Au bord de la plage, une hutte, même pas – un chien, un homme tout noir coiffé du gros turban blanc et vêtu de loques – une barque misérable. Attiré, il vient le long du bord. On lui donne des cigarettes, des allumettes et une tamaki d’eau. Il entre en conversation avec les Taharias.
Ailleurs sur la plage, des êtres que nous prenons pour des hommes et qui sont de gros oiseaux.
Il fait chaud, les hommes prennent la coiffe blanche, on fait les tentes. Nous allons partir tout à l’heure pour les ruines de Port Bérénice.
Commencé après le déjeuner la lecture du livre du Dr Duguet sur le pèlerinage de la Mecque. Du peu que j’en lis il me semble que c’est un travail parfaitement fait et très intéressant.
A 14 h 30, Nous partons, l’Amiral et moi pour les ruines. Nous emportons chacun un mousqueton et un paquet de cartouches pour le tir de tout gibier. Nous tentons de débarquer à la pointe sud de la petite baie du mouillage, mais nous nous échouons sur les récifs trop loin pour pouvoir débarquer. Nous allons dans le NW, vers le point qui est indiqué dans les Instructions. Nos hommes nous portent à terre. Nous voilà partis. Le bord de la plage est couvert de coquilles de mollusques de toutes les formes depuis les petites palourdes jusqu’aux gros lambis et bénitiers. J’en choisis quelque unes et dépose en vue une belle coquille de bénitier que je me propose de reprendre au retour. Nous nous dirigeons sur une mire que j’ai aperçue le matin dans le voisinage des ruines, lorsque nous arrivions au mouillage. Nous ne pouvons d’ailleurs pas aller en ligne droite, parce que des lagunes desséchées en partie seulement, nous barrent la route. Nous traversons successivement des zones de terrain mou et de ramlets qui craque et s’écrase sous les pieds. Nous croisons à un moment donné les traces de deux hommes qui ont dû marcher côte à côte pieds nus – peut-être le Roi de Bérénice et sa femme ou son enfant (ayant désormais décidé d’appeler le Roi ce noir qui est notre voisin du bout de la plage). Nous marchons ainsi plus d’une heure et demie. Peu avant d’arriver à la ruine, nous constatons avec dépit qu’une voiture, peut-être ceux qui sont passé par là, pas hier, certes, mais le fait que des autos ont eu l’audace de venir en ce pays perdu déflore un peu notre solitude. A l’entour du monticule des ruines, des tas de sable gros comme des petites huttes sont coiffés de touffes à demi desséchées – des termitières peut-être, des tumuli peut-être aussi. Quelques arbres à épine de l’espèce de ceux du désert d’Abyssinie complètent le décor de premier plan. La lagune qui sépare la côte du mouillage est d’un vert étonnant, inconnu, tandis que la ligne de collines de l’Est est rose et pleine de lumière. Au large, la ligne d’horizon de la mer est presque noire, tant elle est bleue.
A mesure que nous approchons de la mire, le sol est plus accidenté ; il est jonché d’une infinité de morceaux de poteries qui prouvent que nous sommes sur l’emplacement de l’ancienne ville. Je ramasse deux morceaux de vase, dont un goulot ansé d’assez jolies formes. Je ramasse également des miettes de céramique couleur de la lagune et un morceau de verre joliment taillé sur lequel je crois voir en bordure supérieure une inscription, mais les sujets, si seulement les dessins que je décèle sont des sujets sont si petits que je ne peux distinguer rien de précis.
Les ruines sont bien pauvres : au pied de la mer quelques fragments de muraille et une petite chambre à allure de tombeau ; autour les restes d’une enceinte et c’est tout. L’ensemble n’occupe que quelques mètres carrés et les murs encore debout ne dépassent pas un mètre de haut. La pierre s’est décomposée et les blocs sont, non seulement feuilletés mais leur matière est par endroit comme une pâte de craie desséchée. Le soleil allume sur ces pierres des teintes roses délicieuses. L’Amiral s’installe à faire un croquis pendant que j’erre parmi les débris. Je gratte le sol et j’y trouve un aggloméré de terre poussiéreuse dans laquelle sont des fragments d’os mêlés à des débris de coraux et de gros coquillages. Peut-être dans l’épaisseur de ces petits tells trouverait-on quelque chose d’intéressant.
Le soleil baisse et nous nous mettons en route. Nous avons le dos couvert de petites mouches collantes. Nous retrouvons nos traces et rentrons à notre baie d’embarquement alors que la nuit est complètement tombée. Nous n’avons rencontré aucun animal vivant pendant toute notre promenade et les mousquetons n’ont été pour nous qu’une gêne.
