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Clandestin (3e épisode)

Classe 44 - réfractaire et maquisard

Le vendredi 1er décembre 2006, par Bernard Morinais

En dehors des gars du pays qui eux, rentraient chaque jour chez eux, j’eus vite fait de repérer qu’un certain nombre n’étaient pas en situation régulière. C’est donc instinctivement que je me rapprochais de ces derniers. Au bout d’un certain temps, nous avions formé un groupe que l’on pourra appeler les “Réfractaires”.

Chapitre III

Après avoir embrassé toute la famille, je prenais le train en gare du Nord, équipé comme un vrai campeur, en direction de Rouen.
Les trains, pendant cette période troublée s’arrêtaient à chaque station et c’est vraiment au hasard que je descendais à la gare de Chars.

Il était dix heures du matin, je pris la route en direction de Marines distante d’une dizaine de kilomètres.

Ayant étudié la région sur une carte routière, je savais que le champ d’aviation de Cormeilles en Vexin était occupé par les Allemands et que la portion de route entre Marines et Génicourt était interdite à toute circulation, c’est pourquoi, passé Marines, je m’aiguillais par les petits chemins sur Bréançon.

Le temps était splendide, un bel automne, et midi me surprit en bordure du bois des Hautiers.
Je décidai d’y casser une croûte.
M’asseyant au bord du talus, j’ouvris mon sac à dos pour en sortir les quelques denrées que la Grand-Mère m’avait enveloppées. Sur le dessus, j’y trouvais un papier plié sur lequel je pouvais lire en éclatant de rire : « Mon petit gars, (la Grand-Mère m’avait toujours appelé son petit gars malgré que la hauteur de sa tête atteignait difficilement ma poitrine), il te manque deux slips que je n’ai pas eu le temps de repriser, dès que l’on saura où tu es, nous te les ferons parvenir ».
Ce petit mot me remonta le moral.

Je déjeunais de bon coeur (10 kilomètres,ça creuse) et reprenais ma route vers Grisy-les-Plâtres. Plusieurs fermes visitées, tant à Grisy qu’à Epiais-Rhus, restèrent portes closes et ce n’est qu’en fin d’après-midi que j’atteignais Gérocourt.

Gérocourt, petit hameau dépendant de la commune de Génicourt, n’était constitué que par une unique, mais gigantesque ferme. Un grand porche, sur la droite, une mare aux canards dans une immense cour, avec son traditionnel mais énorme tas de fumier au beau milieu ; sur la gauche une grande maison bourgeoise qui, me sembla-t-il abritait les maîtres des lieux ; en fond de cour, au haut d’une côte, des bâtiments qui ressemblaient à une usine. Je devais rapidement apprendre, que c’était une distillerie de betteraves.

La bonne, au fort accent slave, me fit asseoir sur un banc de bois, dans l’antichambre d’un salon que je distinguais par la porte entrouverte.
L’attente fut brève.
Une grande et large femme, au regard perçant comme une vrille à bois, me reçut.

  • « Vous désirez, jeune homme ?
  • Voilà, je suis parisien et mon usine vient de fermer, je suis sans travail et ayant entendu dire que vous embauchiez, je me présente.
  • Qui vous a dit que nous embauchions ?
  • C’est mon ancien chef d’atelier. (Ce qui était faux naturellement).
  • Ah !, et que faisiez-vous dans cette usine ?
  • Ajusteur, Madame, sur les moteurs. »

La patronne (car c’était la patronne) marqua un temps d’arrêt et fit appeler le régisseur. Ce dernier, un homme d’environ vingt-cinq ans, culotte de cheval, veste de velours et petit chapeau de feutre, eût l’air intéressé par ma formation professionnelle et me déclara :

  • « Je vous embauche, vos connaissances de mécanique nous seront utiles lorsque nous attaquerons la campagne de distillerie. En attendant, vous serez occupé à différents travaux de la ferme. »

Je fus conduit dans ma « carrée », dans les combles des communs au premier étage d’un bâtiment surplombant la mare.

