes qui se trouvaient sur leur passage et se livrant sur elles aux excès les plus honteux... Ils habitaient une misérable cabane [à Marthod]... C’est dans ce repaire qu’ils vivaient dans une promiscuité déplorable, couchant tous pêle-mêle, se servant pour couvrir leur ignoble grabat, des nappes d’autel qu’ils avaient volées et ne respectant même pas l’innocence de deux enfants de dix ans qui demeuraient et couchaient avec eux....".
En 1862, la justice ne montre aucune indulgence pour les voleurs récidivistes et les auteurs d’actes de violence. Toute la bande est lourdement condamnée : SIMONIN, TURREL, PRELIOUSE, CHÂTON, CONSEIL sont condamnés aux travaux forcés, à raison de 20 ans pour chacun des trois premiers, 8 ans pour la quatrième, 6 ans pour la cinquième ; la dernière, GLAIRON-MONDET est condamnée à 6 ans de réclusion.
Jean François TURREL est envoyé au bagne de Toulon où il arrive le 12 juin 1862.
L’extrait des Matricules des Chiourmes le décrit ainsi : 1,54m, cheveux et sourcils blonds, front haut et bombé, yeux bleus, nez fort, bouche grande, menton à fossette, barbe rousse, visage ovale, teint clair. On relève comme signes particuliers : les pieds en dedans, les doigts de main crispés, tatoué d’un Christ sur l’avant-bras droit, plusieurs taches blanches dans le dos.
Certes, il n’est pas une force de la nature, mais sa rouerie, son absence de moralité et son incontrôlable violence compensent largement son faible gabarit.
Sa fiche de renseignements le dit célibataire, catholique, sans fortune, illettré et précise que sa conduite antérieure [à sa condamnation]... était détestable : il vivait en concubinage, ne s’adonnait à aucun travail et ne tirait ses moyens d’existence que du produit des vols qu’il commettait avec une rare habileté, et des aumônes qu’on lui faisait.
Durant les 7 mois qu’il passe au bagne de Toulon, il est déjà astreint aux travaux fatigants, n’obtient aucune récompense et ne subit aucune punition.
Détaché de la chaîne le 6 janvier 1863 , il embarque 2 jours plus tard pour la Guyane sur le transport l’Amazone, pour y exécuter le reste de sa peine de 20 ans de travaux forcés.
Par décision du 10 juin 1876 (soit après 13 ans de bagne en Guyanne) Jean François TURREL se voit accordée une remise de 6 mois... dont il ne profite même pas car il décède aux Îles du Salut le 6 mai 1878, moins de 4 ans avant la fin de sa peine.
Nota :
Son comparse SIMONIN, décrit comme vagabond, voleur de profession, condamné à la même peine, transféré de Toulon en Guyane à la même date, par le même navire, s’évade de St Louis [du Maroni] le 7 octobre 1864 avant d’être repris dès le 11 octobre. Il décède lui aussi aux Îles du Salut, le 23 août 1869.
Les dossiers des femmes condamnées aux travaux forcés ou à la réclusion n’ayant pas été conservés par l’administration pénitentiaire, on ne sait pas où PRELIOUSE, CHÂTON, CONSEIL et GLAIRON-MONDET ont exécuté leur peine. Tout au plus apprend-on, grâce aux Archives Nationales d’Outre-Mer qu’une Marie CHÂTON, condamnée en 1887, envoyée en Nouvelle Calédonie et est morte en mer le 10 octobre 1889.