En arrivant à bord, on nous annonce que le « Général Arimondi » qui était à Suez avec nous vient de mouiller dans la rade extérieure. C’est d’un tact douteux.
Ptolémée II créa la majorité de la douzaine de ports qui existaient alors sur la mer Rouge.
A Port Bérénice étaient débarqués les éléphants destinés à l’armée royale. D’abord importés d’Inde, mais des guerres incessantes mirent fin à tout commerce.
La chasse aux éléphants sauvages africains se faisait sous la protection des soldats car les gens du pays n’étaient pas contents qu’on leur enlève une excellente nourriture. Des dompteurs calmaient les pachydermes et les conduisaient vers des bateaux spéciaux, les elephantagoi, Dans des espaces cloisonnés, les bêtes ne bougeaient pas même avec une mer un peu dure.
Les éléphants africains venaient du Soudan, d’Ethiopie, d’Erythrée. Le transport par mer était obligatoire, sinon il y avait mille kilomètres de désert impossible à parcourir. De port Bérénice, il n’y avait plus qu’une traversée modeste de désert jusqu’au Nil.
Ptolémée IV importa 73 éléphants qu’il fit combattre contre un roi et ses éléphants.
Si Bérénice constituait un abri sûr, le port était cependant d’un accès périlleux et difficile, nécessitant de passer à travers de nombreux bancs de sable et de corail.
En 137, l’Empereur Hadrien fit construire une route reliant port-Bérénice à Antinopolis sur le Nil.
Les archéologues estiment que le port fut habité jusqu’au 6e siècle de notre ère (d’après Wikipedia).
Hélène Cuvigny, directrice de recherche au CNRS, ostracologue célèbre, venait souvent à Belvès chez des amis communs. (Les ostraca sont des fragments de poterie utilisés comme support d’écriture, concept qui me devint familier en écoutant les histoires de fouille d’Hélène Cuvigny.)
- Ostrakon portant le nom de Thémistocle, 490-480 ou vers 460 a. C. Musée de l’Agora antique d’Athènes. Wikipedia Commons
Dans le cadre d’un projet de recherche de l’Institut français d’archéologie orientale au Caire, elle s’est vu confier, en 1994, l’exploration du réseau de garnisons romaines jalonnant les pistes reliant Coptos, sur le Nil, aux ports de Myos Hormos et de Bérénice sur la mer Rouge.
A Port Bérénice, les fouilles se faisaient autour de la ville dans les tas d’ordures situés au pied des remparts.
Hélène Cuvigny, Les ostraca sont-ils solubles dans l’histoire ?, Chiron, 2018, pp.193
217. halshs-02975618.
21 janvier
La lumière éblouissante qui entre par mon sabord m’éveille. A 9 h nous quittons le bord avec l’Amiral pour l’exploration des chenaux qui mènent à la grande lagune. Un midship qui a fait la veille la traversée, nous guide. Nous circulons sur le canot à moteur, qui remorque un youyou dans des chenaux en épingle à cheveux, au bord desquels nous apercevons dans l’eau des floraisons de polypier. Des poissons sautent hors de l’eau.
Nous ressortons de la lagune avec plus de difficulté qu’à l’aller. Le soleil est haut et la surface de l’eau, à peu près calme est éblouissante.
Ravitaillés en essence, nous repartons pour la lagune du sud des ruines que nous avons aperçu hier du signal géodésique voisin du temple. Nous avançons avec précaution, un peu trompés par la clarté de l’eau qui nous fait voir tout ce qui existe avec une clarté impressionnante. Des poissons énormes circulent entre les tas de polypiers. Le fond diminue et nous transbordons dans le youyou que nous échouons à l’entrée sud de la lagune à proximité d’une barque et d’un campement misérable. Nos hommes nous déposent à terre. Le campement, constitué d’une tente en poil de chameau tendue sur deux perches, deux femmes, l’une vieille, l’autre jeune et assez belle et deux enfants aux chevelures épaisses et crépues. Dans le voisinage circulent des vautours, balayeurs bénévoles. Le sol est jonché de gros coquillages qui ont servi de repas aux oiseaux et aux hommes. Les habitants du campement restent immobiles figés de peur et probablement de mépris. Nous ramassons des squelettes de poisson bizarres aux mâchoires terribles. Nous longeons la lagune puis nous reprenons le chemin du bord sans avoir trouvé les ruines que nous pensions rencontrer dans les parages. Un tell situé dans l’intérieur nous fait croire que là se situait jadis la ville de Bérénice, mais nous craignons une déception et le temps passe trop vite pour que nous allions vers lui.