C’est là que je devais faire la connaissance d’André, un gars du Nord, occupé depuis trois ans en qualité de jardinier. André me documenta immédiatement, avec beaucoup de sympathie :

  • « C’est « la Tigresse » qui t’a embauché ?
  • Oui et non, je pense que le régisseur a donné son avis, il a déclaré vouloir m’utiliser en distillerie.
  • Bon, je vais t’expliquer où tu es : la ferme fait dans les 200 hectares, de céréales, de betteraves et de prés, ainsi qu’un élevage de moutons. Sur la colline, tu as dû voir les bâtiments de la distillerie également propriété des « Ménard ». Elle, c’est la « Comtesse », une vraie vache qui est prête à te faire pisser le sang. Lui, c’est le maire du bled. Le régisseur qui t’a reçu est un jeune ingénieur agronome en stage qui commande tous les travaux, traversant le territoire à cheval, surveillant le personnel. Nous sommes une trentaine de bonshommes, sans compter les « flamands », qui ne vont pas tarder à rappliquer pour la campagne d’arrachage des betteraves à tâche. Quant à la distillerie, le contremaître Leclerc et son fils, en dirigent le fonctionnement. Bientôt, les travaux de remise en état des installations vont commencer, et ensuite la campagne de distillerie dure de trois à quatre mois. Je pense, que tu seras certainement affecté là. Allez, viens, allons dîner. »

J’étais très satisfait de l’accueil d’André.
Nous traversâmes la cour pour entrer dans le local qui servait de réfectoire ou une immense table de près de 10 mètres de long était garnie de convives dont tous les yeux convergèrent vers moi sitôt le seuil franchi.

  • « Je vous présente Bernard, il va « bosser » avec nous autres à partir de demain », annonça André.

Un sauté de mouton parfumé nous attendait, servi par une accorte dame que tout le monde appelait Henriette. C’était la femme du garde-chasse de la propriété, prisonnier en Allemagne. J’allais très vite me rendre compte qu’elle ne faisait pas que servir à manger à cette troupe de jeunes hommes qui pour la plupart étaient célibataires.

Je regagnais ce que j’appellerai pompeusement ma chambre, contiguë à celle d’André et qui était composée d’un lit de bois garni d’une paillasse de menue paille d’avoine, surplombé d’une planche pour y ranger ses affaires.
Broc d’eau, cuvette sur un tabouret tenaient lieu de « salle d’eau ».
Vue sur la mare par une fenêtre crasseuse pour tout horizon.

Je fus effectivement occupé, pendant plusieurs semaines, à différents travaux de ferme. Pansage des bêtes, dès le matin, puis manipulation de paille, de foin et l’après-midi, battage. En effet, les bottes de céréales, blé, avoine, etc... étaient stockées depuis la moisson dans des hangars et l’on « battait », presque tout l’hiver.

Ma fréquentation des paysans, lors de mes vacances en Bretagne, et mon court séjour chez les Méthivier, firent que je m’adaptais rapidement aux cadences de travail sans passer pour un « parigot ».
L’occupation à différents postes me permit rapidement de faire connaissance de mes camarades de travail et avoir quelques précisions sur l’environnement.

En dehors des gars du pays qui eux, rentraient chaque jour chez eux, j’eus vite fait de repérer qu’un certain nombre n’étaient pas en situation régulière.
C’est donc instinctivement que je me rapprochais de ces derniers.

Au bout d’un certain temps, nous avions formé un groupe que l’on pourra appeler les “Réfractaires”.
André, en faisait partie, malgré sa situation particulière de jardinier de Madame la Comtesse entre autre, atteint de tuberculose, il était muni d’un certificat l’exonérant du STO.
Raymond, le charretier, un gars du pays sans famille proche.
Estory, planqué là pour échapper aux recherches dont il était l’objet, d’origine britannique par son père.
Aldo, italien antifasciste et réfractaire au STO.
« Bicot », jeune algérien déraciné de la banlieue.
« N’a qu’un chasse », juif arménien, qui aurait du porter l’étoile jaune et qui était surnommé ainsi du fait de son oeil droit abîmé dans un accident.
Robert, réfractaire au STO de chez Hispano.
Et enfin, « Barbe en zinc », surnommé ainsi à cause de sa barbe, dure comme des clous de fers à chevaux (lui-même disait devoir se raser deux fois par jour afin d’être propre), originaire de Bordeaux, militant des jeunesses communistes, il était là « au vert », comme il disait.
Nous ne nous connaîtrons que par nos prénoms, ou nos surnoms (absolument pas péjoratifs pour certains).

J’avais fait parvenir à mes parents une lettre, ils savaient donc où j’étais et j’eus un jour l’agréable surprise de voir arriver Claudy, mon jeune camarade qui m’apportait un courrier de Sartrouville et qui avait décidé de venir me rejoindre. Malgré son jeune âge, 16 ans à l’époque, le régisseur l’embaucha et il logea dans la même « carrée » que moi.

La campagne de distillerie qui s’annonçait allait automatiquement distraire un certain nombre d’entre nous des travaux de la ferme.

Je ne me trompais pas, je fus affecté à l’entretien du matériel mécanique de la distillerie.
Révision des bras de laveurs, réajustage des paliers des arbres, mise au point des diffuseurs. Nous travaillions 12 heures par jour, six jours par semaine.

André, qui devait nous rejoindre dès la mise en route de la campagne, au poste des diffuseurs (son travail de jardinier étant en morte saison), m’expliqua quel allait être notre sort :

  • « Dès que la distillerie a démarré, me dit-il, elle ne s’arrête plus. Nous travaillons 12 heures de jour, une semaine, 12 heures de nuit la suivante, et ainsi de suite. Tout est contrôlé par les boches, l’alcool de betterave qui sort à environ 95/97% leur est entièrement réservé. Un Fritz passe ses journées dans les locaux et la nuit, à seule fin que nous ne puissions distraire de l’alcool, toutes les portes des cuves sont équipées de cadenas spéciaux munis d’une trappe sous laquelle il glisse un papier, ce qui fait que, même si tu as la clef ou si tu en es fabriqué une, tu es obligé de crever le papier pour ouvrir, donc de rendre compte. »

J’imaginais rapidement une astuce pour tromper la vigilance du chleuh.
Nous en étions aux ultimes journées de révision des matériels et étions occupés à badigeonner les cuves, à l’extérieur, de peinture grise.
Je fis donc sauter au burin l’un des rivets de 12 mm, qui assemblaient les tôles des cuves, et avant peinture, le remplaçai par un rivet de 10 mm, gainé d’un morceau de durite de caoutchouc.
Le rivet était donc transformé en un bouchon amovible entrant par force. La peinture camoufla l’ensemble.

Novembre arriva bien vite, les boches firent livrer des briquettes et les chaudières furent mises sous pression.
La campagne pouvait démarrer.

Le fritz, affecté à la distillerie, était un vieux avec qui nous n’entretenions aucune conversation, malgré qu’il parla assez bien le Français.
J’étais affecté aux laveurs, André aux diffuseurs, « Barbe en zinc » à la chaufferie et un solide bonhomme du pays, Gaston, à l’abattage. Ce dernier poste consistait, dehors, à abattre les tas de betteraves dans des rigoles où la circulation d’eau les entraînait vers les laveurs.

Le travail était extrêmement pénible, alors qu’il faisait une température avoisinant les 45°C dans la salle des diffuseurs, ce qui obligeait André à vaquer en maillot de corps.

Le hangar de lavage bénéficiait lui, de l’ambiance extérieure, et sachons que cet hiver-là, comme d’ailleurs tous les hivers de l’occupation, fut très rude, atteignant certains jours -15°C.

Le bruit infernal des bras de lavage, nous obligeait à hurler pour se faire entendre. Douze heures de nuit dans cet enfer et j’étais bien loin des soins attentifs que me prodiguait ma Grand-Mère, avec sa bouillotte pour réchauffer mon lit lorsque j’étais gamin.

Avec ma petite combine, nous sortions l’alcool de la cuve à pleins seaux et cela nous permettait de nous ragaillardir plusieurs fois dans la nuit avec un « café arrosé ».
Notre ami Gaston, lui, l’allongeait avec du cidre, il avait un estomac en tôle.