Appareillage de Port Bérénice à 14 h 30 par un temps magnifique. Nous ne voyons pas plus la roche Cygnet qu’à l’arrivée. L’île Mukawar sort toute rose de la mer et le rocher St Jean parait un tas de foin embrumé au large. C’est à peine si nous distinguons le récif fer à cheval par une petite ligne de sillage et une tête de roche. Le rocher Blanc, qui parait noir, est lui très visible. Coucher de soleil quelconque. Aussitôt passé entre le Fer à cheval et le rocher Blanc, nous mettons en route au 142 à 10 nœuds, ce qui doit nous mettre au jour au cap Elba. De là nous entrerons dans le Sherm Abu Amara Farat (Abu Emma).
Avant d’aller me coucher, je monte sur la passerelle. La nuit est très noire. Orion est presque au zénith. Sirius et Canopus sont magnifiques. La mer est calme, sans houle et la lame du sillage de l’avant a le bruit régulier des eaux tropicales.
22 janvier
Je me suis levé au jour. Un petit pétrolier affreux remonte la Mer Rouge et passe près de nous à bâbord. Il fait presque calme. Le ciel est chargé dans les bas, tout autour de l’horizon de nuages qui pourraient être pris pour une annonce de pluies si nous n’étions pas en Mer Rouge. Le soleil se lève maussade. Peu à peu nous distinguons la terre, sous forme de monticules non identifiables. Nous devons être très au large. Nous avançons dans le sud jusqu’à 8 heures et ne voyant rien de précis, nous piquons vers la terre. Alerte à 9 h, une ligne d’écume droit devant. Nous stoppons et mettons une baleinière à l’eau. Ce n’est qu’une bave transportée par les courants. Nous remettons en route. Baptisant une montagne que nous distinguons mieux que les autres, montagne Abu Emma. Des chicots sortent de l’eau droit devant. Nous les longeons à l’Est en supposant que c’est le Shab Ghul Lewa. Dans le Nord d’autres chicots ; nous venons de 90° à l’Ouest, certains sans savoir pourquoi que nous avons le cap sur Abu Amara Farat. Nous ne nous sommes pas trompés. Deux lampes vert pâle, très rapprochées l’une de l’autre nous indiquent l’entrée d’une baie. Nous entrons doucement et venons mouiller au-delà du banc central. Tout le pays est dans le mirage ; l’oasis du nord est vaporeuse et les chameaux au pâturage ont des silhouettes folles. Peu après le mouillage nous voyons arriver au bord de l’eau un cortège de deux chameaux et de quatre hommes. Les chameaux sont blancs, les hommes noirs comme du charbon. Ils sont vêtus d’une pauvre étoffe verte et portent sur la tête le grand turban blanc. Ils sont armés du boomerary et de la lance. L’ensemble est magnifique.
- Un nomade Afar. Wikipedia commons.
Une défense de mammouth vieille de 23 000 ans, taillée dans une forme similaire à celle du boomerang, a été découverte en Pologne en 1986.
Le roi Toutankhamon, célèbre pharaon de l’Égypte ancienne, mort il y a plus de 3 000 ans, possédait une collection de boomerangs à la fois à vol droit (chasse) et à retour.
- 4 boomerangs du tombeau du pharaon Toutankhamon. Wikipedia Commons.
Leurs chameaux sont baraqués et les hommes s’accroupissent dans les buissons du bord de l’eau. L’un d’eux a une chevelure crépue énorme que l’un des autres s’occupe à peigner ou à épouiller.
Dans le sud un troupeau d’une centaine de chameaux escortés s’allonge en marche (Mirage extraordinaire des chameaux dans le ciel).
Les permissionnaires sont nombreux – au moins vingt-cinq hommes. Ce qui dénote un bon état d’esprit de l’équipage de ce bâtiment. Ils sont en pantalon gris, tricot les manches relevées au-dessus du coude et le casque en tête. Aussitôt débarqués, tous se précipitent évidemment vers les indigènes qui sont accroupis au bord de l’eau.
Je descends avec l’Amiral à trois heures. Nous allons vers la baie du nord dont l’accès est figuré sur la carte par un petit goulet. Comme nous n’y apercevons aucune passe praticable pour la vedette, nous franchissons le récif d’entrée avec le youyou et un homme nous dépose à terre.