Claudy, qui pouvait circuler librement, faisait de temps en temps une incursion à Sartrouville et me ramenait des nouvelles de mes Parents.
C’est ainsi qu’il m’annonça, pour le dimanche suivant, la visite de mon Père.

Ce dernier, descendu à la gare de Boissy-L’Aillerie, arriva à la ferme vers 10 heures. J’obtins l’autorisation, pour lui, de déjeuner avec nous le sempiternel sauté de mouton (je crois n’avoir jamais autant mangé de mouton de ma vie).

Le Père m’avait apporté du linge et, surtout, un certificat de circoncision médicale (j’avais effectivement été circoncis, à l’âge de 14 ans, et tout homme dans se cas devait le justifier).
Après avoir passé une bonne après-midi avec mon Père, dans notre chambre, je décidais de l’accompagner un bout de chemin vers Boissy.

La nuit était tombée.
Il nous fallait pour cela longer le champ d’aviation, occupé par la Luftwaffe.
Au carrefour de la route de Pontoise, les occupants avaient reconstitué un faux village en bois, maisons, école, église, tout y était, y compris de faux hangars, sensés abriter leurs appareils, imitation parfaite du site de Cormeilles en Vexin où là, se trouvaient rassemblées toutes leurs activités, à l’autre bout du terrain, à 5 kilomètres de là.

  • « Je vais te laisser là, dis-je à mon père, plus loin ce serait risqué pour moi, malgré que l’on ne voit jamais de boches de ce coté. »

C’est alors que les sirènes se mirent à hurler sur Boissy et Cormeilles.
Alerte !...Les projecteurs de la FLAK (flugzeuge abwer kanonen : DCA) éclairaient le ciel, comme la scène d’un théâtre un jour de « première », et nous apercevions très nettement les bombardiers alliés dans la nuit noire.

  • « C’est pour nous !... », hurlais-je à mon père en me jetant dans le fossé.

Il m’imita alors que les premiers obus de DCA pétaient au-dessus de nos têtes.
La RAF (Royale Air Force) était en train d’arroser copieusement le terrain d’atterrissage et les hangars, côté Cormeilles, et curieusement des projectiles apparemment assez lourds, tombaient à quelques dizaines de mètres de nous, sur les bâtiments de bois, sans exploser.

L’alerte dura une dizaine de minutes, et je quittai mon père une fois le calme revenu.

Ce n’est que le lendemain que nous apprîmes que la base de Cormeilles avait été en grande partie détruite ainsi que de nombreux appareils au sol. Quant au faux village en bois, il avait été bombardé de bombes en bois.
Cette anecdote peut prêter à rire, mais il faut dire que le moral de ceux qui en eurent connaissance fut sérieusement rehaussé, le nôtre en particulier.

La situation à la ferme ne paraissait pas s’arranger, la campagne de distillation allait se terminer et le travail commençait à manquer, la nourriture laissait à désirer, surtout concernant la quantité, rationnement des pommes de terre et même du cidre, qui pourtant était fabriqué sur place.

C’est alors que nous allions affronter durement les « Patrons ».
Chaque soir, vers 17 h 30, avant de monter à la distillerie, l’un d’entre nous passait en cuisine où le personnel lui remettait notre dîner pour passer la nuit.

  • « Dis donc, me dit « Barbe en zinc », nous n’allons tout de même pas bosser 12h00 cette nuit avec ça ?
  • C’est-à-dire ?
  • Une soupe et une tablette de chocolat !
  • On ne prend pas la relève si on n’a pas plus que ça ! ajoutais-je, qu’en pensez-vous ? »

Seul Gaston, enfant du pays, semblait hésiter et lorsque nous franchîmes la porte de la cuisine pour aller rouspéter, il ne nous suivit pas.

  • « Nous voudrions voir Madame Ménard, dis-je à la bonne polonaise, nous ne pouvons aller au travail avec si peu dans le ventre.
  • Madame n’est pas là, nous fut il répondu.
  • Eh bien ! on va l’attendre !

Traversant en quelques enjambées l’immense cuisine, nous nous retrouvions tous quatre dans le salon, face à la cheminée où brûlait un grand feu de bois, nous occupions chacun un fauteuil.

L’attente fut brève et la « Tigresse » fit irruption dans la salle (elle avait été prévenue).

  • « Messieurs, je vous somme immédiatement de regagner votre poste !
  • Mais, Madame, lui dis-je d’un ton ferme et sec, nous ne pouvons pas travailler douze heures cette nuit avec si peu !
  • Je n’ai rien de plus aujourd’hui, on verra pour demain.
  • Non ! Madame, nous ne céderons pas, vous nous dites ne rien avoir pour aujourd’hui ? Et ça ?...

De la main, je désignais un jambon accroché dans l’âtre. La Tigresse se rendit compte qu’elle avait perdu la partie et que nous étions décidés à ne pas céder. La position était intenable, l’équipe de jour attendait notre arrivée pour s’en aller, la distillerie ne pouvait fonctionner sans nous, nous étions les plus forts. D’une voix rageuse, elle intima l’ordre à la bonne de nous trancher, à chacun, une part de jambon qu’elle nous fit remettre.

Nous avions gagné, c’était ma première grève (je crois que j’allais le payer plus tard). Cet événement aura certainement bien des incidences sur la suite de notre séjour à la ferme. Curieusement, ni le patron (qu’il faut dire on ne voyait presque jamais), ni le régisseur (qui n’avait que très peu de pouvoir) n’eurent de réactions.

La nourriture devenait pour tous de plus en plus restreinte, viande une fois tous les deux jours, pain sérieusement rationné.

C’est grâce à Claudy que nous allions améliorer l’ordinaire.
Claudy posait des collets, dans les fourrés derrière la distillerie, ce qui nous procurait de temps en temps un « garenne » ou un lièvre. Quand il ne culbutait pas un canard, dormant sur le mur bordant la mare, à coup de trique, les nuits sans lune. Il avait de plus, repéré les nids de canes dans la menue paille et nous pouvions à la rigueur, déguster une bonne omelette, confectionnée sur le poêle « godin », qui chauffait notre chambre à l’aide des briquettes fauchées aux « fritz ».

Mais, un lundi matin, nous ne revîmes pas Claudy. Parti en « perm. », pour Sartrouville, il avait été arrêté par le « contrôle économique », sur le quai de la gare de Pontoise, dans son sac, deux litres d’alcool, un canard, trois à quatre kilos de farine, une douzaine d’oeufs de cane et un lièvre.

Je sus après la Libération que les “pandores” lui avaient tout saisi et l’avaient laissé filé (certainement pour s’approprier ces denrées si rares à cette époque). Claudy devait plus tard (comment ?) se retrouver dans un maquis du Berry et de là, participer pendant près d’un an aux combats de la “poche de La Rochelle”, qui durèrent jusqu’en 1945 [1].

Il est, à ce point de mon récit, nécessaire de bien situer l’ambiance dans laquelle nous nous trouvions, sans contacts extérieurs, ou si peu, sans journaux, surtout sans radio (pas question d’écouter la BBC), nous percevions cependant les bruits qui circulaient de bouche à oreille.

Les soviétiques avaient repris l’offensive, les allemands avaient capitulé à Stalingrad.
Devant l’échec du volontariat, suivi de celui de la « réquisition », le 17 février, nous apprenions qu’une loi prévoyait la « mobilisation » des classes 1940-41-42-43 pour les envoyer en Allemagne.

Simultanément, un certificat de travail était instauré, dont devraient être munis tous les hommes de 18 à 50 ans.

En même temps se développait, dans le pays, une vague de protestations et de manifestations, orchestrées par les mouvements de Résistance, et qui allaient de la démonstration de ménagères sur les marchés, en passant par les actions d’étudiants et surtout des ouvriers dans les usines.