Nous gravissons une petite falaise de deux à trois mètres dont le sol se forme d’un mélange de sable, de corail pulvérisé et de coquilles. Au sommet deux sépultures : une tombe rectangulaire élevée d’une trentaine de centimètres au-dessus du sol et un entourage en pierres dressées. Des matelots sont en arrêt devant. Ils nous disent avoir vu un chacal passer à proximité.
- Tombe pays des Afars. Wikipedia Commons.
Nous nous dirigeons vers le groupe d’arbres aperçu en arrivant au mouillage et nous pensons y trouver un village. Nous traversons un terrain assez uni de fond alternativement sableux et de gravier ou petits cailloux noirs. Le paysage est très grand. S’étendant sur plusieurs kilomètres de profondeur un terrain de plaine parsemé d’arbres à épine et de broussaille assez verte. Se détachant sur cette plaine les deux collines coniques qui semblaient du large former le côté nord de l’entrée. Dans le fond et très loin une barrière de montagnes. Sur la plaine de nombreux chameaux au pâturage.
Nous entrons dans ce que nous pensons être l’oasis. Pas trace d’habitations. Un bocage d’arbres et d’arbustes épineux, quelques petits monticules qui paraissent être des tombes. Des fosses creusées certainement par l’homme et qui sont ou ont été des points d’eau. Dans l’une d’elle, deux indigènes remplissent des outres de peau d’une eau boueuse jaune. Les pentes de la fosse sont couvertes d’une couche épaisse de crottes de gazelles. Quantité considérable de crottes sous les arbustes épineux dont le branchage rase la terre. D’endroit en endroit les restes desséchés de gazelles. C’est certainement là que ces bêtes viennent boire la nuit et c’est là qu’elles sont dévorées par les fauves. Je retourne une coquille de bénitier à demi enterré dans le sable. Il en sort un ignoble margouillat rose qui s’enfuie. Mes matelots s’amusent avec des petits d’oiseaux qu’ils ont dénichés dans la broussaille.
L’Amiral s’installe à faire un croquis : vue du point d’eau avec les deux indigènes et un beau palmier, l’unique du paysage. Les deux hommes sont très noirs, l’un est jeune, l’autre a la barbe blanche. Ils ont tous les deux une perruque énorme crépue et rougeâtre. Ils portent piqué en travers une grande épingle de bois. Le vieil homme commence sa prière tandis que l’autre charge les outres sur l’un des ânes. Mais il s’aperçoit que nous le regardons et il s’arrête. Le chargement fini, le jeune homme grimpe sur un âne, l’autre suit à pied. Il porte en travers sur le derrière un immense sabre à lame plate.
Le soleil descend vers les hautes montagnes du fond et disparait dans des nuages épais, sans couleurs. Nous nous mettons en route vers notre point de débarquement. Nous dépassons des chameaux qui trottinent ridiculement de l’ampleur de leur entrave : les deux pieds de l’avant sont liés ensemble.
Une mère chamelle, effarouchée, s’arrête face à nous et tourne lentement le cou dans la direction opposée, vers son petit qui la rejoint. Un enfant monté sur un chameau, très élégant d’allure, opère le ralliement de ses bêtes. Il chante en poursuivant les retardataires.
Et nous nous rembarquons.
Nous sortons de notre baie. Je vais à l’avant de la vedette pour donner la route. Mais la nuit est presque tombée. Je vais à l’aveuglette et conduis sans m’en apercevoir l’embarcation sur le récif de la côte nord. Nous allions très doucement fort heureusement et nous nous déséchouons sans mal et sans peine. Malheureusement tout mouvement en avant ou en arrière que nous faisons désormais nous mène sur des coraux dont nous pouvons apercevoir encore les têtes terribles. Nous mettons le youyou à nous tirer à l’aviron et je prends la barre de la vedette. Nous avançons lentement de caillou en caillou. Le Vimy, animé des meilleures intentions allume son projecteur et le braque sur nous. A partir de ce moment nous sommes complètement éblouis et nous avançons comme des chouettes en plein jour. Un youyou chargé de quatre nageurs vient à la rescousse et le train des trois embarcations finit par sortir du banc. Nous accostons le Vimy.
Après le dîner les officiers ont installé un réflecteur à la coupée au ras de l’eau. Il éclaire un carrousel de poissons de toutes les tailles. Après plusieurs tentatives infructueuses de lancement de leur épervier, les officiers réussirent à coiffer un poisson d’assez belle taille.