Ces actions portaient leurs fruits si bien que, bien plus tard, l’historien Henri Noguères eut ce mot : « Le développement du STO aura nourri les maquis. » Mais laissons Charles Tillon, commandant en chef des F.T.P., relater l’une de ces actions, la manifestation de Montluçon (Charles Tillon : « Les F.T.P.F. ») :

« Une manifestation anti-STO est prévue pour le 6 janvier à 13 heures, mais dès la veille, d’immenses inscriptions au goudron s’étalent dans les rues, et sur les murs des usines Dunlop, et au dépôt de la SNCF :

« TOUS EN GREVE LE 6 CONTRE LA DEPORTATION !
TOUS EN GARE à 13 HEURES ! »

Le 6 janvier, à 13 heures, une foule dense, estimée plus tard à 6 000 personnes, stationne devant la gare, familles de partants, jeunes gens et jeunes filles, de nombreuses femmes, beaucoup d’ouvriers, en particulier de la SAGEMA.
À l’entrée des quais, la police contient cette foule encore calme, ne laissant entrer que les porteurs d’un ordre de réquisition. Discussion avec les policiers, bousculades, ruée en avant malgré la brutalité des GMR, leurs coups de crosses, leurs simulacres de faire feu... Les manifestants s’engouffrent sous le hall de la gare et prennent conscience de leur force.
« La Marseillaise », « L’Internationale », retentissent, auxquels se mêlent les cris de « vive De Gaulle » et « vive l’Union Soviétique ». Pas de Français en Allemagne, Pas de soldats pour Hitler !

Le chef de gare, "collabo" qui a dû grimper sur la locomotive pour presser le mécanicien de démarrer, se retrouve prestement à terre grâce à quelques bras vigoureux.
Pour dégager le train, un rang de GMR à genoux tient l’arme en joue pendant qu’une autre ligne tente de passer à coups de crosses, sous une grêle de cailloux du ballast. À la fin , les gardes réussissent à isoler le train des manifestants. Mais la plupart des « requis » ont déguerpi. Nouvel ordre de démarrer, la locomotive est seule à partir ! Tous les attelages ont été coupés. Il est près de trois heures quand le train réussit à s’ébranler. Il roule une centaine de mètres puis s’arrête. Ce sont les ouvriers du dépôt SNCF qui, armés de marteaux et de barres à mine, l’ont stoppé. La police est alors submergée et incapable de reprendre la situation en main. _ Peu importe qu’un fort détachement de la wermacht, surgissant baïonnette au canon ait finalement dégagé la gare, le train partit tard le soir, bilan de cette manifestation : 20 partants sur 160 !...

Ce jour de fin février, nous avions été occupés toute la matinée à étaler du fumier en vue des labours de printemps : travail pénible, certaines fourchées de fumier pesaient bien une dizaine de kilos.

C’est en revenant à la soupe de midi que l’on devait nous apprendre l’arrestation de « Barbe en zinc ». Les Allemands étaient venus le cueillir à la batteuse où il était occupé.

Nous ne devions pas le revoir. Vendu ? Dénoncé ? Nul ne le saura.

Un vent de panique s’empara de notre petit groupe, et le lendemain matin, nous nous apercevons que, « N’a qu’un chasse » et Estory n’étaient plus dans leur « carrée », l’un comme l’autre, très certainement craignant la prochaine fournée, avaient fui, où ?

Nous pûmes apprendre rapidement que les Préfets avaient imposé aux Maires des communes des « quotas de réquisition au STO », à respecter.
Les patrons, chefs d’entreprises ou même commerçants, qui jusqu’ici se régalaient d’une main d’oeuvre très bon marché, et corvéable à merci, commençaient à se poser des questions.

La presse pourrie se chargeait de les rappeler à l’ordre.
C’est ainsi que le journal « collabo », « Aujourd’hui », pouvait titrer : « Quiconque aidera les jeunes à se dérober au service du travail sera puni ou interné ».

Suivait l’article :

« Vichy, dans sa déclaration radiodiffusée de samedi dernier, le chef du gouvernement, faisant allusion aux jeunes gens appelés par le service obligatoire du travail qui se sont dérobés à leur devoir, ainsi que ceux qui seraient tentés de les imiter, a dit notamment :

  • « Aux uns et aux autres, je dois parler en langage net, aux premiers, je dis ne persévérez pas dans votre erreur, présentez-vous aux autorités. Aux autres, je conseille de ne pas se laisser abuser par certaines propagandes malsaines d’où qu’elles viennent, ou de ne pas se laisser entraîner par un égoïsme irréfléchi puisque, en définitive, ils seraient obligés de partir. La loi est la même pour tous, les défaillants, qu’ils le sachent bien, je tiens à le répéter, ne seront pas des profiteurs ! »
    La fin de l’article concluait ainsi :
  • « En outre, les Préfets pourront prononcer une amende administrative de 1000f à 100.000f contre quiconque (y compris les membres de la famille de l’intéressé) aura sciemment hébergé, aidé ou assisté, par quelque moyen que ce soit, toute personne qui se serait soustraite aux obligations du service du travail obligatoire. »

C’est dans la première quinzaine de mars, qu’allait se terminer mon séjour clandestin à la ferme. Il était midi quinze, je prenais l’air à ma fenêtre donnant comme je l’ai dit sur la mare aux canards, lorsque deux véhicules firent irruption dans la cour pavée.

Une Volkswagen décapotée, ayant à son bord deux fritz en armes et deux sous-officiers de la wermacht, suivie de la Primaquatre du patron, que ce dernier conduisait, et qu’accompagnaient deux civils. _ En hâte, toute l’équipe grimpa l’escalier de bois, et l’un des civils m’intima l’ordre, dans un Français impeccable :

  • « Prenez vos affaires et suivez nous ! »
    Je remplissais mon sac à dos, qui ne m’avait jamais quitté, et obtempérais.
    En deux mots, je demandais à André de prévenir mes Parents.

Dans la cour, le patron me remettait une enveloppe :

  • « Ce sont vos primes du mois. »
    (Les accords conclus étaient les suivants : nourris, logés, blanchis et octroi de primes selon le rendement effectué.)
    Embarqué dans un camion, qui attendait dehors, avec une demi-douzaine d’autres jeunes, nous étions conduits à la caserne de Pontoise.

Dans la cour pavée, nous rejoignions des groupes déjà formés avant notre arrivée.
Dans un angle, une table de bois, derrière laquelle trônaient deux feldgraus. Alignés, les uns derrière les autres, nous passons à un premier interrogatoire.

  • « Morinais Bernard ! Papieren ! Raus ! »
    Je fouillais dans le sac de toile que ma Grand-Mère m’avait confectionné à cet usage, et en sortais ma carte d’identité.

Le fritz coucha alors mon nom sur une liste, et compara mon document avec une carte d’alimentation, tirée d’une pile. Lue à l’envers, je m’aperçus que c’était la mienne (la carte elle-même étant nominative).
Les Nazis avaient donc procédé à une rafle sérieusement organisée, qui me fit me poser bien des questions... Je fus tenté à la libération, d’aller demander des comptes à Monsieur Ménard, les raisons de sa présence lors de mon arrestation, le fait que les nazis avaient en main mes cartes d’alimentation. On m’en dissuada bien vite, car l’argumentation suivante m’aurait été opposée :

  • « Vous saviez que j’étais bien informé de votre situation clandestine, ainsi que de celle de nombreux de vos camarades et, malgré cela, je vous ai gardé le plus longtemps possible. Or, en tant que Maire de la commune, j’avais des ordres des autorités (ce qui était malheureusement vrai) de respecter un « quota » de départs pour le STO , je ne pouvais m’y soustraire [2]. »

Et l’on m’ajouta :

  • « Tu sais, il est foutu de se faire passer pour un résistant... »

L’affaire en resta donc là.

C’est ainsi, qu’une fois dûment répertoriés, démunis de tous papiers, nous allions faire connaissance des châlits à trois étages qui garnissaient les « chambrées » de la caserne.

Quant à la paillasse, je connaissais déjà...

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De gauche à droite : BERNARD - France - ESTORY - Grande-Bretagne - RAYMOND- France - ROBERT- France - ALDO- Italie - « BICO » - Algérie - CLAUDY - France - « N’A QU’UN CHASSE » - Juif Arménien - C’est « BARBE EN ZINC » qui prend la photo.

[1Claudy s’engagea fin 1945 [[dans l’armée régulière pour aller « casser du Jap » en extrème-orient et se fit piéger dans la guerre d’Indochine

[2Ce n’est qu’en 1983, lors de ma reconstitution de carrière pour ma retraite,que je m’aperçus que Ménard ne m’avait jamais déclaré aux "assurances sociales", sécurité sociale de l’époque, pourtant obligatoire

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6 Messages

  • > Clandestin 10 décembre 2006 20:11, par Estory Eric

    Bonjour,

    Je m’appelle Eric Estory, mon père, André, était réfractaire à Pontoise, Cormeil en Véxin.

    S’il s’agit du même homme, pourriez-vous me faire parvenir, pas tout moyen à votre convenance, une copie haute définition de la photo de groupe de votre livre.

    Merci d’avance,

    Sincères salutations.

    Eric Estory

    Notre adresse : nathalie.estory chez cegetel.net

    Voir en ligne : Souvenirs de Bernard Morinais sous l’occupation

    Répondre à ce message

    • > Clandestin 10 décembre 2006 20:47, par Alain Morinais

      Bonsoir Monsieur,

      Je m’appelle Alain MORINAIS, le fils de Bernard, l’auteur de ce témoignage, décédé en septembre 2005.

      Je vous adresse sur votre messagerie personnelle la meilleure définition, que je possède, de cette photo.

      Cordialement

      Alain MORINAIS

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      • > Clandestin 3 janvier 2007 13:55, par elsacarline

        bonjour Monsieur Morinais, je viens de lire par hasard ce témoignage de votre père sur la guerre 39 45cela m’a beaucoup interessée, Il faudrait que plus de gens comme votre père témoignent. Je n’ai malheureusement pas plus lire la résistance cela me désole, Ni savoir comment se nommait ce henri ,cela m’aurait bien interessée car mon oncle courtot henri réfractère au STO a été interné a BUCHENWALD puis a SANDBOSTEL en allemagne et porté disparu, Toujours a sa recherche et surtout découvrir des témoignages le concernant avec des copains fait lors dévasion, dans les camps usines . pouvez vous me dire ce qu’était l’usine 3bd kellermann a paris (employeur ZENTRALLAUFFANGLAGER ) avril 1943 merci de bien voloir me renseigner car pour obtenir des renseignements méme a l’heure actuelle cela est très difficile merci pour tout Monsieur MORINAIS

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        • > Clandestin 3 janvier 2007 18:59, par Alain Morinais

          Bonsoir Madame,

          Je tiens à vous remercier de votre message.

          Vous pourrez lire "Résistance", ici, dans le magazine-web "histoire-genealogie.com" de février, et les chapitres suivants de "Classe 44", le livre témoignage de mon Père, dans les prochains numéros, au rythme d’une parution mensuelle.

          Je regrette de ne pouvoir vous apporter plus de précisions que celles laissées par mon Père dans ses écrits.
          J’essaierai de joindre, en annexe à chacune des parutions, le maximum des documents que Bernard MORINAIS nous a transmis, mais je n’ai malheureusement pas la réponse à vos questions.

          Cordialement.

          Alain MORINAIS

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  • > Clandestin 30 décembre 2006 17:33, par Gwion Coatanroch

    Je vous laisse imaginer ce que ce récit m’a fait comme bien ! Une rue de Saint Denis porte mon nom car dans ma ’’Famille de Résistants’’, tous n’ont pas eu la même chance de voir la Libération. Ces souvenirs m’ont fait du bien car en ces temps détestables, j’ai perdu tous les repères de mon éducation et n’espère plus grand chose. Si. Toutefois j’ai confiance en quelques-un. Toujours les mêmes. Ceux qui sauront se comporter en homme le moment venu là quand l’action sera nécessaire.

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    • > Clandestin 30 décembre 2006 22:36, par Alain Morinais

      Je suis le fils de Bernard Morinais, et je tiens à vous témoigner le plaisir que j’éprouve à la lecture de votre message. L’idée que le récit de mon Père puisse vous procurer ce bien est un grand bonheur. Croyez que nous sommes encore nombreux à vouloir tout faire pour que les repères de votre éducation donnent à nouveau un sens à ces temps qui en manquent si souvent.
      Alain MORINAIS

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